Texte intégral
Michèle COTTA : Bonjour. Le député-maire est-il une espèce en voie de disparition ? L’Assemblée nationale s’est prononcée jeudi. Désormais, le mandat de parlementaire est incompatible avec la fonction de maire ou de président du Conseil général ou régional. La majorité socialiste a voté pour, l’opposition RPR-UDF contre. Nous en parlerons tout à l’heure. Quatre livres, quatre auteurs sur la bêtise administrative, c’est un inépuisable sujet. Ce sera la troisième partie de cette émission. Tout de suite notre invité est Georges SARRE, député de Paris, maire du XIe arrondissement et président délégué du Mouvement des citoyens que nous allons interroger avec Sylvie PIERRE-BROSSOLETTE du NOUVEL ECONOMISTE.
Georges SARRE, bonjour. Vous êtes donc maire du XIe et conseiller de Paris. Vous avez vécu l’affrontement TIBERI/TOUBON mais la gauche au fond est restée spectatrice. Alors est-ce que vous pensez… enfin, pourquoi est-ce que la gauche est restée sur son quant-à-soi et est-ce que vous pensez que, finalement, Jean TIBERI est plutôt conforté par tout ce qui s’est passé depuis un mois à la Mairie de Paris ?
Georges SARRE : Oui, c’est ce qu’il y a de paradoxal dans la situation. Je crois qu’il faut analyser les choses d’une façon extrêmement simple. Jacques TOUBON a voulu se débarrasser de monsieur TIBERI. Seulement, il a commis une grave erreur d’analyse. Il a pensé qu’il pouvait obtenir le départ de Jean TIBERI ne réalisant pas qu’en faisant cela il mettait en cause l’autorité de Jacques CHIRAC, le Président de la République, qui était avant le maire de Paris. Donc, il a franchi le Rubicon et puis, passé de l’autre côté de la rive, il s’est transformé en pêcheur, il a sorti sa canne à pêche. Un replâtrage vient d’avoir lieu. La crise n’est pas réglée, bien entendu, cela rebondira.
Sylvie PIERRE-BROSSOLETTE — La découverte que 200 emplois fictifs avaient été financés par la Ville de Paris dans le passé, est-ce que vous étiez au courant de cette situation et est-ce que vous pouvez nous assurer que vous-même n’avez jamais bénéficié de ce système qu’il vienne de Paris, de Belfort ou d’ailleurs ? Est-ce que le Mouvement des citoyens n’a jamais utilisé le procédé de cet emploi fictif pour financer ses cadres ?
Georges SARRE : Votre question a quelque chose je dirais un peu insultant car le Mouvement des citoyens n’a pas recours à ce genre de méthodes.
Michèle COTTA : C’est bien que vous le disiez. Ne vous sentez pas insulté.
Sylvie PIERRE-BROSSOLETTE : On a découvert que c’était si répandu.
Georges SARRE : C’est peut-être si répandu. Quant aux 200 emplois fictifs, il appartient au juge d’instruction et au procureur de mener l’enquête. C’est ce qui me semble important car, moi, je dois vous dire — la campagne électorale, c’est dans 3 ans — que si les parisiens ont été abusés, il faudra bien que la droite rende des comptes. Mais attendez que la Justice ait fait son travail.
Sylvie PIERRE-BROSSOLETTE : Vous ne saviez rien ?
Georges SARRE : Comment pourrions-nous le savoir ? Vous le saviez, vous ? Vous ne l’avez pas écrit si vous le saviez.
Sylvie PIERRE-BROSSOLETTE : On n’était pas élu de Paris.
Georges SARRE : Vous n’êtes pas élue de Paris mais vous êtes journaliste. Je vais vous rappeler quelques souvenirs. Pendant des années, en tant que leader de l’opposition, j’ai dénoncé ce qu’on a appelé le patrimoine privé de la Ville de Paris, là où logeaient un certain nombre de hauts dignitaires, monsieur JUPPE par exemple. J’ai tenu plusieurs conférences de presse. J’ai alerté les télévisions et les radios. Ce fut le silence le plus complet. Il a fallu attendre la campagne des présidentielles, le désaccord entre Edouard BALLADUR et Jacques CHIRAC pour que ces dossiers sortent. Voilà la vérité. Alors que faisiez-vous en ce temps-là, madame ?
Michèle COTTA : Ceci étant, nous faisions, je suppose, ce que nous pouvons. Mais au-delà de la Mairie néanmoins, c’est une question actuelle, au-delà de la Mairie, à votre avis, qui veut-on atteindre ? Est-ce qu’on veut vraiment atteindre Jacques CHIRAC, Président de la République ?
Georges SARRE : Vous le savez aussi bien que moi. Il y a une opération interne à la droite.
Michèle COTTA : Ah mais la droite dit que c’est la gauche qui la mène.
Georges SARRE : Il n’y a pas un observateur sérieux ou un citoyen français qui croit ça. Ce qui me semble tout a fait évident, c’est qu’à l’heure actuelle et cela est vrai depuis la bataille BALLADUR/CHIRAC, la droite implose. Et cela s’est vu immédiatement après les élections régionales quand il y a eu accord entre les notables locaux et le Front national dans un certain nombre de régions. La porosité idéologique, thématique entre certains élus RPR, UDF et Front national s’est avérée. Mais ce qui est important de voir, c’est qu’à l’heure actuelle, l’Alliance qui vient de naître est un épiphénomène. C’est un accident bien entendu. C’est l’alliance entre le paralytique et l’aveugle, l’un étant monsieur SEGUIN, l’autre étant monsieur LEOTARD. Monsieur SEGUIN n’a pas réussi à affirmer son autorité sur le RPR. Il n’a pas obtenu le changement de cycle. On parle encore de la crise à la Mairie de Paris. Pour monsieur LEOTARD, il est comme SOUBISE avec une lanterne. Il cherche ses troupes puisque monsieur MADELIN est parti avec Démocratie libérale.
Michèle COTTA : Pour nous ramener à la question, vous pensez que tout ça, il y a bien une opération contre le Président de la République mais pas menée par la gauche, menée par la droite ?
Georges SARRE : Qu’il s’agisse de Paris ou qu’il s’agisse du RPR, c’est une relation entre la Justice, la Ville de Paris, enfin plutôt la municipalité et le RPR et la droite. Et croyez bien que personne à gauche ne peut intervenir dans ce genre de situations mais les magistrats font ce qu’ils veulent.
Sylvie PIERRE-BROSSOLETTE : Justement, vous pensez que le Président de la République est judiciairement intouchable dans sa fonction ou, comme l’a dit Elisabeth GUIGOU il y a quelques jours, pour les délits éventuellement commis en dehors de sa fonction, il est un justiciable ordinaire passible des tribunaux ordinaires ? Quelle est votre théorie là-dessus ?
Georges SARRE : Je n’ai pas de théorie. Je dis que c’est une situation un peu extravagante. D’abord, nous n’en sommes pas là. Mais ce qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est que le Président de la République peut gracier. C’est lui qui exerce un droit de grâce, eh oui ! A partir du moment où il serait dans une situation judiciaire inconfortable, ce serait une première dans l’histoire de la République. Vous allez aborder tout à l’heure avec un auteur connu son ouvrage. Il commence par « monsieur DESCHANEL ». Bon, on a eu un Président de la République qui sautait par le train, la fenêtre du train. J’espère que nous ne connaîtrons pas ça.
Sylvie PIERRE-BROSSOLETTE : Non mais donc, tribunaux ordinaires ou pas tribunaux ordinaires ?
Georges SARRE : Pardon ?
Sylvie PIERRE-BROSSOLETTE : Pour le Président de la République, en dehors des actes commis dans sa fonction, c’est les tribunaux ordinaires ou pas qui s’appliquent ?
Georges SARRE : Ça ne peut être que les tribunaux ordinaires.
Michèle COTTA : Bien. On change de sujet. Quel rôle le Mouvement des citoyens dans la gauche, dans les années qui viennent, dans les mois qui viennent ? Alors la gauche plurielle va présenter des élections européennes pour l’année prochaine. Est-ce que vous ferez des listes uniques avec le Parti socialiste ?
Georges SARRE : D’abord, il faut attendre de connaître précisément ce que sera le mode de scrutin. Est-ce qu’il y aura sept listes en métropole et une dans les DOM-TOM ou est-ce qu’il y aura une liste unique ? Pour notre part, au Mouvement des citoyens, nous disons que le statu quo serait préférable parce que ce n’est pas le Parti communiste qui le demande, les Verts pas davantage, le Mouvement des citoyens non plus, c’est une décision du Parti socialiste. Donc, il nous semble que, dans cette affaire, il vaudrait mieux en rester au point où nous sommes.
Sylvie PIERRE-BROSSOLETTE : Il y a quelque chose qui va intervenir dans votre décision, c’est sans doute la réforme du mode de scrutin européen qui est un des textes qui posent problème au Mouvement des citoyens. Lionel JOSPIN propose qu’on régionalise ces listes. Vous n’aviez pas l’air enthousiaste. Vous allez là voté cette réforme ?
Georges SARRE : Le Mouvement des citoyens par rapport à la majorité au gouvernement ne pratique pas la politique du harcèlement. Nous sommes sûrs, je dirais, nous avons la sérénité et nos convictions. Pourquoi ? Parce que c’est sur les grands sujets qu’il faut se distinguer si c’est nécessaire, par exemple la politique sociale, la politique économique. Il y a une grave question aujourd’hui. La croissance est revenue. Elle n’est d’ailleurs pas encore assez forte. Et que va-t-on faire je dirais des fruits de la croissance ? Est-ce que ce sera pour le social ou est-ce que ce sera pour réduire les déficits ? Voilà, cette question…
Sylvie PIERRE-BROSSOLETTE : Donc, vous votez la réforme du mode de scrutin européen ?
Georges SARRE : On n’a pas encore décidé mais je veux dire, il faut quand même attendre. Est-ce que ce sera sept plus une, je veux dire, les régions ? Moi, personnellement, n’en ferai pas une affaire d’Etat.
Sylvie PIERRE-BROSSOLETTE : Et la révision constitutionnelle pour le traité d’Amsterdam qui est la suite du traité de Maastricht pour lequel vous étiez contre ?
Georges SARRE : Alors là, c’est la question européenne qui est posée et je ne souhaite pas que l’on poursuivre, je dirais, ce délestage, c’est-à-dire ces transferts de souveraineté sans que le peuple ne le décide et sans qu’ensuite il y ait contrôle démocratique car le traité d’Amsterdam, il est de bon ton de dire « il n’y a pas grand chose dedans » mais vous avez toutes les questions touchant à l’immigration, touchant à la citoyenneté. Or, vous savez par exemple qu’avec les Allemands nous sommes sur des bases tout à fait différentes. Ils sont, eux, pour le droit du sang et nous, nous sommes pour le droit du sol. Tant que ces questions ne sont pas résolues, franchement, c’est aller un peu vite en besogne. Et puis, cette fuite en avant européenne, toujours plus d’Europe libérale, toujours moins de France, donc moins de République, donc moins de social, c’est peut-être une réorientation de la construction européenne, ce n’est pas peut-être, c’est vers une réorientation de la construction européenne qu’il faut résolument aller.
Michèle COTTA : Alors vous vous sentez proche des communistes sur ce terrain-là ? C’est-à-dire notamment peut-être mènerez-vous une campagne commune ?
Georges SARRE : Contrairement, je veux dire notre spécificité, nous lions, nous, la question sociale et la question nationale. On ne peut pas les dissocier et nous pensons que les communistes aujourd’hui sont sur la question sociale. Il y a les deux versants. Et si l’on ne s’attaque qu’à un seul, il me semble que c’est une faiblesse.
Sylvie PIERRE-BROSSOLETTE : Justement sur la question sociale, vous vous retrouvez dans une curieuse situation dans beaucoup de conseils régionaux, en tous les cas, ceux dont le président de droite a été élu avec le soutien du Front national. Les socialistes veulent s’opposer à toutes les mesures proposées par ces présidents même si elles sont dans le domaine social et que vous les souhaitiez au départ et le Mouvement des citoyens a des votes plus nuancés. Parfois, il s’abstient pour permettre à ces mesures d’être adoptées. Qu’est-ce que vous pensez qu’il faut faire ? Harmoniser vos positions ? Accepter ces votes de temps en temps ?
Michèle COTTA : Exemple, les crédits pour le théâtre de Lyon ou le crédit pour les universités…
Sylvie PIERRE-BROSSOLETTE : Certaines associations que vous soutenez par ailleurs.
Georges SARRE : Bien entendu. Il faut être pragmatique mais cela passe d’abord par une harmonisation, une coordination. Et moi, je trouve que le Premier ministre a bien fait de réunir un certain nombre de conseillers régionaux pour faire en sorte que les choses soient calées. Entre nous, ce n’est pas simple parce que vous savez que la région s’occupe principalement des lycées. Pourquoi les communistes et le Mouvement des citoyens ont été un peu hésitants sur cette question notamment ? Quand vous avez des lycées qui sont en très grande difficulté, les crédits s’ils sont votés, eh bien les travaux commencent, s’ils ne sont pas votés, les travaux ne commencent pas. Donc, on ne peut pas traiter d’une façon je dirais détachée comme s’il s’agissait d’une débat théologique.
Michèle COTTA : Alors avec la circulaire — voilà un autre débat qui n’est pas forcément idéologique…
Georges SARRE : Théologique.
Michèle COTTA : Théologique, si vous voulez, oui. Avec la circulaire du mois de juillet dernier, on arrive au grand jour pour les sans-papiers puisque c’est ce week-end où on saura le nombre d’entre eux qui ont été régularisés et ceux qui ne l’ont pas été. Alors ceux qui ne l’ont pas été, c’est-à-dire a peu près la moitié, sur 140 000 à peu près, 70 000, qu’est-ce qu’ils vont devenir ?
Georges SARRE : Vous savez, il y a plusieurs hypothèses. Tout d’abord, ce qu’il faut dire, c’est que la loi qui a été votée par le Parlement permet de faire beaucoup de choses. La première, c’est de stabiliser et d’intégrer les étrangers qui sont en France. Deuxièmement, c’est l’égalité des droits sociaux pour les étrangers comme pour les Français. C’est ensuite une politique qui va permettre d’accueillir tous les étrangers qui, dans leur pays, sont menacés dans leur intégrité physique ou bien qui ne peuvent pas conduire le combat pour la liberté.
Michèle COTTA : Justement, est-ce qu’elle n’est pas trop laxiste pour les uns, cette loi, et trop répressive pour les autres ?
Georges SARRE : Vous savez, nous avons voulu sortir ce débat du débat politicien car cela nous semble une très mauvaise chose. Il ne faut pas que la gauche se piège elle-même car, du temps de la droite, l’immigré servait de bouc émissaire de façon à ce que toutes les questions économiques, sociales et autres soient évacuées du débat. Donc, ce que nous voulons, c’est que la loi soit juste, humaine, qu’il y ait les régularisations, que la République fasse appliquer la loi mais que cela soit fait dans des conditions conformes au droit et au sentiment…
Michèle COTTA : Et les 70 000 ?
Georges SARRE : Les 70 000, eh bien, il y a plusieurs étapes. Vous savez que s’ils font des recours, il y a des mois supplémentaires etc. Mais il faut quand même que les Français sachent ce qu’ils veulent. Ou bien ils souhaitent comme moi une maîtrise des flux migratoires et cela veut bien dire qu’on ne pourra pas régulariser tout le monde et ceux qui ne seront pas régularisés doivent partir. C’est ça, la République et c’est ça, la loi. Quant aux autres, ils doivent pouvoir être traité comme les Français.
Sylvie PIERRE-BROSSOLETTE : Alors la question du jour dans le domaine social, c’est AIR FRANCE. Les pilotes maintiennent leur projet de grève pour demain. Est-ce que vous approuvez l’attitude de fermeté de monsieur SPINETTA ou est-ce que vous êtes de ceux qui pensez qu’il faut à tout prix obtenir un compromis pour éviter la grève ?
Georges SARRE : Un, il est tout à fait clair que c’est la vie d’AIR FRANCE qui est en question. Ou bien AIR FRANCE pourra se développer ou AIR FRANCE est condamné à moyen terme. Donc, moi, je suis pour que la négociation s’engage, qu’elle aille le plus loin possible mais on ne peut pas accepter cette prise, ce chantage exercer sur la compagnie. Et quand je vois Arlette LAGUILLER, permettez-moi de vous le dire, qui soutien ces damnés de la terre que sont les pilotes, eh bien, je trouve qu’il y a là quand même quelques dépassements auxquels il conviendrait de mettre bon ordre. Donc, négociation mais je pense que le président de la compagnie a arrêté clairement les choses et qu’on doit s’en tenir à cette position-là.
Michèle COTTA : Georges SARRE, merci.