Texte intégral
RMC – 15 mai 1998
RMC : Quelle est votre réaction ce matin – chez les Verts, dont vous êtes le porte-parole – à ce qui s'est passé, hier, dans les rangs de l'opposition et la formation de l'Alliance, un nouveau cadre englobant toute la droite modérée ?
Jean-Luc Benhamias : C'est une bonne chose. Il faut une vraie droite démocratique en France. Je suis un peu dubitatif. Je pense qu'ils passent là la période des qualifications. Je ne suis pas sûr qu'avant la fin de la Coupe du monde, cela continuera à exister et qu'ils verront le début du Tour de France. Parce que je crois que la droite a vécu des soubresauts extrêmement importants et extrêmement énormes après les alliances qui ont été faites par certains de ses membres, de toutes tendances confondues, aussi bien de l'UDF que du RPR partiellement avec le FN. Je pense que ces soubresauts ne sont pas terminés. La décision, hier, de François Léotard et de Philippe Séguin est une bonne décision pour la République et pour la France. Mais est-ce que cela va durer ? Est-ce qu'il n'y aura pas des remous internes qui vont continuer ? Je n'en suis pas si sûr.
RMC : Cela ressemble à la majorité plurielle, ce qui a été annoncé hier ?
Jean-Luc Benhamias : Cela peut y ressembler. Je crois qu'on a besoin d'unité. Tout le monde a besoin d'unité. Jacques Chirac l'a dit. Mais la majorité plurielle a mis plusieurs années pour arriver à ce qu'elle a fait. Il faut vous rappeler qu'en 1994, nous avions commencé à faire les assises de la transformation sociale initiées par Jean-Claude Cambadélis. Il y a eu plusieurs années de discussions, de débats entre le PC, le PS et les Verts, entre autres. Ce n'est pas vraiment le cas à droite aujourd'hui.
RMC : Alors à propos de majorité plurielle, est-ce que vous pensez que les Verts occupent dans cette majorité la place qu'ils espéraient au départ ?
Jean-Luc Benhamias : La place qu'ils espéraient au départ ? Oui. Est-ce qu'ils occupent vraiment toute leur place ? Pas encore. Il fallait que l'on passe par une phase d'apprentissage. On ne rentre pas dans un gouvernement sans avoir une phase d'apprentissage. Cette phase-là est faite. Dominique Voynet est en train de prouver tous les jours, comme l'avait fait Marie-Christine Blandin à la tête de la région Nord–Pas-de-Calais, que nous sommes capables à la fois de proposer et de gérer. Maintenant, il faut nous prendre en considération totalement et nous prendre à notre hauteur. Nous pensons, nous, peser dans la vie politique française 7 à 8 %. Pour l'instant, nous ne sommes pas à la hauteur dans le cadre gouvernemental ou dans le cadre des nombreuses élections auxquelles nous participons, souvent dans la majorité plurielle, à la hauteur de ce que nous pesons.
RMC : Qu'est-ce qu'il manque ?
Jean-Luc Benhamias : Il manque quelques pour-cent de représentation.
RMC : Il y a eu un désaccord avec le PS à propos du mode de scrutin des élections européennes à venir ! Vous avez eu une réunion avec le Parti socialiste, hier soir : quel est le résultat de cette réunion ?
Jean-Luc Benhamias : Mauvais. On a discuté avec le Parti socialiste et avec l'ensemble de la majorité plurielle dès juillet dernier, en 1997, de la simplification, démocratisation et modernisation des modes de scrutin et du statut de l'élu, du cumul des mandats, de la parité homme-femme. Jamais nous n'avions discuté des élections européennes qui ne posaient de problèmes à personne : sur le scrutin par État-nation dans les quinze pays de l'Union européenne. Et là, on nous amène un projet qui ne touche qu'à un seul mode de scrutin – celui des élections européennes – et on continue à discuter faiblement des élections régionales, des élections cantonales, du système électoral par rapport aux départements, du système municipal et du système par rapport au Sénat. Cela ne va pas dans le bon sens pour les élections européennes. Nous ne sommes pas du tout contents.
RMC : Alors, qu'est-ce qui se passerait si le gouvernement maintenait sa position sans la changer ?
Jean-Luc Benhamias : Si une partie du gouvernement maintenait sa position – car on a discuté avec le gouvernement et il ne me semble bien que le Mouvement des citoyens, le Parti radical de gauche, les Verts et le PC se soient prononcés largement contre le changement du mode de scrutin des européennes. Qu'est-ce qu'il se passerait ? On ne va pas faire une crise en pleine période de Coupe du monde sur une histoire de mode de scrutin aux européennes. Par contre, la confiance serait un peu ébranlée, si ce n'est sérieusement ébranlée.
RMC : À un moment, lorsqu'il s'agissait de la liste pour le Nord, Dominique Voynet avait parlé de casus belli. Est-ce que c'est un casus belli ?
Jean-Luc Benhamias : Je ne vais pas employer le terme de casus belli. Je pense que ce terme est un terme où, dans ce cas-là, on est obligé de quitter le gouvernement. Ce n'est pas le cas. Je le dis, c'est une question de confiance. Est-ce que les débats que nous avons dans la majorité plurielle aussi bien structurels, et je dirais assez politiciens, par rapport au changement de mode de scrutin, ce sont des débats qui pèsent sur quelque chose, qui ont des raisons d'être et qui font que chacun peut mettre son mot dans le débat et qu'après on en tire des conclusions et des conséquences qui vont dans le sens d'un consensus – c'est ce que dit Lionel Jospin ? Aujourd'hui, je remarque qu'il n'y a pas un consensus. Je pense que Lionel Jospin a l'intelligence dans ce cadre-là de dire : j'ai essayé ; moi je voulais ; le Parti communiste et les Verts, notamment, ne veulent pas ; je retourne en arrière.
RMC : Vous demandez à Lionel Jospin de retirer son projet ce matin ?
Jean-Luc Benhamias : Ce projet-là, oui.
RMC : Si jamais le projet était soumis à l'Assemblée nationale, les Verts voteraient contre ?
Jean-Luc Benhamias : C'est évident. On ne peut se permettre par rapport à un scrutin qui nous apparaît extrêmement important… Nous sommes des euro positifs. Clairement, nous voulons une vraie Europe. Nous avons une fédération verte européenne existant dans tous les pays européens. Nous avons même deux ou trois ministres aussi bien en Italie que dans d'autres pays. Nous sommes pour une alliance en Allemagne entre les sociaux-démocrates et les Verts. Tout cela pour aller vers une majorité plurielle dans l'Europe, et qu'on arrête cette espèce de jeu assez subtil qui existe en Europe où la social-démocratie et la démocratie-chrétienne se partagent le pouvoir depuis de nombreuses années. C'est la démocratie. Mais là, on peut arriver à une majorité plurielle social-démocrate, verte et eurocommuniste si on veut. C'est vers cela que nous voulons aller. Si les Verts français ne sont pas présents au Parlement européen, on ne pourra pas aller vers cela.
RMC : Cohn-Bendit ou Dominique Voynet à la tête de la liste verte ?
Jean-Luc Benhamias : Les deux.
RMC : Les deux ?
Jean-Luc Benhamias : Cohn-Bendit et Dominique Voynet ou Dominique Voynet et Cohn-Bendit. C'est un beau couple ?
RMC : Cela veut dire quoi ? Un ticket…
Jean-Luc Benhamias : Je n'appelle pas cela un ticket. J'appelle cela un numéro un et une numéro un bis, ou une numéro un et un numéro un bis.
RMC : Ils sont d'accord tous les deux ?
Jean-Luc Benhamias : Je pense qu'ils sont suffisamment intelligents tous les deux pour travailler ensemble.
RMC : On connaît une grande période de pollution en ce moment : les niveaux d'alerte dépassent 1 ou 2 dans toutes les grandes villes de France. Est-ce qu'on peut faire quelque chose ? Est-ce qu'on peut faire quelque chose ou est-ce qu'on doit faire quelque chose ?
Jean-Luc Benhamias : À court terme, si le pic de pollution arrive au niveau trois, on peut faire la circulation alternée telle qu'on l'a déjà faite. À moyen terme, et là le gouvernement a pris de très bonnes décisions. Je crois qu'il faut aller fondamentalement et fortement vers les transports collectifs. C'est la décision qui a été prise par le gouvernement, par Jean-Claude Gayssot et par Dominique Voynet. Je crois qu'à ce niveau-là, on est bien obligé de dire à un moment donné : la voiture en ville, ce n'est pas sa place. Il faut le partage de la voirie, le partage des modes de circulation. Il faut donc aller vers le transport collectif en priorité, et après tout ce qu'on appelle, nous, les réseaux verts, le passage aux piétons ou aux deux roues qui permettent à l'ensemble des populations d'ensembles urbains de vivre dans un air qui soit le moins pollué possible.
RMC : On en est loin encore.
Jean-Luc Benhamias : On est loin. Et tout le monde est conscient, aussi bien au niveau des décideurs, des politiques que de la population, que quand il fait très beau, ou quand il fait des chaleurs de plomb, on sait qu'on va vers des pollutions. On est déjà maintenant dans des choses qui vont commencer peut-être à faire avancer les solutions et les problèmes.
RMC : Sur la déclaration de M. Pierret, qui est ministre de l'industrie et qui a laissé entendre qu'on pourrait éventuellement, un jour, augmenter le prix du diesel en France pour le rapprocher… Est-ce que vous pensez que c'est une bonne décision, qui va dans le bon sens ?
Jean-Luc Benhamias : Il faut aller vers cela. Moi, je crois qu'il faut largement discuter, notamment avec les fédérations des transports et tous les utilisateurs de diesel pour le fret et pour des travaux. Des décisions sont nécessaires pour arriver progressivement à augmenter le tarif du diesel. Mais il est vrai que nos constructeurs ont fait de graves erreurs : le fait de vendre près de la moitié des voitures Diesel en France par rapport au taux de pollution produit par le diesel. Vous savez l'essence aussi produit de la pollution.
RMC : Il faut aller vite pour ramener le diesel ?
Jean-Luc Benhamias : Oui, il faut aller progressivement. Il faut aller vite avec de larges discussions avec l'ensemble des utilisateurs professionnels du diesel.
Vert contact, 30 mai 1998
Lettre ouverte aux député(e)s de la majorité plurielle
Mesdames et Messieurs les député(e)s de la majorité plurielle,
Dans quelques mois, l'ensemble des Européens auront à renouveler les élus du Parlement européen. En juillet 1997, les cinq formations de la majorité plurielle avaient entamé à ce propos un cycle de réflexion. Simplification, modernisation, démocratisation de la vie politique, parité, cumul des mandats, statut de l'élu étaient à l'ordre du jour de ces réunions. Dans un souci de cohérence, les négociateurs examinaient l'ensemble des systèmes électoraux français. L'été et les élections régionales et cantonales passèrent par-là : le cycle de réflexion n'était plus, semble-t-il, à l'ordre du jour.
Le 21 avril dernier, le Premier ministre Lionel Jospin, au détour d'une interview à un grand quotidien du soir, annonce qu'il a l'intention de modifier le mode de scrutin prévu pour les élections européennes, et que sa position penche plutôt pour des listes régionalisées. Dans son édition datée du 15 mai, le même grand journal du soir diffuse une carte de France de ce que pourraient être les futures régions dans le cadre d'une modification du mode de scrutin relative aux élections européennes. Ce feuilleton politique amène les Verts à se poser plusieurs questions.
Sur la forme, d'abord, les Verts ne peuvent qu'être consternés par la manière pour le moins cavalière dont ce projet de réforme leur a été soumis. Les règles de dialogue et d'écoute inspirées et mises en place par Lionel Jospin, il y a moins d'un an, ont été, dans cette affaire, purement et simplement balayées d'un revers de main. Aucune réunion sur ce sujet depuis le mois d'août 1997 n'a été programmée avec l'ensemble des partenaires. Le travail mis en place durant l'été 1997 a été nié au profit du retour du sentiment et des réflexes hégémoniques de certains dirigeants du Parti socialiste.
Sur le fond, certains avancent la nécessité de rapprocher l'élu(e) européen(ne) de ses électeurs, préoccupation très noble et nécessité impérieuse. Cependant peut-on réellement soutenir devant les Français qu'un habitant de Lille ou de Tourcoing se sentira proche d'un élu qui habite le Calvados ? La question mérite un temps de réflexion. Et que dire de la région allouée aux électeurs des DOM-TOM ?
D'autre part, ce type de découpage videra inéluctablement le mode de scrutin proportionnel d'une partie importante de son contenu. En effet, à moins d'une péréquation nationale garantissant une répartition des sièges proportionnelle à la représentation nationale de chaque formation, les réformes envisagées auront pour conséquence de laminer les formations politiques dont le score national est inférieur à 10 % environ des suffrages exprimés ou de les contraindre – c'est sans doute un des objectifs recherchés par les stratèges – à se ranger sous la bannière des seules organisations pesant plus de 10 %. Ce qui, au moment où chacun s'accorde sur la nécessité de rénover la vie politique, paraît bien singulier. Il convient également de prendre en considération le poids financier particulièrement discriminatoire d'une telle réforme. Enfin, en réduisant l'espace d'expression sur la politique européenne, au moment même d'échéances importantes de l'histoire de l'Europe, le risque est important de renforcer le sentiment de frustration des électeurs et électrices. La conséquence pourrait bien être un report important des votes au profit de listes extrémistes prônant et affirmant un discours clairement anti-européen.
Parce que nous sommes collectivement responsables de la gestion de la France, et au moment où nous allons fêter l'anniversaire de la victoire de la majorité plurielle, ne gâchons pas ce moment. Les Verts seront, quoi qu'il arrive, résolument opposés au projet de régionalisation du mode de scrutin pour les échéances de 1999. Ils demandent le maintien du scrutin actuel, seul à même de garantir la cohésion de la majorité plurielle. Les Verts restent, bien entendu, à la disposition de leurs partenaires pour discuter collectivement des propositions de modification de tous les modes de scrutin. Pour leur part, les Verts se prononcent pour l'évolution de l'ensemble des modes de scrutin vers un système qui donne plus de place à la proportionnelle.
Très cordialement