Déclaration de M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur les orientations de la politique viti-vinicole, l'organisation de la filière et le rôle des coopératives dans le cadre de la loi d'orientation agricole, Hyères le 18 juin 1998.

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Circonstance : 26 ème congrès de la CCVF à Hyères le 18 juin 1998

Texte intégral

Monsieur le Président,


Voici un an, un an déjà, j'avais plaisir à vous rencontrer pour la première fois en Bourgogne, à l'occasion de votre 25e congrès.

Ce premier contact m'avait permis d'esquisser les principales orientations de la politique viti-vinicole que j'entendais mener, et d'entamer avec vous une concertation qui s'est développée avec moi-même et mon cabinet, tout au long de cette année.

Nous avons pu ainsi, sur la base d'analyses communes, faire progresser certains dossiers, en régler d'autres, et, bien sûr, en conserver quelques-uns en réserve, pour que vous puissiez me dire, Monsieur le Président, par exemple aujourd'hui : « encore un petit effort, Monsieur le Ministre. »

Les viticulteurs coopérateurs que vous êtes savent mieux que quiconque qu'il faut du temps et de l'opiniâtreté pour faire émerger des solutions qui prennent en compte la diversité économique et humaine de notre viticulture.

Prendre le temps, certes, mais pour atteindre nos objectifs.

Aujourd'hui, au coeur du vignoble des Côtes-de-Provence, après une année d'action gouvernementale, je vais donc m'efforcer de répondre avec clarté à l'ensemble de vos interrogations, pour que nous puissions, face aux échéances importantes qui nous attendent, fonder notre dialogue sur des bases solides.

Mais permettez-moi, avant d'aborder les questions qui vous préoccupent, de saluer les bons résultats de la viticulture française, qui, à nouveau en 1997, a progressé en chiffre d'affaires et en solde commercial à l'exportation.

Situation qui n'est ni seulement le fruit du hasard, ni celui d'une conjoncture nationale ou internationale dynamique mais le résultat des efforts continus que vous avez su engager depuis de nombreuses années.

Satisfaction que vous me permettrez de partager, car c'est aussi le résultat, et vous le savez bien, d'un choix et d'une détermination partagée par Michel ROCARD et Antoine VERDALE, voici une quinzaine d'années.

À l'époque, les notions d'adaptation du potentiel viticole, de maîtrise des rendements, d'amélioration de la qualité des vins, n'étaient pas encore synonymes de succès économiques.

Nous pouvons ensemble dire aujourd'hui que vos efforts, et les soutiens publics qui les ont accompagnés, ont été efficaces.

C'est grâce à ce travail de toute une filière, dans sa diversité régionale et de mode d'organisation, qu'aujourd'hui la viticulture française peut affronter les défis du marché mondial, et la concurrence qui en résulte.

Ces défis nécessitent un cadre réglementaire approprié, dont la définition au niveau européen représente l'enjeu des discussions concrètement engagées, sur la réforme de l'OCM.

Ce chantier est désormais ouvert, et les propositions de la Commission se précisent, même si nous ne disposons encore actuellement que de propositions officieuses.

Il est important, me semble-t-il de respecter le calendrier envisagé initialement, et de fixer comme objectif pour la mise en oeuvre de cette nouvelle OCM, le 1er août 2000.

Même si les discussions concrètes ne débuteront qu'à l'automne, je crois nécessaire de rappeler quelques principes dès à présent.

Je vous proposerai, le moment venu, comme nous l'avions fait pour préparer le mémorandum français fin 97, d'organiser une réunion de travail spécifique sur cette proposition de réforme de l'OCM.

Cette méthode, je veux parler de la concertation, a fait preuve d'une incontestable efficacité, puisque les propositions de la Commission, vous l'avez constaté, s'inspirent largement de nos observations.

Si cela est confirmé, la reprise des aides structurelles à la reconversion des vignobles, le dispositif envisagé pour à la gestion des surfaces viticoles, devraient témoigner de notre capacité à expliquer, et faire prendre en compte une orientation claire, s'appuyant sur un large consensus professionnel.

Les mécanismes de gestion de marché, dont l'approche serait également nouvelle, nécessiteront un examen approfondi, que nous conduirons ensemble.

L'opportunité d'une distillation exceptionnelle obligatoire me paraît, en première analyse, devoir faire partie utilement du futur règlement : j'ai bien noté que c'était aussi votre appréciation, et nous verrons donc en fonction du texte définitif de la proposition ce qu'il convient de faire.

La question de l'enrichissement et des pratiques oenologiques font également encore débat, et nous devrons envisager d'affiner nos propositions.

Enfin, je suis convaincu que le principe de subsidiarité devra s'appliquer pour la mise en oeuvre des dispositions relatives à l'organisation de la filière et au fonctionnement interprofessionnel.

Toutes ces questions feront l'objet d'une large concertation, et je ne doute pas, Monsieur le Président, que vos équipes travaillent déjà activement sur des propositions d'amélioration du texte communautaire.

Cette démarche européenne, dont je suis fermement décidé à faire une véritable dynamique pour votre filière, ne doit pas nous empêcher de traiter les problèmes d'actualité que vous rencontrez.

Vous avez évoqué la question des droits de plantations.

Ce sujet est particulièrement sensible à un double niveau.

Celui des droits nouveaux, que nous devons obtenir dans le cadre du prochain paquet-prix.

Cela fait partie de mes priorités pour la semaine prochaine, et je vous remercie de vos encouragements.

Celui de la régionalisation des droits de plantation ensuite.

J'ai souhaité initier cette démarche, car laisser aux seuls marchés d'en assurer la redistribution, introduisait des déséquilibres qui risquaient de perturber gravement l'évolution du vignoble.

Un projet de décret en Conseil d'État est cours de discussion, et l'avis du Conseil de la Concurrence vient formellement d'être sollicité.

Ces procédures seront conduites avec la volonté de disposer du nouveau cadre juridique pour la prochaine campagne de plantation 98/99.

Je vous remercie de me transmettre vos propositions pour un zonage précis des différentes régions : cela me permettra de préparer l'arrêté correspondant, dès publication du décret que j'évoquais.

Dans l'attente de la réforme de l'OCM, ce sont ces nouvelles dispositions qui, pour deux, voire trois campagnes, régiront les transferts des droits, et préfigureront le système futur.

J'ai demandé à l'ONIVINS dans cette période transitoire de jouer pleinement son rôle de structure nationale de pilotage de ce dispositif, et de tenir le tableau de bord nécessaire.

Je lui ai également demandé de me proposer les modalités de fonctionnement de ce que vous appelez une « bourse nationale des droits », ainsi que la méthode de coordination de la bourse, qui doit exister dans chaque région.

Vous avez également souhaité qu'un second chantier d'importance soit ouvert, celui de l'évolution des zones dites mixtes.

J'ai rappelé en mai dernier, lors d'un déplacement dans le Vaucluse, mon souhait de voir s'établir une meilleure coordination entre les politiques de développement des AOC et celles des vins de pays.

Ces produits, nous le savons tous, non seulement ne sont pas antagonistes, mais sont complémentaires.

Il faut donc clarifier la façon dont peuvent coexister des vignes à vins d'appellation et des vignes à vins de pays au sein d'une même exploitation.

J'attends donc avec sérénité, les propositions du groupe de travail ONIVINS / INAO, et je rappelle qu'une réunion de travail sera organisée par mon Cabinet en juillet, pour préparer les décisions correspondantes.

Réforme de l'OCM, gestion des droits de plantation, coordination AOC-Vins de pays : ces chantiers progressent dans une concertation approfondie avec vos organisation, et je me réjouis que celle-ci se fasse avec le souci de chacun d'aboutir à un consensus.

Je sais la difficulté d'une telle démarche, qui impose à chacun de dépasser ses intérêts particuliers pour rechercher l'intérêt général.

Mais Monsieur le Président, une telle recherche n'est-elle le propre même de la démarche coopérative ?

Qui donc pourrait s'étonner de vous en voir être à un titre ou à un autre, l'animateur ?

J'aborderai rapidement quelques questions plus ponctuelles.

Le Conseil spécialisé vins de pays.

J'espère que les festivités de votre congrès auront laissé le temps à vos collaborateurs de lire le Journal officiel d'hier pour prendre connaissance de l'arrêté de nomination qui y est publié.

Je souhaite que l'ONIVINS installe désormais rapidement ce Conseil spécialisé.

Sa création est bien entendu le résultat d'une politique « vins de pays » poursuivie avec persévérance depuis 20 ans, et qui a joué tout son rôle dans la relance de la viticulture française.

Aujourd'hui, les volumes exportés en vins de pays sont équivalents à ceux des vins AOC tranquilles, et leur valorisation est tout à fait encourageante.

Cela doit nous inciter à poursuivre nos efforts pour prendre en considération les atouts de la concurrence étrangère.

Nous devons le faire en nous méfiant des effets de mode, dont la durée de vie est bien inférieure à celle d'un vignoble, et en renforçant la qualité et la compétitivité de nos produits, sans gaspiller le « capital-confiance » collectivement acquis par des pratiques oenologiques douteuses, ou une maîtrise des rendements contestables…

Quant à l'organisation de la prochaine campagne, je comprends que vous souhaitiez l'aborder, notamment après les gelées d'avril, qui ont douloureusement affectées certaines zones viticoles.

Une première réunion a eu lieu voici 15 jours pour une première approche des dégâts.

Si le bilan réel ne pourra être dressé qu'au vu des déclarations de récoltes, il m'est apparu nécessaire d'indiquer aux professionnels concernés notre volonté de faire jouer les dispositifs de soutien que sont notamment l'étalement des charges sociales et les mesures de soutien liées aux calamités.

Les discussions sont, dans ce domaine, en cours, pour tenter de réduire encore avec l'appui des collectivités locales, le taux des prêts calamités.

Et en tout état de cause, j'ai indiqué mon souci d'un traitement spécifique et prioritaire des jeunes viticulteurs, dont la situation sera examinée cas par cas, dans chaque département.

Concernant les autres volets de la prochaine campagne, je vous propose que nous discutions dès juillet des procédures de réencépagement, et en septembre, sur la base d'une évaluation fiable des récoltes, de ce que nous pouvons convenir d'appeler les conditions de démarrage de la campagne.

Monsieur le Président, je suis sensible à vos propos concernant la Loi d'Orientation et son outil principal qu'est le CTE.

Et je me réjouis tout particulièrement que la coopération se saisisse de ce projet, car je suis convaincu que le mouvement coopératif est probablement un des lieux les plus adaptés pour en débattre et en permettre une approche constructive.

La Loi d'Orientation que je propose à l'ambition, je l'ai souvent dit, de remettre les hommes et les territoires, au coeur des missions de l'agriculture.

Ce n'est pas simplement l'expression d'une préférence, c'est aussi un choix économique majeur.

Car nous savons tous le coût économique et social que représente la concentration de l'activité dans quelques zones du territoire national, et l'abandon de régions entières au déclin.

Depuis que la coopération, et singulièrement la coopération viticole s'est créée et développée en réaction à cette évolution.

L'ancrage de vos caves coopératives dans nos terroirs, la volonté sans cesse réaffirmée des responsables coopératifs de maintenir coûte que coûte des pôles économiques viable sur tout le territoire, vous placent a priori en phase avec ces orientations de la future Loi d'Orientation.

Et j'ajouterai que les performances économiques et commerciales que beaucoup de vos entreprises atteignent désormais, sont une réponse sans ambiguïté à tous ceux qui voudraient nier la possibilité d'être techniquement performant, économiquement rentable et socialement efficace.

Monsieur le Président, je suis décidé, parce que c'est nécessaire, à conduire cette politique agricole dans un cadre contractuel entre les Pouvoirs publics et les agriculteurs.

Je suis sûr que cette approche convient au mouvement coopératif, et je suis donc prêt, dans le cadre des préfigurations des contrats territoriaux d'exploitation que je vais lancer dès l'automne, à ouvrir avec la coopération viticole, un champ de collaboration dont je suis sûr qu'il sera efficace.

Ces CTE doivent inciter au développement d'une agriculture productrice de valeur ajoutée, équilibrée, valorisant les territoires, et faisant de la protection de l'environnement et de la qualité des produits, une priorité.

J'ajoute que cette démarche permettra aussi de mieux concrétiser notre volonté commune de maintenir l'emploi dans les zones rurales.

C'est à ce prix que nos concitoyens comprendront les soutiens publics apportés à ce secteur.

Monsieur le Président, je me rends, vous savez, tout à l'heure au congrès des Jeunes agriculteurs.

Je leur dirai ma conviction qu'une Loi d'Orientation, faite pour organiser l'avenir, est d'abord faite pour eux, pour qu'ils puissent s'installer, pour qu'ils puissent durablement vivre de ce métier.

Et votre ambition, pour les jeunes coopérateurs, complète parfaitement cette démarche, puisqu'elle propose, le cadre collectif d'organisation et de réflexion qui vient parachever fort utilement le dispositif.

Voilà pourquoi je suis très sensible à vos analyses concernant l'installation progressive : nous allons donc, puisque vous en êtes d'accord, travailler concrètement sur ce projet.

J'espère, à travers ces propos, vous avoir convaincu de la cohérence économique et sociale, c'est-à-dire, au sens noble, politique, de ce projet.

Il est donc peut-être superflu de dire combien me paraît être un faux débat la question du rôle de nos exportations.

La question n'est pas de savoir si on est pour ou contre l'exportation, mais de regarder ce qui passe aujourd'hui sur les marchés mondiaux.

Les 3/4 des exportations françaises sont à destination d'un pays européen, et le solde des IAA est depuis plusieurs années supérieur au solde agricole.

Notre avenir sur les marchés mondiaux est et sera donc assuré par des produits transformés.

La filière viticole, le sait parfaitement, elle qui représente notre principal excédent agro-alimentaire.

Voilà pourquoi, je ne plaide pas pour une baisse systématique et généralisée des matières premières agricoles, sous prétexte de vouloir conquérir des parts de marchés à l'exportation.

L'efficacité exportatrice de votre filière, dans toutes ces composantes, c'est-à-dire en intégrant la nécessité d'une segmentation lisible du marché, mérite d'être soulignée.

Je ne saurais donc trop vous inviter à valoriser votre diversité.

Cela impose notamment une clarification dans le positionnement de vos différents types de vins (AOC, vins de pays et vins de table), et donc une harmonisation des thèmes de promotion, et des messages qu'ils sous-tendent.

Les crédits publics affectés à cette promotion, doivent y contribuer.

C'est en tout cas cette mission d'harmonisation et de coordination que je confie à l'ONIVINS, au sein duquel je sais que vous saurez vous retrouver pour une telle démarche.

Car la diversité est un atout, le désordre un handicap.

Inutile préciser enfin, Monsieur le Président, combien l'exemplarité en matière de qualité des produits et de respect des pratiques oenologiques est un impératif.

Les faiblesses de quelques-uns peuvent coûter très cher à toute une filière.

Les Pouvoirs publics, avec votre accord je le sais, seront vigilants.

Monsieur le Président, le Congrès de la coopération vinicole est toujours le grand rendez-vous annuel de la filière viticole, et j'ai tenu, malgré la concomitance des dates avec le Congrès du CNJA, à venir saluer les vignerons coopérateurs.

Avec le projet de Loi d'Orientation, la réforme de nombreuses OCM, nous sommes à un tournant important dans la politique agricole de notre pays.

J'ai entendu certains exprimer, face à mes propositions, une inquiétude.

Je le dis clairement, Monsieur le Président, ce qui m'a inquiété quand j'ai pris mes fonctions, ce à quoi j'ai voulu m'attaquer prioritairement, c'est bien cette « France coupée en 3 » que vous avez évoquée.

C'est cette inégalité croissante majeure, qu'il fallait enrayer, entre des régions et des filières, et que j'ai l'ambition de corriger.

Je veux le faire non seulement pour réparer une injustice, non seulement pour assurer l'équilibre de nos territoires, mais tout simplement aussi pour redonner une légitimité aux soutiens de l'Union Européenne et de notre pays à ses agriculteurs.

Aujourd'hui, je suis heureux de pouvoir évoquer cette ambition, successivement devant un secteur du mouvement coopératif et devant les jeunes agriculteurs.

Je vois donc un symbole devant cette simultanéité de date, puisque j'entends adresser le message d'avenir pour les agriculteurs soucieux d'organisation collective.

Je vois donc un symbole devant cette simultanéité de date, puisque j'entends adresser le message d'avenir pour les agriculteurs soucieux d'organisation collective.