Article de M. Philippe Séguin, président du RPR, dans "Le Figaro" du 20 mai 1998, en réponse à l'interview de Mme Geneviève de Gaulle-Anthonioz, présidente d'ATD-Quart Monde, parue dans "Le Figaro" du 19 mai, sur le refus du RPR de voter la loi contre les exclusions.

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Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro

Texte intégral

LE FIGARO du 19 mai 1998.
interview Geneviève de Gaulle-Anthonioz

Le Figaro :
Pourquoi vous en prenez vous au président du groupe RPR à l'Assemblée ?

Geneviève de GAULLE-ANTHONIOZ :
Les problèmes sont à regarder d'un peu plus haut. On n'a jamais rien résolu en créant de nouvelles querelles. Dans une démocratie, parfois, au-dessus des discussions, il convient de viser le bien de tous. Dans l'ancienne Assemblée, lors du premier projet Juppé, les députés socialistes ont beaucoup bloqué, au début. Ce n'est pas une raison pour que l'actuelle opposition en fasse autant. Sinon, ce sont à l'infini des disputes d'enfants. Si l'on veut redonner un peu de prestige à la démocratie – et il est dangereux de croire qu'elle ne sert à rien – cette loi est une grande cause, l'occasion de transcender les dissensions. La dégringolade de l'exclusion ne peut continuer, un déséquilibre se crée. Cyniquement, on peut employer les arguments d'un égoïsme bien compris, car le pays finit par tirer sur lui-même.

Le Figaro :
Votre rappel à l'ordre peut-il être compris comme un ultimatum, un cas de conscience pour l'opposition ?

Geneviève de GAULLE-ANTHONIOZ :
Je n'irai pas jusqu'à dire : « Si vous ne votez pas la loi, vous n'êtes plus démocrates », mais : « Prenez garde de ne pas faire en sorte que, à cause de vous, la démocratie ne progresse pas ». Que des hommes politiques qui se réclament du gaullisme réagissant ainsi me fait particulièrement mal au coeur. Je veux leur dire : « Quel dommage pour vous de ne pas voter cette loi ». Car de toute façon, elle va passer. C'est un texte fondateur, qui arrive juste au moment du cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Mais s'il ne passe que grâce à une partie des parlementaires, il risque d'être balayé au prochain changement de majorité.

J'ai quelques références pour mettre en garde : j'ai combattu le nazisme, qui niait l'existence de certaines personnes. Il y a une certaine analogie avec le problème de l'exclusion, qui ne reconnaît pas à certains le droit d'exister. J'ai appris ce qu'étaient les Droits de l'homme dans un camp de concentration et, depuis 1958, en côtoyant les grands exclus avec le mouvement du père Joseph Wresinski (NDRL : ATD-Quart Monde).

Le Figaro :
Adhérez-vous totalement au texte qui va être voté ?

Geneviève de GAULLE-ANTHONIOZ :
Il a des côtés extrêmement valables, et aussi bien sûr des faiblesses. Mais tout compte fait, il va plus loin que la loi précédente, qui avait laissé en route le financement et qui oubliait l'éducation, la culture, la justice. Cette fois-ci, il y a un financement, n'en déplaise au président du groupe RPR. Les dispositions sur le logement, en particulier, me paraissent bonnes. J'ai été scandalisée d'entendre Jean-Louis Debré traiter par le mépris la « taxe d'inhabitation », pourtant soutenue par le Président de la République. Cette mesure ne me paraît pas injuste pour les propriétaires, si on l'entoure de sages précautions. Jusqu'à présent, le droit de propriété passait au-dessus de tous les autres droits. Mais à égalité, il y a aussi les droits d'urgence, comme le droit de voler du pain pour celui qui meurt de faim.

De même, je ne comprends pas les critiques reprochant au texte de ne pas lutter contre l'assistanat : les mesures pour l'emploi des jeunes et contre le chômage de longue durée, celles concernant la prévention des expulsions, l'amélioration de l'accès aux soins, le meilleur suivi des dettes, sont justement destinées à interrompre ce cercle vicieux.


LE FIGARO du 20 mai 1998.
Dans un courrier à Mme de Gaulle-Anthonioz, le président du mouvement confirme son rejet du texte.

La loi d'orientation contre les exclusions, qui doit être votée aujourd'hui en première lecture par les députés, divise l'Assemblée. Le Comité Alerte avait adressé il y a une semaine une lettre aux parlementaires pour les exhorter à voter massivement ce texte : « Nous ne comprendrions pas (…) que les difficultés et la souffrance de tant de familles (…) ne rassemblent pas nos élus pour engager à travers eux tout le pays »…

Mais le président du groupe RPR à l'Assemblée, Jean-Louis Debré, avait déjà adressé à l'une des associations un courrier argumentant contre le projet de loi. Du coup, la présidente d'ATD-Quart Monde, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, a vivement réagi hier dans Le Figaro contre ceux qui ne voteraient pas ce texte « fondateur » au nom de « bisbilles » entre partis. « Que des gaullistes réagissent ainsi me fait particulièrement mal au coeur », c'est-elle écriée. Le président du RPR, Philippe Séguin, a adressé à son tour un courrier à Mme de Gaulle-Anthonioz, où il confirme la position du RPR. Nous publions cette lettre ci-dessous.


Madame la Présidente,

C'est avec une attention toute particulière que j'ai pris connaissance de votre correspondance du 15 mai dernier, par laquelle vous appelez mon attention sur la discussion du projet de loi gouvernemental relatif à la lutte contre l'exclusion.

Permettez-moi tout d'abord de regretter de n'avoir pu vous recevoir au préalable. Ceci n'est dû, croyez-le bien, qu'aux contraintes de l'agenda politique de ces dernières semaines et de ces derniers jours.

Un an après la bataille engagée par l'ancienne opposition sur le projet de loi élaboré par M. Jacques Barrot, qui ne m'a pas semblé être à l'époque particulièrement sensible à l'appel au rassemblement que vous lanciez, ce texte, déposé à la hâte sur le bureau de l'Assemblée nationale à la suite du mouvement des chômeurs, ne nous paraît pas effectivement être à la hauteur des enjeux.

« De nombreuses réserves »

Le groupe RPR a émis de nombreuses réserves, que son président (NDRL : Jean-Louis Debré) a, je le sais, longuement abordées avec vous lors de votre rencontre.

Elles tiennent tout d'abord à l'absence de moyens prévus, le gouvernement promettant 51 milliards en trois ans mais ne parvenant à réunir pour la première année qu'un budget de 1,5 milliard. Cela nous paraît préoccupant puisque l'on privilège ainsi l'effet d'annonce au traitement effectif des problèmes.

Elles tiennent ensuite à la place prédominante donnée à la puissance publique et à l'administration centrale de l'État dans la mise en oeuvre des solutions, alors même que l'on ignore le rôle clé des solidarités familiales, que l'on délaisse le soutien aux associations intermédiaires, que l'on encourage insuffisamment les initiatives locales.

Elles tiennent enfin au fait que l'on a préféré remettre à plus tard les questions soulevées par le rapport Join-Lambert et la mise en place d'un mécanisme vertueux pour passer enfin du RMI au travail, de l'assistance à l'insertion.

Vous rappelez à juste titre combien la lutte contre l'exclusion ne peut souffrir de querelles partisanes et autres tractations politiciennes.

« La prédominance de l'idéologie »

C'est précisément l'écueil que ce texte n'a pas su éviter. Que gagne ainsi – pour ne prendre que cet exemple – la solidarité à la guerre déclaré à la propriété privée ? Comment ne pas y voir la prédominance de l'idéologie au détriment de l'efficacité sociale et politique ?

Comment en outre accréditer le gouvernement d'un souci réel de dépasser les clivages politiques sur un tel sujet lorsque l'on constate que sa majorité a rejeté les amendements significatifs proposés par les parlementaires de l'opposition ?

C'est pour l'ensemble de ces raisons mûrement réfléchies et débattues mais aussi pour rester fidèle à la conception que nous nous faisons de la lutte contre l'exclusion, que le groupe RPR à l'Assemblée nationale a pris la décision de ne pas voter ce texte.

Restant à votre disposition, je vous prie d'agréer, Madame la Présidente, l'expression de mes respectueux hommages.