Déclarations de M. Philippe Mestre, ministre des anciens combattants et victimes de guerre, sur le rôle des cheminots et de la Résistance Fer pendant la deuxième guerre mondiale et celui de M. Louis Bocquier au sein du réseau, Paris le 1er octobre 1993.

Prononcé le 1er octobre 1993

Intervenant(s) : 

Circonstance : Commémoration du cinquantenaire de la Résistance "Fer" à Paris le 1er octobre 1993-remise de la cravate de commandeur de la Légion d'honneur à M. Louis Bocquier

Texte intégral

ALLOCUTION DE MONSIEUR PHILIPPE MESTRE - CINQUANTENAIRE DE RESISTANCE FER - 1er OCTOBRE 1993

Résistance Fer, dont nous célébrons aujourd'hui le cinquantième anniversaire. Un nom qui claque fièrement au vent de l'Histoire !

Résistance Fer Derrière ces deux mots, apparaissent d'abord des hommes, solidaires, rassemblés, unis. Ils ont repris le tronçon du glaive brisé et ont mis les moyens qui étaient les leurs, en ces temps troublés, au service du plus noble idéal.

Ceux de Résistance Fer ! De fiers combattants qui ont oeuvré avec un sens de l'organisation et une précision dignes des meilleures traditions de la grande famille des cheminots.

Prodigieux organisateurs sur le champ de bataille de l'ombre, voilà ce qu'étaient ces chefs, ces agents et tous les autres, les anonymes, les sans-grade qui furent l'essence même de la Résistance française, chacun, à sa manière, prolongeant l'autre, chacun à sa manière, mettant ses convictions en harmonie avec un seul impératif : l'action.

Du plus humble au plus connu, tous ont pris d'immenses risques : la mort ou, aussi terrible, la déportation.

Mais il fallait se battre, se battre pour donner forme à son destin, pour ne pas être de ceux qui renoncent, qui abandonnent tout espoir, de ceux qui suivent, de ceux qui subissent, et vous avez su le faire.

Il fallait se battre pour sa patrie, pour les valeurs qui donnent une identité à la nation française, pour restituer un cadre et une expression à notre idéal de liberté et de démocratie. Et vous l'avez fait.

Au sein de la Résistance Française, votre efficacité a été considérable et souvent déterminante. Elle a largement justifié les remerciements que le général EISENHOWER a adressés à la Résistance Française pour le rôle qu'elle a joué dans la libération de notre pays et l'aide qu'elle a apportée aux forces alliées.

En témoigne avec éclat la CITATION A L'ORDRE DE L'ARMEE de « Résistance-Fer »
Décision no 731

Sur la proposition du Ministre de la Guerre, le Président du Gouvernement provisoire de la République Française,
Chef des Armées,
Cite à l'ordre de l'Armée

L'ORGANISATION « RESISTANCE-FER »

Les Cheminots résistants, regroupés dans “Résistance-Fer”, ont lutté pendant toute la durée de l'occupation avec ténacité, courage et discipline, en dépit de tous les risques, pour la cause de la France et de la Liberté.

Leur activité dans la Résistance s'est exercée sous toutes les formes et a été particulièrement nuisible à l'occupant.

Sur le plan militaire, ils ont apporté une contribution importante à l'effort de guerre des Alliés en les renseignant régulièrement sur les transports ennemis et en sabotant ces transports.

Après le débarquement, ils ont exécuté sans défaillance un plan de désorganisation des chemins de fer préparé à l'avance, contribuant ainsi, pour une large part, à la paralysie des transports qui a été l'un des motifs les plus certains de la défaite des Allemands dans la bataille défensive qu'ils durent mener en France contre les armées de la Libération.

Cette citation comporte l'attribution de la Croix de Guerre avec palme.

Fait à Paris      mai 1945
Signé : De Gaulle.


Il me semble que les termes précis d'une telle citation devaient être rappelés en un pareil moment.

Quand éclate la nouvelle de l'armistice de 1940, c'est le temps de la honte. La France est vaincue, la République abolie.

Alors fulgure l'intuition de l'oeuvre à accomplir, de cette patrie à reconquérir. Elle réclame pour symbole des résistants sur tous les fronts. Le rail en est un et les cheminots n'attendent que de servir au mieux leur pays.

Il s'agit de s'opposer à la mainmise de l'occupant, de le contrer par tous les moyens imaginables.

Cette lutte prend des formes multiples et variées, elle va du refus de dénoncer un collègue ou un subordonné, au renseignement et à l'acte de sabotage. C'est le temps du sursaut et de l'héroïsme.

En ceux de Résistance-Fer, la France retrouve le message des poilus de 14-18 accrochés à leur tranchée comme le conducteur à sa machine pour contenir la marée des envahisseurs.

Résistants, vous l'êtes parmi les premiers, à contre courant de la propagande et des idées préconçues. Vous êtes de ce “peuple de la nuit” qui se lève, dont parlait André MALRAUX lors du transfert des cendres de Jean MOULIN au Panthéon, vous êtes de ceux qui secouent les chaînes pour les faire tomber.

Alors que nous avons entamé le cycle des cérémonies commémorant le cinquantenaire de la libération du territoire national, comment ne pas penser à Résistance-Fer et à cette déclaration du général MARSHALL : “La Résistance française a dépassé toutes nos prévisions. C'est elle qui en retardant l'arrivée des renforts allemands et en empêchant le regroupement des divisions ennemies à l'intérieur, a assuré le succès de nos débarquements ...”

Nous savons ce que la France vous doit : le maintien du chemin de fer français hors de l'emprise de l'occupant, le transport clandestin du ravitaillement et de l'armement destinés à la lutte, la mise en place d'un réseau de renseignements, la désorganisation des transports de l'ennemi ; et puis, sitôt la victoire assurée, le déploiement de vos forces et de vos initiatives pour mieux servir la reconstruction de notre pays.

Cette cérémonie nous fait revivre le souvenir des temps difficiles de l'occupation et des sacrifices innombrables endurés par ceux de Résistance-Fer, dont témoigne l'excellent opuscule que vous avez édité et qui nous relate la “Bataille du Rail”.

Vous avez mesuré dans les souffrances partagées, les choix et les décisions souvent difficiles - puisqu'elles prenaient le contre-pied de l'idéologie dominante - le prix du combat pour la liberté et pour la dignité de l'homme.

Un demi-siècle a passé.

Il est juste que les acteurs de l'Histoire qui l'ont écrite de leur enthousiasme, de leur sang et de leurs sacrifices ne soient pas oubliés.

D'où le choix de ce jour et de ce lieu pour un émouvant hommage à des hommes intrépides qui, parfois armés de leurs seules convictions ont contribué à porter les plus rudes coups à une puissante occupation étrangère.

Notre époque - vous l'avez évoqué - n'est pas sans dangers. La tentation de la violence existe dans nos sociétés. Elle se nourrit pour certains de la nostalgie d'un passé révolu, et même, pour d'autres, malgré le jugement de l'Histoire, de l'envie infernale de réhabiliter le nazisme.

Soyons donc attentifs, demeurons plus que jamais vigilants et accueillons l'écho de la mémoire.

Nous apporterons ainsi une réponse à l'attente d'une jeunesse, à qui ces épreuves ont été heureusement épargnées, d'une jeunesse qui n'est pas indifférente à ce que furent ces années tragiques, comme le montre sa participation de plus en plus importante au concours de la résistance et de la déportation - auquel vous êtes très attachés - ; d'une jeunesse qui ne cache pas son désir de mieux connaître un passé qui puisse éclairer le présent afin de lui permettre de décider de son avenir.

Songeons cependant que la maîtrise, même partielle, de la nature, de l'espace et du temps à laquelle l'homme est parvenu, ne garantit ni l'élévation de l'âme, ni même le simple maintien de la paix entre les nations.

Bien au contraire, si on en croyait Marguerite YOURCENAR qui a donné ce titre à un de ses ouvrages, “La mort conduit l'attelage” ! Mais c'est une vue trop pessimiste du monde à laquelle aucune d'entre nous ne voudrait se résoudre. Notre siècle va finir.

Au seuil du troisième millénaire, nous ne pouvons que souhaiter ardemment que tant d'incommensurables souffrances et tant d'héroïsmes quotidiens qui furent les vôtres n'aient pas été vains et nous aident à conduire au mieux notre destin !


ALLOCUTION DE MONSIEUR PHILIPPE MESTRE POUR LA REMISE DE LA CRAVATE DE COMMANDEUR DE LA LEGION D'HONNEUR A MONSIEUR LOUIS BOCQUIER, LE 1ER OCTOBRE 1993

Les cérémonies du cinquantième anniversaire de Résistance-Fer ne pouvaient trouver meilleure conclusion que cette remise de la cravate de commandeur de la Légion d'Honneur à Louis BOCQUIER, liquidateur national de votre réseau, un réseau qui a fait date dans l'histoire de l'armée des ombres.

Les plus hantes autorités de l'Etat ont voulu récompenser les mérites exceptionnels que s'est acquis Louis BOCQUIER. En me demandant de parrainer votre promotion, c'est au ministre des anciens combattants et victimes de guerre que vous faites particulièrement honneur et je vous en remercie.

Louis BOCQUIER, vous êtes originaire d'un département que je connais bien et qui m'est très cher, la Vendée. C'est à LONGEVILLE-SUR-MER, à quelques kilomètres de Talmont où je suis né, que vous voyez le jour le 1er février 1914, juste avant qu'éclate la grande guerre.

Après avoir accompli votre service national au 9ème bataillon d'artillerie vous voilà libéré en octobre 1936. Vous entrez alors à la S.N.C.F. que vous ne quitterez plus.

Mobilisé le 2 septembre 1939 au 15ème régiment du génie des chemins de fer à TOUL, vous êtes envoyé sur le front belge en janvier 1940. Puis c'est DUNKERQUE et la tragédie de l'évacuation. Vous ne restez en Angleterre que quarante-huit heures…

Réincorporé dans votre unité d'origine, vous êtes fait prisonnier le 17 juin 1940 dans la région d'Epinal. La date est significative. Vous parvenez à vous évader, vous qui refusez la capitulation malgré les coups de boutoir de l'ennemi, et gagnez LYON puis GRENOBLE où vous incorporez le 4ème régiment du génie avec le grade de sergent.

Quand l'armistice intervient, c'est dans la résistance, en patriote intransigeant, que vous reprenez le combat sans tarder. Vous allez y gagner vos galons de sous-lieutenant. Vous vous engagez dans les Forces françaises combattantes où vous servez, dès avril 1942, comme agent Pl. Vos activités sont alors les plus variées et les plus dangereuses qui soient !

Ainsi, êtes vous pris en flagrant délit de sabotage au pont de TOURVILLE-LA-RIVlERE, en Seine-Maritime, le 29 avril 1944. Incarcéré à la prison Bonne Nouvelle de Rouen, vous êtes ensuite conduit au siège de la Gestapo, rue du Donjon pour y être interrogé ; on imagine de quelle façon ...

Le 9 juin 1944 commence le voyage qui doit vous mener au bout de la nuit. Compiègne et le camp de Royallieu jusqu'au 18 juin 1944, puis la déportation à Dachau et au Kommando d'Allach jusqu'à la libération par l'armée américaine le 30 avril 1945.

La citation à l'ordre de l'armée qui accompagne votre croix de guerre avec palmes mérite d'être lue :

« BOCQUIER Louis, Marc, Fernand - ancien sous-lieutenant des Forces françaises combattantes - déporté - résistant – classe 1934 - matricule 380 au recrutement de LA ROCHE-SUR-YON.

A été déporté en Allemagne pour son action résistante contre l'ennemi au cours de la période d'occupation.

En est revenu grand invalide à la suite des privations et sévices subis.

A bien servi la cause de la Libération”.

Rapatrié le 23 mai 1945, en dépit de votre état de santé, vous reprenez vos activités au service des autres et tout particulièrement en faveur de vos camarades résistants.

Chacun ici connaît l'action inlassable que vous avez développée en ce domaine, parallèlement à votre carrière professionnelle de conducteur d'autorail.

Vous avez su vous faire apprécier de tous par votre dévouement, votre compétence et votre goût du travail bien fait.

Vous avez été et vous êtes toujours un militant actif au sein des associations patriotiques puisque, sur le plan régional et sur le plan national, vous oeuvrez pour que les droits des anciens combattants soient respectés et pour que le souvenir des combats que vous avez livrés comme des sacrifices que vous avez consentis ne soit pas perdu.

Militant de la première heure de Résistance-Fer, disponible, déterminé, vous en êtes le président pour la région Ouest de 1973 à 1986 et le vice-président national avant d'assumer aujourd'hui, avec le sérieux qui vous caractérise, la responsabilité de liquidateur national du réseau de résistance qui est le vôtre.

Autrement dit, la retraite, pour vous qui l'avez prise dès 1954, n'a jamais rimé qu'avec les mots de générosité et de fidélité envers vos camarades de combat.

Je ne voudrais pas oublier que la distinction que vous recevez aujourd'hui vient s'ajouter à celles que vous ont déjà valu dans le passé vos mérites : vous êtes titulaire de la croix de guerre 39/45 avec palmes. A votre titre de déporté-résistant vient s'adjoindre la croix de combattant volontaire de la Résistance, sans omettre bien sûr la carte du combattant et cette cravate de commandeur de l'Ordre national du mérite qui vous fût remise en 1987 au titre de mon département ministériel. C'est dire que vos mérites n'ont échappé à personne !

L'on ne dit pas assez que le paysage combattant ne serait pas le même sans l'activité inlassable de ceux qui comme vous, prennent de leur temps et donnent beaucoup de leur coeur pour que la solidarité et la fraternité du combat se prolongent dans la paix retrouvée.

Louis BOCQUIER, avec ceux que vous aimez, ceux qui vous aiment, ceux qui sont à l'honneur avec vous aujourd'hui, permettez-moi de me réjouir de voir vos exceptionnels mérites  ainsi reconnus. Permettez-moi également de vous dire, en toute simplicité, combien il m'est agréable de pouvoir récompenser un patriote exigeant qui n'a jamais ménagé sa peine au service de la France.