Editoriaux de M. Lucien Rebuffel, président de la CGPME, dans "La Volonté" de mars, avril et mai 1998, sur l'opposition de la CGPME au plan gouvernemental de lutte contre l'exclusion, la nécessité de réduire les charges des entreprises et les dépenses budgétaires à l'instar de grands pays, et sur le passage à l'euro pour les entreprises, intitulés "Une trace à suivre", "Ce qui crève les yeux" et "Ne perdons pas de temps".

Prononcé le 1er mars 1998

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Média : LA VOLONTE

Texte intégral

LA VOLONTÉ / MARS 1998
Une trace à suivre

« Je veux une société de travail, non une société d’assistance ». Qui ne s’est réjoui d’entendre son Premier ministre le lui déclarer ? Mieux vaudrait, il est bien vrai, que chacun bénéficie d’un emploi et que nul n’ait à quémander quoi que soit. Comment le gouvernement compte-t-il s’y prendre pour en arriver là ? Par le moyen d’une « Trace », d’une « trajectoire d’accès à l’emploi ». Rien de tel contre l’exclusion que de définir des « parcours d’insertion ». En valorisant des allocations, en instituant une assurance universelle contre la maladie, en proclamant qu’un « appui personnalisé » est un droit de plus, en inscrivant les sans-abris sur les listes électorales et en nous dotant d’un observatoire des phénomènes de la pauvreté. Ce qu’il nous coûtera : une vingtaine, voire une cinquantaine de milliards en trois ans.

Pareil jeu mériterait une chandelle s’il n’y avait des antécédents. Le RMI avait déjà été conçu pour aider les jeunes à s’insérer dans le monde du travail ? En fait d’insertion, bernique ; mais il nous en coûte aujourd’hui encore, une trentaine de milliards par an et nous n’avons réussi qu’à institutionnaliser une nouvelle catégorie de gens d’autant moins enclins à chercher un emploi qu’il ne leur rapporterait guère plus que ce que leur procure le salaire minimum qui leur est garanti. En soignant les effets de l’exclusion sans se préoccuper d’en traiter les causes, nous avons les plus grosses chances, une fois encore, d’appliquer un cautère sur une jambe de bois.

« Pour distribuer, il faut produire ». Le Premier ministre parle d’or ; car plus nous produirons, plus nous créerons d’emplois et l’exclusion se résorbera d’elle-même. Pour ce, il n’y a pas trente-six choses à faire. La première, quasiment la seule, consiste à alléger les charges qui nous clouent au sol. A qui la faute ? A l’Etat. Pourquoi ne s’astreindrait-il pas à cette cure de jouvence que nos entreprises se sont imposée ? On ne sait pas où commence une charité qu’on veut bien ordonnée. Quand l’Etat consentira à se libérer de ses poids morts et à se défaire des tâches qui n’auraient jamais dû être les siennes, l’exclusion disparaîtra à mesure que nous ne serons plus empêchés de travailler. Avouez que ce ne serait pas sorcier.

LA VOLONTÉ / AVRIL 1998
Ce qui crève les yeux

« La gestion de l’économie n’est ni de gauche ni de droite. Elle est bonne ou mauvaise. Ce qui compte, c’est ce qui marche ». Fort de cette conviction, le Premier ministre britannique a fait adopter un budget qui visait, avant tout, à stimuler les entreprises. En allégeant les charges qui pèsent sur elles, l’impôt sur les sociétés passera de 23 à 21 % pour les plus petites, spécialement les PME. Les charges patronales seront soumises dorénavant à un taux unique, de 12,2 %.

Que, moins dépensier, un Etat réduise les impôts qu’il prélève apparaît comme le seul moyen de promouvoir une économie. Pour la Suède a-t-elle cessé d’être le « modèle » qu’elle a longtemps été ? A ce qu’elle s’est obstinée à ce que son Etat devienne une providence. Il en est résulté que ses dépenses, partant les impôts, ont plus augmenté que partout ailleurs. La fiscalité devenant confiscatoire, le coût du travail s’est élevé. L’épargne se raréfiant, la Suède a emprunté et son taux de chômage stagne à 20 %. Un mal ne pardonne pas ; une hypertrophie de l’Etat. Ce qui fut l’Union soviétique est là pour le prouver.

Les Canadiens se félicitent. Pour la première fois, leur budget est en équilibre. Comment s’y sont pris ? Ils ont créé un ministère du renouveau de la Fonction publique qui a commencé, afin de diminuer les dépenses de l’Etat, par réduire l’effectif de ses agents.

Autre exemple : la Chine. Le nouveau Premier ministre n’y va pas de main morte. Les 300 000 entreprises d’Etat ne parviennent-elles pas à sortir du rouge ? Il leur a donné jusqu’à l’an 2000 pour se réorganiser, faute de quoi, elles seront condamnées à fermer. La fonction publique va être dégraissée, 15 des 43 ministères vont être supprimés et la moitié des 8 millions de fonctionnaires remerciés.

De droite ou de gauche, l’économie, pour qu’elle prospère, ne connaît qu’une voie. Omet-elle de l’emprunter ? Elle clopinera peut-être encore, mais en aucun cas, elle ne marchera. Mieux vaut le savoir.

LA VOLONTÉ / MAI 1998
Ne perdons pas de temps

Dans huit mois, nous entrerons dans l’ère de l’euro. Dans Euroland. Qu’on s’en félicite ou non, l’heure n’est plus aux états d’âme. Une décision a été prise. Un mécanisme est enclenché. Force est que nous nous en accommodions. Pour nous, la question n’est plus de savoir si nous ferons ce qu’il faut pour nous y accoutumer, mais quand.

Rien ne presse apparemment. Nous avons plusieurs années pour nous retourner. Nous pourrions attendre que le franc, en 2002, soit retiré, pièces et billets de la circulation. C’est là que nous aurions fondamentalement tort car dès janvier prochain, plus rien ne sera calculé autrement qu’en euro. Le franc ne servira plus que de doublure, d’aide- mémoire. Les grosses entreprises ont compris. Elles ont pris date. Elles seront prêtes à l’heure. Ce que cela signifie : que les chèques seront libellés en euros, les virements, les cartes bancaires, la paperasse fiscale, les factures. Les transactions s’effectueront en euros. Les sous-traitants ou fournisseurs que nous sommes ne pourront pas ne pas en tenir compte. Et il y a notre personnel. Les fiches de paie seront rédigées en euros. Des mentalités devront s’y faire et si l’on pense qu’un large demi-siècle après l’introduction du nouveau franc, nombre de gens ne s’expriment encore qu’en anciens francs, du temps s’écoulera avant que l’euro ne soit entré dans les moeurs. Faute d’avoir fait l’effort de s’être adaptés dans les délais, des entreprises resteront à la traîne. Qu’elles se décident brusquement à combler leur retard, dans la hâte, l’improvisation, leur coûtera cher. L’Etat leur viendra-t-il en aide en allégeant la taxe professionnelle comme nous le demandons ? Quand bien même elles appuieraient sur les pédales, elles risquent fort de ne pouvoir recoller au peloton. La machine est en route. Rien ne pourra plus l’arrêter. Il n’y aura pas de marche arrière. Ce n’est vraiment pas le moment que nous traînions les pieds. A bon entendeur.