Extraits d'une interview de Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, à RTL le 17, parus dans "Le Monde" du 19 mai 1998, sur l'action du lobby nucléaire, le projet de réforme du scrutin européen et les relations entre les Verts et le reste de la majorité plurielle.

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Texte intégral

Q -  « Pensez-vous que Lionel Jospin va vous suivre sur la mise en place d'une fiscalité écologique, comportant notamment un rééquilibrage entre la taxation du gazole et celle de l'essence ?

- Je crois qu'il y a un accord général, entre les différents ministères concernés, pour dire, d'une part, que le différentiel entre l'essence sans plomb et le diesel n'est pas justifié, du point de vue de la santé publique ou de l'environnement ; d'autre part, qu'il faut que le rattrapage entre les carburants se fasse par étapes, afin de ne pas pénaliser les usagers ; enfin, pour dire que ces mesures de rattrapage doivent s'inscrire dans un chantier plus large, un chantier de fiscalité écologique.

 Je souhaite que le rattrapage au niveau moyen européen, entre le diesel et l'essence, se fasse dans un délai de trois ou quatre ans. C'est ce qui est raisonnable. Tout faire en une année serait certainement inacceptable pour les usagers ; traîner pendant dix ans serait injustifiable du point de vue de l'environnement et de la santé publique. Je n'ai pas le moindre doute que la fiscalité écologique va être la vraie bonne surprise du budget de 1999. On y travaille avec beaucoup d'énergie et avec une grande écoute de la part des services de Bercy.

Q - Corinne Lepage, qui vous a précédée, au sein du gouvernement Juppé, comme ministre de l'environnement, dit s'être heurtée au lobby nucléaire. L'avez-vous rencontré vous aussi ?

- Eh bien ! Non, parce que c'est très difficile de rencontrer le lobby nucléaire. Il est partout et nulle part. Ce n'est pas une plaisanterie ! Quand nous discutons, au niveau européen, des directives « auto-oil » sur les caractéristiques des carburants et des véhicules, les chefs des grandes entreprises prennent rendez-vous et viennent m'exposer leurs préoccupations financières, techniques, dans mon bureau. En matière de nucléaire, ce n'est pas le cas. Le lobby exerce son activité de façon beaucoup moins démocratique puisqu'il ne vient pas débattre à visage découvert avec les acteurs politiques.

Le lobby nucléaire a évidemment des représentants dans bon nombre de couches de la société et au Parlement. Je n'ai aucune difficulté pour le dire : Corinne Lepage a raison. Et c'est vrai que, lorsque j'ai été entendue, le 12 mai, par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur Superphénix, je me demandais si j'étais témoin ou accusée dans l'affaire ! “Comment diable ose-t-on confier des responsabilités à une antinucléaire ?”, semblaient se demander mes interlocuteurs. La question inverse : “comment avoir la garantie que tout sera dit au public si la responsabilité est confiée à un pronucléaire ?”, n'est jamais posée. Le nucléaire fait partie des zones d'ombre de la vie politique française. On débat de la place de l'automobile, on débat de la politique de la chasse. On ne débat quasiment jamais du nucléaire.

Q - Pourquoi êtes-vous hostile à l'élection des députés français au Parlement européen dans le cadre de huit grandes régions ?

- Je crains par-dessus tout les « bidouillages » des modes de scrutin. Il n'y a pas de mode de scrutin magique, chacun a ses avantages et ses inconvénients, et le résultat dépend largement du système choisi. Je suis tout à fait d'accord pour qu'on modifie les modes de scrutin, à distance importante des élections et après un large débat, permettant de mettre en évidence tous les aspects de la réforme. On avait dit, à droite et à gauche, qu'il ne fallait pas modifier les modes de scrutin moins d'un an avant les élections. C'est ce qui se passerait si l'on changeait le mode de scrutin des européennes.

Rien n'est décidé. Jusqu'à preuve du contraire, aujourd'hui, il y a la volonté de l'une des composantes de la majorité plurielle – ou de la plus grande partie de ses membres – de modifier le mode de scrutin, et puis il y a l'opposition des quatre partenaires du Parti socialiste au sein de cette majorité.

Q - Quitteriez-vous le gouvernement si le PS passait outre aux objections de ses partenaires ?

- Je ne fonctionne pas comme cela. On n'est pas dans le chantage, et c'est une faiblesse que de proférer des menaces de ce type. “Si je n'ai pas ce que je veux, je tape du pied, je boude et je m'en vais” : croyez-vous que les relations, au sein de la majorité plurielle, se passent comme cela ? Non ! Depuis dix mois, j'apprécie beaucoup Lionel Jospin en tant qu'animateur du gouvernement : je crois que chacun se sent écouté, respecté. En tant que relais des préoccupations électorales du PS, je le trouve nettement moins convaincant. Je ne comprends pas ce qu'un homme qui a montré son attachement à la majorité plurielle et à la dynamique née de cette majorité pourrait avoir à gagner, finalement, à violer la volonté de ces partenaires.

Q - Pourquoi la majorité serait-elle moins plurielle si l'on élisait les députés européens dans huit régions plutôt que dans une seule circonscription nationale ?

- Tout simplement parce que le mode de scrutin actuel permet à une liste atteignant 5 % de suffrages d'avoir des députés européens, alors qu'il en faudrait entre 10 % et 20 %, selon les régions, pour avoir des élus dans le nouveau système, ce qui serait très difficile pour chacune des quatre composantes non socialiste de la majorité. Est-on revenu à une époque où le PS céderait à des tentations hégémoniques ? Est-ce que vraiment, au PS, on n'a pas compris que les Français apprécient la majorité plurielle en raison de l'extraordinaire habileté du chef d'orchestre du gouvernement, mais aussi parce que la possibilité, à la fois, d'être solidaire d'une démarche collective et de faire entendre des remarques, des différences, des singularités permet à chaque citoyen de ce pays de s'y retrouver ? »