Texte intégral
F.-H. de VIRIEU – Bonsoir. Madame, vous représentez un cas un peu à part dans la vie politique française. D'abord, parce que vous êtes une femme, ensuite parce que vous devancez en popularité tous les hommes politiques de ce pays, à l'exception d'un seul, Michel Rocard. Un français sur deux, et c'est beaucoup, souhaite vous voir jouer un rôle politique important et la plupart des partis de l'opposition se battent actuellement pour avoir votre présidence sur leur liste européenne de l'élection de 84. Je crois qu'on peut dire qu'aucune femme en France n'a jamais connu un tel destin. Alors les français savent la passion que vous avez pour la construction de l'Europe, ils savent aussi que vous êtes experte en matière de problèmes de système de santé, ils connaissent votre sensibilité aux grands problèmes de société, mais je crois que ce soir ils attendent plus de vous. Ils attendent de connaître votre réaction sur les grands problèmes qui dominent l'actualité. Il y a bien sûr l'affaire du Boeing 747 sud-Coréen, il y a le Tchad, il y a l'alourdissement des impôts mais il y a aussi, aujourd'hui, cette alliance de vos amis UDF et RPR avec l'extrême droite pour le deuxième tour de l'élection municipale de Dreux. Vous savez qu'ils ont fait alliance avec une liste d'extrême droite qui a tout de même fait campagne sur des thèmes racistes et je pense que les français seront intéressés de connaître votre position sur cette alliance. Enfin, Madame, vous êtes bien placée du fait de vos responsabilités internationales, pour faire des comparaisons internationales. Alors, quel jugement, portez-vous sur l'action du gouvernement français et sur la santé économique de notre pays qui est le cheval de bataille actuel de l'opposition. Oui, dans l'Europe en crise fait mieux que nous actuellement et qui fait moins bien. Eh bien ce sont là toutes les questions qui vous seront posées par Alain DUHAMEL, Claude CABANES de « L'Humanité », Albert du ROY et Philippe HARROUARD, au nom des téléspectateurs, qui vous pose tout de suite la première question.
P. HARROUARD – Madame VEIL bonsoir, les téléspectateurs ont beaucoup de questions à vous poser. Ils ont surtout UNE question à vous poser – je n'ai jamais vu une avalanche de questions sur un seul thème et ce thème, c'est celui de l'élection de Dreux. On vous demande : « Simone VEIL se sent-elle à l'aise au sein de l'opposition quand celle-ci s'allie avec l'extrême droite à Dreux ? ». « Etes-vous inquiétée par les 17 % obtenus par l'extrême droite aux élections de Dreux hier ? », « Que pense Mme VEIL de l'alliance RPR-UDF avec l'extrême droite ? ». « En tant que juive, est-ce que Mme VEIL n'est pas outrée par l'alliance de la droite avec l'extrême droite »… et il y en a beaucoup beaucoup comme cela.
F.-H. de V. – Alors, Madame, votre réponse…
S. VEIL – Tout d'abord, je dois dire que ce qui m'inquiète le plus c'est effectivement ce score de plus de : 16 % pour l'extrême droite. Je trouve que c'est très préoccupant en soi, et c'est très préoccupant lorsque l'on sait que ce score a été réalisé grâce à une campagne qui visait les immigrés, car je pense que cette question des immigrés est actuellement une des plus graves auxquelles nous sommes confrontés. Quand je dis ça c'est l'ensemble des Français c'est une question qui nous interpelle tous et sur laquelle nous devons tous prendre position très gravement. Je pense que nous aurons l'occasion d'y revenir au cours de cette émission. C'est un problème dont on ne peut pas se désintéresser sur le plan humain mais aussi sur le plan politique.
Quant à l'alliance de l'opposition avec celle liste d'extrême droite, je voudrais tout d'abord souligner que certains membres de l'opposition n'avaient pas accepté de figurer sur la liste – ce sont les membres du CDS notamment – parce qu'ils ne voulaient se trouver dans cette situation. Il y avait eu avant la première élection municipale, des contestations sur l'organisation des listes à cause de cette présence d'une liste d'extrême droite à Dreux et du problème qui pourrait se poser. Donc je crois qu'il y a là une réflexion au sein même des partis de l'Opposition et une question à la fois de stratégie et une question politique.
Pour ma part, je n'ai pas de responsabilités politiques au sein des formations de l'Opposition et tout ce que je peux dire c'est que, si je m'étais trouvée dans cette situation je n'aurais pas fait d'alliance avec le Front National.
A. DUHAMEL – Si vous aviez à voter dimanche prochain pour le second tour des élections municipales de Dreux, vous auriez face-à-face une liste d'Union de la Gauche, dirigée par un socialiste, rocardien, et puis vous auriez une liste de l'Opposition qui comprendrait, une tête de liste qui est plutôt RPR et puis une fraction non négligeable d'extrême droite et des membres de l'UDF. Qu'est-ce que vous feriez ?
S.V. – Eh bien je m'abstiendrais…
A.D. – Vous vous abstiendriez au second tour. Je dirai que c'était l'aspect pas du tout anecdotique, mais c'était l'aspect politique conjoncturel, comme vous le disiez vous-même. Derrière cela il y a une question qui est beaucoup plus grave encore, qui est permanente et c'est la question de l'immigration et de ce que ça soulève en ce moment.
1°/ Le gouvernement vient de prendre, puisque c'est de la semaine dernière, des mesures nouvelles avec, au fond, deux idées, d'une part, il faut stopper l'immigration aux frontières et, d'autre part, il faut améliorer la condition des immigrés qui sont en France en situation normale. C'est-à-dire pas les immigrés clandestins et les 4 millions et demi d'immigrés et de leur famille qui sont là. Est-ce que sur ces deux principes déjà vous seriez d'accord ?
S.V. – Oui, tout d'abord puisqu'on parle des immigrés et des positions prises par l'Opposition, je voudrais tout de même rappeler qu'il y a trois ans environ, les communistes ont fait de véritables opérations justement dans ces milieux très sensibilisés sur les problèmes de l'immigration, qui étaient des opérations anti-immigrés très racistes. Donc je crois que le racisme peut se trouver pas forcément exclusivement là où on le croit. D'ailleurs puisque vous avez évoqué H. de VIRIEU certains aspects plus personnels, je dirai que je reçois quelque fois je le dis, puisque vous avez fait allusion à mes origines, des lettres anti-sémites qui ne viennent pas de la droite et qui viennent très clairement de l'extrême gauche ou de certaine gauche. Je crois qu'il faut que ce soit dit aussi que c'est un problème qui n'est pas seulement, malheureusement, limité à l'extrême droite.
Je reviens maintenant à ces questions. Je pense que, schématiquement si vous voulez, c'est effectivement une approche qui me parait la bonne approche, qui est d'ailleurs celle qui a toujours été, en définitive, celle du gouvernement avant 1981 et qui avait été en quelque sorte suspendue par la régularisation de la situation des travailleurs immigrés venus clandestinement.
A.D. – Ca c'est vrai pour les 150 000 travailleurs immigrés en situation irrégulière, le problème principal, naturellement, ce sont les 4 millions et demi.
S.V. – Là, si vous voulez, il y a eu une exception de la continuité de cette politique qui a toujours été, même si elle n'était pas affichée aussi clairement avec cette réflexion au sein du Conseil des ministres qui a été rendue publique. Au fond, c'est bien ce qui se faisait. C'est-à-dire, d'une part un effort d'intégration pour les travailleurs qui se trouvaient régulièrement en France et, d'autre part, une fermeture des frontières. Je pense que pour ce qui concerne l'effort d'intégration il y a énormément de choses à faire. Il y a un travail à faire par rapport aux immigrés et il y a aussi un travail à faire par rapport à la population française, notamment un effort d'explication, d'information de la situation, d'expliquer comment on est arrivé là, pourquoi il y a ces travailleurs immigrés en France, les services qu'ils ont rendus pendant des années à l'économie française, qu'ils rendent encore dans certains cas importants, certaines activités qu'ils occupent ne seraient pas occupées par des travailleurs français, ou bien ils les occupent dans des conditions telles et de façon satisfaisante. Au surplus, pour beaucoup, il faut savoir que ce sont des immigrés de la deuxième ou troisième génération même s'ils n'ont pas la nationalité française et que l'on voit mal comment ils pourraient retourner, dans un pays où ils n'ont jamais vécu. Je crois qu'il y a tout cela à expliquer. Je crois que c'est un problème très très importants, très grave. C'est un problème, qui se pose pas seulement en France mais chez des voisins qui ont souvent autant de travailleurs immigrés que nous et de nationalités différentes mais qui posent des problèmes voisins. Je crois qu'il y aurait une réflexion à faire au niveau de tous nos pays avec des sociologues, des politiques…
A.D. – Ce serait sûrement très bien en France et ailleurs simplement, le problème immédiat c'est ce qu'on vient de voir avec l'élection de Dreux c'est qu'il y a aussi des risques immédiats d'accès du racisme en France, le fait de réfléchir au statut des immigrés dans la société c'est naturellement indispensable mais il faut aussi des mesures à court terme qui soient susceptibles de trouver des solutions à des problèmes qui se passent déjà. Comme on l'a vu par exemple cet été, au problème de coexistence entre des communautés qui ont des modes de vie différents et qui se supportent quelque fois mal les unes les autres. Là qu'est-ce qu'on peut faire ?
S.V. – Je crois que c'est sur ces problèmes de coexistence qu'il faut faire réfléchir des sociologues, des universitaires, des chercheurs, des politiques, des urbanistes en associant d'ailleurs des personnalités issues de ces milieux, des employeurs, des syndicalistes. Je crois que tous ensemble ils doivent réfléchir, et puis aussi simplement des français qui habitent ces quartiers et qui sont confrontés aux problèmes quotidiens. On pourrait très bien me dire, et j'en suis tout à fait consciente, que je vis dans un quartier à Paris où il n'y a probablement pas beaucoup d'immigrés que je ne suis pas du tout confrontée, dans l'immeuble où je vis, à ce genre de problème et que donc je ne suis pas consciente des difficultés. Je crois qu'il faut absolument que les français qui voient leurs difficultés parce qu'ils vivent avec des gens qui n'ont pas les mêmes horaires, qui n'ont pas du tout le même mode de vie, la même cuisine, la même musique – parce qu'on est toujours gêné par ce qui est différent –, je crois qu'il faut regarder s'il faut faire vivre les gens ensemble ou, au contraire, accepter le principe d'immeubles séparés. Je crois qu'il y a là vraiment un problème qui est un problème concret.
A.D. – Est-ce que vous n'êtes pas inquiète du décalage chronologique. C'est-à-dire que du fait que d'un côté il y a une réflexion à faire certainement mais que d'un autre côté il y a des mesures immédiates à prendre ? On sait bien qu'en période de crise, notamment, les tentations de racisme existent.
S.V. – Oui, mais enfin le problème immédiat, je crois qu'on peut mettre en demeure les travailleurs immigrés de se trouver en situation régulière. On peut rechercher avec leur pays d'origine, comme c'est prévu par le gouvernement et d'ailleurs ça avait déjà été envisagé précédemment de voir…
A.D. - Ca porte toujours sur de très petits effectifs...
S.V. – C'est très difficile mais je pense qu'il y a là un ensemble de solutions qui doivent se cumuler et arriver, je ne dis pas du tout à résoudre le problème du jour au lendemain, mais à faire que les situations petit à petit s'améliorent.
A.D. – Dernière question sur ce point-là, on n'épuisera pas le sujet évidemment, mais au moins aurez-vous dit l'essentiel de ce que vous pensez. Parmi les propositions de plateforme du candidat François Mitterrand il y en avait une – je crois que je m'en rappelle bien c'était le numéro 80 – qui prévoyait que, en ce qui concerne les travailleurs immigrés quand ils étaient résidents en France depuis au moins cinq ans, ils pourraient avoir le droit de vote aux élections municipales. Vous savez que c'est un système qui existe par exemple en Norvège et en Suède. Est-ce que ça vous parait très souhaitable ou pas...
S.V. – J'ai lu justement un article récemment sur la situation en Suède. Je dois dire que quand on expose la situation, en expliquant qu'il y a le droit de vote, il faut dire aussi quel est le nombre d'immigrés, il est pratiquement inexistant s'agissant de ces immigrés venant de pays qui ont des habitudes de vie très lointaines et, essentiellement en Suède par exemple ce sont des immigrés qui viennent de Finlande, qui ont un mode de vie très proche. Je crois que vraiment on ne peut pas du tout comparer la situation. Je trouve qu'on nous donne vraiment des exemples qui ne sont pas du tout des exemples probants.
A.D. – Vous seriez pour ou contre, puisque c'est une proposition qui a été faite dans le débat français...
S.V. – Je crois qu'actuellement : la répartition des travailleurs immigrés en France, on risquerait d'accroître les difficultés s'il y avait aux élections municipales le droit de vote. Au Parlement européen nous avons fait une proposition qui sera un test très intéressant, c'est que les citoyens de la Communauté puissent voter aux élections municipales dans les pays de la Communauté où ils résident. Je crois qu'il y a là un test qui sera intéressant, de voir si ça permet d'avoir une meilleure intégration dans la ville mais je crois que ce genre de chose il ne faut pas aller vers des solutions qui risquent d'accroître les tensions. En ce moment, il faut chercher à apaiser, c'est vraiment dans un souci d'efficacité et de meilleure entente entre les communautés, c'est ce qu'il faut rechercher. Ce souci d'apaisement, de conciliation, peut se faire par un dialogue au sein même des municipalités. Je pense que d'ailleurs dans certaines municipalités s'il y avait des occasions de rencontres fréquentes, même de concertations organisées ce serait une bonne chose. Je ne pense pas que le droit de vote systématique à tous les travailleurs immigrés en serait une.
A.D. – Il y a deux autres questions d'actualité pure, d'ailleurs d'actualité tragique sur lesquelles je voudrais recueillir votre réponse. La première c'est l'affaire du Boeing 747 Sud-Coréen qui a été abattu par les Soviétiques. Je voudrais savoir quelle a été votre réaction, d'abord en apprenant cette nouvelle et puis ensuite en apprenant que, apparemment, les responsabilités étaient plutôt militaires du côté des Soviétiques et que peut-être il y avait des tentatives d'espionnage de l'autre côté.
S.V. – Je crois que si on donne ses impressions personnelles on va employer tous ces mots qui sont des expressions d'indignation, d'horreur, ça a un côté bouleversant parce que on est devant quelque chose d'absurde qu'on ne comprend pas, d'inutile, de gratuit. Toujours les accidents d'avion ont un côté affreux mais là que ce soit, en plus, venant d'un acte volontaire ça l'est encore bien davantage. Et puis quand on analyse ensuite l'événement quelles que soient les explications et vous en avez évoqué plusieurs, on se dit que, quelles qu'elles soient, elles sont angoissantes. Parce qu'il s'agit d'une décision prise par M. ANDROPOV lui-même, par les militaires ou même à l'échelon de Moscou ou dans la région du Pacifique, de toute façon c'est effrayant de se dire qu'on a pu en arriver là. Soit parce qu'on, comme on a pu dire que c'est par ce qu'il y a eu un incident qui n'était pas prévu, soit parce que, au contraire, ça été mûrement réfléchi on est surtout effrayé de penser qu'un état – parce qu'en définitive même si c'est à l'échelon local, C'est un état - peut, de sang froid, décider de tuer 269 personnes parce l'avion dans lequel elles sont a franchi cette ligne qui est une ligne abstraite, impalpable, qui est la ligne du territoire soviétique. Je dois dire que c'est quelque chose qu'on a du mal à réaliser et qui montre d'ailleurs que cet état soviétique est une sorte de monstre froid qui ne connaît que ses droits, sa loi, son absolu et ne pense pas que, en définitive, il y a dans les relations internationales d'autres possibilités que celles de la force.
A.D. – Est-ce que vous avez eu les mêmes réactions il y a quelques années lorsqu'il y a eu un avion civil qui a été abattu au Moyen-Orient par un état ?
S.V. – Il s'agissait d'un avion libyen abattu par les Israéliens...
S.V. – Absolument.
A.D. – Dernière question d'actualité, c'est l'intervention militaire de la France au Tchad. Je voudrais savoir si, sur ce point, sur l'initiative française, sur la présence des troupes françaises au Tchad vous considérez que la démarche du Président de la République est légitime et bien calculée.
S.V. – Sur la présence française actuellement au Tchad par la présence d'instructeurs, je crois que l'Opposition s'est exprimée, que tout a été dit. Comme on l'a souligné, il y a pratiquement un consensus même si on connaît les réserves du Parti Communiste qui, lui est au gouvernement, mais qui n'est pas d'accord. Mais je dirais qu'il y a d'autres observations à faire. La première, je pense que ça été tardif et que ce retard a peut-être des conséquences sur le plan stratégique, on n'en sait rien on le saura peut-être plus tard mais qu'il risque d'avoir porté atteinte à notre crédibilité vis-à-vis de nos amis africains. Le second point c'est dans la forme. J'ai le sentiment – je peux me tromper – comme on a su tout ça tardivement, par une interview dans un journal on n'a pas eu d'explication vraiment de vive voix très explicité sur cette question, que si on a traîné c'est probablement pour préparer l'opinion et quand je dis l'opinion, préparer le Parti Communiste et le Parti Socialiste à la décision qui est en définitive intervenue et que, pendant ce temps-là ça a permis de cristalliser, de faire un abcès de fixation contre les américains. On a assisté à un déferlement, dans une partie de la presse, sur ces américains qui se mêlaient de ce qui ne les regardaient pas, qui essayaient de faire pression sur nous, qui avaient le malheur de s'en prendre à Kadhafi – qui serait un homme tout à fait honorable, je reviendra d'ailleurs là-dessus – qui, au surplus, voulaient à la fois s'immiscer dans cette zone où rien ne les concerne qui d'ailleurs, en même temps, avaient eu le malheur de dire qu'il s'agissait d'une zone d'influence française emploient ainsi des termes néo-colonialistes. Je trouve que tout cela a été très mauvais et a, mon sens, a surtout un côté un peu dérisoire. Parce que c'est nous que ça gêne cette espèce d'anti-américanisme systématique, que les américains ont-ils eu cette discussion de savoir est-ce qu'on savait est-ce qu'on ne savait pas que les Awacs avaient été envoyés, est-ce qu'il y avait eu un dialogue ou pas, je crois que ça leur est égal et qu'en définitive ça a paru tout à fait ridicule. S'il y a eu effectivement une pression américaine, ce qui est possible, je pense que le Président de la République a eu tout à fait raison qu'il n'avait pas à céder à des pressions américaines mais cette espèce de polémique qu'il y a eu dans la presse j'ai trouvé que c'était vraiment du plus mauvais aloi, que c'était une façon, une fois de plus, de se dire qu'on trouvait toujours avec les américains une façon d'épancher notre bile. Et puis la troisième chose que je voudrais dire c'est la façon dont on ménage, d'une façon générale d'ailleurs, le colonel Kadhafi. Quand il s'agit des relations avec la Libye, on s'étonne là aussi que les Américains que l'on pouvait avoir une certaine méfiance à son endroit. Or ce chef d'état qui est soupçonné en France il faut bien le dire, à certaines occasions lorsqu' il y a des actes de terrorisme international, on dit on sait très bien d'où ça vient, tout le monde, à mots plus ou moins couverts désigne la Libye tout au moins d'être responsable, en tout cas on sait qu'il y a des camps d'entraînement et qu'il y a beaucoup d'argent qui est donné pour des entreprises de déstabilisation. Et lorsque nous sommes face à face avec la Libye, avec le colonel Kadhafi, eh bien on n'a pas du tout l'air de se souvenir de ce qu'on a dit quelques mois avant.
A.D. – Est-ce que c'était des réflexions que vous vous faisiez déjà quand vous étiez au gouvernement sous la majorité précédente. Autrement dit, pour dire les choses carrément, en ce qui concerne ce que vous présentez comme la « timidité » de la France vis-à-vis du colonel Kadhafi, est-ce que vous trouvez que sous Georges Pompidou ou sous Valéry Giscard d'Estaing, c'était très différent du comportement actuel ?
S.V. – Je trouve qu'on avait déjà beaucoup d'indulgence pour le colonel Kadhafi mais la situation était tout de même... J'ai eu l'occasion de le dire mais j'étais au gouvernement et la solidarité gouvernementale impose - certains ont une conception de la solidarité qui les empêche de critiquer à l'extérieur mais surtout la situation était très différente. Le terrorisme n'était pas toujours ce qu'il est et surtout nous ne nous sommes pas trouvés confrontés dans un conflit très précis, qui est le problème du Tchad.
F.-H. de V. – Le premier quart d'heure, Madame, est largement dépassé, nous allons tout de suite voir à SVP, comment ce premier quart d'heure a été accueilli, si les téléspectateurs sont satisfaits des réponses, s'ils ont des questions à poser.
P.H. – Oui, ils ont beaucoup de questions à poser. Voici une autre question d'actualité Mme VEIL : « Que pensez-vous des déclarations de Jean Paul II aux évêques américains aujourd'hui à propos du droit à la vie ». On vous demande également si votre position sur l'IVG a changé ou non. Cette réflexion d'un dentiste qui dit : « N'avez-vous pas honte d'avoir permis l'avortement ? », etc. beaucoup de questions donc sur ce problème de l'IVG.
F.-H. de V. – Est-ce que vous connaissez cette position de Jean Paul II, Madame ?
S.V. – Oui. Je dirai tout d'abord que je trouve très gênant d'avoir à donner sa position aussi directement sur des propos tenus par le Pape. Parce que je trouve que l'autorité suprême du Pape fait que, même si je ne suis pas catholique je suis gênée d'avoir à le faire de même d'ailleurs que j'ai été très choquée lorsque j'ai entendu M. Poperen critiquer les propos du pape, lorsque celui-ci est venu en France, à Lourdes et j'ai été étonnée qu'il y ait eu très peu de protestations contre les propos tenus par M. Poperen qui s'étonnait que le Pape ait pris des positions rappelant qu'elle était la doctrine de l'église dans certains cas. Je trouve que c'est le rôle du Pape de le faire et que s'agissant des questions morales sur lesquelles le Pape est dans son rôle de prendre les positions il estime être conformes à la doctrine de l'Eglise.
Je ne veux pas avoir l'air de ne pas répondre à une question sur l'interruption volontaire de grossesse. Je dois dire que si le texte était à nouveau à soutenir je le ferai dans les mêmes conditions. J'estime qu'il n'y avait pas d'autres solutions à ce moment-là et que, probablement, il y a deux ou trois cents femmes chaque année qui, grâce à cette loi, ont la vie sauve. D'autres restaient infirmes, il y avait, par ailleurs, une situation d'atteinte à l'ordre public qui n'était plus tolérable et cette loi qui, en soi, n'est qu'une loi de recours, une loi contre la détresse a, en ce sens, épargné des vit humaines.
F.-H. de V. – Deuxième face-à-face Madame, avec Claude Cabanes de « l'Humanité ».
C. CABANES – Madame je souhaitais avoir avec vous une conversation très sérieuse et très sereine et je me suis un peu inquiété de vos premiers propos sur la responsabilité du parti communiste quant au racisme. Je dis simplement que le parti communiste ne s'est jamais allié à un parti d'extrême droite dans quelque élection que ce soit et il me semble, si vous permettez, que c'est oublier un peu vite les responsabilités de certains partis de la majorité pendant les élections municipales de mars 83 qui, ont allumé un peu les vieux démons du racisme et l'affaire de Dreux tendrait à le confirmer. Est-ce que vous ne pensez pas qu'il y a là un problème de morale politique extrêmement grave et sérieux ?
S.V. – Je crois que c'est un problème extrêmement grave que celui du racisme et celui du problème des travailleurs immigrés. Je dois dire que je suis assez contente que vous le posiez comme vous venez de faire parce que j'ai été très choquée de la façon dont, depuis le mois de mars, on donne à penser que c'est un moment des municipales que l'Opposition a, en quelque sorte, nourri ce débat, provoqué ce problème. Je suis allée dans un salon de réunion électoral et ce qui m'a, à l'époque, frappée et beaucoup inquiétée je dois le dire, c'est de voir que le problème de coexistence avec les travailleurs immigrés en France était une des questions qui venaient dans les salles de réunion. J'ai d'ailleurs confronté mes sentiments avec des amis politiques qui avaient éprouvé les mêmes sentiments, nous devions calmer la population, nous devions calmer l'opinion publique. On voit très bien ce qui s'est passé à Dreux et quels sont les gens qui ont le plus voté, ce sont les gens qui sont le plus confrontés aux problèmes quotidiens, il faut le dire. J'ai essayé, dans chacune des réunions où je suis allée, d'expliquer le problème et de calmer les passions mais les passions étaient très grandes, ce qui m'a inquiétée c'est de voir qu'il y avait là une question qui n'était pas du tout suscitée par l'Opposition, contrairement à ce que l'on a dit, mais qui était un problème de fond auquel l'Opposition a été sensible et pour lequel elle a crié un peu casse-cou parce que justement elle voit monter cette violence, ce racisme et qu'elle s'en inquiète à juste titre. Je ne parle pas l'alliance éventuelle. Vous savez très bien qu'à Paris, par exemple, la question s'est posée au moment des municipales et que dans un arrondissement de Paris cette alliance a été refusée, mais quand on a dit que c'était l'Opposition qui avait utilisé le racisme, eh bien je dirai que j'aurais presque préféré que ce soit le cas. Malheureusement ce n'est pas du tout le cas, c'est un vrai problème qui est posé par l'opinion publique.
C.C. – Madame, je souhaiterais vous poser quelques questions de type politique. On sait que vous et vos amis politiques de l'Opposition protestez, pratiquement tous les jours sur la présence des ministres communistes au gouvernement. Et pour des arguments utilisés contre cette présence est que vous semblez craindre que le parti communiste, au fond, n'investisse l'appareil d'état. Je voudrais vous soumettre un petit catalogue à votre réflexion. Voilà : il y a en France, 132 préfets : un seul est communiste. Il y a 152 ambassadeurs : aucun n'est communiste. Il y a 523 sous-préfets : un est communiste ; il y a 102 inspecteurs d'Académie : aucun n'est communiste. Il y a 210 conseillers d'Etat on dit qu'il y aurait deux communistes. Est-ce que vous ne trouvez pas un peu inconvenant d'accuser le parti communiste de noyauter l'appareil d'état ?
S.V. – Si on accuse le parti communiste de noyauter l'appareil c'est parce que quand des communistes sont nommés quelque part, ils le sont en tant que communistes. Ce ne sont pas des journalistes ou ce ne sont pas des fonctionnaires ou ce ne sont pas des syndicalistes qui sont nommés à tel poste, on les nomme parce qu'ils sont communistes, et qu'ils sont affichés comme tel. J'ai lu dans les journaux – ou alors peut-être que les journaux se trompaient – que par exemple que certain journaliste qui avait été nommé dans telle ou telle chaîne de télévision, c'était le parti communiste qui avait...
F.-H. de V. – Madame, il faut être plus précise, si vous portez des accusations il faut qu'elles visent clairement quelqu'un. Je peux dire qu'en ce qui concerne les journalistes communistes de la rédaction d'Antenne 2, ils ont été recrutés sur des critères strictement journalistiques, je ne peux pas laisser passer des accusations pareilles…
S.V. – Ils sont tout à fait journalistes. En un sens moi ça ne me gêne pas que l'on recrute des gens qui soient communistes, je vous donne un exemple : quand il y a eu autrefois pour l'arrêt Barrel, vous devez connaître ça eh bien j'ai trouvé que le Conseil d'Etat... enfin je me suis félicitée de ce que l'arrêt ait été rendu... Je m'explique pour les téléspectateurs : il s'agit d'un arrêt qui a imposé, en quelque sorte, l'admission pour la présentation à l'Ecole d'Administration, d'un jeune homme qui avait été écarté du concours parce qu'il était communiste. Je trouve qu'il aurait été tout à fait anormal que, parce qu'il était : communiste il ne puisse pas se présenter à l'école d'administration. S'il y a des communistes qui sont recrutés quelque part, bon, ils le sont, ce qui me choque c'est qu'on dise c'est le parti communiste qui estime que c'est celui-là ou qu'il doit y en avoir un à tel endroit. Là il y a une question de présentation et je dois dire que qu'il y a là un vrai problème, que c'est ça qui me choque, c'est le fait que ce soit en tant que tel qu'il soit présent à tel endroit.
C.C. – Vous n'êtes pas choquée par le fait que des communistes prennent leur part aux responsabilités gouvernementales et dans l'appareil d'état ?
S.V. - En ce qui concerne le gouvernement c'est tout-à-fait autre chose. C'est le choix du Président de la République d'avoir associé au gouvernement des communistes. Pour ma part je le regrette...
C.C. – C'est le choix du suffrage universel...
S.V. – C'est le choix du suffrage universel d'avoir voté pour les communistes, c'est le choix du Président de la République de les avoir associés à sa majorité dans la mesure où il avait une majorité sans avoir les communistes, c'est un choix qui lui appartient, qui est tout à fait démocratique et qui est vraiment un choix politique. Simplement, pour ma part, je le regrette parce que, pas parce qu'ils sont communistes et que je n'ai pas de sympathie ni rien, simplement c'est parce que je crois que la conception du type de société dans lequel les communistes d'ailleurs déclarent vouloir orienter la vie politique et économique de la France, n'est pas mon choix de société. Ce n'est pas simplement sur des questions ponctuelles où on a des opinions différentes, c'est véritablement qu'ils souhaitent une rupture avec le type de société libérale, démocratique, aux valeurs de laquelle je suis attachée. Ce sont vraiment des choix tout à fait fondamentaux, sur le plan économique également, il y a donc là, à mon sens, un clivage qui est un choix essentiel. En revanche, je vous dirai que je ne porte pas de jugements moraux comme j'entends sans cesse de la majorité actuellement. Je ne dis pas ces gens sont mauvais, le mal est du côté de cette majorité. J'ai encore entendu tout à l'heure des jugements moraux à partir... Simplement les communistes ont, dans leur programme, déclaré qu'ils voulaient orienter la France vers un type de société qui est un type de société qui est fondamentalement différent de ce que je souhaite, c'est tout. Pour l'heure je ne me place pas du tout sur un plan de moralité. Et sur un plan de bons et de méchants. Alors que j'estime que justement ce clivage que l'on fait sans cesse actuellement au sein de la majorité pour démontrer que la droite – appelant d'ailleurs droite tout ce qui n'est pas eux, y compris par exemple, si l'on parle des socialistes, des socio-démocrates qui les ont quittés justement après l'alliance avec les communistes. Eh bien, du moment qu'ils ne sont pas avec eux ce sont des méchants.
C.C. – Donc, si je comprend bien vous acceptez le principe de l'alternance. Je veux dire par là, vous ne considérez pas qu'il y aurait comme une sorte de droit divin de propriété de la droite pour l'exercice du pouvoir.
S.V. – Non pas du tout et je vous dirai même que non seulement je ne le pense pas mais alors que j'étais encore au gouvernement, en tout cas lorsque l'ancienne majorité était au pouvoir, j'ai souhaité qu'il y ait une alternance à un moment quelconque. L'alternance fait partie de la démocratie, qu'il faut l'accepter et que, justement, c'est quand on accepte l'alternance que l'on évite de porter un jugement sur l'autre et que la France fera un grand pas vers ce consensus qui est souvent évoqué par le Président de la République si elle acceptait l'autre. C'est-à-dire que si elle acceptait que l'Opposition ne soit pas le mal incarner. Elle est l'opposition, elle a le droit de s'exprimer, de même d'ailleurs que la majorité est là pour gouverner.
F.-H. de V. - Vous approuvez le ton sur lequel des personnalités Je l'opposition s'expriment ? Depuis quelques mois.
C.C. – J'avais une question à ce sujet d'ailleurs. J'ai entendu ou lu que M. Giscard d'Estaing avait indiqué il y a peu de temps que nous vivrions sous une sorte de IVe République. Il avait d'ailleurs évoqué il y a quelques mois, comme avec un peu de nostalgie, 1958. C'est l'année où on passe d'une république à l'autre, dans un certain chaos et un peu à l'ombre des baïonnettes. J'ai lu aussi un scénario de M. Raymond BARRE dans un hebdomadaire qui explique que en 1986 l'Opposition, la droite, va gagner les législatives et qu'elle ne pourra pas gouverner avec le Président de la République et donc qu'il y aura crise institutionnelle. Là aussi il y à une notion de crise profonde de la vie politique. Quant à M. CHIRAC il appelle tous les jours, plus ou moins directement à bousculer les échéances électorales.
F.-H. de V. – De moins en moins d'ailleurs...
C.C. – Hier, il a déclaré par exemple, nous allons attendre 86 mais, s'il le faut nous sommes prêts avant. Cet « avant » m'inquiète... Mme VEIL est-ce que vous ne trouvez pas ces stratégies politiques dangereuses à la fois pour la démocratie et même pour l'ensemble de la société française ?
S.V. – Je crois qu'il faut véritablement, puisque vous évoquez les propos de l'opposition, bien situer la question. Comme l'a souligné M. de Virieu, M. Chirac n'a pas dit tout cela ces jours-ci, il a dit au contraire qu'il faut respecter les échéances, c'étaient certains membres de son parti, mais pas lui-même. Quant à l'échéance de 86 vous savez très bien qu'il y a une discussion sur, je dirais la mise en oeuvre de la constitution, qui n'est pas une interprétation qui se pose aujourd'hui mais qui s'est déjà posée lorsqu'en 78 déjà à ce moment-là certains disaient : si en 78 les législatives sont perdues que se passera-t-il puisqu'il y aura un Président de la République qui ne sera pas de la même majorité que l'assemblée. Donc c'est un problème d'interprétation de la Constitution. Pour ma part je dis et j'ai eu à plusieurs reprises l'occasion de le dire que je pense qu'il n'y a incompatibilité entre un président d'une formation, d'une majorité, et une assemblée d'une autre, du moins théoriquement ; en pratique cela suppose peut-être des difficultés, mais je ne crois pas qu'il y a incompatibilité. Les constitutionnalistes se sont souvent penchés sur cette question, ils disent : qu'est-ce qu'il se passera dans ce cas-là ? Mais le fait de poser la question et de dire : il y aura un problème, c'est en soi, je crois, conforme à l'esprit démocratique. L'opposition peut parfaitement, et c'est normal, poser les problèmes de continuité après 86. Ce qui est aussi normal c'est que pendant vingt ans la majorité actuelle qui était dans l'opposition ne s'est pas du tout gênée pour poser toutes ces questions et pour être d'une très grande agressivité ; je ne voudrais pas reprendre certains propos de M. Mitterrand, ne serait-ce qu'au moment des événements du Zaïre.
F.-H. de V. – Une dernière question, Claude Cabannes ?
C.C. – Mme Veil, vous êtes une femme et on dit – et je crois que c'est vrai – que les femmes sont plus sensibles encore à la question de la guerre et de la paix. Vous avez eu à souffrir personnellement de la guerre sous une forme parmi les plus barbares, vous avez une image paisible et qui est toute à votre honneur et je voudrais vous poser la question suivante : la tragédie du Boeing sud-coréen n'indique pas qu'une limite est franchie. Un signal d'alarme vient de s'allumer pour l'ensemble de l'humanité. Je veux dire par là que le danger rôde, le danger de plus en plus grand. Nous avons de grandes différences politiques très profondes, mais est-ce que nous ne pouvons pas nous mettre d'accord sur l'idée simple suivante : l'équilibre du monde a été jusqu'ici acquis par le principe de l'accumulation des armes par le haut. Est-ce qu'on ne peut pas envisager aujourd'hui de lutter pour renverser la tendance, c'est-à-dire maintenir l'équilibre par le bas et par la soustraction des armes ?
S.V. – Je crois que c'est le souhait de la plupart des Français, et de la plupart des citoyens du monde. Les va-t-en guerres, il y en a, mais ils sont devenus de plus en plus rares. C'est vrai que vous venez de poser la question telle que je me la pose. C'est-à-dire que ma génération – je ne dirai pas notre génération car vous n'avez pas connu cela – est très angoissée par le problème de la guerre. On est conscient de ce que donnerait un conflit nucléaire. On a vécu toute cette évolution, je dirais depuis Hiroshima. De temps en temps, en soi-même on se dit : est-ce qu'on n'est pas en train – en ne se battant pas avant tout pour dire « la paix à tout prix, c'est la seule chose qui compte », est-ce qu'on n'est pas en train de se tromper ? C'est une question que je me pose souvent. Quel est le prix de la paix ? Je pense aussi à l'avant-guerre, je repense à Munich, je repense à toutes ces années d'avant-guerre où on a été faibles par rapport à l'Allemagne hitlérienne. On a pensé qu'on pouvait sauver la paix par la faiblesse sans s'armer, sans être vigilants.
Aujourd'hui nous sommes dans une situation, je dirais depuis 45, si on se souvient des années de la guerre de Corée, où il y a eu une tension qui a monté sans cesse – et c'est vrai qu'il est souhaitable, non seulement comme vous l'avez dit parce qu'on est sur un volcan, mais aussi pour des raisons économiques quand on pense à ce que représentent comme fortune ces armements alors qu'il y a des millions d'êtres humains qui meurent de faim, on se dit qu'il faut trouver d'autres solutions, mais ces autres solutions il faut qu'elles puissent venir d'un effort de désarmement, d'un souci, d'une volonté qui soit une volonté générale. Or on n'a pas du tout le sentiment que pour l'instant ce soit cette volonté qui anime l'Union Soviétique. Puisque vous avez cité l'affaire du Boeing je crois que malheureusement elle nous démontre bien que peut-être parce qu'elle a un complexe d'encerclement mais qu'en tout cas l'Union Soviétique est prête à agir très violemment et que sa bonne volonté, elle doit clairement à Genève et à Madrid en faire la démonstration avant que nous-mêmes baissions les bras et que unilatéralement nous renoncions à nos propres armements. C'est une question de dialogue. Je souhaite profondément que l'on puisse faire des progrès, que l'on puisse désarmer. Mais cela ne peut pas être unilatéral.
F.-H. de V. - Philippe Harrouard, des questions à SVP ?
P.H. - Un téléspectateur de Toulouse vous demande, Mme Veil : quelles sont à votre avis les raisons qui font qu'une fois sur deux vous êtes en tête des sondages, et une téléspectatrice de Nantes ajoute : puisque vous arrivez en tête des sondages pourquoi ne créez-vous pas un grand parti modéré ?
S.V. – Je crois d'abord qu'il y a une très grande stabilité dans les sondages. J'ai été populaire peu de temps après être devenue ministre, il y a eu des petits hauts et des petits bas mais c'est tout de même resté assez stable comme pour la plupart des personnalités politiques. Je pense que les Français étaient contents qu'il y ait une femme ministre et sans doute aussi quelqu'un qui parle comme eux, avec des mots simples, avec aussi quelquefois des hésitations, des fautes de français, et surtout qu'ils sentent proche d'eux, de leurs préoccupations et qui leur donne l'impression que c'est une Française, comme ça, parmi eux, qui un jour est devenue ministre et qui essaye de panser les problèmes et de trouver des soluti6ns qui soient au niveau de leurs préoccupations.
F.-H. de V. – Quel usage social vous allez faire de cette popularité, quel usage politique ?
S.V. – Faire un grand parti politique ? Je crois qu'il y a actuellement des formations politiques qui sont suffisamment nombreux et qu'il n'y a pas intérêt en démocratie à avoir trop de formations politiques. Peut-être que le clivage actuel de l'opposition ne correspondait pas absolument aux opinions des Français...
F.-H. de V. – Le clivage interne à l'opposition ?
S.V. – D'abord le clivage opposition-majorité, certainement. Il y a certainement pour des raisons de traditions régionales, familiales – il y a une grande stabilité dans les votes dans certaines régions – il y a des clivages politiques au sein des partis qui ne correspondent pas du tout à la réalité. Je suis convaincue qu'un certain nombre de gens – certains maintenant commencent à réfléchir – qui ont voté socialiste en 1981 et qui véritablement, s'ils avaient lu le programme commun, n'auraient certainement pas voté socialiste. Pour le reste au sein de l'opposition je crois qu'il y a aussi des clivages qui sont liés à l'existence du gaullisme qui fait qu'il y a une strate horizontale qui se superpose à des clivages verticaux, et que la vie politique française est de ce fait suffisamment compliquée et qu'un grand parti modéré – un parti modéré, je ne sais pas s'il serait grand ou petit – ne simplifierait pas ces clivages.
Albert du Roy – Je ne crois pas me tromper, Madame, en disant que votre cote de popularité a fléchi, notamment à deux moments, au moment de loi sur l'interruption volontaire de grossesse, au moment aussi où vous avez pris la tête de liste pour les élections européennes en 1979, c'est-à-dire à deux moments où vous êtes entrée dans la vie politique très active, dans le combat politique. Est-ce que la popularité s'accommode du combat politique ?
S.V. – Je ne sais pas, je ne me suis pas posée la question. Vous me donnez là deux indications que je ne connaissais même pas. En ce qui concerne la loi sur l'avortement, je pense que ce n'est pas là une question politique, je dirai que c'est un engagement dans un débat d'idée.
A. du R. – Vous apparaissez très souvent au-dessus des querelles, et c'est une grande force...
S.V. – Je ne dis pas que je n'apparais pas comme n'ayant pas d'idées...
A. du R. – Je n'ai pas dit ça...
S.V. – Or, là, si vous voulez c'était un débat d'idées et si effectivement je souhaite peut-être en dehors de ce qu'on appelle les clivages de politique politicienne trop marqués et en tout cas être capable de faire preuve de tolérance, d'ouverture ; peut-être que je ne corresponds pas parfaitement aux clivages actuels ; en tout cas j'espère être très engagée sur le plan des idées.
A. du R. – Avant de vous interroger sur les élections européennes et sur l'Europe je voulais vous poser une question à propos d'une déclaration de l'un de vos amis politiques, M. Michel Poniatowski, qui parlait récemment dans l'hebdomadaire « Paris Match » de la politique délinquophile de M. Badinter. Que pensez vous de cette déclaration ?
S.V. – On connaît les déclarations de Michel Poniatowski. De temps en temps il a un goût un peu provocateur à utiliser des formules dont il sait qu'elles feront mouche, qu'elles seront relevées.
F.-H. de V. – Il est irresponsable ?
S.V. – Non, pas du tout, je crois que c'est une question... Je ne dis pas qu'il est irresponsable, c'est un tempérament d'aimer des formules qui provoquent, et c'est le cas. Chacun son tempérament, moi c'est le contraire, je n'ai pas le goût des formules, ou plutôt j'ai le goût des formules quand elles viennent des autres, dans certains cas, je les admire, je n'en suis pas capable. Peut-être que quelquefois elles seraient très méchantes et je préfère m'abstenir.
F.-H. de V. - Est-ce que vous considérez M. Badinter comme responsable de l'insécurité ?
S.V. - Non, je ne considère pas M. Badinter comme responsable de l'insécurité. Je dirais que les statistiques, pour autant qu'on les produise, et qui sont toujours très difficiles à manier, ne démontrent pas qu'en ce qui concerne la criminalité d'atteinte à personne il y ait une augmentation sensible compte tenu évidemment de l'évolution démographique en France ces dernières années qui fait qu'il faut tenir compte des classes d'âge puisque certaines classes d'âge sont plus délinquantes que d'autres.
Je pense qu'il y a un problème de langage. Ces problèmes me concernent beaucoup. Comme ancien magistrat je me sens impliquée. J'ai été pendant sept ans magistrat et l'administration pénitentiaire, j'ai eu conscience à l'époque des conditions extraordinairement vétustes et mauvaises qui étaient celles des prisons, quand je dis mauvaises je ne parle pas des questions matérielles. Au fond on peut dire : ce sont des délinquants, ils ne sont pas là pour être dans les meilleures conditions possibles. Je trouve que ce sont des conditions et, je crois qu'elles ne se sont pas sur ce plan améliorées qui portent atteinte à leur dignité. Je pense que quand on porte atteinte à la dignité des gens on ne favorise jamais leur reclassement, leur réinsertion. C'est un vrai problème. Je crois que telles que sont les prisons actuellement elles doivent plutôt inciter à la délinquance qu'à favoriser le reclassement.
Je sais bien que certains ne croient pas beaucoup à la possibilité de reclasser les délinquants, il y a des délinquants primaires en prison qu'on ne reverra pas, d'autres qu'on reverra, il ne faut pas avoir d'illusions. Je pense que ce sont des problèmes très difficiles que peut-être il faut traiter dans certains cas – c'est peut-être contraire à la démocratie – sans trop en parler, ou bien alors il faudrait pouvoir informer beaucoup plus. la population, mais en tout cas pour lesquels il faut faire très attention et ne pas donner le sentiment qu'il y a un déséquilibre entre l'attention portée aux délinquants et l'attention portée au reste de la population.
A. du R. – Sur le fond donc vous approuvez, c'est sur la forme que vous désapprouvez ?
S.V. – C'est extrêmement lié, la forme et le fond. Sur le fond il y a certaines mesures avec lesquelles je ne suis pas du tout d'accord mais je ne veux pas entrer dans les détails sur les dernières mesures, sur le tribunal d'application des peines ; je ne comprends pas très bien, je crois que ça ne marchait pas si mal la libération conditionnelle et qu'on va beaucoup compliquer. Je ne veux pas entrer dans un débat sur cette question mais je pense que la délinquance est un problème qu'il faut traiter avec beaucoup d'attention et en même temps en faisant très attention de ne pas donner ce sentiment qu'on est indifférent à une agressivité que la population n'accepte pas. Je crois qu'il y a eu vraiment une erreur de langage, une présentation de cette politique qui fait que même si sur beaucoup de questions je suis d'accord avec M. Badinter – je pense qu'il y avait beaucoup de choses à faire à l'égard des délinquants, pour prévenir d'ailleurs la délinquance – la population n'a pas compris et cela l'a insécurisée.
F-H. de V. – Vous dites, en y mettant des formes, que M. Badinter dessert les objectifs qu'il poursuit par la façon dont il en parle ?
S.V. – D'une certaine façon je pense qu'il ne les a pas présentés de la meilleure façon possible. Même si sur un certain nombre de points il y avait des problèmes qui se posaient.
A. du R. – Pour aborder le sujet des élections européennes, la prochaine échéance électorale en France est Juin 84. M. Chirac a dans un premier temps proposé à l'opposition une liste unique. M. Lecanuet au nom de l'UDF l'a refusée. Vous regrettez cette liste unique, est-ce que vous pensez qu'une liste unique de l'opposition est encore possible ?
S.V. – Je crois que pour l'instant on ne peut pas parler de savoir s'il y aura une liste unique ou plusieurs liste, c'est prématuré parce que nous ne sommes même pas certains du mode de scrutin. Est-ce qu'il y aura une modification ? Le bruit en a couru ; on avait parlé de listes régionales. Je pense que s'il doit y avoir des listes régionales ce sera tout-à-fait différent. Donc il est inutile de prendre des positions arrêtées sur ce plan. Et puis il y a tellement d'interrogations pour ce qui concerne l'Europe. On sait qu'il y a en ce moment non seulement pour le parlement et les élections de très grands points d'interrogation quant à l'avenir de l'Europe ; le conseil européen de Stuttgart a chargé le conseil des ministres d'une réflexion sur des problèmes très importants qui engagent l'avenir de la Communauté. Je crois que pour pouvoir faire un programme il faut attendre ce conseil européen qui doit se tenir à Athènes au mois de décembre et donc jusque-là il est très difficile de prendre des positions.
A. du R. – Il y a deux façons d'aborder en France ces élections européennes, soit c'est un vote de politique intérieure, un vote sanction du gouvernement pour ou contre le gouvernement, soit c'est un vote sur les affaires européennes. La liste unique de l'opposition va dans le premier sens, dans le sens d'un vote strictement français, ça dessert donc les ambitions européennes que sont les vôtres.
S.V. – Je ne crois pas du tout qu'une liste unique soit un choix pour un vote sanction, je ne crois pas du tout. Je crois qu'une liste unique peut parfaitement au contraire rassembler pour un grand mouvement en faveur de l'Europe, pour expliquer ce que représente actuellement le choix européen, qui fait que pour la France la dimension européenne constitue à mon sens une assurance pour l'avenir. C'est une assurance pour notre économie, pour la politique industrielle que nous devons faire, c'est une assurance non seulement pour mieux affronter ces difficultés économiques mais pour nos libertés. Pour la garantie du maintien dans un certain type de société, l'existence de la Communauté européenne, notre appartenance à cette communauté nous paraît véritablement aujourd'hui le choix essentiel. Et c'est en mobilisant toutes les forces de l'opposition que l'on pourrait faire comprendre le mieux cette nécessité d'une Europe qui nous maintient dans cette vision de société.
F.-H. de V. – Depuis 1957 elle n'a fait que décliner depuis qu'elle a été créée. Vous avez lu comme moi le rapport de Michel Albert qui a été fait à votre demande d'ailleurs, vous avez vu les chiffres effrayants sur le déclin de l'Europe depuis qu'elle existe institutionnellement.
S.V. – Je trouve que votre observation n'est pas tout-à-fait exacte. Si on regarde ce qu'étaient les pays de la communauté dans les années juste après guerre, très peu de temps avant que la Communauté européenne soit constituée. Je crois que le PIB de l'ensemble des pays de la communauté était à peu près la moitié de celui des Etats-Unis à l'époque. Or, maintenant le produit intérieur brut de l'ensemble des pays de la communauté est à peu près équivalent à celui des Etats-Unis. Je ne crois pas du tout que l'on puisse dire que l'Europe ait décliné par rapport à la situation des Etats-Unis. C'est vrai que dans les forces internationales générales, du fait de l'avènement de quantité de nouveaux pays qui ont peut dire, ne pesaient pas pratiquement dans le monde, l'Europe a moins d'importance mais si l'on compare, par rapport aux pays industrialisés, je ne pense pas que ce soit exact et c'est justement grâce à cette communauté qu'il y a eu cet enrichissement, cette expansion, cette prospérité jusqu'en 1973. Evidemment, depuis, il y a eu la crise mais certainement les six pays qui étaient dans la communauté entre 1958 et 1973 ont connu une ère de prospérité tout-à-fait exceptionnelle.
A. du R. – En parlant de l'Europe il y a quelques instants, en défendant son utilité, vous avez employé à quatre ou cinq reprises le mot assurance, sécurité. Pourtant, comment expliquez-vous alors que chaque fois qu'une catégorie socio-professionnelle est concernée par une décision ou une délibération européenne elle descend dans la rue et que c'est le désordre.
S.V. – C'est une question très intéressante parce que c'est tout-à-fait symptomatique de la situation en Europe. Je prendrai la catégorie qui est la plus, concernée par la communauté, c'est la catégorie des agriculteurs. Les agriculteurs savent parfaitement – ils le disent d'ailleurs tout à fait ouvertement dans tous les documents de la Chambre d'agriculture, je lisais encore hier une déclaration de M. de Cafarelli et de M. Guillaume ils sont très attachés à la politique agricole commune – et de ce fait je dirais que c'est sans doute la catégorie socioprofessionnelle la plus attachée à la Communauté européenne en France. Parce qu'en même temps ce sont les plus concernés, c'est-à-dire que pour les agriculteurs les grandes décisions sont prises non plus au niveau français mais à Bruxelles par le conseil des ministres ou par la commission exécutive de Bruxelles. Notamment en ce qui concerne tous les prix agricoles. Ils descendent dans la rue pour faire une espèce de pression, il descendent dans la rue non seulement à Paris mais à Bruxelles, ils vont même aussi quelquefois à Strasbourg au Parlement européen pour faire une pression afin que les prix agricoles soient les plus élevés possibles. Ils savent très bien que la politique agricole commune, que l'Europe a transformé complètement la vie des agriculteurs et que sans la Communauté européenne l'agriculture européenne aurait décliné. Et en ce moment quand on les entend c'est pour dire : surtout qu'on ne compromette pas la politique agricole commune. Il faut tout faire, il faut se battre, il faut accepter...
F.-H. de V. – Est-ce que ce serait possible de ne pas la compromettre ?
F.-V. – Oui bien sûr. Actuellement il faut prévoir certains aménagements peut-être, mais pour la maintenir et pour maintenir les principes qui sont à la base de la politique agricole commune, c'est-à-dire l'unité de marchés et la préférence donnée aux produits agricoles, et ,enfin la garantie. Bien sûr qu'il faut la maintenir. Sans cela ce serait une perte de richesse fantastique pour la France…
A. du R. – Est-ce que vous seriez favorable à une Communauté européenne de défense ?
S.V. – Tout dépend de ce qu'on appelle une Communauté européenne de défense. Je crois que tel qu'on l'entendait en 1954...
A. du R. – Une entente militaire entre les membres actuels de l'Europe...
S.V. – Vous savez, tout doucement on va de plus en plus vers une concertation en tout cas et vers des mesures qui sont en réalité des mesures de coordination qui amènent à l'idée qui a d'ailleurs été exprimée, si je me souviens bien, par le Premier ministre en septembre 81 ; à l'idée d'une défense autonome de l'Europe, c'est-à-dire de la possibilité pour l'Europe, toutes ses forces confondues et quand je dis ses forces confondues c'est-à-dire les forces de l'OTAN d'une part et les forces françaises en tant que forces spécifiques, on peut très bien concevoir une coordination des forces de défense en Europe en conservant notre propre force de dissuasion et nos forces de défense nationale, mais on n'est déjà plus dans une conception de sécurité et de défense totalement isolée. Au conseil européen de Stuttgart de juillet dernier a été adoptée une déclaration commune des dix chefs d'état et de gouvernement dans laquelle ils déclarent qu'il est souhaitable qu'il y ait une coopération politique et économique en matière de sécurité. Dès lors qu'on parle de sécurité c'est déjà un peu la défense. Par ailleurs nos lois de programmation sont déjà des lois qui envisagent une conception beaucoup plus large de la défense que celles qui étaient acceptées il y a quelques années.
Je pense que petit à petit on va sans doute aussi vers une concertation d'une part dans la direction de la défense et aussi sans doute vers une harmonisation des armements ou, en tout cas, une politique industrielle des armements. Et quand je pense aux pas qui ont été faits, en 1979, quand au Parlement européen on a discuté sur une politique industrielle des armements, tout le monde a poussé des hurlements.
F.-H. de V. – Philippe Harrouard, avez-vous des questions ? J'ai envie de vous poser une première question : est-ce que vous avez beaucoup de questions sur l'Europe ?
P.-H. – Non, très peu de questions...
F.-H. de V. – Comment analysez-vous ce manque de curiosité des Français pour les questions européennes, et ce manque d'intérêt que révèlent la plupart des sondages ?
S.V. – Je me suis posée souvent la question, sauf dans les salles spécialisées où il y a beaucoup de questions, c'est vrai qu'il est très difficile d'intéresser les Français à l'Europe. Tout d'abord je crois que l'Europe est née de l'idée de la paix, d'une réconciliation entre la France et l'Allemagne et que c'est maintenant une chose tellement acquise que plus personne n'y pense. Je dirais que l'Europe est en quelque sorte victime de son succès. Le second point c'est que les associations communautaires sont très compliquées, très abstraites. Et le troisième point qui est sans doute le principal c'est que l'Europe a beaucoup d'influence dans la vie quotidienne des Français mais ils ne le savent pas parce que cela passe toujours par des textes nationaux qui sont en quelque sorte les intermédiaires entre la législation européenne et le quotidien des Français.
Philippe Harrouard. – Mme Veil, une mise au point : les Français veulent savoir si on vous a proposé vraiment un jour la présidence d'Israël ?
S.V. – Non, on ne me l'a pas proposé. Il y a un député israélien, je crois, qui a lancé cela je pense comme une boutade dans son pays. C'est tout.
P.F. – Beaucoup de Français s'interrogent évidemment sur les problèmes économiques. La question est la suivante : que pensez vous de la situation économique à l'heure actuelle et que pensez vous des pressions fiscales du gouvernement ? La situation économique peut-elle être redressée, comment et en combien de temps ?
F.-H. de V. – Cela fait beaucoup de questions ... D'abord la pression fiscale, parlons des impôts, est-ce que la pression fiscale est devenue trop lourde en France ?
S.V. - Je crois que la pression fiscale est en train de devenir trop lourde et quand je dis trop lourde je ne veux pas parler sur le plan des sacrifices que cela représente pour les Français, mais du fait qu'elle risque d'atteindre un niveau où elle n'est plus efficace. Il faut savoir si la fiscalité est faite pour punir, sanctionner, ponctionner certaines catégories, c'est un choix politique, ou bien si elle est faite pour combler les vides qu'il y a dans le budget pour faire une certaine politique. Dans ce cas il faut que ce soit efficace et qu'elle rapporte le plus d'argent possible. Telle qu'elle est on est en train de parvenir au seuil où sont certains pays voisins...
F.-H. de V. – On n'est pas encore arrivés à la Suède...
S.V. – On n'est pas encore à la Suède. Pratiquement nous sommes maintenant comme le Danemark. Il n'y a donc plus que la Suède mais on sait très bien qu'en Suède cela a entraîné des effets pervers tout à fait catastrophiques. Le budget suédois a sans doute perdu de l'argent à vouloir avoir des impôts trop lourds.
P.H. - La situation économique peut-elle être redressée, comment et en combien de temps ?
F.-H. de V. – Et par qui, peut-être ?
P.H. – Et que peut faire l'opposition effectivement, demande-t-on également ?
S.V. – Je dirais que la situation économique pour être redressée a besoin d'abord de confiance. C'est la première chose qui me paraît essentielle, qu'on pourrait d'ailleurs déjà dire à propos de la fiscalité. Je crois que les français accepteraient mieux certains sacrifices sur le plan de la fiscalité s'ils comprenaient pourquoi on leur demande des impôts supplémentaires et surtout s'ils avaient le sentiment que la gestion est telle que cet argent sera utilisé pour tel ou tel objectif précis et qu'il ne s'agit pas simplement chaque année de rajouter encore des sommes considérables supplémentaires pour combler des trous nouveaux.
F.-H. de V. – Ce n'est pas un phénomène nouveau, Madame. Est-ce que vous avez déjà vu réduire les dépenses de l'Etat ? Du temps où vous étiez au gouvernement on ajoutait aussi des dépenses à des dépenses et la montée des prélèvements est la conséquence inévitable du fait qu'on refuse de baisser les dépenses.
S.V. – C'est exact du fait même qu'il y a une intervention de l'Etat qui est sans cesse plus grande que ses dépenses ont été accrues. Mais il y a tout de même une accélération infiniment plus importante et on a surtout le sentiment depuis deux ans, surtout la première année, qu'un certain nombre de dépenses ne correspondaient pas à des besoins et ensuite renouvelées chaque année sans qu'on puisse ensuite arrêter l'hémorragie. Mais pour en revenir à l'économie d'une façon générale, il y a un problème de confiance... Il y a un problème de confiance parce qu'il me semble qu'une des choses qui préoccupent les Français et qui entretient même un sentiment d'insécurité c'est l’ambiguïté dans laquelle nous vivons. Nous vivons dans une ambiguïté quant au système même économique et social. Est-ce qu'on veut une modification totale de la société dans laquelle nous sommes, est-ce qu'on veut en réalité accroître le sentiment de clivage entre les Français de façon à ce qu'il y ait véritablement, je ne voudrais pas reprendre le terme de lutte des classes, mais tout de même le sentiment qu'il y a des Français qui sont les bons Français avec lesquels on peut travailler parce que ce sont, eux, des travailleurs, les éléments dynamiques de la Nation, et ceux qui seraient en quelque sorte des gens qu'on supporte, qu'on tolère, qui sont les chefs d'entreprise mais qui ne font rien pour le dynamisme de la France, pour l'économie et que l'on a sans cesse dans le collimateur parce qu'ils seraient des profiteurs. Et ambiguïté sur le chemin où l'on va. J'ai été très étonnée à cet égard encore la semaine dernière de lire sous la plume du Premier ministre qu'on était obligé de s'adapter à la gestion du pays, à une société qui n'était pas celle qu'on avait choisie, qui n'était pas celle que souhaitait le parti socialiste et que souhaitait le gouvernement. Alors je dois dire que d'entendre un gouvernement qui a la charge de la gestion, de la responsabilité, expliquer qu'il est obligé de gérer dans une organisation, dans un système qui n'est pas le sien, cela demande tout de même beaucoup d'explications. On comprend que dans ces conditions ça ne puisse pas marcher, si effectivement le gouvernement estime que la société dans laquelle nous sommes et dans laquelle il prend toutes les décisions n'est pas le type de société dans lequel il peut vivre, il y a évidemment des hiatus. Je voudrais à ce moment là poser la question : dans quel type de société veut nous faire vivre le gouvernement ? Et ce sont ces ambiguïtés qui pèsent terriblement.
F.-H. de V. – M. Mauroy aura l'occasion de vous répondre demain puisqu'il fait sa rentrée politique sur Antenne-2 Midi à 12 h 45.
S.V. – Je crois qu'il y a là une ambiguïté profonde et qui fait que lorsqu'on veut rétablir l'économie la première chose c'est de rétablir la confiance et de savoir où on va, de dire à tous ceux qui sont les actifs, les partenaires de cette économie, qui en sont les agents les plus dynamiques, quelle est la voie dans laquelle la France est engagée.
P.H. – Une question extrêmement classique qui revient très souvent, « vous présenterez-vous un jour aux élections présidentielles, accepteriez-vous également de » devenir premier ministre, on dit quelquefois de M. Mitterrand, quelquefois de M. Chirac, quelquefois d'un autre président ?
S.V. – Pour ce qui concerne la première question je dirais que l'opposition a des candidats qui sont des candidats déclarés ou non déclarés mais qui sont très clairs pour l'opinion, je crois qu'il y en a suffisamment pour qu'il n'y en ait pas de supplémentaires. Pour ce qui concerne le poste de premier ministre, je dois dire que je ne vois pas dans la situation actuelle d'éventualité même possible de responsabilités de premier ministre.
F-H. de V. – Vous serez candidates aux législatives de 86 ?
S.V. – Je ne sais pas, je ne pense pas. Je pense que je serai au Parlement européen. Je ne pense pas. Je n'en sais rien.
P.H. – Une question qui porte également sur les problèmes économiques avez-vous une solution à nous proposer pour le problème des faux chômeurs ?
S.V. – Le problème des faux chômeurs est difficile parce qu'ils ont en réalité très souvent une couverture de vrais chômeurs. Sans doute il faudrait arriver des solutions comme certains de nos voisins, la République fédérale d'Allemagne, qui les ont amenés à être beaucoup plus rigoureux dans l'obligation d'accepter telle ou telle situation qui leur est proposée et dans les contrôles. En Belgique les chômeurs, je crois, doivent se présenter tous les jours. Tous les jours est peut-être une solution très rigoureuse et compte tenu d'ailleurs de l'organisation française de l'agence de l'emploi et du contrôle du chômage ce serait difficile mais je crois qu'il faut véritablement arriver à ce que les chômeurs ne soient pas en même temps des travailleurs au noir et qui donc grèvent en quelque sorte à double titre notre système social puisque d'une part ils touchent des allocations de chômage auxquelles ils n'ont pas droit et que, d'autre part ils ne payent pas leurs cotisations sociale en tant que travailleurs, c'est donc là une question de contrôle. A cet égard je crois que les mesures qui ont été prises pour dégager en quelque sorte des listes de chômage les travailleurs qui manifestement étant handicapés ne trouveront pas de travail est une bonne solution. Je souligne d'ailleurs que tout ce qui a été fait par l'ancienne majorité pour essayer de mieux contrôler le chômage avait toujours été terriblement critiqué par la majorité d'aujourd'hui qui essaye pourtant à son tour de se saisir de ce problème. C'est un des moindres exemples dans lesquels biens des questions auraient pu être beaucoup mieux prises en compte si la majorité d'aujourd'hui n'avait pas été dans une opposition systématique empêchant toute amélioration de la situation.
P.H. – Après vous avoir entendue pendant plus d'une heure un téléspectateur se demande finalement vous vous situez à droite ou à gauche ?
S.V.– Je crois que ce qui est important aujourd'hui c'est de dire qu'on est attaché à un certain type de liberté et que les clivages droite-gauche qui se retrouvent c'est vrai sur des problèmes sont de faux clivages. Ils peuvent être différents selon les problèmes qui se posent. Je me sens à gauche sur certaines questions, pour me référer aux clivages traditionnels, à droite sur d'autres mais que ce n'est pas ça qui est important. C'est véritablement le clivage liberté, type de société démocratique, pluralisme ou au contraire totalitarisme qui est important.