Interviews de M. Charles Millon, président du groupe parlementaire UDF à l'Assemblée nationale, à RTL le 27 août et Europe 1 le 20 septembre 1993, sur les élections européennes 1994, la négociation du GATT et la politique gouvernementale.

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Média : Europe 1 - RTL

Texte intégral

J.-M. Lefèvre : L'hypothèse d'une liste commune RPR – UDF menée par A. Juppé pour les Européennes, ne vous a pas enthousiasmé ?

C. Millon : Le problème ne se pose pas ainsi. L'UDF a une position extrêmement claire, elle souhaite que durant les semaines et les mois à venir, on se mette d'accord sur un projet européen qu'on présentera aux électeurs français lors de la prochaine consultation. Une fois ce projet défini nous souhaitons qu'il soit établi en coordination avec les parties partenaires des autres pays européens, par exemple la CDU allemande, il faut qu'il puisse être réalisé, soutenu ou mis en œuvre durant les cinq ans du mandat des parlementaires européens. Une fois ce projet défini, à partir de ce moment-là, il sera temps de s'interroger sur la composition de la liste européenne et de la tête de liste qui mènera le combat électoral.

J.-M. Lefèvre : Mais sur le principe, l'UDF ayant été tête de liste en 89, le RPR devrait l'être en 94 ?

C. Millon : Ne mettons pas la charrue avant les bœufs. Interrogeons-nous sur le projet européen. Après, je pense que le reste viendra par surcroît.

J.-M. Lefèvre : Mais comment expliquez-vous l'annonce de cette hypothèse dans le contexte actuel ?

C. Millon : Il faut interrogez l'entourage d'E. Balladur. C'est lui qui a selon toute vraisemblance, lancé la candidature d'A. Juppé. Il faut interroger sur le pourquoi de cette annonce.

J.-M. Lefèvre : Vous parlez d'un programme européen, mais on a déjà vu au moment de Maastricht qu'il y avait un profond malaise. Est-ce que l'idée européenne ne va pas être plus mise à mal par les électeurs ?

C. Millon : L'UDF pense aujourd'hui que l'Europe ne souffre pas de trop d'Europe mais de pas assez. On le constate en Bosnie-Herzégovine, on s'aperçoit qu'il y a des atteintes aux droits de l'homme, à la dignité de la personne, une guerre civile, sans que l'Europe ne puisse intervenir, sans qu'elle ne puisse garantir la sécurité. C'est bien la démonstration qu'il est nécessaire de réfléchir à une politique de sécurité ou à une politique des affaires étrangères pour l'Europe toute entière. La deuxième constatation, c'est que face à la tempête monétaire et à la spéculation mondiale qui s'est développée durant ces dernières semaines, on a vu une Europe quelque peu désarmée. Et c'est la raison pour laquelle nous pensons qu'il convient aujourd'hui d'établir un projet européen qui permette à l'Europe de franchir des étapes décisives. Et c'est à partir de ce projet européen qu'on pourra discuter ensuite de la proposition de la liste européenne et de la tête de liste.

J.-M. Lefèvre : Est-ce que vous estimez qu'avec le RPR, les convergences l'emportent sur les divergences ?

C. Millon : Il faudrait d'abord discuter. Je crois qu'avec un certain nombre de leaders politiques du RPR, je pense à A. Juppé et J. Chirac, nous avons fait campagne pour l'adoption du Traité de Maastricht, donc je pense qu'il y ait eu depuis des modifications importantes pour qu'aujourd'hui nous ayons un point de vue différent. Donc, à nous maintenant de nous mettre autour d'une table, de définir le projet européen, de se coordonner avec les autres partis des autres pays.

J.-M. Lefèvre : Mais vous reconnaissez que les derniers évènements vont rendre votre tâche encore plus difficile ?

C. Millon : Ce n'est pas parce que la tâche est difficile qu'elle ne doit pas être mise en œuvre. Aujourd'hui, un problème est posé à la France et à tous les pays européens, c'est de savoir comment on va gérer l'avenir, quelle va être notre conception de la souveraineté nationale, notre conception de l'identité européenne. C'est des réponses qu'il convient de donner. Et c'est la raison pour laquelle l'UDF commencera dès demain à faire un certain nombre de propositions.

J.-M. Lefèvre : Dans votre discours vous avez parlé d'un sentiment d'échec relatif de la majorité ?

C. Millon : Pas du tout. J'ai fait un discours dans lequel je ne me suis pas placé dans la conjoncture de la politique actuelle. J'ai rappelé en introduction que nous faisions partie de la majorité, que nous soutenions le gouvernement sans réticence, gouvernement auquel sont associés un certain nombre de nos amis. J'ai simplement parlé de la crise à laquelle sont confrontés tous les pays européens et tous les pays occidentaux. Et à partir de cette analyse, je constate un certain sentiment de lassitude chez nos concitoyens, un sentiment d'incompréhension qui s'explique par un chômage qu'en arrive à mal maîtriser, qui s'explique par une construction européenne qui n'est pas très lisible et qui s'explique aussi par une politique de l'aménagement du territoire qui est encore balbutiante. Et je crois que la réponse politique, c'est-à-dire qu'il faut impliquer le citoyen et que soit lui qui puisse prendre ses responsabilités.

J.-M. Lefèvre : Et vous pensez qu'E. Balladur a la réponse appropriée pour faire face à ce sentiment de lassitude ?

C. Millon : Le gouvernement actuel a déjà engagé un certain nombre de réformes importantes. Il a déjà relancé la politique de l'aménagement du territoire et ça me parait important. Maintenant, il faut l'accompagner et aller plus loin pour pouvoir impliquer le citoyen. À l'occasion d'une nouvelle politique d'aménagement du territoire, on pourra faire émerger une nouvelle citoyenneté. Le gouvernement a bien montré son attachement à la construction européenne. Je crois qu'E. Balladur l'a confirmé hier à Bonn et que là aussi nous voulons que des étapes supplémentaires soient franchies. Et enfin, dans le domaine de la politique économique ou de la politique de l'emploi, il convient de faire une véritable révolution industrielle. Au lieu d'indemniser le chômage ou au lieu de se poser toujours le problème de savoir comment faire face à des situations de non-emploi, savoir comment provoquer la création d'emplois. La France souffre plus du manque d'entrepreneurs que de trop de chômeurs.

 

20 septembre 1993
Europe 1

J.-P. Elkabbach : Paris avait demandé la réunion du Conseil de Bruxelles aujourd'hui. E. Balladur refuse le préaccord de Blair House, sinon : la crise. Le gouvernement a-t-il choisi la meilleure stratégie dans cette affaire ?

C. Millon : Oui. L'accord de Blair House est inacceptable. Il convient de retrouver une solidarité européenne en face des Américains. Le problème actuel du GATT, c'est le problème de l'Europe. Il n'est pas possible qu'à travers le GATT, on casse l'Europe. J'approuve totalement E. Balladur et son gouvernement : il faut tout mettre en œuvre de façon à protéger l'Europe face aux États-Unis. Il faut qu'à Bruxelles nos partenaires nous aident pour protéger l'Europe et négocier en force avec les Américains.

J.-P. Elkabbach : Si la France n'y parvient pas, comprendriez-vous qu'elle ait recours au compromis de Luxembourg ?

C. Millon : Je comprendrais qu'on utilise à la dernière des extrémités. L'Europe est notre trésor le plus précieux. Il ne faut pas déstabiliser l'Europe, voire la casser, à travers une telle négociation.

J.-P. Elkabbach : Si la France n'y parvient pas, comprendriez-vous qu'elle ait recours au compromis de Luxembourg ?

C. Millon : Je comprendrais qu'on utilise à la dernière des extrémités. L'Europe est notre trésor le plus précieux. Il ne faut pas déstabiliser l'Europe, voire la casser, à travers une telle négociation.

J.-P. Elkabbach : Vous savez quelle Europe vous voulez encore au sein de la majorité ?

C. Millon : C'est évident. Les évènements parlent d'eux-mêmes : il faut être de mauvaise foi pour ne pas comprendre aujourd'hui que la France et le monde souffrent de trop peu d'Europe et non pas de trop d'Europe ?

J.-P. Elkabbach : L'Europe reste une grande ambition ?

C. Millon : Les évènements démontrent que l'Europe a besoin d'une nouvelle étape. Elle a besoin d'un pouvoir politique. On a vu des fonctionnaires européens, lors du GATT et de l'accord de Blair House, aller négocier. On reproche aujourd'hui que le pouvoir politique n'ait pas assuré son contrôle. On est comme une mairie où le secrétaire général de mairie aurait négocié des accords sans que le maire ait été tenu au courant et mis d'accord.  C'est pourquoi je souhaite qu'il y ait un vrai pouvoir politique européen. C'est toute la réflexion qu'il convient de mener.

J.-P. Elkabbach : Vous auriez vidé le secrétaire de mairie ?

C. Millon : J'aurai demandé au maire d'être présent. C'est pourquoi il faut réfléchir à un exercice fédéral des compétences européennes.

J.-P. Elkabbach : Vous soutenez le gouvernement dans cette affaire ?

C. Millon : Je soutiens le gouvernement dans cette affaire pour que l'Europe se renforce et que les États-Unis comprennent qu'il n'y a pas de porte possible pour une domination américaine dans les négociations agricoles.

J.-P. Elkabbach : Certains au sein de la majorité recherchent la crise. Ne tombez-vous pas dans un piège ?

C. Millon : Non. Il y a des intérêts supérieurs de la France. Il ne faut pas confondre de petites affaires politiciennes internes avec le grand projet européen que le gouvernement essaie de porter.

J.-P. Elkabbach : Vous ne niez pas qu'il puisse y avoir un piège politique ?

C. Millon : C'est évident. Le problème, c'est que si on a une vision à long terme, on évitera ces petits pièges.

J.-P. Elkabbach : Quel est votre sentiment sur les licenciements annoncés la semaine dernière au même moment que l'examen en Conseil des ministres du projet de loi quinquennale sur l'emploi ?

C. Millon : Il convient de demander à tous les responsables politiques et économiques dans le domaine douloureux de l'emploi d'anticiper. Ce qui a choqué tout le monde, c'est qu'on puisse apprendre en une journée 13 à 17 000 licenciements dans des entreprises publiques ou privées. Les entreprises publiques ou privées subissent les mêmes contraintes. Ce n'est pas vis-à-vis de tel ou tel que je me tournerai pour émettre des critiques. Il faut anticiper. Quand on licencie, il faut qu'il y ait des plans de reconversion, des plans de formation des plans de réinsertion. C'est tout le problème de la mutation économique.

J.-P. Elkabbach : V. Giscard d'Estaing disait que le gouvernement sous-estime la gravité de la crise. Le pensez-vous ? Donnez-vous une bonne note au gouvernement, vous qui ne cessez d'émettre des critiques à son encore ?

C. Millon : Je donne une bonne note au gouvernement. Il a su assumer ses responsabilités face aux évènements. On l'a vu lors de la crise monétaire. On le voit aujourd'hui à travers la crise agricole. La seule question qui se pose, c'est de savoir quelles mesures il convient de mettre en œuvre pour juguler le chômage et préparer un redressement de la France. Ce sont des réformes hardies qu'il convient de mettre en œuvre. Il y a peut-être parfois un certain nombre de ministres qui hésitent. L'hésitation n'est pas possible. La timidité non plus. Les Français nous font confiance. Ils donnent au gouvernement et au Premier ministre une très large popularité. Il serait impardonnable de ne pas répondre à l'attente des Français par des réformes hardies et audacieuses.

J.-P. Elkabbach : C. Pasqua veut relancer les primaires. Qu'en pensez-vous ?

C. Millon : Chaque jour suffit sa peine. On ne va pas commencer à parler des présidentielles deux ans avant l'échéance ! J'ai fait connaître mon point de vue. Il y a deux grandes formations politiques à droite. Elles ont vocation à présenter un candidat. On verra après comment on se présentera devant les Français. Ce pourra être des primaires, ce peut-être un premier tour avec deux candidats, un second tour avec un candidat unique.