Interview de M. Jack Lang, membre du bureau national du PS, dans "Le Journal du dimanche" du 12 avril 1998, sur les réformes institutionnelles, notamment le cumul des mandats, le mode de scrutin, la représentativité des femmes et des jeunes dans la vie politique.

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Média : Le Journal du Dimanche

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Q – La Ve République a quarante ans. La France doit-elle changer de République ?

– Changer de république : non. Changer la république : oui. Un changement profond et pas seulement un ravaudage ou un ripolinage.

Les institutions, en 1958, ont introduit une conception autoritaire, voire bonapartiste, dans notre république. Pour guérir l'instabilité gouvernementale de la IVe République, on a instauré une hypertrophie de l'exécutif. Depuis lors, l'idée même d'une simple modification de la Constitution a été considérée comme un sacrilège. Valéry Giscard d'Estaing a ouvert une brèche en reconnaissant le droit de saisine du Conseil constitutionnel aux parlementaires, ce qui a donné naissance à une jurisprudence nouvelle. Je regrette que la proposition de François Mitterrand d'accorder ce droit de saisine aux citoyens eux-mêmes ait été bloquée par le Sénat.

Le mérite revient à Lionel Jospin d'avoir, dès sa campagne présidentielle, retenu comme axe d'une politique nouvelle la rénovation de la démocratie.

Aujourd'hui une chance historique se présente. Le président de la République, même s'il est l'héritier d'une famille de pensée longtemps attachée au maintien intégral des lois sacrées de 1958, accepte la nécessité d'une adaptation. Les deux familles de pensée, la droite et la gauche, peuvent se rejoindre pour refonder la maison commune, notre république. Comme le montrent les exemples américains et anglais, une Constitution ne dure que si elle épouse son temps et les aspirations de son peuple.

Q – Comment rapprocher les Français de leurs élus, de leurs responsables, de leurs institutions ?

– La seule question qu'on devrait se poser, c'est bien celle-là ! Les réformes doivent partir de la double volonté de mieux faire participer les citoyens à la vie publique et de protéger plus efficacement leurs droits individuels et collectifs. Les citoyens doivent être au coeur de ce changement.

Dans notre pays, l'État de droit est encore fragmentaire. Face à l'administration, à la justice, à la toute-puissance patronale, les droits individuels ne sont pas réellement garantis. La réforme de la justice engagée avec talent par Élisabeth Guigou ouvre beaucoup de voies, mais cela ne suffira pas. Il faut en finir avec les gardes à vue humiliantes qui portent atteinte aux principes constitutionnels et au premier des Droits de l'homme : le droit à la dignité. Il est inadmissible que la police puisse s'emparer de quelqu'un, le menotter, le déshabiller, le frapper, l'humilier. Il faut en finir avec ces gardes à vue d'un autre âge. Il faut aussi envisager deux mesures de fond. D'abord reprendre l'idée qu'à l'occasion d'un procès un citoyen puisse, comme cela se fait ailleurs, saisir le Conseil constitutionnel pour contester une loi qu'il juge contraire à ses droits et libertés. Il faut d'autre part créer un poste de « super-médiateur » ou de « protecteur des citoyens », qui pourrait être saisi directement par chacun et servir d'ultime recours en équité en cas de conflit avec une administration. On doit compléter ce dispositif par un « médiateur des enfants », qui pourrait être, lui, saisi par un enfant ou toute personne témoin d'une violence aux enfants.

Au-delà, un certain nombre de changements politiques sont indispensables. D'abord il faut que les assemblées (conseils municipaux, généraux, régionaux et Parlement) disposent de vrais moyens et de vrais pouvoirs de contrôle. Pour l'heure, à tous les échelons, le système est marqué par la toute-puissance de l'exécutif, du maire au Président de la République. Sans compter les entreprises où le patron est le chef souverain. Toute notre société s'organise de façon verticale : c'est le royaume des chefs et des sous-chefs. Quand les parlementaires des autres pays européens viennent à Paris, ils n'en croient pas leurs yeux que leurs collègues français n'aient pas la maîtrise de l'ordre du jour et soient dépossédés de la souveraineté législative. Ils ne comprennent pas non plus que notre Parlement soit aussi démuni de moyens de contrôle sur l'administration et l'exécutif.

Il faut d'autre part que les citoyens puissent choisir leurs représentants selon un mode de scrutin lisible et pour des durées raisonnables. Que l'on ne vienne pas pleurnicher sur l'abstention ! C'est merveilleux que les Français aient voté si nombreux aux élections cantonales et régionales alors que les modes de scrutin étaient « imbitables » ! Et comme nous sommes par ailleurs le pays champion des scrutins indirects, nous avons des notables choisis par des notables ! C'est ainsi qu'ont été maintenus en place les mêmes caciques pendant vingt ou trente ans. Et que dire du Sénat : une pièce d'archéologie constitutionnelle digne de l'Ancien Régime !

D'où la nécessité d'effectuer en urgence et simultanément trois réformes si on veut donner la parole aux citoyens. D'abord supprimer radicalement le cumul des mandats. Ensuite généraliser le mode de scrutin municipal à tous les échelons. Enfin, puisque la légitimité c'est le peuple, il faut que les élus reviennent plus souvent devant les électeurs, que la durée des mandats des élus raccourcisse. J'avais plaidé au PS pour une durée de quatre ans. Certains s'en sont inquiétés. Le chancelier Kohl a-t-il été affaibli par ses réélections tous les quatre ans ? Je pense qu'au contraire il a été renforcé. Le Premier ministre Lionel Jospin s'est engagé à généraliser à cinq ans la durée de tous les mandats, c'est une très bonne chose. Toutes ces réformes sont indissociables. L'horlogerie constitutionnelle est fragile : si l'on retire une pièce, il faut réadapter les autres.

Q – Qu'est-ce que la parité et comment l'appliquer ?

– Actuellement, les pouvoirs sont monopolisés par un petit groupe de mâles appartenant souvent au même cercle de dirigeants. Il est donc vital d'ouvrir grandes les portes à l'ensemble des citoyens, et naturellement aux femmes.

Il faudrait aussi, et là la question n'est jamais posée, que les jeunes se sentent eux aussi représentés et, en tout cas, entendus. Pierre Mendès-France avait demandé la création auprès de chacun des ministres d'un comité de jeunes.

Q – Faut-il réformer les institutions par référendum ?

– Certaines de ces réformes peuvent venir de la pratique : le gouvernement et les assemblées pourraient, par consentement mutuel, redonner au Parlement des moyens et un rôle. D'autres peuvent procéder de lois simples ou organiques : le cumul des mandats, par exemple. Certaines réclament une révision constitutionnelle. L'idéal serait que le Premier ministre puisse proposer un plan d'ensemble recevant l'agrément du Président et que la Constitution soit révisée par le Congrès ou par référendum.

Q – S'il s'agit de donner plus de pouvoir aux citoyens, le référendum a plus de valeur.

– C'est vrai que le référendum sur le traité de Maastricht a permis au pays de débattre des grandes questions européennes. S'il y avait un référendum sur le rajeunissement de nos institutions, ce serait l'occasion d'un grand débat national. Et, vous avez raison, ce serait une bonne manière de signifier que l'on est enfin décidé à faire des citoyens les premiers acteurs de la vie publique.