Interview de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO, à RTL le 31 mars 1998, sur la situation économique et sociale, le chômage, la position du CNPF sur le projet de loi sur la réduction du temps de travail et la nécessité de reprendre la négociation pour réduire le chômage.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

J.-P. Defrain
Vous soutenez le mouvement des enseignants et des lycéens venus manifester cet après-midi à Paris pour obtenir de meilleures conditions de travail ?

Marc Blondel
- « Ce ne sont pas simplement de meilleures conditions de travail. Il se trouve que j'habite la Seine-Saint-Denis et je connais bien la situation. Je crois même que nous avons été les premiers à dénoncer notamment le manque de médecins. Il y a des enfants qui sont consultés à l'âge de six ans et on les revoit après, lorsqu'ils sont en 5ème, c'est-à-dire dix ans après. C'est quand même, le moins qu'on puisse dire, insuffisant. Nous pensions d'ailleurs que c‘était aussi peut-être un moyen de rééquilibrer le nombre de médecins, de les réaffecter ; et puis il y a des manques de postes. En Seine-Saint-Denis il y a une certaine notion du mal vivre, Nous en sommes à la deuxième génération de chômeurs. »
 
J.-P. Defrain
Vous parlez du mal vivre. Il y a eu des incidents cet après-midi, des jeunes dans la rue. D'une manière générale que pensez-vous du climat social actuel ?

Marc Blondel
- « Je ne pense quand même pas - sous réserve de vérifications - que ce soient les manifestants qui se soient mal comportés, d’autant plus qu'il y avait là les enseignants. Je suppose donc que ça a été plutôt cadré. Mais il peut se faire, qu'à l'occasion de manifestation - nous connaissons cela -, gens qui profitent de l'occasion s'agglutinent Mais là aussi il faut bien comprendre que c'est une façon de faire de gens qui ne se considèrent plus comme étant intégrés dans la société. A partir de ce moment-là je crois, compte tenu de la persistance du chômage, il y a des gens, marginaux, qui se comportent plus au moins brutalement »
 
J.-P. Defrain
Le chômage baisse de 0,2 % en février.

Marc Blondel
- « Bravo. J'aurais mieux aimé que ce soit de 2 %. Il y a une légère tendance à la baisse, c'est vrai. On peut même espérer qu'on va tomber en dessous de 5 millions. Je m'en félicite, mais c'est insuffisant par rapport à la réalité. »

J.-P. Defrain
C'est de l'ironie, face au travail du Gouvernement, que vous faites ?

Marc Blondel
- « Non, d'ailleurs parce que le Gouvernement n'a pas l'air de se féliciter du résultat. Je ne l'ai pas entendu dire: bravo, bravo, c'est grâce à nous que ça descend. Je dis au Gouvernement qu'il faut aller plus vite. J'espère que les relations qui ont été reprises avec le patronat permettront d'ouvrir les négociations pour que nous mettions en place ce que nous avions abordé à l'occasion du 10 octobre, c'est-à-dire en fait toute une série d'éléments qui pourraient peser immédiatement sur l'emploi, et essayer de favoriser une régression qu'il faudrait au moins de l'ordre de 550 000, voire 400 000 pour que ce soit significatif et que ça ait des effets à la fois sur l'économie et sur le comportement psychologique des gens. »

J.-P. Defrain
Reste que cela n'efface pas la hausse des demandeurs d'emploi ayant deux ou trois ans d'ancienneté de chômage ? A quoi attribuez-vous cette situation ?

Marc Blondel
- « C'est la grosse catastrophe. On peut attribuer cela à deux choses. La première c'est que les entreprises n'embauchent plus les gens qui ont plus de 50 ans et aussi, d'une certaine façon, les gens qui ont plus de 50 ans savent qu'on ne les embauchera plus, ce qui fait qu'il y a une espèce de conjonction qui fait que cette situation est difficile. C'est la raison pour laquelle je pense, notamment, que les effets d'âge doivent jouer rapidement et je sais qu'hier le Premier ministre a dit à M. Seillière qu'il ne comprenait pas pourquoi on n'avance plus rapidement dans le système de l'ARPE. Je vous ai déjà dit que j'avais lancé l'idée que les gens qui avaient commencé à travailler à 14 et 15 ans, 40 ans de cotisation, il fallait les sortir sous condition d'embauche immédiatement. Il y avait des fonds qui avaient été affectés à ce genre de choses. Par manque de concertations, de négociations et de relations avec le patronat ça ne fonctionne pas. Les responsabilités vont finir par se dégager. Moi j'insiste, il faut le faire, vite. Je pense qu'on pourrait toucher 150 000 emplois. Ce n'est pas négligeable sur les 500 ou 400 000 qu'il faudrait. Attention, on parle de créations d'emplois et on indique que Panasonic ferme. Panasonic c'est la Moselle mais c'est aussi la Seine-Saint-Denis au passage. Ça veut dire que même en faisant un effort et en créant des emplois, en rendant disponibles des emplois est-ce que ça sera suffisant pour le nombre d'emplois qui disparaît encore en ce moment ? Je pense à la défense, au Giat, etc. Ça veut dire que si l'aérospatiale repart bien par exemple, il va y avoir un peu d'embauches, mais il ne faut pas que cela soit annihilé par la fermeture d'entreprise. »

J.-P. Defrain
La baisse du chômage par les 35 heures ?

Marc Blondel
- « Je n'aime pas cette présentation… La baisse du chômage par les 55 heures, qu’est-ce que ça veut dire ? On en a discuté plusieurs fois. On n'est pas sûr que les effets seront arithmétiques. Moi, je pense que la baisse du temps de travail est un des éléments. Si on fait de l'annualisation à outrance c'est un élément contradictoire parce que l'annualisation c'est fait pour éviter d'embaucher. Si on doit faire un effort considérable pour essayer de créer des emplois par la réduction de la durée du travail, il faut maintenir le pouvoir d'achat, il faut éviter de mettre trop de souplesse parce que, sinon, ça va nuire à l'orientation que nous avons donnée. »

J.-P. Defrain
Le fait que le président du CNPF se soit rendu à Matignon Rencontrer M. Jospin, ça veut dire que les fils sont renoués avec les partenaires sociaux ?

Marc Blondel
- « Je n'en sais rien. Moi j'ai souvent dit et je répète que je ne crois pas que M. Seillière soit l'homme de ses déclarations, tout simplement parce que j'ai eu l'occasion de le voir et qu'il m'a semblé plus ouvert, au moins dans le contact que j'ai eu - j'ai peut-être été un privilégié - que dans ses déclarations qui étaient très idéologiques. Il dénonçait les conventions collectives, il disait à toutes les branches de ne pas négocier. »

J.-P. Defrain
Il est revenu sur ces propos.

Marc Blondel
- « Il a vu le Premier ministre, il semble qu'au moins il se soit rendu compte qu'en matière de décision la durée légale sera de 55 heures parce que telle est la loi, eh bien maintenant il faut qu'il soit réaliste et qu’il accepte la négociation. Plus nous négocierons rapidement et de manière dynamique, plus nous aurons des effets sur l'emploi. Si nous persistons, eh bien ça va continuer. Ça va coûter cher parce qu'il va y avoir des interventions étatiques et nous n'irons pas vers l’objectif que nous nous sommes fixé. Or le patronat aussi a intérêt à ce qu'il y ait moins de chômage. Moins il y aura de chômage moins ça coûtera. »

J.-P. Defrain
Le 1er mai sera unitaire, mais on dit qu'il y aura pas Force Ouvrière ?
 
Marc Blondel
- « Tous les ans on parle d'un 1er mai unitaire. Je vais vous dire tout simplement que nous avons eu quelques avatars à l’Union départementale de Paris. Eh bien mes amis ont décidé de faire un 1er mai seuls. Ils veulent montrer que l'Union départementale de Paris vit et vit bien, et qu'elle se développe. Nous ferons donc un 1er mai seuls à Paris. Nous ferons d'autres 1er mai en province. Je vous rappelle que le 1er mai, cette année, c'est aussi l'anniversaire du 1er congrès de Force ouvrière après la scission, il y a 50 ans. »