Texte intégral
Minute : Le week-end dernier, trois élections législatives partielles se sont déroulées. Elles ont constitué autant de tests. Notamment dans la XIXe circonscription de Paris. Comment interprétez-vous leurs résultats ?
Jean-Marie Le Pen : Elles démontrent que, s'il y avait aujourd'hui une dissolution de l'Assemblée nationale, et en tenant compte de la ligne politique d'exclusion maintenue contre le Front national, plus de la moitié des députés de la majorité seraient battus. Ces élections législatives partielles montrent par ailleurs que les sondages ne correspondent pas à la réalité des urnes. C'est du reste démontré à chaque élection. On voit que les personnalités qui caracolent en tête des sondages, comme par exemple ceux du « Figaro Magazine » n'obtiennent jamais les mêmes à la sortie des urnes. Ces sondages sont probablement corrigés dans quelque cabinet noir !
On aura aussi noté l'importance du pourcentage des abstentions. Elle indique le discrédit de la fonction politique dans le pays et contraste avec la prétendue cote de faveur de M. Balladur. La défaite de madame Pierre-Bloch, soutenue par l'ensemble du gotha de la majorité, est la preuve que la confiance dans les institutions est elle-même touchée gravement. Puisque le Parlement se révèle impuissant, que le gouvernement recule devant toutes les difficultés, je ne vois pas pourquoi le peuple leur ferait confiance. Je crois qu'il y a là une évolution qui est en cours dans l'esprit public, une sorte de mutation secrète qui un jour va prendre toute sa mesure. Souvent, en politique, le mur qui paraissait intact écroule brusquement.
Minute : Selon un sondage Sofres largement repris dans les médias, les thèses du Front national connaîtraient un recul sensible dans l'opinion publique. Que pensez-vous de ce sondage et de la manière dont il a été présenté ?
Jean-Marie le Pen : Je crois que cette partie du sondage n'est pas entièrement inexacte. Cela est lié au fait que ceux qui, comme nous, mettent les priorités nationales à l'ordre du jour, sont musclés. Le Front national subissant le boycott depuis plus d'un an de tous les grands médias, le débat officiel se limite désormais à celui des partis de l'établissement. Quand on empêche les Français d'être informés sur un certain nombre de problèmes, on n'en a pas l'écho dans un sondage. Je me demande aussi comment les sondeurs ont pu déterminer qui est électeur du Front national. J'aimerais bien que M. Jérôme Jaffé me fasse connaître la manière dont son sondage a été mené.
Il serait par ailleurs intéressant de savoir quel en serait le résultat avec la petite percée médiatique que nous a valu notre congrès. Ce sondage est également à rapprocher du résultat du candidat du Front national à Paris qui a obtenu près de 15 % au premier tour malgré la présence de deux candidats parasites destinés à lui enlever des voix.
Je note que beaucoup d'observateurs dans la presse et de politologues le Front national conserve son potentiel.
Le seul sondage en vraie grandeur concernant l'adhésion de l'opinion publique aux thèses du Front national a été le résultat des élections législatives de mars 1993, il y a à peine un an, qui a vu notre mouvement obtenir 12,5 % des voix en moyenne nationale. Je note que beaucoup d'observateurs dans la presse et de politologues considèrent que le Front national, malgré son exclusion médiatique, conserve son potentiel. Je pense, moi, qu'il l'améliore. On le verra aux prochaines cantonales.
Minute : « Le Monde » de samedi dernier dit que vous voulez limiter l'influence de Bruno Mégret. Est-ce le cas ?
Jean-Marie Le Pen : Bruno Mégret est délégué général du Front national. Sa fonction est directement liée à la présidence du mouvement. Par conséquent, je ne vois pas pourquoi j'aurais intérêt à limiter l'activité de Bruno Mégret. Nous avons vu au congrès qu'il a tout à fait répondu à mon appel de ne tenir aucun compte des petites rivalités ou des velléités claniques qui avaient pu se révéler. Je trouve même extraordinaire que dans des élections qui ont été scrupuleusement surveillées, y compris par un huissier. Carl Lang et Bruno Mégret aient obtenu exactement le même nombre de voix. Et que celui-ci corresponde exactement à la date de naissance du Front national : 1972 ! Le congrès a donné là une démonstration de sagesse politique exceptionnelle et personnellement j'en suis ravi. Il a balayé toutes les velléités qui avaient pu se manifester dans le mouvement et a montré qu'il respectait les équilibres des différentes tendances. Si tant est que ces tendances jouent un rôle dans notre mouvement.
Minute : Quels reproches adressez-vous au gouvernement d'Édouard Balladur ?
Jean-Marie Le Pen : Je lui reproche son inexistence, son immobilisme et son impuissance. Je lui reproche en outre de ne pas faire respecter l'autorité de (…). Celle-ci est battue en brèche aussi bien sur le plan national que sur le plan international. Sur celui-ci, c'est la conséquence logique de l'abandon de souveraineté qui a été consenti dans le traité de Maastricht. Et nous n'en sommes qu'au début. On va vite découvrir que le gouvernement et le parlement français sont désormais placés sous l'autorité de Bruxelles et du parlement français Je lui reproche enfin, face à un organisme qui n'a pas de légitimité démocratique, le Conseil constitutionnel, et face à la rue, de capituler toutes les fois qu'il craint que la force de la loi puisse déclencher une situation de violence.
Minute : Cependant, toujours selon le sondage de la Sofres, un tiers des électeurs du Front national aimeraient voir votre parti soutenir le Premier ministre. Que répondez-vous ?
Jean-Marie Le Pen : Ce n'est absolument pas possible. D'abord, encore une fois, je ne sais pas comment la Sofres peut savoir qui est électeur du Front national. Ensuite, la politique immobiliste de M. Balladur est contraire à notre exigence de solutions concrètes et précises aux grands problèmes de la nation : l'immigration, l'insécurité, le chômage, le fiscalisme, le laxisme moral et politique. Nous sommes en désaccord à peu près total sur la politique que fait – je devrais plutôt dire, que ne fait pas M. Balladur.
Minute : Croyez-vous à une élection présidentielle anticipée ? Et à des législatives anticipées ?
Jean-Marie Le Pen : Nous vivons toujours, si je puis dire. Sous la menace d'une possible élection présidentielle anticipée. Le président peut, après tout, démissionner ou disparaître. Par conséquent, tous les candidats doivent se préparer à une telle éventualité. En revanche, j'ai été le premier à émettre l'idée que le président de la République pourrait se représenter parce qu'il est le meilleur candidat socialiste et qu'il dispose d'un capital assuré de voix, au moins 30 % à mon avis. Je crois, en plus, que Mitterrand ne serait pas fâché de mourir la fonction de président et dans les honneurs de la République.
En ce qui concerne les législatives, je dirais que Mitterrand a là une arme dont il a la disposition totale. Il peut décider de dissoudre l'Assemblée nationale à l'occasion qu'il choisira. Je dirais à la fin de celle année ou au tout début de l'an prochain. Compte tenu de l'avertissement donné à la majorité par les récentes élections partielles, il choisira un moment où la situation sera forcément encore plus mauvaise, ce qui obligerait ainsi les candidats de la majorité à se présenter à l'élection présidentielle en situation de déconfiture électorale. Il m'étonnerait fort que Mitterrand, manouvrier politique exceptionnel, ne profite pas de cette chance. Dans ce cas, le gouvernement perdrait la moitié de ses députés.
Je ne doute pas que la gauche saura créer les conditions qui permettraient au président de dissoudre l'Assemblée, dès qu'elle jugera possible sa victoire électorale. Ou certain l'échec de la majorité. Ce ne sont pas les sujets qui vont manquer manifestations de chômeurs ou de profession condamnées comme celles des paysans et des pêcheurs ; ou encore effervescence de l'université qui est traditionnellement l'occasion de conflits avec le pouvoir ; ce peut être aussi des événements prévisibles comme l'arrivée massive en France d'Algériens fuyant l'intégrisme islamique...
Minute : Quelle va être la stratégie du Front national dans les mois qui viennent pour développer son électorat ?
Jean-Marie Le Pen : Compte tenu de la mise à l'exclusion du Front national de la vie publique, c'est forcément une stratégie que je qualifierais d'« autogène »... Nous sommes non pas un mouvement d'alternance dans le « système » mais un mouvement d'alternative. C'est -à-dire que les événements évoqués précédemment rendront obligatoire une alternative qui sera sans doute meurtrière pour les partis, de l'établissement avec le mode de scrutin majoritaire, comme cela s'est produit en Italie. Nous allons développer nos actions, de propagande, notre présence, sur le terrain, notre information du corps électoral. Nous pensons que dans la série d'élections qui vont se suivre pendant dix-huit mois, le Front national va apparaître avec une force et un enracinement beaucoup plus considérables qu'il n'en avait jusqu'à présent.
Minute : Envisagez-vous des alliances ?
Jean-Marie Le Pen : Nous n'avons jamais eu l'ambition de prendre le pouvoir seuls. Nous avons l'ambition d'être à la tête du mouvement populaire national qui guérira la France de son impuissance actuelle et de ses options de malheur. Dans le cadre du scrutin majoritaire, si le droit pour le Front national d'avoir des élus lui est reconnu par d'autres formations politiques, nous jouerons le jeu, non pas de la majorité, mais des institutions.
Minute : Considérez-vous Philippe de Villiers comme un interlocuteur possible ?
Jean-Marie Le Pen : Il faudrait d'abord que M. de Villiers représente une force avec laquelle on puise s'allier. Ce n'est pas le cas actuellement. Je m'interroge sur sa stratégie et je me demande si elle ne constitue pas une manœuvre. J'ai constaté qu'au referendum de Maastricht dans la crainte de voir le Front national pratiquement exclusivement bénéficiaire du « non » à Maastricht, la majorité UDF-RPR a parachuté trois de ses leaders pour éviter que notre mouvement puisse seul se prévaloir de cette action anti-Maastricht qu'il mène au Parlement européen depuis cinq ans. Contre les députés européens de la majorité qui, je le rappelle, ont tous préconisé le « oui » à Maastricht.
La position de M. de Villiers est décidément trop ambiguë pour qu'elle puisse donner lieu quelque alliance que ce soit.
Aux prochaines élections européennes, si M. de Villiers, dont les intentions affichées apparaissent très proches de celles du Front national (sauf sur l'immigration dont il ne parle jamais), n'atteint pas 5 %, il y aura contribué à nous priver d'un siège. En admettant qu'il dépasse la barre des 5 %, à quel groupe parlementaire ses députés s'inscriront-ils ? Au groupe du parti populaire européen qui est pour Maastricht et où il retrouverait ses amis de l'UDF ? La position de M. de Villiers est décidément trop ambiguë pour qu'elle puisse donner lieu à quelque alliance que ce soit.
Député de la majorité, il est mal à l'aise dans cette majorité. Mais il l'a – sauf à quelques rares exceptions – toujours soutenue jusqu'à présent. Il a d'ailleurs précisé qu'il aurait sur sa liste européenne des pro-Maastricht. Je ne vois pas le sens de son action politique, si ce n'est de se distinguer. Ou peut-être, avec l'accord du gouvernement ; essaye-t-il d'empêcher des électeurs de la majorité d'aller au Front national.
Minute : Quels seront selon vous vos adversaires à la présidentielle ?
Jean-Marie Le Pen : Qui peut le savoir ? Logiquement si on peut projeter la situation actuelle sur 1995, il est probable qu'il y aura plusieurs candidats de la majorité. D'abord parce que l'élection présidentielle étant ce qu'elle est, un parti qui n'y présente pas de candidat accepte de s'incliner, voire de disparaître. S'il avait un candidat unique a, la majorité, ce serait probablement la fin de l'UDF et la création d'un nouveau parti qui serait dominé par le RPR, ce qui correspond d'ailleurs à l'évolution en cours.
Mais s'il y la volonté de spécification. Il devrait y avoir un candidat du RPR, un du PR et un autre à gauche, la candidature MRG avec Tapie et plusieurs candidatures socialistes. Et puis celles du PC, des rénovateurs et de l'extrême gauche. Dans ces conditions, le candidat du Front national devrait être l'un des deux candidats retenus pour le second tour. Ce qui créera une situation tout à fait novatrice.
Minute : Quid de la querelle Chirac-Balladur ?
Jean-Marie Le Pen : Si M. Balladur réussit, il sera candidat à l'élection présidentielle. Et M. Chirac sera contraint soit de s'effacer, soit de se présenter à ses risques et périls. Dans ce cas de figure, je dois dire que pour le candidat national ouvrirait un boulevard « Si Balladur échoue, il ne sera pas candidat. Mais la candidature de M. Chirac serait alors fortement affectée par l'échec de Balladur qui serait l'échec de la majorité dont le RPR est le principal constituant. Il ne serait pas alors en situation de gagner le second tour. Surtout si la politique d'exclusion à l'égard du Front national était maintenue.
Et là, même si par hypothèse je lançais comme en 1998 un appel contre le socialisme, geste dont nous avons été remerciés par l'exclusion et la persécution, je ne suis pas du tout sûr d'être entendu de nos électeurs.
[Graphiques non reproduits]