Texte intégral
Déclaration du président du CNPF à l'issue de son entretien avec le président du Sénat, le 3 mars 1998
« J'ai indiqué à mes interlocuteurs que les entrepreneurs estiment que le texte qui va être débattu par le Sénat prend en compte un grand nombre des préoccupations des entreprises face à la loi générale, obligatoire, datée et autoritaire, telle qu'elle a été votée en première lecture par l'Assemblée nationale.
Après discussion et adoption de la loi par le Sénat et avant que l'Assemblée nationale ne la réexamine en seconde lecture, je demanderai à rencontrer le Premier ministre. J'attirerai solennellement son attention sur les points fondamentaux apparus au cours de la discussion parlementaire, qui permettront aux entreprises de continuer à se développer, de créer de l'emploi et de réussir le passage à l'Euro.
Les nombreuses critiques que nous avons formulées contre la réduction du temps de travail généralisée et obligatoire, comme solution au chômage, conduisent le CNPF, comme je l'ai annoncé, à réfléchir activement à des mesures alternatives, libres, simples et efficaces, susceptibles de réellement réduire le chômage.
Un « Projet pour l'Espoir » présentera la vision des entrepreneurs pour la société française et sera soumis aux entrepreneurs de terrain dans les semaines qui viennent. Il comportera deux axes de réflexions principaux :
A court terme, proposer un emploi aux chômeurs et aux jeunes. Pour cela, permettre aux entrepreneurs de leur présenter de nouveaux emplois, rémunérés par les entreprises à hauteur de ce que peuvent payer leurs clients, et assortis, le cas échéant, d'un complément de revenu de solidarité.
A plus long terme, proposer un travail à chaque Français, grâce à la mise en place d'un mécanisme de réduction générale des charges, gagé sur une réforme profonde des aides à l'emploi. »
France Inter - mardi 31 mars 1998
Q - On sait que vous avez partagé un thé glacé, hier, à Matignon avec L. Jospin. Un thé glacé, et pourtant, il semble que la banquise est en train de fondre tout doucement entre vous ?
- « Il était nécessaire, en effet, après six mois presque de nos ruptures entre le monde des entrepreneurs et le Gouvernement de rebrancher, de reprendre le contact. Cette période a été longue parce qu'il y a le traumatisme subi par le monde des entrepreneurs qui se voit imposer la loi des 35 heures alors que dans leur quasi unanimité les chefs d'entreprise la réprouvent et pensent que cela va être mauvais pour les entreprises et mauvais pour les salariés, pas bon pour l'emploi. Cela a été donc un traumatisme. Il y a eu aussi, si vous voulez, à l'évidence une période politique très voulue par le Gouvernement qui a fait de cette loi des 35 heures le ciment politique de sa majorité plurielle et comme il y avait des élections - et Dieu sait qu'on en a entendu parler -, nous avons pensé qu'avant les élections, on ne pouvait rien faire mais qu'après, il était normal de reprendre le contact. Donc, c'est dans ce climat-là que j'ai été à Matignon avec une délégation de notre organisation, le CNPF. Nous avons rencontré, en effet, dans une atmosphère très franche dans laquelle on s'est dit des choses comme j'étais mandaté de le dire, c'est-à-dire en entrepreneur, sans prudence et sans détour. »
Q - Six mois de rupture, c'est six mois de perdus. Vous êtes allé à Matignon comme on va à Canossa. Vous ne pouvez plus négocier sur l'essentiel de la loi, vous ne pouvez plus négocier que sur des points de détail maintenant.
- « Je n'ai pas du tout été à Matignon comme à Canossa. J'y ai été la tête haute, représentant grands et petits entrepreneurs, représentant d'ailleurs les artisans, les professions libérales, les agriculteurs avec lesquels nous nous sommes concertés avant que je m'y rende. Trois millions d'entrepreneurs, cela compte lourd dans un pays. Pour un Gouvernement, avoir les entrepreneurs contre soi ce n'est pas pensable. C'est assurément aller vers beaucoup de difficultés. Donc, Canossa, pas du tout ! J'y était en tant que représentant d'entrepreneurs dignes et forts pour parler avec un Gouvernement responsable. »
Q - Mais vous n'avez pas obtenu l'essentiel que vous souhaitiez c'est-à-dire le report de deux ans de la loi sur les 35 heures.
- « Non, et c'est tout à fait un regret que j'ai entendu, en effet, le Premier ministre dire qu'il ne souhaitait pas reporter l'application de la loi. Nous considérons que la loi est inapplicable. Nous avons d'ailleurs listé. Le Gouvernement ne nous a pas démenti sur le fait qu'il y avait d'importantes difficultés devant nous. Nous avons donc regretté cette décision. Mais cela dit, nous sommes en démocratie. Si la loi est votée, les entrepreneurs vont devoir y faire face. Vous savez que c'est le 1er janvier 2000 qu'on devra effectivement passer à 35 heures. Cela laisse pas mal pour des négociations, négociations sur lesquelles nous sommes, d'ailleurs, dans l'ensemble, du sentiment qu'elles seront très difficiles parce que justement, le Gouvernement ne veut pas leur donner le temps nécessaire et n'a pas voulu préciser jusqu'à présent en tout cas, l'ensemble des points sur lesquels nous estimons qu'elles seront très difficiles. Voilà donc des choses qui ont été voulues politiquement et qu'il va falloir maintenant vivre économiquement. La réalité économique est quelquefois plus forte que la volonté politique. »
Q - Est-ce que vous avez quand même le sentiment d'avoir été un petit peu entendu, un petit peu écouté par le Gouvernement sur les points que vous souhaitiez aborder comme par exemple l'annualisation du temps de travail ou la flexibilité ?
- « Je crois que M. Aubry qui était présente ainsi que D. Strauss-Kahn sont tout à fait conscients en même temps que le Premier ministre qu'il y a des difficultés. Le travail effectif, qui est encore en discussion à l'Assemblée nationale, est un point fondamental. Dans la définition actuelle, les entreprises ne peuvent pas vivre avec. La question des heures supplémentaires dont on n'a pas su encore préciser ni quel sera le quota, ni quel sera le mode de rémunération. Le problème du temps partiel qu'on décourage dans la loi et pourtant qui est essentiel pour créer des emplois. L'annualisation qui est un cadre nécessaire dans beaucoup d'entreprises pour essayer de mettre en place le temps de travail et qu'on n'a pas voulu reprendre dans la loi. Enfin, le problème des cadres qui est considérable ! Vouloir appliquer 35 heures à la plupart de ceux qui ont des missions à réaliser et qui les réalisent un peu à leur initiative sans que la question de l'horaire intervienne en quoi que ce soit dans la manière dont ils conduisent leur journée ou leur semaine. Tout ceci montre que cette loi, encore une fois politique, qui est l'application d'une sorte de catéchisme d'idées de congrès et au départ, c'est comme cela que cela a été voulu, a aujourd'hui à s'adapter à la réalité. Bien entendu, je crois que les responsables économiques à la tête du Gouvernement sont bien conscients qu'il va falloir en effet, changer tout cela si l'on veut que cela s'applique. »
Q - Donc, vous enterrez la hache de guerre. Vous souhaitez une négociation, peut-être un compromis mais en même temps, on voit des grandes organisations patronales, des branches entières dénoncer des conventions collectives. Cela s'est passé dans le commerce, dans les grands magasins mais aussi dans les banques. Est-ce que c'est le meilleur moyen d'engager une négociation que de la pratiquer de façon aussi brutale ?
- « Il n'y a aucune brutalité là-dedans et d'ailleurs, les ministres que nous avons rencontrés hier indiquent qu'ils comprennent qu'il y a des conventions collectives, qui étaient très anciennes, qui avaient été négociées il y a une cinquantaine d'années et qui sont complètements inadaptées et qu'il est tout à fait naturel qu'on saisisse l'occasion des 35 heures pour moderniser les formes des rapports sociaux. Je crois que d'ailleurs, le Gouvernement encore une fois le comprend. Quand à nous, CNPF, j'y reviens mais c'est tout à fait essentiel, nous n'avons pas de pouvoir. Nous n'avons aucune autorité sur les branches, sur les métiers comme le pétrole, les assurances, le bâtiment. »
Q - Vous pouvez en convaincre certains quand même ?!
- « Aucun ! Le CNPF, c'est la représentation de l'ensemble des entreprises mais ce n'est pas les métiers. Dans les métiers, les gens sont souverains. Les salariés et les entrepreneurs ont à convenir ensemble de la manière dont on va s'organiser pour travailler. Il le faut et quand ils ne s'entendent pas il faut en revenir à la renégociation des conventions collectives. Cela se produit dans quelques métiers, je ne sais pas du tout si cela se produira partout. En tout cas, pour nous CNPF, nous sommes là totalement spectateur. Nous comprenons parfaitement que cela se fasse, nous comprenons parfaitement que cela ne se fasse pas. Il ne faut pas dramatiser. C'est une encore une fois une peu de l'ordre du mythe. La convention collective, c'est quelque chose qui doit s'adapter à la vie. Ce n'est pas la peine non plus de les regarder comme un catéchisme. »
Q - Vous avez été porté à la présidence du CNPF sur une position très dure vis-à-vis du Gouvernement et vis-à-vis des 35 heures. Maintenant, comment est-ce que vous allez convaincre une partie de vos troupes qu'il faut négocier, essayer d'améliorer les choses et d'arriver à compromis avec le Gouvernement ?
- « J'ai été totalement mandaté par l'unanimité des entrepreneurs que nous représentons, au cours d'une assemblée permanente dans laquelle il y a environ 250 d'entre eux qui représentent toutes les fédérations, toutes les unions territoriales, d'aller au contact avec le Gouvernement pour exprimer nos positions, pour exposer les difficultés. Je suis dont mandaté pour le faire. Je n'ai à convaincre personne. J'agis d'ailleurs dans la plus parfaite unité. C'est mon souci principal que de faire en sorte que les entrepreneurs soient parfaitement unis derrière le CNPF. C'est comme cela qu'il est légitime et représentatif. »
Q - On sait bien que dans une négociation il y a toujours un donnant-donnant. Sur quoi êtes-vous prêt à jouer l'ouverture vis-à-vis du Gouvernement ? Sur les emplois-jeunes par exemple ?
- « Je crois qu'en la circonstance, on nous doit tout. On nous a imposé les 35 heures dont nous ne voulions pas. Nous allons devoir vivre avec. Il faut nous donner la manière d'appliquer la loi. Si on ne nous donne pas la manière d'appliquer la loi. Si on ne nous donne pas la manière d'appliquer la loi, d'ailleurs elle ne s'appliquera pas. Si elle ne s'applique pas, il y aura une tension et une situation extrêmement difficile. Donc, nous n'avons strictement rien à donner. C'est au Gouvernement et à ceux qui l'entourent de faire en sorte que cette loi qu'il a voulu contre la volonté des entrepreneurs puisse être vivable. »
Q - C'est la stratégie du tout ou rien que vous défendez depuis six mois mais cela n'a pas bien marché jusqu'à maintenant ?
- « La stratégie du tout ou rien, elle a été - excusez-moi de le dire - proposé par le Gouvernement quand il nous a imposé les 35 heures et nous sommes, nous aujourd'hui, en situation de devoir vivre dans cette réalité et nous ferons l'essentiel de ce que nous pourrons faire pour que, en effet, cette loi soit moins inapplicable pour une entreprise qu'elle ne le parait aujourd'hui. »
Q - Le Parlement va bientôt débattre de la loi contre les exclusions, est-ce que dans ce dispositif, il y a une place pour les patrons, pour le CNPF ?
- « Nous sommes actuellement en train de réfléchir avec la base et notre organisation à ce que nous appelons le projet d'espoir, c'est-à-dire la vision entrepreneuriale de la société française qui fasse en sorte que l'on puisse surmonter les difficultés devant lesquelles tout le monde a buté jusqu'à présent et notamment en effet le problème du chômage – et du chômage de longue durée. Nous avons des propositions en préparation dans ce domaine. Nous sommes bien entendu parfaitement conscients que ce problème doit être réglé. Nous pensons qu'il doit l'être par les propositions à la fois simples, efficaces et libres et pas par des décisions complexes et imposées. Mais nous serons dans le débat en effet pour essayer de réduire le chômage en France. C'est l'objectif principal des entrepreneurs : offrir à chaque Français un emploi. »
Q - Et cela passe par une réduction des charges sociales et aussi par une réduction du SMIC et un appel à la solidarité de l'État ?
- « Pas du tout, ça passe par une vision tout à fait pratique et réaliste de la vie économique, à savoir que si les emplois ne se créent pas, c'est parce qu'en effet, les modalités SMIC plus charges rendent impossible leur création. Et nous souhaitons en effet qu'on regarde les choses en face, que le client puisse payer ce qu'il peut payer pour un service par exemple et que la solidarité nationale complète comme elle l'a fait dans de nombreux cas si c'est nécessaire, pour atteindre le niveau de rémunération qu'on appelle le SMIC et qu'il est bien entendu essentiel de préserver. Nous avons donc une approche réaliste fondée sur l'existence de clients qui doivent pouvoir rémunérer un service sans quoi il ne se crée pas et c'est quelque chose, à mon avis, qui n'est pas tellement éloigné d'ailleurs de ce que proposent certains syndicats et le rapport de madame Join-Lambert qui sous un autre angle est en fait la même manière de prendre le problème. »
Q - Il semble qu'on soit revenu dans un cercle vertueux de l'économie. Quel est votre diagnostic : optimisme mesuré ?
- « Nous avons devant le Premier ministre hier et devant les ministres responsables des affaires économiques et sociales, indiqué que nous estimions actuellement que la France n'était pas en mauvais état et que les fondamentaux, comme on dit, étaient bons. Nous allons pouvoir rentrer dans l'euro dans d'assez bonnes conditions. La conjoncture est porteuse pour des raisons qui tiennent d'ailleurs à des questions de politique économique - des responsables qui sont là ou qui sont du passé. Mais également au fait que les changes, c'est-à-dire les rapports entre le franc et le dollar se sont beaucoup améliorés. Et également, les prix de l'énergie ont énormément baissé. Tout ça crée un climat qui fait que les entrepreneurs ont des carnets de commande garnis, que donc l'emploi est en train de se remettre au positif… »
Q - Et un contexte plus favorable pour les 35 heures ?
- « Traiter des 35 heures dans cette atmosphère est certainement plus facile. En fait, les gens n'y pensent pas. Les entrepreneurs et les salariés sont au travail, essayent de fournir leur client et c'est évidemment une question qui pour l'instant ne se pose pas et la raison pour laquelle d'ailleurs beaucoup de gens ne s'en préoccupent pas encore et ne font strictement rien. »