Texte intégral
La lettre Confédérale le 29 juin 1998 - 35 HEURES : pour que les choses soient claires
Le législateur a voté le 19 mai 1998, le Conseil constitutionnel a approuvé le 10 juin, la loi a été promulguée le 13 juin, les décrets d’application sont parus le 23 juin.
La loi Aubry existe : il nous reste à la rencontrer ! Que cela plaise ou non, les 35 heures constitueront l’horaire de travail légal. Que cela plaise ou non, le droit, rappelé surabondamment par la Cour de cassation dans une multiplicité d’arrêts confirmatifs, indique que, dans sa grande majorité, l’encadrement n’échappe pas – n’a jamais échappé en réalité – à la réglementation générale de la durée du travail. Dès lors, que cela plaise ou non, la loi Aubry s’appliquera à l’encadrement. Là est le fait. Là est le droit.
On peut gloser à l’infini sur le Bien et le Mal, sur le signifiant et le signifié, sur la banalisation des statuts ou l’égalité des droits. La glose sera intéressante surtout pour ceux qui se feront plaisir en noircissant des articles dans la presse ou dans les revues spécialisées. En réalité, sur le terrain, le seul constat qui vaille est qu’il faut que la CFE-CGC se saisisse de la loi Aubry, parce que si l’encadrement ne s’en saisit pas, les 35 heures se retourneront contre lui.
Historiquement parlant, la tendance a été à la réduction du temps de travail pour le personnel d’application. Pour le personnel d’encadrement, et depuis longtemps, c’est plutôt d’augmentation qu’il s’agit ! Faudra-t-il demain accepter que la tendance se poursuive ? Nous disons clairement, fortement NON aux 45 heures payées 35. Cette réponse est pour nous évidente que la réduction du temps de travail est stratégique pour l’encadrement. Parce qu’elle pose obligatoirement le problème de l’organisation du travail dans l’entreprise, elle le remet inéluctablement au centre du jeu social.
Je le dis ici très tranquillement : un projet d’aménagement et de réduction du temps de travail ne saurait être conduit SANS ou CONTRE l’encadrement car, alors, il serait tout simplement voué à l’échec… La loi Aubry demain dans les entreprises n’existera que si l’encadrement en est le porteur, l’animateur et… le bénéficiaire, au même titre que les autres catégories de salariés.
Mais je veux ajouter un autre point : ni la CFE-CGC, ni les cadres, ni l’encadrement n’ont été demandeurs – ni ne le sont aujourd’hui – des 35 heures obligatoires pour tous, quels que soient la taille de l’entreprise, son secteur d’activité, la nature des fonctions exercées ou l’âge de celui qui les exerce…
La CFE-CGC est clairement favorable à l’aménagement-réduction du temps de travail, dans le cadre de projets sur mesure croisant nouvelle organisation du travail, aspiration des salariés et de l’encadrement avec un objectif de création d’emplois.
Elle est totalement opposée au PRÊT À PORTER, uniforme, militaire du type « J’veux voir qu’une tête » : celle de l’encadrement alignée sur celle des autres !
S’il y a, au-delà du droit, une spécificité cadre et encadrement dans l’entreprise, c’est bien celle du temps de travail. C’est au nom de cette spécificité que nous rejetons les 35 heures rigides ; le retour généralisé à la pointeuse, formidable saut dans le passé ; la réduction quotidienne du temps de travail, formidable leurre pour l’encadrement ; la baisse du temps de travail des uns, financée par la baisse des salaires des autres…
C’est au nom de cette spécificité que nous appuyons la semaine de quatre jours ; l’annualisation ; le compte épargne-temps dès lors qu’il reste « en temps » et qu’il s’inscrit bien dans une perspective de création d’emplois ; les jours de congés supplémentaires ; la renégociation des conventions de forfait y compris « tous horaires » dès lors que les niveaux de responsabilité et de rémunération sont clairement identifiés, etc.
Tout dépendra maintenant des négociations qui vont s’ouvrir et dans lesquelles la CFE-CGC sera pleinement active. D’importants moyens d’information, de formation et d’appuis sont d’ores et déjà mobilisés. Là aussi, soyons clairs et annonçons l’objectif : nous chercherons à influer par la négociation collective le contenu de la deuxième loi Aubry sur le thème stratégique des 35 heures et de l’encadrement.
Nous avions proposé le 28 mai au CNPF de nous saisir ensemble contractuellement de ce sujet : il ne l’a pas voulu. Les sondages comme l’action au quotidien nous disent que les entreprises sont réalistes et prêtes à négocier. Je fais le pari qu’elle comprendront mieux où sont leurs intérêts.
La lettre Confédérale le 15 juin 1998 - PROFESSIONNELS ET MODERNITÉ
Pour construire son avenir, la CFE-CGC a entrepris depuis le début de cette année une démarche d’écoute en profondeur sans tabou.
Au travers de centaines et de centaines de pages de contributions venues de tous les horizons, au travers des forums internet, au travers des milliers d’heures de réunions, d’échanges, de confrontations, à Paris comme en régions, la CFE-CGC a voulu donner la parole à tous, y compris à ceux qui ne la prennent que peu souvent. Adhérents, non-adhérents, femmes et hommes, jeunes et moins jeunes, militants de terrain et dirigeants syndicaux, personnalités extérieures, étudiants, actifs, retraités, chômeurs ont exprimé leurs attentes, leurs espoirs, leurs demandes d’adaptation et de changement.
Ce travail prospectif, renforcé par des enquêtes qualitatives et quantitatives, cette démarche stratégique avaient été voulus dès juin 1996, lors du congrès de Deauville. Leur nécessité était évidente, près de vingt ans après notre évolution vers le « nouveau syndicalisme ». Le revers des élections prud’homales n’a fait qu’en renforcer l’urgence et en accélérer la mise en œuvre.
Parce que l’économie s’est globalisée, la concurrence s’est enflammée, la prédominance du client s’est affirmée ;
parce que les technologiques nouvelles se sont développées et répandues, l’organisation des entreprises s’est profondément transformée, estompant les frontières entre catégories, faisant s’interpénétrer les statuts et prévaloir la mission sur la position hiérarchique.
Parce que le champ des responsabilités du personnel qualifié comme son temps de travail croissent, alors que l’accès aux décisions se restreint ;
parce que l’insécurité – l’instabilité – est devenu un mode de direction considéré comme facteur de productivité ;
les cadres et l’encadrement ne s’identifient plus systématiquement aux finalités de l’entreprise et vivent une crise culturelle et identitaire.
Parce que le niveau général de formation et de qualification s’accroît, entraînant désir d’autonomie et besoin de participation ;
parce que le chômage de masse et la précarité pèsent sur les esprits et que les valeurs de l’individu se renforcent dans la société, favorisant les attitudes « consuméristes » ;
les attentes se personnalisent, l’engagement et l’adhésion ne sont plus globaux ni idéologiques, mais éthiques, ciblés, limités et de proximité.
Parce que l’emploi nouveau se crée surtout dans le PME, en particulier de services de toutes natures, le relationnel, la santé, les applications des NTIC…
parce que les statuts atypiques (télétravail, temps partagé, consultants, indépendants…) se multiplient ;
les services diversifiés, les structures souples, les réseaux l’emportent sur ce qui est monolithique, sur la réponse unique, l’organisation purement hiérarchique.
À tous ces changements, ces bouleversements, à toutes ces inquiétudes et ces interrogations, une organisation comme la CFE-CGC se devait de rechercher et d’apporter des réponses modernes innovantes, quitte à ébranler ses certitudes, à bousculer bien des habitudes, à réformer ses structures et à abandonner des attitudes aujourd’hui dépassées.
Le Parlement de notre organisation – le Comité confédéral – réuni les 11 et 12 juin, a marqué une étape essentielle de ce projet en adoptant, à la quasi-unanimité, le schéma directeur de la réforme qui redéfinit le positionnement de la CFE-CGC et son offre de services dans le monde du travail.
Première manifestation de cette révolution novatrice, la CFE-CGC, au-delà de son rôle de représentation et de défense de l’encadrement va s’ouvrir à tous les « professionnels et responsables » qui s’identifient aux principes de responsabilité, de compétence, d’anticipation, d’implication, d’initiative, d’animation et qui souhaitent être reconnus et considéré pour cela. Au-delà d’un marquage catégoriel lié à des statuts, c’est une nouvelle spécificité, fondée sur des valeurs et des attitudes, que nous voulons incarner dans la société française.
Il est essentiel que ces femmes et ces hommes, ces professionnels ; qu’ils soient dans l’entreprise – grande ou petite –, dans l’administration ou qu’ils travaillent en « solo », avec une attention particulière aux jeunes et aux débutants, disposent d’un espace d’expression et d’action pour mettre en commun leur compétences au service de l’organisation et de l’innovation sociales.
Sur cette base, dix chantiers de réforme – les chantiers de l’été – ont été arrêtés, qui convergent dans un même esprit, autour de la nécessité :
– de mettre prioritairement au service des professionnels de ce pays, partout sur le territoire, un « bouquet » de services nouveaux et diversifiés, utilisant à fond les nouvelles technologies ;
– de réformer les structures pour répondre aux besoins de réceptivité, de transversalité, de proximité, comme à ceux des isolés.
Adhérentes et adhérents potentiels, les professionnels, solidaires mais différents, que nous voulons rassembler ne sont pas désireux d’un syndicalisme d’embrigadement. Ils apprécient l’indépendance politique, le sérieux, le pragmatisme de la CFE-CGC mais en attendent aussi une véritable expertise sur l’entreprise, son fonctionnement, son environnement, une plus grande réactivité et une offre de service élargie.
Rendez-vous donc pour le lancement public aux Assises nationales du 15 octobre prochain à Paris La Défense.
Marc Vilbenoît