Interviews de M. Gérard Longuet, ministre de l'industrie des postes et des télécommunications et du commerce extérieur, dans "La Tribune Desfossés" du 26 janvier et à France-Inter le 28 janvier 1994, sur la reprise de la croissance en France, la recapitalisation de Bull, la préparation des élections européennes et la guerre en Bosnie.

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Média : La Tribune Desfossés - France Inter - Emission Objections

Texte intégral

La Tribune des Fossés : 26 janvier 1994

La Tribune : La Commission, à l'initiative de Karel Van Miert, s'apprête aujourd'hui à sanctionner la France sur le dossier Bull. Elle vous reproche un manque de transparence sur la stratégie du groupe et une certaine rétention sur l'information. Que lui répondez-vous ?

Gérard Longuet : J'ai toujours été défavorable aux nationalisations en général et celle de Bull en particulier. Et là, nous sommes en train de corriger les erreurs d'une politique d'implication de l'État. Il appartient donc à des libéraux de réparer les dégâts qu'ils n'ont pas commis personnellement. Nous payons les pots cassés d'une confusion des genres. Il faut maintenant en sortir ; je suis sur ce point en parfait accord avec Karel Van Miert. Mais Bull c'est un paquebot, ce n'est pas une bicyclette, et donc la négociation des virages est un petit peu plus longue et un peu plus lente qu'on pourrait le souhaiter.

La Tribune : L'impatience de la Commission est manifeste. Quand lui donnerez-vous satisfaction ?

Gérard Longuet : J'ai de bonnes raisons de penser que le premier semestre 1994 va amener, à l'initiative du président Descarpentries, des orientations suffisamment significatives qui témoigneront de l'état d'esprit nouveau, c'est-à-dire la marche vers la privatisation, dans un contexte extraordinairement difficile qui est celui de l'informatique. Par conséquent, je crois que chacun est dans son rôle, Karel Van Miert, en rappelant le devoir de loyauté dans la concurrence, et moi en amenant une grande entreprise à négocier un virage. Mais qu'on ne me demande pas de négocier une épingle à cheveu quand il faut une courbe parabolique.

La Tribune : Si la Commission décide de bloquer aujourd'hui le versement des 2,5 milliards prévus pour 1994, quelle sera votre attitude ?

Gérard Longuet : Mon sentiment est que ce serait la meilleure façon de bloquer toute évolution et je demande le même traitement que celui que l'Allemagne a obtenu pour le dossier d'Eko Stahl ou que l'Italie a eu pour la sidérurgie italienne.

Il y a des situations dont on hérite et qui exigent des traitements appropriés. Quand l'Allemagne hérite de quarante ans de RDA, il est normal que l'on accepte ce que l'on a accepté en termes de subvention publique dans un marché complètement saturé qui est celui de l'acier. Il y avait là un problème politique majeur.

Nous, nous héritons de dix ans d'ambiguïté de gestion à Bull, où à des objectifs d'entreprise s'ajoutaient des objectifs publics. Qu'on ne nous demande pas de réparer en dix mois, dix ans d'orientation. On le fera en deux ans. Deux ans c'est plus long que dix mois, je le reconnais, mais ce n'est pas une PME, il s'agit d'un grand groupe industriel, ce que ne peut ignorer la Commission.


France Inter : vendredi 28 janvier 1994
« Emploi, Européennes, Présidentielle : la majorité sur le fil »


M. Denoyan. Bonsoir.

À deux jours du séminaire gouvernemental pour relancer l'activité économique, deux informations vont sans doute nourrir la réflexion des ministres d'Édouard Balladur.

La première, plutôt encourageante et qui vient confirmer les propos du Premier ministre : la croissance repart, + 0,3 % du 3ème trimestre 93, et le Gouverneur de la Banque de France table sur une croissance prochaine de 2,5 à 3 %.

La deuxième information, et celle-ci est plutôt préoccupante, c'est la tension sociale qui semble très forte : le chômage est de plus en plus mal vécu et des comptes sociaux sont à nouveau dans le rouge.

Au menu de ce séminaire, la crise dont on ne voit pas le bout. Mais les ministres auront sans doute un moment de pause : à l'occasion ils pourront confronter leurs points de vue sur l'Europe et la façon dont la Majorité doit aborder les élections de juin prochain. La Bosnie : polémique entre ceux qui veulent que l'on reste et ceux qui prônent le départ, sans oublier la primaire, qui semble avoir commencé pour l'élection présidentielle entre chiraquiens et balladuriens.

Invité d'objections ce soir : Monsieur Gérard Longuet, ministre de l'Industrie.

Monsieur le ministre, bonsoir.

M. Longuet : Bonsoir.

M. Denoyan : Nous allons vous interroger sur tous les sujets que je viens d'évoquer, mais aussi sur quelques autres, par exemple : où en sont les relations Renault-Volvo ? avec Annette Ardisson, Pierre Le Marc et Michel Garibal de France Inter, Fabien Roland-Lévy et Raphaëlle Bacqué du Parisien, Aujourd'hui.

Dans deux jours, il y a ce fameux séminaire gouvernemental, dont on dit qu'il devrait apporter des réponses à la crise que l'on connaît déjà depuis un certain temps et dont on ne voit pas toujours le bout.

Quel bilan faites-vous actuellement de l'économie française ?

M. Longuet : C'est dur et cela va mieux.

C'est dur, et cela on le savait dès le départ : dès avant les élections législatives de 93, Balladur avait établi un diagnostic que l'on jugeait comme trop sombre ; c'était il y a un an et je crois que le diagnostic était au contraire lucide.

Cela va mieux parce que, comme vous l'avez indiqué vous-même, les perspectives de 94 sont supérieures à 93. 93 est une année de repli, 94 est une année de légère croissance. La Banque de France table sur une croissance de 2,5 à 3 % à partir de 95. On est donc dans une figure de rétablissement, avec une consolidation de la situation de l'État et effectivement un point d'interrogation sur les dépenses sociales.

Ce qui a été maîtriser, c'est évidemment la vieillesse : des mesures ont été prises. Ce qui est en point d'interrogation, c'est le chômage qui est lié à la croissance, et naturellement la poursuite de la maîtrise des dépenses de santé.

M. Denoyan : Parce que les comptes sociaux sont de nouveau dans le rouge…

M. Longuet : On a un gouvernement qui se bat quotidiennement sur tous les sujets difficiles, en particulier sur le plan des comptes sociaux. Je voudrais simplement vous rappeler que Michel Rocard, il y a deux ans de cela, disait : « Le Libre Blanc sur les retraites, il y aura 4 ou 5 gouvernements qui tomberont avant qu'on ne l'applique ». Nous l'avons appliqué, les Français sont mûrs pour des efforts. Chaque fois que nous pouvons le faire, nous le faisons. C'est la méthode Balladur : c'est s'accrocher au terrain, ne gâcher aucune occasion d'avancer et de ne rien compromettre, c'est vrai, dans une société qui est cruellement frappée par le chômage, qui est inquiète et pour laquelle la persuasion et la conviction doivent l'emporter de toute façon sur l'autorité.

M. Roland-Lévy : Alors pourquoi cette mise en scène gouvernementale de dimanche ? On a un peu l'impression qu'il s'agit de faire patienter l'opinion face à une certaine impuissance du Gouvernement dans le domaine du chômage. Il y a un côté grand-messe.

M. Longuet : Je pense exactement le contraire. Dans la vie d'un ministre, nous sommes chacun attelé à nos difficultés, le nez dans le guidon, et nous n'avons pas assez de réflexe collectif pour se passer le ballon et essayer d'aller plus vite. L'idée du Premier ministre de faire un séminaire gouvernemental un dimanche après-midi, c'est sympathique, c'est de pouvoir échanger, confronter et proposer collectivement. C'est un point – il en a fait d'autres – qui est indispensable.

Aujourd'hui, on est sur une situation d'équilibre, on est sur le fil du rasoir. Manifestement, le palier, c'est-à-dire la stabilisation, nous l'avons, c'est une situation confirmée. Maintenant, il faut que le premier semestre 94 soit un semestre d'espoir. Il faut donc donner le petit coup de pouce dans le bon sens pour que l'économie bascule du côté de la croissance. Ce n'est donc pas inutile de se retrouver à 29 et de passer une journée ensemble pour confronter toues nos propositions.

M. Roland-Lévy : Il y aura des scoops dimanche soir ?

M. Longuet : Vous le verrez, mais je pense très honnêtement que si l'on se réunit, ce n'est pas pour enfiler des perles…

Mme Bacque : Cela veut dire qu'au-delà de la réflexion il y aura des décisions précises annoncées ?

M. Longuet : Les deux : réflexion et décisions sont importants. Il faut se poser des questions de fond : pourquoi l'économie française est une économie qui, en période de croissance et il y en a eu dans le passé, crée moins d'emplois que d'autres économies, que l'économie américaine par exemple ? C'est de la réflexion à long terme et on reparlera dimanche.

Et il y a ce que l'on peut faire immédiatement, avec un peu de bonne volonté et en bousculant des habitudes administratives ou en bousculant des réflexes…

M. Denoyan : Du genre, par exemple ?

M. Longuet : Vous le verrez dimanche soir.

M. Denoyan : Vous avez peut-être une idée ? Vous n'allez pas partir les mains vides à ce séminaire…

M. Longuet : Premièrement, j'ai des idées ; deuxièmement, je les garde pour mon Premier ministre, sinon je ne vais pas me faire valoir dimanche…

M. Le Marc : Donc un certain nombre de décisions vont être prises, mais est-ce que la France ne risque pas de rater le train du redémarrage de la croissance en raison du sous-investissement notoire de ces dernières années ?

M. Longuet : Je suis ministre du Commerce Extérieur aussi, et je voudrais dire que j'ai quand même des joies dans ma vie ministérielle : c'est d'annoncer pour fin 93, grâce aux entreprises françaises, le ministre n'y est pour rien mais après tout il doit le dire parce que c'est le succès des entreprises françaises, plus de 80 milliards d'excédent commercial.

D'accord, il y a une part qui est liée à la diminution des importations. Mais pour le reste, je puis vous dire que nos entreprises gagnent des parts de marché, car si nous avons un solde positif de 80 milliards, c'est parce que nous avons en plus gagné des parts de marché, et nous sommes capables de nous battre sur des terrains aussi spectaculaires que les biens haut de gamme : télécommunication, satellites, aérospatiale, aéronautique ; mais en même temps, sur les biens de consommation, nous sommes en train de faire notre chemin dans un certain nombre de marchés, comme les marchés d'Asie dont je reviens.

Donc l'appareil productif français a de bons produits, une bonne productivité. Cela fait quand même des années qu'on déguste en termes de suppression d'emplois et de gain de productivité. Le bon côté des choses, c'est que nous avons les bons prix, et la politique monétaire qui est menée nous permet d'être en situation d'équilibre avec des pays comme l'Allemagne, ce qui est nouveau ; nous gardons notre équilibre avec l'Angleterre en dépit des dévaluations sauvage de ce pays. Nous sommes affaiblis, c'est vrai, vis-à-vis de l'Italie, mais nous allons repartir, et nous avons réduit notre déficit avec les Etats-Unis.

Donc j'ai confiance dans les entreprises françaises. Ce qu'il faut, c'est le petit coup de pouce consommation.

M. Garibal : Mais les entreprises françaises font quand même du sur place et elles vont avoir beaucoup moins de bénéfices que l'année dernière, cette année…

M. Longuet : Forcément, puisque la conjoncture est difficile.

M. Garibal : Comment expliquez-vous, alors qu'on dit que le monde est un village, que le monde est interdépendant, que la France reste vraiment tellement sur son quant-à-soi, alors qu'on vient d'annoncer aujourd'hui que la reprise américaine avait dépassé toutes les prévisions les plus optimistes ? On est à 5,9 de croissance du PNB au dernier trimestre de l'année dernière. Pourquoi est-ce que les entreprises françaises n'essaient pas de profiter de cette perche qui leur est tendue pour essayer d'investir, de prendre de l'avance et d'éviter de se trouver ensuite court-circuitées lorsque la reprise se diffusera en Europe ?

M. Longuet : Michel Garibal, pourquoi faire un procès d'incapacité par anticipation à des entreprises dont je vous dis qu'elles gagnent des parts de marché à l'étranger et sur des marchés difficiles, compétitifs et, j'ajoute, solvables ? Vous venez de parler des Etats-Unis…

M. Garibal : Elles ne vont pas les garder longtemps si elles n'investissent pas.

M. Longuet : Pourquoi annoncer à l'avance des mauvaises nouvelles qui n'existent pas aujourd'hui ? Pourquoi faire des procès d'intention alors que nous avons des entreprises qui aujourd'hui, dans des domaines aussi différents que le luxe, produit traditionnel, que le ferroviaire pour le TGV en Corée ou que l'aéronautique, continuent de marquer des points ?

Vous parlez des Etats-Unis : mon regret, c'est l'histoire de notre pays, c'est que les Etats-Unis représentent 4 ou 5 % de notre commerce extérieur. S'ils représentaient le double, c'est vrai que la croissance américaine nous tirerait. Je voudrais simplement attirer votre attention sur le fait que les très grandes entreprises françaises sont désormais présentes aux Etats-Unis ; ce n'était pas vrai il y a 10 ans, elles ont fait un formidable travail. Je ne crois pas qu'il faille les accabler.

La difficulté majeure, Michel Garibal, c'est que près de 40 % de nos exportations – on exporte 1 200 milliards, 40 % cela doit faire 480 milliards – vont vers les pays de la zone mark, qui sont étouffés par la situation économique allemande. Donc c'est le principal client marche lentement et par conséquent notre principal débouché ne s'ouvre pas et en tire pas nos exportations.

Mme Ardisson : Vous dites : « C'est dur, mais cela va mieux, nous sommes dans une figure de rétablissement » ; c'est vrai pour les statistiques économiques, mais les Français ne le ressentent pas. Combien de temps faudra-t-il pour qu'ils le ressentent en termes d'emploi, de porte-monnaie, bref tout ce qui peut relancer la consommation ?

M. Longuet : Pour qu'ils le ressentent, il faut naturellement que non seulement les chiffres du chômage plafonnent, mais décroissent. Or très clairement tous les professionnels, Michel Giraud en tête, indiquent que le plafonnement est pour le deuxième semestre 94 et la reprise de l'emploi à structure constante, c'est des croissances de 2,7 %, c'est-à-dire – je cite Monsieur Trichet – sans doute en 95 mais certainement pas en 94.

Que les Français aient des raisons de dire que c'est dur… Je vois les plans sociaux ; je suis ministre de l'Industrie et j'en gère, des plans sociaux : avec Michel Giraud, c'est notre lot commun. Je crois que la certitude qu'ils ont aujourd'hui, c'est que tout ce qui peut être fait d'utile est fait et qu'aucun de leurs efforts n'est gaspillé. Et cela explique le fait que ce gouvernement est accepté par l'opinion, même si l'opinion juge la situation un peu difficile, parce que…

M. Denoyan : C'est un peu différent, Gérard Longuet : Le Premier ministre est accepté, pas la politique gouvernementale.

M. Longuet : … elle a vraiment le sentiment qu'aucune chance n'est gaspillée, qu'aucun effort n'est épargné pour trouver une solution, même si, c'est vrai, nous ne sommes pas des sorciers et nous ne sommes pas des magiciens.

M. Denoyan : Je voudrais rectifier un peu : quand on interroge les Français, ils ne croient pas beaucoup à l'efficacité de la politique conduite par le Gouvernement, même si Édouard Balladur reste très haut dans les sondages.

M. Longuet : On a un gouvernement qui, c'est vrai, est modeste. Mais c'est un choix qu'on a fait. J'ai participé aux deux gouvernements de 86-88 et à celui-ci ; le climat n'est pas le même.

M. Roland-Lévy : Vous vous sentez mieux cette fois ?

M. Longuet : En tous les cas, je vais vous dire une chose : c'est un gouvernement cohérent, qui travaille dans le même sens, et on ne passe pas notre temps à s'engueuler. C'est un progrès pour tous les gouvernements.

M. Le Marc : Sauf sur la Bosnie…

M. Denoyan : Et peut-être aussi sur les futures présidentielles…

M. Longuet : Ce qu'on a réussi, on l'a réussi ensemble, Pierre Le Marc. Je parle de ce que je fais : le GATT a été réussi avec le RPR et l'UDF, avec Juppé, avec Lamassoure, avec Puesch et avec moi-même. On travaille tout à fait dans le même sens et sur la Bosnie, j'ai le sentiment, mais je ne suis pas le professionnel que vous êtes, qu'il y a une grande cohérence dans les positions gouvernementales.

M. Roland-Lévy : Vous venez d'évoquer, et d'autres ministres l'évoquent aussi, la fin de la crise, la reprise de la croissance. Est-ce que vous ne craignez pas, sur le plan social…

M. Longuet : On n'est pas sorti des difficultés. J'ai dit simplement qu'on était dans la pense ; depuis le deuxième semestre 93, on est sur un palier et je crois honnêtement que 94 commence par une légère croissance. Tout l'objectif du séminaire, c'est hop ! le petit coup de pouce qui va plutôt dans le bon sens.

M. Roland-Lévy : Est-ce que vous ne craignez pas d'une certaine manière le moment paradoxal où la fin de la crise va arriver, où elle sera visible par tous et où le chômage sera toujours aussi catastrophique ? Est-ce que ce n'est pas le moment redoutable pour un gouvernement ?

M. Longuet : Je le crains, vous avez tout à fait raison. Je le crains et je crois que le soutien de la conjoncture de ce que la Loi Giraud sur l'emploi a engagé, mais qu'il faut poursuivre, c'est-à-dire l'emploi en France. J'ai créé, au ministère de l'Industrie, ce qui n'existait pas, un Service de l'Emploi Industriel, et lorsque je travaille avec mes exportateurs, on se pose toujours la question de savoir comment maintenir de l'emploi en France.

Ce qu'ils me disent est très simple : aux Etats-Unis, le salarié le moins qualifié coûte 70 000 francs à son employeur ; en France, il coûte 115 000 francs. Et les Etats-Unis ne sont pas un pays du Tiers-Monde…

M. Le Marc : Il est tout de même un peu étonnant que le Gouvernement en soit à remanier la loi quinquennale sur l'emploi qui n'est pas encore appliquée.

M. Longuet : Pierre Le Marc, pourquoi dites-vous quelque chose qui est hors de question ? Il ne s'agit pas de la remanier. On a une loi dont les décrets d'application sortent à la vitesse d'une mitrailleuse : on a à peu près une quarantaine de décrets qui sortent, c'est un travail considérable, il faut rendre hommage au ministre du Travail. Naturellement, à partir de ce texte, il faut continuer de prolonger l'effort…

M. Le Marc : En tout cas la compléter.

M. Longuet : Le génie est une longue patience et ce texte, qui est une base, va être naturellement enrichi au fur et à mesure des possibilités et j'ajoute aussi du dialogue social, parce que ce n'est pas le Gouvernement tout seul qui gère le pays, c'est le Gouvernement en discussion avec ses partenaires.

M. Le Marc : On parle beaucoup de la libération par décret des réserves de participation, 80 milliards à peu près. Est-ce que cela serait une bonne mesure pour relancer la consommation ?

M. Longuet : Ce qu'il faut, c'est que les épargnes captives qui peuvent se libérer puissent se libérer. Je ne suis pas le professionnel universel, il y a des solutions ; il faut y faire attention aussi parce qu'il ne faut pas mettre des sommes sur le marché, je pense aux actions, qui puissent déstabiliser les cours.

M. Le Marc : Mais c'est une bonne chose ?

M. Longuet : Nous sommes dans un pays où on a peur, et cette peur de l'avenir se traduit par des blocages qui ne sont pas absolument nécessaires. Mais d'un autre côté, vous savez bien, Pierre Le Marc, qu'on a besoin d'une épargne pour financer les investissements dans Michel Garibal pense que les entreprises ont le plus grand besoin. Et il a raison. Donc la marge de manœuvre, c'est à la nuance.

Je fais de la voile, je suis un passionné de voile et je dois dire qu'entre le succès et l'échec, les réglages, c'est au millimètre.

M. Denoyan : Vous aussi ?

M. Garibal : Vous donnez l'impression au fond que le Gouvernement est toujours en train de changer la règle du jeu et vous, vous avez l'air de dire qu'il faut garder une règle du jeu. Est-ce que, justement, les entreprises ne sont pas timorées parce qu'elles sont déçues au fond de voir que vous qui êtes arrivé avec des idées libérales, vous êtes de plus en plus interventionniste ? C'est la crise sans doute qui vous y contraint, mais jusqu'où va aller l'interventionnisme gouvernemental ?

M. Longuet : Michel Garibal, je suis interventionniste dans les domaines où l'État est le responsable directement. Mais dans le secteur de la libre entreprise, je ne m'en occupe en rien, sauf naturellement lorsque les entreprises privées viennent demander l'appui de l'État. Lorsqu'une entreprise privée vient demander le financement d'un plan social, il n'est pas anormal que le ministre du Travail et le ministre de l'Industrie discutent avec cette entreprise. Lorsque nous avons à soutenir ou à financer une exportation, cela arrive de temps en temps dans certaines circonstances, il n'est pas inutile qu'on en parle.

Mais pour le reste, l'entreprise est parfaitement libre et nous ne sommes pas interventionnistes. Au contraire même, je m'efforce dans les domaines où l'État est régulateur – l'énergie, les télécommunications – de faire en sorte qu'il le soit de moins en moins et que ce soit le libre choix du client qui soit la règle. Mais ce n'est pas facile.

M. Le Marc : Les conditions mises l'accélération du remboursement de la TVA, c'est très libéral ?

M. Longuet : Il faut le situer sur le plan moral. Après tout, c'est vrai que l'État rembourse une dette, mais puisqu'on ne peut pas rembourser tout le monde immédiatement et qu'il y a par conséquent un ordre, c'est mathématique, cet ordre doit tenir compte des efforts des uns et des autres. C'était une intention, mais je crois que les patrons ont tous envie de faire quelque chose pour l'emploi et nous n'avons donc pas besoin de le codifier puisque, j'en suis persuadé, c'est un sentiment de responsabilité unanimement partagé chez les employeurs.


Objections

M. Denoyan : Objections de Jean-Paul Huchon, Secrétaire National du Parti Socialiste.

Bonsoir, Monsieur Huchon.

M. Huchon : Bonsoir.

M. Denoyan : Je suppose que vous ne partagez pas les propos tenus depuis maintenant à peu près 20 minutes par Monsieur Longuet. Hier vous avez, avec vos amis socialistes, fait une critique très dure de l'action gouvernementale sur le plan économique menée depuis mars dernier. Je crois que c'est le moment d'échanger vos points de vue avec Monsieur Longuet.

M. Huchon : J'ai senti l'inquiétude dans les propos de Monsieur Longuet, et c'est important parce que le Gouvernement, 10 mois après, accumule les résultats économiques et sociaux négatifs. Il s'était engagé à faire résorber ou reculer le chômage : aujourd'hui, on sait que le chômage est passé à 12 % de la population, qu'on a pris 300 000 chômeurs de plus, qu'il y a beaucoup plus de chômeurs jeunes et que l'allongement de la durée du chômage est un phénomène terrible.

Or ceci est le résultat d'une politique, qui est une politique de restriction du pouvoir d'achat de la consommation, alors que tout le monde a compris, je crois, que nous sommes en pleine crise de la consommation et que les Français ont peur, ils n'ont pas confiance : ils épargnent et ils ne consomment pas. D'ailleurs Monsieur Longuet le reconnaît implicitement puisqu'il vient de parler d'un coup de pouce, qui est bien faible, pour la consommation. Et il faudrait d'ailleurs qu'il explique de quoi il s'agit.

Le Gouvernement, lui, a fondé sa politique, semble-t-il, sur la baisse à tout prix du coût du travail et des cadeaux totalement inopérants pour le patronat, au point que Monsieur Balladur est obligé de faire semblant de se fâcher pour obtenir des patrons des contreparties d'emplois au remboursement de la TVA.

Est-ce que ce Gouvernement va changer de politique ? Est-ce qu'il va enfin s'attaquer au chômage ? Est-ce qu'on va assister à une aide à la reprise ? Ou est-ce qu'on va nous dire simplement, toutes les semaines, que l'horizon recule d'un mois chaque semaine ?

Par ailleurs, ce Gouvernement avait pris l'engagement…

M. Denoyan : Vous pouvez dialoguer Monsieur Longuet, si vous voulez.

M. Longuet : Je crois que Jean-Paul Huchon récite…

M. Huchon : … on vous écoute Monsieur Longuet.

M. Longuet : Je vais le laisser réciter.

M. Huchon : On vous écoute, Monsieur Longuet. Répondez à ma question.

M. Longuet : Vous avez mille fois raison, la situation économique d'aujourd'hui dépend d'un politique, elle découle d'une politique, la vôtre. Vous l'avez exercée suffisamment longtemps pour ne pas en vouloir à ce Gouvernement de ne pas pouvoir en quelques mois réparer les erreurs accumulées par 10 ans de socialisme.

M. Huchon : Monsieur Longuet, vous avez promis de lutter contre le chômage.

M. Longuet : Il faut tout de même rappeler, cher Jean-Paul Huchon…

M. Huchon : … Vous aviez promis de lutter contre le chômage.

M. Longuet : Oui, naturellement, nous avons promis de le faire et nous avons bien l'intention de le faire, mais on le fait à partir du pays que vous nous avez laissé, dans la situation des finances publiques, dans la situation des finances sociales…

M. Huchon : … Pourquoi avez-vous ponctionné la consommation à ce point ?

M. Longuet : … Devant l'ensemble des mesures que vous n'avez pas eu le courage de prendre.

M. Huchon : Pourquoi avez-vous ponctionné la consommation à ce point ?

M. Longuet : … Jean-Paul Huchon, vous êtes rocardien, votre patron a réclamé pendant des mois des mesures qu'il n'a pas eu le courage de prendre…

M. Huchon : … Vous n'admettez pas l'objection.

M. Longuet : … Ne venez pas aujourd'hui alors que vous avez d'autres activités nous donner des leçons de morale alors que nous essayons de réparer les dégâts d'une situation que vous avez laissée.

Je préférerais, Jean-Paul Huchon, vous qui êtes une personne dynamique et sympathique, que vous me donniez un coup de main pour que la France réussisse plutôt que de nous poser des questions dont vous connaissez parfaitement les réponses. Vous savez parfaitement que nous ne pouvons pas du jour au lendemain, à la fois, infléchir une évolution européenne, modifier la situation allemande dont vous savez, parce que vous êtes compétent, qu'elle pèse lourdement sur l'activité économique, européenne en général, française en particulier, et vous savez par ailleurs que nous avons à lutter contre les défauts français qui ont été accumulés en sédimentant les erreurs de plusieurs générations politiques. Je concède qu'elles n'ont pas commencé, toutes en 1981.

M. Huchon : C'est le moins qu'on puisse dire ! Mais pourquoi avez-vous ponctionné…

M. Longuet : … Non, mais vous les avez plutôt largement aggravées.

M. Huchon : Pourquoi vous êtes-vous attaqué à la consommation alors qu'aujourd'hui vous prenez l'engagement de la rétablir ? Et qu'est-ce que cela a produit en matière de réductions des déficits publics ?

M. Longuet : Je vous aime beaucoup, Jean-Michel Huchon ; mais votre jugement s'efface devant un critère plus objectif. Après tout, pour nous départager, les électeurs peuvent se dire : « Oui, ces hommes politiques, il y a en a de gauche, il y en a un de droite, ils défendent chacun leur crèmerie », moi, je vous propose un arbitrage extérieur. Cet arbitrage extérieur, ce sont les conditions qu'il faut mettre en avant pour défendre la valeur de notre monnaie.

Nous avons plus que rétabli la parité du franc par rapport au choc du 1er août 1993 et nous le faisons avec un taux monétaire à trois mois, vous êtes dans l'entreprise, vous savez que cela veut dire, qui est inférieur…

M. Huchon : … Monsieur Longuet, je vous ai posé une question, la correction…

M. Longuet : … De trois points ou de quatre points à la situation que nous avons trouvée…

M. Huchon : … La correction serait de répondre à ma question.

M. Longuet : Ceux qui connaissent l'économie, Jean-Paul Huchon…

M. Huchon : … Monsieur Longuet, la correction serait de répondre à ma question…

M. Longuet : … Et qui ne se présentent pas devant les électeurs savent parfaitement qu'entre deux politiques…

M. Huchon : … Vous n'avez pas la correction de répondre à ma question.

M. Longuet : … Il y en a une qui coûte moins cher, qui est plus solide et qui est plus sérieuse, ce qui se traduit par un taux d'intérêt sur l'argent français à plus bas terme.

M. Huchon : Ce n'est pas un dialogue, c'est un monologue, Monsieur Longuet.

M. Denoyan : Vous avez posé votre question…

M. Longuet : … L'arbitrage nous est donné de l'extérieur par un juge indépendant, l'argent français n'a plus besoin d'être défendu avec des taux d'intérêt dissuasifs.

M. Denoyan : Merci, Jean-Paul Huchon.

M. Le Marc : On évoquait la Bosnie, Pierre-André Villeserve, votre collègue de l'UDF estime que François Léotard a dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas en affirmant que parler de « machin » à propos de l'ONU, c'est être en-dessous de la réalité. Partagez-vous ce jugement sévère et que pensez-vous aussi du débat qui se noue au sein de la majorité sur l'opportunité d'un retrait des Casques bleus ?

M. Longuet : Ce qui a été fait par Alain Juppé, sou l'autorité d'Édouard Balladur et, naturellement, en concertation avec François Léotard, – c'était indispensable –, c'était de rapprocher les points de vues français et allemands au cœur de l'Europe sur la Bosnie, sur la Yougoslavie en général.

Vous savez que c'est par la divergence des points de vue français et allemands que cette affaire à dérapé et que l'Europe a été paralysée au début du conflit. Aujourd'hui, nous avons une position commune depuis novembre, qui a été consolidée à la réunion de l'OTAN en janvier, au début de ce mois, et cette attitude consiste à dire : « Il n'y a pas d'engagement militaire en Yougoslavie qui n'ait de sens s'il est au service d'un projet politique ». Un projet politique, cela veut dire que les trois parties acceptent de s'asseoir autour d'une table, ce qu'ils ont déjà fait, et acceptent de partager, avec ce que cela veut dire d'injustice, avec ce que cela veut dire d'injustice, avec ce que cela veut dire d'arbitraire mais avec ce que cela veut dire de règles fixes d'établir un plan politique.

Tant que nous n'aurons pas ce plan politique, il n'y aura pas de progrès possible car si l'on doit se disputer chaque village, chaque colline, chaque quartier, c'est impossible.

M. Le Marc : Vous ne répondez absolument pas aux deux questions que j'ai posées :

La première question : partagez-vous l'avis de François Léotard sur l'ONU ?

La seconde question : que pensez-vous du débat qui se noue au sein de la Majorité sur le retrait des Casques bleus dès le mois de mars ?

M. Denoyan : « Machin » ou pas « Machin » ?

M. Longuet : Je comprends le sentiment de François Léotard vis-à-vis des Nations-Unies puisque nous avons demandé aux Nations-Unies des choses simples, la possibilité de frappe aérienne pour accompagner sur un certain nombre de projets : Srebrenica, Tuzla, nous n'avons pas de réponse et je considère que Léotard s'est exprimé comme un militaire, comme le faisait Bigeard autrefois…

M. Denoyan : … Mais pas comme un politique, alors ?

M. Longuet : Et, moi, comme un diplomate, je dirais que l'ONU n'est pas en mesure de répondre aux attentes qu'on place en elle, clairement.

Mme Ardisson : La différence qu'on a sentie entre Français Léotard et Alain Juppé est qu'il y en a un qui cogne contre l'ONU et l'autre qui arrondit les ongles parce qu'il représente la diplomatie française ?

M. Longuet : C'est exactement le même message : « Nous avons, nous, Européens, puisque nous avons une partie de la responsabilité du dossier, proposé une solution commune, nous avons bâti une attitude commune franco-allemande, nous demandons à l'ONU d'en tirer les conséquences et l'ONU ne répond pas ».

M. Le Marc : Clivage au sein de la Majorité que l'on sent de plus en plus se former sur cette question de la Bosnie et du retrait ou non des Casques bleus ?

M. Longuet : La question qui est effectivement posée par les responsables politiques français, par ceux de la Majorité et par ceux de l'Opposition, c'est normal qu'ils la posent, c'est qu'à partir du moment où l'ONU n'est pas en mesure d'assumer ses responsabilités en termes de direction, cela pose un vrai problème.

M. Le Marc : Souhaitez-vous un retrait des Casques bleus au mois de mars, bien qu'il y ait, comme le suggèrent vos collègues de l'UDF, la confirmation du mandat des Casques bleus avant le mois de mars ?

M. Longuet : Je souhaite que l'on arrive à une situation politique et que chacun des trois belligérants, même si l'un est agressé sur son territoire, les Bosniaques, accepte cette idée simple que sans se mettre autour de la table pour arrêter des limites politiques aux zones, nous ne pourrons pas espérer une solution quelconque.

Les soldats français font un effort fantastique, ce ne sont pas les seuls mais ce sont les plus importants, ils doivent être au service d'un projet, ce projet ne peut être qu'un projet politique. Or, il se trouve que les belligérants viennent à Genève, regardent la carte et ont le sentiment, parce que certains ls conseillent ainsi, qu'ils n'ont pas à conclure immédiatement et que, en attendant un peu, ils auront mieux. Eh bien, je crois que c'est une erreur ! C'est, hic et nunc, à Genève, qu'il faut traiter l'affaire.

M. Denoyan : C'est une erreur mais ils le font.

M. Longuet : Parce que l'Europe a été trop tardive dans sa position commune mais elle a, aujourd'hui, une position commune et c'est le résultat de la coopération.

M. Le Marc : La question est le retrait ou non des Casques bleus ?

M. Longuet : Elle n'est pas à l'ordre du jour dès lors qu'il y a l'espérance d'une solution politique.

M. Roland-Lévy : Sur le plan français, êtes-vous favorable à ce qu'un débat parlementaire ait lieu, comme l'a proposé Charles Millon, Président du Groupe UDF ?

M. Longuet : Je n'y vois que des avantages, c'est le rôle du Parlement le moment venu, mais l'essentiel n'est, hélas, pas à l'intérieur de l'Assemblée nationale française, il y a une position française, cette position, c'est de souhaiter la paix sur un accord politique. Pour que cet accord politique soit rendu inéluctable, il faut que des grandes puissances le cautionnent, l'Europe l'a cautionné. Il faut étendre cette garantie, manifestement, à d'autres puissances qui ne sont pas directement intéressées mais qui pèsent.

M. Roland-Lévy : Vous êtes en train de dire qu'il faut essayer de convaincre les Américains et les Russes ?

M. Longuet : Exactement.

M. Roland-Lévy : Pensez-vous que ce soit faisable ?

M. Longuet : On a réussi dans d'autres domaines à les convaincre, pourquoi ne pas réussir dans ce domaine-là.

Mme Ardisson : Association d'idées de l'Europe aux élections européennes, Jean-François Deniau est-il le candidat officiel du PR ?

M. Longuet : Annette Ardisson, c'est le candidat du Parti Républicain mais c'est surtout un Européen tout-à-fait exemplaire parce qu'il aune double qualité que peu d'hommes ont, peu de femmes ont, il a, à la fois, la raison de l'Europe et la passion de l'Europe.

La raison parce qu'il a été l'un des rédacteurs du Traité de Rome, parce que, dans sa vie administrative, politique, ministérielle, il a été au cœur des grandes batailles européennes sur le plan de la construction de l'Union européenne et que, par ailleurs, c'est vraiment un homme de passion. Un homme de passion qui s'est engagé physiquement au service des causes de la liberté sur les terrains les plus difficiles.

Je trouve que c'est un homme qui est parfaitement symbolique de l'Europe telle qu'on l'aime, c'est-à-dire capable de construire des choses aussi terre-à-terre qu'un marché commun agricole et capable de porter un message de Liberté, de Droits de l'Homme dans le Monde entier. C'est pourquoi je soutiens avec beaucoup de ferveur Jean-François Deniau.

Mme Ardisson : Pour une liste unique ?

M. Longuet : Pour une liste unique.

Mme Bacque : Saut que le RPR revendique la tête de liste, lui aussi. Cela vous gênerait-il que Jean-François Deniau soit le deuxième et qu'un RPR comme, par exemple, Alain Juppé soit le premier ?

M. Longuet : Rien ne me gêne, ce que je souhaite c'est que la voix de la France, au Parlement européen, la voix de la Majorité soit la plus forte possible. Nous avons une chance exceptionnelle à ces élections de 94 de donner à la France une autorité à Strasbourg qu'elle n'a jamais eue depuis l'élection au suffrage universel.

Nous avons toujours été dispersés dans plusieurs groupes face à des coalitions qui ne nous laissaient peu de responsabilités. Je crois que, pour des raisons diverses et variées, en 1994, la voix de la France peut être forte, elle ne sera forte que sur une liste unique et dans un groupe unique.

Mme Bacque : Et si la tête de liste siège à Strasbourg ?

M. Longuet : C'est naturellement une condition hautement préférable.

M. Le Marc : Deux listes, l'une conduite par Charles Millon, l'autre par Philippe Seguin, cela vous parait catastrophique pour la Majorité ?

M. Longuet : En tous les cas, cela ne restitue pas l'image de la plus grande cohésion française. J'ai de l'amitié pour l'un et pour l'autre et du respect intellectuel pour Seguin dont je ne partage pas les conclusions. Ce type de coexistence dans la campagne ne ferait qu'exagérer les différences alors que tout, depuis dix mois, prouve que RPR et UDF peuvent construire l'Europe ensemble, avec un gouvernement commun et, par conséquent, avec une liste commune.

M. Roland-Lévy : On est donc dans un débat qui ressemble à ces que Jacques Barrot appelait hier « une sorte de tarte à la crème » puisqu'il s'agit plus, si j'ai bien compris, d'un problème d'hommes, puisque sur le fond vous êtes d'accord, c'est cela ?

M. Longuet : Oui, c'est un problème d'hommes, les problèmes d'hommes sont tout à fait respectables…

M. Roland-Lévy : … Sinon on n'en parlerait pas ici.

M. Longuet : Absolument ! le RPR peut dire à l'UDF : « vous avez eu la tête de la liste commune la dernière fois, en 94, vous l'avez eu en 89, nous sommes en 94, donnez-nous notre chance ». Encore faut-il qu'ils nous disent quel est leur candidat.

M. Garibal : On s'occupe beaucoup de vous aussi à Bruxelles, toujours à propos du libéralisme, la Commission de Bruxelles, au nom des entraves à la concurrence et des entraves au libéralisme, vous a déjà provoqué quelques ennuis en matière du dossier de Bull puisqu'elle vous a interdit de verser un certain nombre de subventions, puis elle s'occupe aussi de vous à propos des monopoles d'électricité et de gaz.

Pour Bull, le fait de vous empêcher de verser 2,5 milliards pour recapitaliser l'entreprise ne vous rend-il pas aussi, dans une certaine mesure, service parce qu'elle va vous obliger finalement, peut-être, à faire un certain nettoyage chez Bull qu'il était difficile peut-être de faire sous un angle purement français ?

M. Longuet : Cette affaire est très instructive pour la France et pour la Société française. Elle indique très clairement que, dès lors qu'on accepte une compétition économique mondiale, de la même façon que nous n'entendons pas pour voir nos concurrents bénéficier d'avantages extraordinaires, nous ne pouvons offrir à nos entreprises françaises des avantages extraordinaires. Or, qu'on le veuille ou non, c'est vrai, un soutien public à une entreprise publique peut apparaître comme faussant la concurrence.

Je constate que Bull a été nationalisé, ce n'était pas l'objectif de la Majorité, nous avons toujours combattu cette nationalisation. Cette nationalisation n'a pas permis à Bull, manifestement, de trouver son équilibre et nous avons hérité d'une entreprise qui était virtuellement en dépôt de bilan, nous ne pouvions pas l'abandonner et nous ne pouvons pas effacer du jour au lendemain 10 ans de socialisme. Je l'aurais dit à Jean-Paul Huchon, s'il était resté, on n'efface du jour au lendemain 10 ans de socialisme, donnez-vous un petit peu de temps. Bruxelles nous répond : « Oui, mais il faut voir », eh bien, nous allons leur donner un plan qui les rassurera et je ne désespère pas d'obtenir le financement de cette évolution de Bull vers l'économie de marché et vers la liberté absolue.

Mme Ardisson : Gérard Longuet, si les gouvernements successifs traînent ce boulet économique depuis des années, c'est aussi parce qu'il y a une signification politique à la possession de cet outil technologique, en termes de politique internationale.

M. Longuet : Ce fut vrai sans doute dans le passé, ce n'est pas le cas…

Mme Ardisson : Est-ce que le libéral que vous êtes le défend ?

M. Longuet : Ce n'est pas le cas de notre gouvernement et si j'ai nommé Jean-Marie de la Carpenterie à la Présidence de Bull, c'est d'une façon symbolique pour qu'un homme du privé, qui connaissait Bull puisqu'il en avait été administrateur pendant plusieurs années et pour un homme qui était essentiellement du privé, venu du privé, spécialiste du redressement d'entreprise privées, prenne en charge une entreprise publique pour la conduire sur le chemin de la privatisation.

M. Denoyan : Gérard Longuet, puisqu'on parle un peu des entreprises, de leur développement et de leur stratégie, pouvez-vous nous dire s'il se passe quelque chose de neuf dans l'affaire Renault-Volvo ?

M. Longuet : En ce qui concerne Renault-Volvo, la confiance n'est plus au rendez-vous, en tous les cas, Renault n'a pas confiance dans Volvo et, manifestement, Volvo a eu peur de Renault, donc nous sommes en train de dénouer… enfin, les présidents, semble-t-il, pour autant que je sois informé, mais je le suis tout de même assez fidèlement…

M. Denoyan : … Il serait souhaitable que vous le soyez.

M. Longuet : Oui, puisque, comme vous le rappelez, l'État est actionnaire de Renault…

M. Denoyan : … Bien sûr !

M. Longuet : Les enchevêtrements d'intérêts sont en train de se dénouer, de se délier clairement, tranquillement…

M. Denoyan : … Donc, c'est le désengagement et pas le renouveau vers des protocoles d'accord, tout ou partie de ce qui avait été imaginé ?

M. Longuet : Le Président Schweitzer m'a indiqué qu'il avait mis fin à une centrale d'achats commune. Je crois qu'il est en train de réexaminer les accords juridiques qui le liaient à Volvo, ce sont les avocats qui se parlent… c'est normal, c'est propre, c'est clair.

M. Denoyan : C'est fini, c'est terminé.

M. Le Marc : On entre dans une phase de compétition ouverte entre Jacques Chirac et Édouard Balladur, quelle va être l'attitude de l'UDF ? Va-t-elle compter les points ?

M. Longuet : … De compétition ouverte sur les présidentielles ?

M. Le Marc : Oui. Va-t-elle compter les points ? Va-t-elle prendre parti pour l'un ou pour l'autre ou va-t-elle songer à ses propres intérêts et peut-être promouvoir un candidat ?

M. Longuet : Comme Président du Parti Républicain, j'ai pris l'engagement tout-à-fait solennel en septembre 1993, il n'y a pas très longtemps, de ne pas parler des présidentielles avant septembre 1994, sauf naturellement…

M. Le Marc : … Engagement pour personne ne tient…

Mme Bacque : … Et votre ami, François Léotard, trouve cela très hypocrite.

M. Longuet : Mais, moi je suis Président en exercice et j'ai la responsabilité du Parti, des 110 députés…

M. Denoyan : … Président d'Honneur.

M. Longuet : Président d'Honneur, au Parti Républicain, c'est l'amitié plus la liberté. Michel Poniatowski, François Léotard n'en ont jamais manqué, ni d'amitié ni de libertés, mais le Président du Parti, c'est moi, et je ne parlerai pas des présidentielles avant septembre 1994.

Mme Ardisson : A propos du Parti Républicain, la Justice s'intéresse à vous, votre trésorier va être obligé de se rendre à la convocation du juge sur le financement du Parti Républicain.

Croyez-vous que vous allez tomber dans les mêmes ennuis que le Parti socialiste auparavant ?

M. Longuet : Il faut que les mots soient précis, Annette Ardisson, le juge Van Ruymbeke ne s'intéresse pas au financement du Parti Républicain, il s'intéresse à l'affaire Trager. Il a été désigné pour élucider cette affaire et, dans le cadre de cette affaire, il se dit qu'il y a peut-être des liens politiques ; je vous dis très clairement que le Parti Républicain n'est pour rien dans l'affaire Trager, que nous ne sommes concernés en rien dans ces affaires municipales, Pont-à-Mousson, Trager et compagnie.

Jean-Pierre Thomas, notre trésorier, très courageusement et très loyalement, au début octobre 1993, a répondu pendant plusieurs heures au juge Van Ruymbeke, a mis sur la table la totalité du fonctionnement, sans qu'il en ait l'obligation, du Parti Républicain en cette période, c'est-à-dire dans les lois qui existaient à cette époque, qu'il n'a sans doute pas grand-chose à ajouter. Le juge Van Ruymbeke s'est pris d'affection pour lui, eh bien, c'est une affectation encombrante mais c'est tout !

Mme Bacque : Sauf que votre trésorier a refusé de se rendre à la convocation du juge ? La meilleure façon de lever toute suspicion, c'est finalement d'aller…

M. Longuet : … Quand vous avez déjà passé plusieurs heures avec quelqu'un pour lui expliquer que vous n'avez rien à voir avec l'affaire pour laquelle vous êtes concerné, vous avez le sentiment de l'inutilité d'un nouveau rendez-vous mais puisque la Justice souhaite entendre de nouveau, comme témoin, Monsieur Thomas, nous n'allons pas contrarier la Justice.

M. Denoyan : Gérard Longuet, je vous remercie.

Je vous souhaite « bon week-end » puisque vous allez le passer à travailler. On écoutera avec intérêt votre sortie du séminaire puisque vous nous avez dit que vous alliez proposer des choses intéressantes et importantes.

Bonsoir.