Texte intégral
France 2 : Lundi 15 juin 1994
Gérard Leclerc : 15 % contre 23 % aux dernières européennes. Comment expliquer cet échec ?
A. Laignel : C'est un échec. En même temps, on voit bien que c'est la conséquence d'un extraordinaire éclatement, d'un émiettement, 20 listes, un record. Bien entendu, il y a la montée de certaines forces protestataires dans notre pays. À partir de là, il était difficile de faire entendre une voix sérieuse, raisonnable, proposant un certain nombre de solutions européennes. Nous n'avons pas su, sans doute, hausser le ton suffisamment et être suffisamment clair.
Gérard Leclerc : La liste Tapie vous talonne. C'est un problème ?
Pierre Vasseur : Il y a effectivement des électeurs de gauche qui ont voté pour B. Tapie. C'est un constat que nous devons faire. Nous devons tirer un certain nombre de conséquences pour l'avenir.
Gérard Leclerc : 25 % des suffrages, c'est moins qu'aux dernières élections européennes.
P. Vasseur : C'est un peu moins. Je ne parlerai pas d'échec. Je parlerai de déception par rapport à nos espérances. On aurait aimé être un peu plus près des 30 %. Cela dit, la liste RPR-UDF est quand même d'assez loin la première liste. On n'est pas dans la même situation que le PS. Nous avons affaire à une élection qui a beaucoup d'abstentions. Cela relativise. Nous avons affaire à des élections qui sont des élections-défouloir dont les Français n'ont pas bien compris l'enjeu. Ils ont voulu émettre un vote de tendance protestataire. Il y a eu 20 listes, donc un éparpillement de voix sur un tas de liste. On ne peut pas tirer de conclusions pour le futur, notamment pour l'élection présidentielle qui seraient des conclusions très légèrement – quand je dis très légèrement, c'est un euphémisme – exagérées par rapport aux résultats que nous avons connus hier.
Gérard Leclerc : Faut-il considérer P. de Villiers comme faisant partie de la majorité ?
Pierre Vasseur : Si j'ai bien entendu ce qu'il a dit pendant sa campagne, il se situe dans la majorité, puisqu'il se présentait comme étant l'autre liste de la majorité.
Gérard Leclerc : Mais vous le rejetiez !
Pierre Vasseur : Que P. de Villiers ait adopté une démarche qui soit différente de celle de l'union, c'est certain. Ça pose un problème de l'union, à laquelle je suis particulièrement attaché, même pour l'élection présidentielle, où je souhaite que nous soyons unitaires. Il faut également que les gens soient également unitaires. Il faut que l'électorat soit d'accord pour l'union. P. De Villiers ne peut pas être rangé parmi les électeurs de M. Rocard ou de M. Laignel. Il se situe dans une autre logique, qui n'est pas tout à fait socialiste. Il pose un problème aux formations politiques auxquelles il nie un droit d'organisation.
Gérard Leclerc : Vous aviez envisagé de l'exclure.
Pierre Vasseur : On a simplement constaté qu'à partir du moment où le PR avait adopté une procédure consistant à faire voter ses instances qui s'étaient prononcées pour la liste d'union, ceux qui n'avaient pas participé ni au vote et qui avaient adopté un comportement différent s'étaient mis d'eux-mêmes en dehors. Je ne retire rien à ce que nous avions dit. Je ne crois pas que les électeurs de P. de Villiers soient de gens que l'on peut ranger parmi les opposants les plus farouches de la majorité et du gouvernement et qui pourraient rejoindre les électeurs de M. Rocard ou de M. Tapie. Il est vrai que l'on peut les ranger dans un camp plutôt dans un camp que dans l'autre.
Gérard Leclerc : Aviez-vous l'Europe honteuse ?
A. Laignel : Il faut essayer d'analyser ce qui vient de se passer. C'est le résultat d'un certain nombre de crises. Même s'il y a un tout petit mieux par rapport aux dernières européennes, il y a quand même une immense marée d'abstentionnistes. Crise des valeurs, crise politique. On n'a pas les résultats de ce matin sans qu'un certain nombre de crises se soient accumulées. Je suis très inquiet non pour les socialistes, mais pour la démocratie française, sa santé. Quand je vois P. de Villiers fait 12 %, que M. Le Pen continue de faire 11%, je constate que l'extrême-droite en France fait 23 %. Ça m'inquiète considérablement.
Gérard Leclerc : N'y a-t-il pas un vote contre l'establishment ?
P. Vasseur : A. Laignel exagère un peu ses interprétations en disant qu'il y a 23 % des gens qui sont à l'extrême-droite.
A. Laignel : Ce sont des votes de droite extrême. Dans l'analyse que vous venez de faire, comme par hasard, vous avez complètement occulté le phénomène de l'extrême-droite dans notre pays. C'est une réalité et une inquiétude.
P. Vasseur : Nous sommes en désaccord sur ce point. Ce qui me frappe, c'est que l'image prend le pas sur le fond. On vote plutôt pour des hommes, pour leur talent médiatique que sur le fond des problèmes. Le fond n'est pas apparu dans cette campagne électorale. Nous allons au-devant d'un grave danger. Il y a un émiettement. Il y a une perte du sens général au profit des intérêts particuliers. Nous avons intérêt à poser vraiment le problème de fond de la société française et de l'Europe qui sont cruellement disparu dans cette campagne. Nous allons au-devant de déconvenues si nous n'y prenons garde et si nous ne sommes pas capables de rendre à la politique ce qu'elle n'aurait jamais dû céder.
Gérard Leclerc : Peut-on être un candidat naturel avec seulement 15 % des voix ?
A. Laignel : Les élections étaient européennes. Malgré les mauvais résultats socialises en France, les socialistes en Europe ont progressé. Ils sont la première force au Parlement européen. Il y a là des germes d'avenir pour ce que nous souhaitons défendre. En ce qui concerne les élections présidentielles, par pitié, ne mélangeons pas les votes et les scrutins ! Un sondage qui a été fait hier en même temps que ce qui a été fait pour les européennes démontre que le point moyen pour M. Rocard est à 46 %. 46 % un an avant une élection présidentielle, il y a bien des candidats qui aimeraient bien être à cette hauteur.
Gérard Leclerc : On ne remet pas en cause sa candidature ?
Pierre Vasseur : Le rassemblement dans une élection à deux tours est d'une tout autre nature. On ne peut pas confondre des élections éclatées à travers 20 listes et une élection présidentielle où les problèmes essentiels de la société seront au cœur du débat. C'est ce que nous voulons faire.
Gérard Leclerc : Deux candidats, n'est-ce pas mieux que l'union ?
P. Vasseur : C'est ce qu'on voulut démontrer un certain nombre de personnes. Je persiste et signe : je reste attaché à une candidature d'union à l'élection présidentielle dès le premier tour, sans arrière-pensées, quel que soit le candidat qui s’avérera le mieux placé.
Gérard Leclerc : Chirac ou Balladur ?
Pierre Vasseur : Peu importe, et sans se prononcer auparavant pour l'un ou pour l'autre.
RTL : jeudi 23 juin 1994
M. Cotta : Y a-t-il, aujourd'hui, une identité du PR ? Et quelle est-elle ?
Pierre Vasseur : Nous sommes les héritiers d'une vieille tradition française, celle des indépendants, même si nous sommes un parti jeune. Le PR rassemble des gens de tempérament assez divers, mais qui sont unis par une volonté commune. Ce qui définit l'identité du PR ; aujourd'hui ce sont deux choses. La première, et là-dessus, maintenant, tout le monde est d'accord, c'est une stratégie d'union totale, y compris pour l'élection présidentielle. La deuxième identité est que nous sommes sur l'échiquier politique et parti profondément le plus réformiste.
M. Cotta : Quand A. Griotteray dit que le PR vogue comme un bateau ivre, que veut-il dire ?
Pierre Vasseur : Cela vous démontre que l'on a le droit de parler au PR. A. Griotteray est un homme qui a un véritable talent, mais il devrait de temps en temps comprendre que la vertu du silence est aussi une grande vertu en politique. Cela veut simplement dire que pendant quelques jours, compte tenu de l'initiative qui avait été prise par certains députés il y a eu du tangage. La suite des évènements a démontré à A. Griotteray qu'il y avait une boussole et un capitaine à la barre.
M. Cotta : Pourquoi n'avez-vous pas formé votre groupe ?
Pierre Vasseur : C'est la conviction qu'il valait mieux rester uni qui l'a emporté, à condition que l'identité du parti soit respectée. Mais les avis étaient très partagés au sein des députés. Il y avait 50 à 60 % des députés qui souhaitaient l'autonomie avec un groupe particulier à l'Assemblée nationale, et une autre partie qui souhaitait rester au sein du groupe UDF. Ce qui est important, c'est de pouvoir se rassembler malgré les divergences d'appréciation.
M. Cotta : Est-ce que V. Giscard d'Estaing doit respecter votre cahier des charges, et en particulier l'idée de candidature unique ?
Pierre Vasseur : De notre point de vue, il y a une obligation de résultat. Nous pensons que dans une confédération de partis, comme l'est l'UDF, on ne peut pas engager l'ensemble des formations politiques sans au moins leur avoir demandé leur avis. Aujourd'hui nous demandons instamment et fermement, sinon il pourrait avoir un problème beaucoup plus grave, que l'on ne prenne pas en notre nom une décision sans nous avoir consultés.
M. Cotta : En fait vous n'avez toujours pas pardonné la candidature de D. Baudis que vous avait imposé V. Giscard d'Estaing ?
Pierre Vasseur : J'ai fait la campagne de D. Baudis sans état d'âme, avec conviction. Mais je n'ai pas aimé les conditions dans lesquelles il a été désigné. D'ailleurs la suite des évènements a démontré que si on avait pratiqué une désignation un peu plus large, D. Baudis aurait pu compter sur davantage de gens lors de sa campagne électorale.
M. Cotta : Avez-vous peur que V. Giscard d'Estaing recommence les élections présidentielles ?
Pierre Vasseur : C'est une crainte que l'on peut avoir. Ce que nous disons dès aujourd'hui et au moins les choses seront claires : si quelqu'un annonce sa candidature dans nous demander notre avis au sein de l'UDF, nous ne nous sentirons pas liés par cette décision. Nous voulons l'union et tout ce qui concourra à la division nous trouvera sur la route.
M. Cotta : Pensez-vous que l'UDF n'a pas respecté le principe de la démocratie ?
Pierre Vasseur : D'une certaine façon, il y a une pratique de la démocratie qui est un peu sélective. J'ai tendance à penser que lorsque l'on ne demande pas l'avis des gens et que l'on parle en leur nom, la démocratie n'est pas un modèle comme nous voudrions qu'il soit. C'est parfaitement exact.
M. Cotta : Cette candidature unique, que souhaitent G. Longuet et F. Léotard, est faite sur mesure pour E. Balladur ?
Pierre Vasseur : Au sein du PR, il y a un certain nombre de personnes qui militent pour la candidature d'union, mais qui ne militent pas pour un candidat. L'union est un combat permanent, et n'est pas un costume sur mesures. C'est du prêt-à-porter que l'on ajustera le moment venu. Cessons de dire qu'une candidature d'union est nécessairement faite pour le Premier ministre, car ce n'est pas vrai. L'union peut profiter à n'importe qui dans la majorité. Elle peut profiter à J. Chirac ou à quelqu'un d'autre.
M. Cotta : Que répondez-vous à C. Millon qui souhaite une double candidature ?
Pierre Vasseur : C'est pour cela qu'il était nécessaire de clarifier les choses. D'abord au sein des députés, et dimanche prochain lors du conseil national nous prendrons position pour l'union. C. Millon est signataire du manifeste du Parti républicain, et il votera au conseil national pour la stratégie d'union comme il s'y est engagé. C. Millon prend aujourd'hui l'engagement de respecter notre ligne.
M. Cotta : Quelle portée exacte a votre décision sur celle personnelle de V. Giscard d'Estaing de se présenter ou de ne pas se présenter ?
Pierre Vasseur : Aucune. Il est parfaitement exact que sous la Vème République, la déclaration de candidature est individuelle. Nous ne demandons pas, nous, les partis politiques de choisir un candidat, ce n'est pas notre rôle. Simplement le moment venu, il faudra que nous en soutenions un.
M. Cotta : Comment allez-vous le choisir ?
Pierre Vasseur : Je suis pour l'élection primaire, pour une forme de désignation. Je crois que l'on pourrait consulter un grand collège d'élus locaux. Après tout, la Vème République est née comme ça. Consultons un grand collège d'élus locaux, on désignera un candidat, on présentera un candidat qui aura notre soutien. S'il y en a d'autres à côté, les Français choisiront.