Interview de M. Philippe de Villiers, député PR et président de Combat pour les Valeurs, dans "Le Figaro" du 16 juin 1994, sur ses objectifs politiques après le succès de sa liste aux élections européennes et sur l'avenir du PR.

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Média : Le Figaro

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Le Figaro : Que pensez-vous de la guérilla d'un jour de vingt-sept députés du Parti républicain ?

Philippe de Villiers : C'est une onde de moucherons à la surface d'une mare politicienne ! Le Parti républicain vit une crise profonde qui est une crise d'identité, c'est-à-dire une crise d'idées, et une crise morale au sens où l'entend sans doute la garde des Sceaux…

Le Figaro : Avez-vous l'intention de démissionner du PR ?

Philippe de Villiers : L'avenir n'est pas écrit. Que deviendra le PR dans les mois qui viennent ? C'est une vraie question. Je pense que si les dirigeants de la majorité réfléchissent à ce qui s'est passé lors des élections européennes, ils feront à la famille qui a choisi notre liste une place permettant à la majorité d'évaluer dans son organisation et de retrouver le goût du débat des idées. Si les états-majors politiques continuent d'éteindre les débats, ils auront lieu ailleurs, dans d'autres cercles ou, hélas ! dans la rue.

Le Figaro : Est-ce une menace ?

Philippe de Villiers : Non, c'est un appel au bon sens et à l'unité des candidatures à l'élection présidentielle, à la condition qu'elle mette au cœur de la campagne électorale deux questions centrales. D'abord, celle de la souveraineté. Considère-t-on que la France est la queue de comète de l'Histoire ou veut-on qu'elle survive à cette fin de siècle ? Veut-on une Europe soumise au libre-échangisme mondial ou une Europe forte à l'extérieur et libre à l'intérieur ? Ensuite, la question de la corruption. Oui ou non, la société politique va-t-elle accepter qu'on s'attaque à ce fléau en installant en France des juridictions financières spécialisées ?

Le Figaro : Avez-vous reçu des témoignages de sympathie après le 12 juin ?

Philippe de Villiers : De la part d'une centaine de parlementaires et de membres de tous les pays européens, certes. Mais aucun en provenance du gouvernement ni de dirigeants des états-majors. J'ai simplement reçu un coup de téléphone du chef de cabinet du Premier ministre qui me convoquait lundi prochain « avant M. Tapie ». J'ai répondu que nous n'avions pas besoin de cet entretien pour remettre l'Europe sur ses rails. Je juge la démarche un peu courte et sans doute trop médiatique pour être fructueuse et nous avons délégué finalement Charles de Gaulle pour se rendre à Matignon.

Le Figaro : Quel mandat comptez-vous abandonner, dans la mesure où vous êtes député français, député européen et président de conseil général ?

Philippe de Villiers : Je ne sais pas encore. Mon résultat en Vendée, qui constitue un véritable plébiscite, me pose un vrai problème. Il faut que j'en parle avec mes amis vendéens.

Le Figaro : Sur quoi repose cette « famille politique » dont vous parliez dimanche soir ?

Philippe de Villiers : C'est un point de rencontre, un rassemblement et un point de départ. Mais je ne crois pas à la sociologie électorale. On n'est jamais propriétaire de ses voix, mais seulement dépositaire. Peut-être nos électeurs ont-ils apprécié notre indépendance d'esprit et notre esprit d'indépendance, ou ont-ils été déçus par les partis classiques. Je tire en tous cas deux leçons de ce scrutin : à l'avenir, les électeurs ne réagiront plus à des consignes de partis, mais à des convictions, ils voteront en conscience. Ils se prononceront en fonction de débats d'idées et non d'ambitions politiciennes et s'éloigneront de la langue du formica médiatique. Les élections européennes ne sont pas une parenthèse ou un défoulement, et je crains, pour l'élection présidentielle, une multiplicité de candidatures avec une absence totale de projets.

Le Figaro : Envisagez-vous de créer votre propre mouvement ?

Philippe de Villiers : S'il y avait un parti à créer, ce serait le parti de la France…

Le Figaro : Souhaitez-vous que l'UDF désigne un candidat à l'élection présidentielle ?

Philippe de Villiers : Ce n'est pas le problème. Il ne s'agit pas de mettre dans un jeu de case de départ multi-partisan des porteurs d'estampilles courant derrière des lièvres. La question, c'est le destin de la France. Je fais partie des traumatisés des élections de 1981 et 1988 et j'ai trop souffert des luttes fratricides. Nous soutiendrons le candidat le mieux placé le jour venu, s'il a un vrai projet de redressement pour la France pour s'attaquer aux dix gangrènes que sont le chômage et l'immortalité.

Le Figaro : Que pensez-vous du score de Bernard Tapie, qui a talonné le vôtre ?

Philippe de Villiers : Le libre-échangisme mondial a pour conséquence de créer une classe de déracinés qui suspectent la classe politique dans son entier. On a inventé en France un nouveau paradoxe : le paradis est proche de la prison. Pour Bernard Tapie, quatre fois mis en examen, l'alternative est claire : ou le palais de justice ou le palais présidentiel !

Le Figaro : Comment compter-vous fidéliser votre électorat ?

Philippe de Villiers : Chaque vote est un acte personnel, solennel, un acte de confiance ultime qu'il ne faut chercher ni à trahir ni à détourner.