Texte intégral
France inter - Jeudi 23 juin 1994
Q : Le gouvernement va-t-il solliciter ses partenaires européens pour se joindre à l'opération rwandaise ?
« Oui, nous avons besoin du soutien de toute la communauté internationale. Nous l'avons obtenu avec le vote du Conseil de sécurité de l'ONU. En même temps, nous attendons un soutien plus important de nos partenaires européens. Il y aura un soutien technique dans le cadre de notre accord de défense, l'UEO. Nous aurions souhaité aussi que d'autres Européens participent au volet militaire de l'opération. Nous espérons pouvoir avoir un soutien plus actif. »
Q : N'y a-t-il pas un risque à y aller quand même ?
« Il y a des risques. Il y aurait eu dix bonnes raisons de ne pas aller au Rwanda. Mais il y a une raison essentielle d'y aller, c'est que tout un peuple est en train de mourir et d'être massacré. De même, lorsque l'on est un citoyen et qu'on voit quelqu'un qui est en danger de mort, il y a un devoir d'assistance à un peuple en danger de mort. C'est dans cet esprit que nous y allons pour une opération qui est militaire et humanitaire, de durée limitée, dans le cadre d'un mandat donné par l'ONU et avec la décision des Nations-Unies de prendre le relais immédiatement après, au bout de deux mois, en principe. »
Q : Que fait-on dans deux mois, si personne ne se joint à nous ?
« En deux mois, la réussite que nous espérons tous de cette opération sur le plan humanitaire aidera la communauté internationale à mieux prendre conscience de ce qui est nécessaire, notamment que les Africains s'organisent de telle sorte que des forces africaines prennent le relais des forces françaises. Il faut que les Africains prennent en mains l'avenir de leur contingent. C'est parce qu'ils n'ont pas été en mesure de le faire que nous avons été obligés de prendre cette initiative. »
Q : La France est-elle la mieux placée ?
« Si d'autres avaient voulu et pu y aller, nous nous en serions réjouis. Il se trouve qu'après plusieurs semaines de massacres et d'efforts diplomatiques impuissants, personne ne faisait rien. La France s'est proposée et a agi devant la carence des autres. Il y a un moment où tout le monde lui en sera reconnaissant. »
Q : Faut-il organiser un débat parlementaire ?
« Le Premier ministre s'en est déjà expliqué, hier, à l'Assemblée nationale. C'est un peu comme la crise bosniaque : nous avons beaucoup d'occasion d'en parler à l'Assemblée. Si un débat plus vaste est souhaité, il faudra voir comment nous pouvons l'introduire dans le calendrier parlementaire. »
Q : Souhaitez-vous qu'un UDF ou V. GISCARD D'ESTAING se présente ?
« Nous parlerons de l'élection présidentielle le moment venu, à la fin de l'année. »
Q : Vous respectez les consignes ?
« Oui, le bon sens. Le PS a expérimenté les inconvénients qu'il y avait à annoncer 18 mois qu'il avait un candidat naturel. Ce qui me paraît important dans ce qu'a dit le président GISCARD D'ESTAING, c'est l'insistance sur le projet. Quand les Français élisent un président de la République, c'est bien entendu pour désigner une personnalité capable de conduire le pays, mais c'est aussi le choix d'une politique, d'une orientation générale, d'un projet. En particulier, dans la période des sept ans qui suivront 1995 se dessinera l'Europe nouvelle dont nous avons besoin. En matière européenne, un grand rendez-vous est prévu en 1996, date de mise à jour du traité de Maastricht. Nous allons en parler aujourd'hui à Corfou. Il faudra donc que nous sachions dans les candidats pour lesquels nous allons voter l'année prochaine quel est leur projet européen, est-ce qu'ils sont conscients de la nécessité de concevoir une Europe nouvelle. »
Q : Quel est le candidat de la France pour succéder à J. DELORS ?
« Il n'y a pas de candidat officiel de la France. Nous devons arriver à un accord à Douze. »
Q : J.-L. DEHAENE serait le favori de la France et de l'Allemagne.
« Les trois candidats sont des hommes remarquables. Deux critères nous paraissent importants : avoir une personnalité ayant une expérience de gouvernement à haut niveau dans son pays. C'est le cas du Premier ministre néerlandais et du Premier ministre belge. Autre critère : faire en sorte que le président de la Commission européenne partage notre vision de la construction européenne, ce qui a été la vision française et franco-allemande depuis l'origine. »
Q : Faut-il qu'il soit social-démocrate ?
« Le sortant l'a été. Il serait donc plus logique qu'il y ait une alternance avec le centre-droit, que ce soit un libéral ou un démocrate-chrétien. Mais quand je dis la vision sociale de l'Europe, je parle de l'architecture de l'Europe et de son rôle. Pour nous, ce n'est pas seulement un marché, un espace dans lequel circulent librement les marchandises : ça doit devenir une véritable puissance politique. La défense de nos intérêts vis-à-vis du reste du monde dans les négociations internationales, de nos intérêts de sécurité sur le continent européen est mieux assurée à Douze que séparément. Nous nous déterminerons sur ces critères. »
Q : On dit qu'il y a un risque que les Douze ne tombent pas d'accord sur le nom du successeur de J. DELORS.
« Il est très vivement souhaitable d'avoir un accord. Nous aurons après un problème de calendrier : depuis l'application du traité de Maastricht, le président de la Commission européenne, puis l'ensemble du collège des commissaires devra être soumis au vote du Parlement européen qui confirmera ou infirmera le choix du Conseil européen. Comme cette Commission doit entrer en fonction au début de l'année prochaine, nous insistons beaucoup pour que nous arrivions à un accord à Corfou. »
Q : Le Livre blanc y sera évoqué. Or les Européens n'ont pas la main facile pour mettre la main au porte-monnaie qui doit permettre le financement de ces grands travaux.
« Il faudra le décider. Nous espérons bien que les chefs d'Etats et de gouvernement décideront d'engager les onze grands chantiers de réseaux européens qui ont été définis au niveau des ministres. Quatre concernent directement la France. Il s'agit du TGV-Nord, du TGV-Est Paris-Strasbourg qui représente un tiers du volume des travaux du Tunnel sous la Manche, la liaison Lyon-Turin et la liaison Paris-Madrid par Montpellier et Barcelone. »
Q : Ca va coûter cher ?
« Cela devrait coûter 30 milliards d'ECU sur les cinq ans qui viennent. Ce n'est qu'une première tranche. Nous définirons d'autres chantiers plus tard. C'est une action très concrète et très puissante de l'Europe pour la relance de l'économie et de l'emploi. »
Q : Les Européens sont décidés à fermer certains réacteurs de Tchernobyl ?
« Il faut fermer Tchernobyl. Je me suis rendu en Ukraine. Nous avons commencé de négocier avec les autorités ukrainiennes. Il y avait quatre réacteurs à Tchernobyl : l'un a explosé, un autre a pris feu, mais deux sont encore en fonction. Nous proposons aux Ukrainiens de fermer le plus vite possible l'ensemble Tchernobyl, de réparer le sarcophage de béton qui protégeait des radiations l'environnement du réacteur qui a explosé. En contrepartie, nous serions prêts à financer l'achèvement d'autres installations nucléaires qui sont techniquement sûres dans trois autres régions d'Ukraine. Nous souhaitons que les Douze se mettent d'accord sur ce projet. Nous en parlerons ensuite aux Américains et aux Japonais dans le cadre du G7 pour parvenir dans les mois qui viennent à fermer Tchernobyl assez rapidement. »
LE FIGARO - 24 JUIN 1994
Le Figaro. – Vous vous êtes rendu tout récemment sur la frontière Oder-Neisse. Quelle était la raison de cette visite ?
Alain Lamassoure. – Voir comment les Allemands renforcent leur frontière de l'Est. Nous avons pour ambition de supprimer les frontières intérieures et de renforcer les frontières extérieures de l'Union européenne. Dorénavant, nous traiterons ensemble les problèmes de la pression migratoire, de la drogue et du grand banditisme, qui nous concernent tous. S'agissant de sujets qui sont au coeur des souverainetés nationales, nous avons considéré que ce n'était pas une compétence communautaire, mais qu'on devait expérimenter une politique commune dans le cadre des accords de Schengen, signés par l'Allemagne, le Benelux, la France, l'Espagne, le Portugal, l'Italie et la Grèce.
Le Figaro. – Où en est la coopération franco-allemande ?
Force est de constater qu'en ce moment le couple franco-allemand se porte bien, comme nous allons le vérifier à nouveau au cours de ce sommet de Corfou. Depuis ses débuts, l'Europe avance par des initiatives franco-allemandes. Si, par malheur France et Allemagne avaient sur un sujet des positions divergentes, il n'y aurait plus une seule, mais deux Europe.
Le Figaro. – Quelles sont les grandes lignes politiques prévues jusqu'à la conférence de révision de 1996 ?
Dans un premier temps, nous nous sommes mis d'accord sur les priorités entre Allemands et Français, puis nous travaillerons avec les Espagnols, qui prendront le relais pour le passer aux Italiens. Naturellement, nous ne décidons pas à deux ou trois, nous présentons nos propositions aux Douze. L'idée est d'utiliser pour une action continue ces deux ans durant lesquels l'Union sera présidée par de grands pays qui ont la même vision de la construction européenne.
Le Figaro. – Quelles sont vos priorités ?
Premièrement, agir sur l'emploi en mettant en place la politique des grands réseaux de communication (TGV, autoroutes, gaz et électricité) et de télécommunication (les nouvelles autoroutes électroniques), qui va représenter un financement européen de 120 milliards d'écus, 800 milliards de francs sur six ans. Ce sera la troisième des grandes politiques européennes, après la politique agricole en 1962, puis la politique de développement régional de 1989. Sur les onze projets, quatre concernant la France, dont trois TGV, principalement le TGV-Est, qui coûtera, côté français, 21 milliards de francs et renforcera le rôle de Strasbourg comme capitale européenne.
Deuxième objectif : la mise en oeuvre de la paix. Nous menons à bien la conférence sur la stabilité en Europe. Nous mettrons en place incessamment deux tables de négociations, une table Baltique et une table Europe centrale, avec l'espoir de signer un pacte au printemps de 1995.
Troisième objectif, enfin : les relations avec nos partenaires privilégiés d'Europe centrale et orientale. Nous devons définir pour eux des conditions d'adhésion déterminant la durée de la période intermédiaire, ce que nous appelons le « contrat de fiançailles ». Mais ce n'est pas parce que l'Europe va s'ouvrir à l'Est que nous devons sacrifier nos relations avec le Sud méditerranéen et africain. La France souhaite que, pendant sa période de présidence, on puisse mener à bien la signature d'accords de partenariat avec le Maroc, la Tunisie et également avec Israël, et qu'on essaie d'aider l'Algérie à sortir de ses difficultés.
Le Figaro. – Ne faites-vous pas double emploi avec la conférence sur la sécurité et la coopération en Europe ?
La CSCE est l'organisation qui aura à faire appliquer le pacte. Il fallait cette initiative diplomatique française pour donner une impulsion à des problèmes évoqués à la CSCE, mais qui avait tendance à s'enliser.