Déclaration de M. Philippe Douste-Blazy, ministre délégué à la santé, sur les priorités de la politique de santé publique, la prévention et le développement de l'épidémiologie, Paris le 29 juin 1993.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Visite au club européen de la santé, à Paris le 29 juin 1993.

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,

Je suis très heureux d'être parmi vous aujourd'hui, et de remplir ainsi un engagement que j'avais pris le 7 avril dernier lorsqu'à peine nommé ministre délégué à la Santé, j'étais venu prononcer une courte allocution lors de la journée OMS. Je vous avais promis de revenir vous parler plus longuement, c'est chose faite ! et, je remercie votre Président, le Pr Sournia, de m'avoir invité aujourd'hui à présenter les grandes lignes de notre politique de santé publique.

1. Définition

Je souhaiterais en introduction bien définir le thème de mon intervention car je n'ai pas la prétention en quelques minutes d'aborder tous les sujets qui concernent la Santé, donc mon ministère.

La santé publique regroupe l'étude de l'ensemble des problèmes de santé d'une population et tente de les résoudre. La santé publique englobe donc la prévention des maladies, leur dépistage, et d'une façon plus générale, tous les aspects de l'épidémiologie. Elle met donc en place des programmes qui pem1ettent d'étudier et de maintenir l'état de santé d'une population. Or, la santé ne se résume pas à l'absence de maladie. C'est un phénomène social autant qu'individuel.

Le cadre de vie, l'habitat, les conditions de travail ou l'absence de travail, la pollution, les habitudes de vie (alimentation, tabac, alcool, sédentarité), tous ces facteurs sont en étroites relations et déterminent l'état de santé d'une population. La complexité de ces systèmes sociaux-culturels dépasse ainsi largement les attributions du système de soins et les orientations prises en matière de santé publique touchent à presque tous les secteurs de l'action politique.

2. Objectifs

Face à la complexité de ces problèmes, je souhaiterais définir les objectifs qui détermineront les priorités de notre action politique. Les objectifs de notre politique de santé publique seront de deux sortes :
– la redéfinition du rôle de la prévention,
– le développement de l'épidémiologie.

Premier objectif

Le rôle de la prévention dans une politique de santé publique

La prévention est une priorité parce qu'elle représente en quelque sorte l'idéal d'une politique de santé publique.

Cela est évident aussi bien en termes d'efficacité lorsqu'une campagne de vaccination permet d'éradiquer une maladie, qu'en termes d'éthique lorsque la prévention constitue le seul moyen que nous ayons pour lutter efficacement contre une maladie. Je pense au SIDA bien évidemment.

Or, toute politique de prévention nécessite au préalable d'avoir identifié des risques et défini des populations-cibles.

L'identification des risques nécessite la collecte d'une information épidémiologique de qualité. Or, cette collecte est fort délicate. Elle doit être capable de détecter des risques, y compris des risques insoupçonnés et elle nécessite des moyens importants et performants.

Or, les réseaux de surveillance qui existent actuellement en France résultent largement d'une stratification peu cohérente. Ils ont le plus souvent été mis en place pour suivre un problème spécifique, à la suite de l'émergence d'une morbidité nouvelle et imprévue. Citons, sans prétendre être exhaustifs, les administrations de l'État, DDASS et DGS, le réseau national de santé publique, les observatoires régionaux de la santé, ou encore les registres du cancer.

Ce trop grand nombre permet mal la globalisation et nuit à l'accessibilité de l'information épidémiologique. Le système de traitement de l'information reste parcellaire, non pas tant en raison de l'insuffisance des moyens ou de la mauvaise volonté des uns et des autres, que de l'absence de coordination.

Tous ces organismes remplissent une mission importante. Mais il est devenu indispensable de restaurer une unité dans ce système. Une commission nationale sera mise en place dans un proche avenir pour définir les synergies à renforcer. Il ne s'agira ni de faire table rase de ce qui existe, ni a fortiori de bâtir un nouveau réseau, mais bien de rationaliser cet ensemble pour le revitaliser.

Notre objectif est de disposer d'un réseau de santé publique qui puisse traiter en temps réel toutes les données épidémiologiques, qui joue un rôle d'alerte, et qui nous permette d'y répondre efficacement.

Conçu pour couvrir l'ensemble des disciplines, ce réseau devra irriguer l'ensemble des professionnels de la santé et être aisément accessible à tous les utilisateurs.

Un tel système d'alerte devra non seulement mettre en évidence des données proprement pathologiques, mais encore identifier des facteurs de risque dans la population.

La définition des populations-cibles est le deuxième élément-clé de toute politique de prévention.

La prévention, vous le savez, est protéiforme. Elle emprunte des voies et des moyens aussi variés que les maladies elles-mêmes. Mais dans tous les cas, l'efficacité de ces actions repose sur une identification rigoureuse des populations-cibles, et donc sur une bonne connaissance des facteurs de risque.

À cet égard, nous devons réussir, en matière de prévention comme ailleurs, à maîtriser les dépenses de santé. Une bonne information ne consiste pas seulement à sensibiliser au risque.

Elle doit être ciblée ; elle doit par exemple s'attacher à éviter l'apparition de phobies, comme on en constate trop souvent pour certains cancers et qui conduisent bien des personnes à multiplier les dépistages alors qu'elles ne présentent aucun facteur de vulnérabilité particulier.

La population est par exemple fortement sensibilisée au problème du cancer du sein, et le dépistage précoce est déjà largement répandu. C'est une bonne chose, car le cancer du sein reste le premier cancer féminin et cause encore environ 10 000 décès par an, dont 10 à 20 % auraient pu être évités si le dépistage systématique avait été véritablement généralisé.

Il est donc important de poursuivre nos efforts auprès des femmes de 45 à 69 ans. Mais cette politique doit se cantonner à cette tranche d'âge.

C'est pourquoi il est capital de bien orienter toute campagne d'information sur ce sujet, et d'expliquer clairement qu'il est inutile de pratiquer des mammographies systématiques sur les femmes de moins de 45 ans.

À l'inverse, il est indispensable de couvrir l'ensemble de la population-cible. Pour prendre l'exemple d'un autre cancer qui fait aussi l'objet d'une politique de prévention ancienne, le cancer du col de l'utérus, le dépistage doit concerner toutes les femmes de 25 à 65 ans. Or, trop nombreuses sont encore celles qui croient qu'il est inutile de pratiquer régulièrement un frottis après la ménopause. C'est un problème important, car le cancer de l'utérus est encore à l'origine de 2 000 décès par an, dont la plupart pourraient être évités par un dépistage de masse bien conduit.

Les problèmes de prévention se posent en des termes bien différents en ce qui concerne le SIDA. Le premier objectif est ici de réduire les risques de contact avec le virus VIH.

Si l'on met à part l'amélioration de la sécurité transfusionnelle, qui pose essentiellement des questions techniques, la prévention repose sur une transformation des comportements et des mentalités.

Mais là encore, le message doit être diversifié et adapté à chaque population à risque. La communication ne peut en effet être efficace que s'il s'agit d'une communication de proximité.

Même en ce qui concerne le public le plus vaste, c'est à dire le ·plus jeune, la campagne que nous allons lancer en liaison avec l'Éducation nationale doit rester une campagne de proximité.

Elle repose sur un plan régional de prévention, établi localement avec les établissements, et qui devra s'inscrire dans la durée.

Enfin, n'oublions pas un autre problème, celui de la prévention auprès des populations défavorisées.

Dans de très nombreuses banlieues et dans certains quartiers de nos villes, les difficiles conditions de vie, la désagrégation du tissu social ont engendré l'apparition de nouveaux exclus en marge de la protection sanitaire.

C'est évidemment là que des politiques, comme celles que j'ai évoquées de dépistage précoce de certains cancers, sont les plus difficiles à généraliser.

C'est tout particulièrement dans cette population que progressent de nouvelles épidémies et notamment le SIDA, associées à la résurgence de maladies infectieuses que l'on croyait définitivement vaincues, comme la tuberculeuse.

C'est également dans cette population que les toxicomanies se développent.

Les réponses à cette dégradation sont multiples. Elles passent avant tout par un important effort d'éducation et je veux parler de l'éducation pour la santé.

Il faut souligner le manque cruel d'organisation et de moyens de la médecine scolaire :
– qu'il s'agisse des médecins, ayant en moyenne en charge 12 000 enfants alors que les normes préconisent un maximum de 5 000 enfants,
– qu'il s'agisse des infirmières ou encore d'assistantes sociales dont sont totalement dépourvues les écoles maternelles et primaires.

Il me paraît donc urgent d'élaborer un programme global et cohérent d'éducation pour la santé des jeunes dès leur plus jeune âge à l'école mais aussi par exemple dans les clubs sportifs.

La prévention est à cet égard un élément important de la politique de la ville. Il faut créer des espaces de santé de proximité englobant l'hygiène alimentaire et sociale, la prévention de l'alcoolisme, l'initiation aux problèmes du SIDA, la prévention de la toxicomanie. Le succès de cette politique repose évidemment sur la force des liens qui se noueront avec le tissu associatif.

Deuxième objectif

Le deuxième objectif de notre politique de santé publique sera de développer en France l'épidémiologie.

Vous savez qu'il existe schématiquement trois types d'épidémiologie :

1. L'épidémiologie descriptive qui étudie la fréquence des maladies et les facteurs associés et/ou déclenchants. Elle permet de savoir quelles pathologies existent actuellement en France et quelles sont les disparités régionales dans la distribution de ces maladies. Il y a par exemple moins d'infarctus du myocarde en Midi-Pyrénées que dans le Nord de la France. Il faut comprendre pourquoi ! C'est important, ne serait-ce que pour affiner les besoins de santé de telle ou telle région.

2. L'épidémiologie analytique qui recouvre les enquêtes étiologiques et permet de connaître les facteurs de risque des différentes pathologies.

3. Et l'épidémiologie d'intervention qui correspond aux essais de prévention et à l'évaluation des programmes mis en œuvre afin de modifier tel ou tel facteur de risque. Elle permet de prendre en compte les évolutions de la pratique médicale.

Alors que la France était dans les années 30 l'un des pays du monde les plus évolués dans le domaine de l'hygiène, nous n'avons pas su maintenir cette avance.

En un mot, la France n'a pas su mettre en place une véritable politique de santé publique comme elle n'a pas su développer une épidémiologie moderne.

C'est grâce à ces deux démarches, coordination des réseaux d'information épidémiologique et création d'instituts de formation et de recherche que je souhaite développer en France l'épidémiologie.

3. Conclusion

Voici, Mesdames et Messieurs, ce que je tenais à vous dire sur notre politique de santé publique.

Les deux objectifs de ma politique que sont la redéfinition du rôle de la prévention et le développement de l'épidémiologie en France, ne seront atteints que par la mise en place d'une politique impliquant la totalité des professionnels de santé.

Notre pays est connu, dans le monde entier, pour ses capacités d'innovation, je dirais même d'initiatives individuelles (voire même de débrouillardise !). Nous avons grâce à nos médecins, à nos pharmaciens et nos infirmières, de fantastiques potentialités. Mais elles n'ont pas été développées suffisamment dans le domaine de la santé publique en raison essentiellement de l'absence d'une appréhension globale des problèmes et de l'hésitation des politiques en charge de ces questions.

Vous le savez, je suis médecin et épidémiologiste de formation. Je souhaite donc aborder tous ces problèmes selon une démarche scientifique à l'écart des polémiques stériles et des querelles de clocher. Une fois clairement identifiés, tous les problèmes de santé publique et les moyens à mettre en œuvre pour les résoudre, je souhaite proposer au Gouvernement un programme précis, planifié dans le temps.

Cela se fera avec l'aide de toutes les professions de santé ou cela ne se fera pas !

Mais reconnaissez que le moment est opportun puisque nous allons mettre sur pieds avec les médecins, les pharmaciens et les autres professionnels de la santé, une véritable politique conventionnelle fondée sur la durée. C'est donc le bon moment pour repenser la politique de santé publique en France et redonner à notre pays un rôle prédominant en ce domaine, rôle qu'il n'aurait jamais dû abandonner.

Cet enjeu constitue un des défis majeurs de cette fin de siècle.

J'entends bien relever ce défi et je pense que des structures comme la vôtre peuvent nous aider dans cette démarche.

Nous ne serons pas de trop pour nous atteler à cette tâche difficile, mais en le faisant sincèrement et efficacement nous participerons à l'amélioration de l'état de santé des français.

Quelle est la plus belle tâche du médecin ? C'est d'appréhender dans leur ensemble les facteurs qui déterminent l'état de santé d'une population et de prendre les mesures préventives et curatives qui permettent de lutter contre la maladie. Voilà pourquoi dans notre monde moderne, l'épidémiologie doit retrouver la place primordiale qui lui revient.

Je m'y emploierai avec force et détermination. Vous pouvez compter sur moi.