Texte intégral
La situation présente de notre pays appelle une mobilisation plus forte des services publics, des administrations, de l'État, autour d'enjeux essentiels : l'emploi, l'exclusion, l'Europe.
L'État, les administrations, les services publics doivent donc avoir les moyens de cette mobilisation. Depuis trois ans - depuis que la FSU est devenue la première force syndicale de la fonction publique d'État, et siège à son conseil supérieur -, elle ne cesse d'intervenir en faveur d'une « réforme d'État ». Mais, à l'opposé des projets de réforme antérieurs, organisant en fait le retrait, en plus ou moins bon ordre, des capacités d'intervention de l'État, la FSU entend contribuer à l'émergence d'une dynamique nouvelle. Nous pensons que cette dynamique devrait naître d'une toute autre approche de la dépense publique, d'une revalorisation du statut social des agents, d'une intervention plus forte des usagers et des citoyens dans la marche des services publics. Comment apprécier à la lumière de ces exigences trois « événements » récents et, à des titres divers, fortement significatifs : les négociations salariales dans la fonction publique, « l'affaire » des 35 heures, le renforcement du rôle des usagers à la Commission de modernisation du service public ?
Négociation salariale fonction publique : une occasion manquée
La FSU a engagé la négociation, ouverte en janvier, avec la volonté de placer au centre des discussions la question de l'emploi. Nous pensons en effet que la fonction publique ne peut rester absente dans la lutte contre le chômage, compte tenu de ce que l'emploi public représente au sein de l'emploi global, des perspectives de recrutement qu'elle offre aux jeunes diplômés, mais aussi de la contribution à la croissance que pourrait entraîner la relance du pouvoir d'achat des salariés de l'État. Cela pose les questions de la précarité, de la réduction du temps de travail et des créations d'emplois proprement dites. Très concrètement, nous souhaitions que la négociation nous permette de rouvrir « l'accord Perben » sur la résorption de la précarité dans la fonction publique, afin que soient levés les obstacles multiples qui empêchent d'aboutir à une résorption véritable de la précarité.
Dans la même logique, nous réclamions que les « 35 heures » soient transposées à la fonction publique selon des modalités, un contenu et un calendrier adaptés aux spécificité des différentes administrations. Nous demandions que les créations d'emplois indispensables, liées à cette réduction, fassent l'objet d'une programmation pluriannuelle. Nous proposions qu'une étude soit entreprise sur les possibilités d'extension à l'ensemble de la fonction publique d'État des dispositions mises en oeuvre au ministère de l'Éducation nationale, à la demande de la FSU, de transformation d'une part importante des heures supplémentaires en emplois ou équivalents. Cette disposition pourrait à la fois concrétiser un devoir de solidarité, offrir des débouchés à des dizaines de milliers de jeunes, mais aussi améliorer la réponse des services publics à des besoins sociaux majeurs. Encore faudrait-il que la politique de l'emploi sorte du dogme du gel de l'emploi public. Encore faudrait-il que « l'État honteux » ne contourne pas ses responsabilités et ses besoins en personnels par l'extension de la précarité et le recours croissant à des contractuels de droit privé.
La FSU se refuse à croire qu'il y ait trop de fonctionnaires : le poids de l'emploi public par rapport à l'emploi total est en hausse depuis 1980, mais cela n'est dû qu'à l'effondrement de l'emploi privé. L'examen des chiffres montre qu'en fait, seule la progression de l'emploi public a permis de limiter l'explosion du chômage. Il montre aussi l'incomparable supériorité des budgets publics, en termes de créations d'emplois, sur les aides directes et indirectes accordées au secteur privé.
Mais les réalités de l'emploi public se heurtent à la conception dominante de la dépense publique. En mettant en avant ses revendications sur l'emploi comme sur les salaires, la FSU n'est en rien aveugle aux difficultés économiques d'aujourd'hui. Mais nous considérons que la fonction publique est un investissement essentiel dans une logique de solidarité, de cohésion sociale mais aussi de développement économique. Nous considérons que la dépense publique ne peut pas seulement être considérée comme une charge. Nous constatons d'ailleurs que de nombreux travaux suggèrent un renouvellement des façons de penser l'intervention publique. Ils incitent à prendre plus totalement en compte l'efficacité des dépenses publiques, à évaluer leur contribution à la production des fonctions collectives et à l'amélioration du bien-être social. Ils concourent aussi à montrer les effets d'un encadrement brutal des dépenses publiques dans le ralentissement ou la fragilisation d'une croissance dépendant toujours de facteurs externes.
La médiocrité de « l'accord salarial FP 97/98 » tourne le dos à de telles logiques. Il reste prisonnier des analyses dominantes. Injuste pour les fonctionnaires totalement écartés des fruits de la croissance à laquelle ils participent pourtant, il n'assure pas même le maintien du pouvoir d'achat sur les trois années de référence (96-97 et 98). Mais cet accord représente surtout une occasion manquée de voir la fonction publique d'État jouer un rôle fort dans le développement économique et social de notre pays.
« L'affaire des 35 heures »
C'est dans ce contexte qu'il faut apprécier la brèche ouverte sur la question des 35 heures dans la fonction publique et les réactions diverses qu'elle entraîne. C'est un acquis de la négociation (et des efforts que nous y avons faits) que l'ouverture, dans l'accord, d'une réflexion sur les implications des 35 heures dans chacune des trois fonctions publiques. Ouverture certes partielle et ambiguë : nous n'avons pu obtenir ni référence au seul objectif qui vaille - les créations d'emplois compensatoires aux réductions - ni calendrier précis, mais ouverture réelle, à nos yeux seule véritable avancée de la négociation. Est-ce trop pour certains ?
La « fuite » d'un document interne de la fonction publique présentant de façon neutre l'état des obligations hebdomadaires des fonctionnaires et « l'estimation » des maxima réels a donné lieu à l'amorce d'une campagne de presse inquiétante à bien des égards. En confondant les horaires atypiques (fonctionnaires dont le maxima de service légal est déterminé autrement que sur la base des 39 heures) et les horaires dérogatoires (agents dispensés, par des décisions hiérarchiques souvent locales, d'effectuer la totalité de leur maxima légal), cette campagne tend à dénoncer un « laxisme généralisé ». Elle est d'autant plus injuste que la crise sociale a aggravé les conditions de travail d'une masse croissante de fonctionnaires, au-delà même des quartiers et des zones difficiles.
Les positions doivent être claires : la transposition des 35 heures à la fonction publique est une nécessité. Rien ne justifierait la mise à l'écart de plusieurs millions de salariés de cette conquête sociale. La réduction du temps de travail dans la fonction publique est une nécessité aussi parce qu'elle permettra de compenser l'effort fourni par les personnels du fait de l'écart croissant entre les moyens nécessaires pour répondre aux besoins sociaux et les postes effectivement disponibles.
La réduction du temps de travail est une nécessité parce qu'elle doit permettre d'améliorer les services rendus aux usagers et l'efficacité des services publics, en permettant un suivi plus individualisé, des réponses adaptées, d'autres formes d'organisations collectives du travail. La réduction du temps de travail est une nécessité parce qu'elle doit entraîner, comme dans le secteur privé, des créations d'emploi et faire ainsi jouer aux services publics tout leur rôle dans la lutte contre le chômage.
La réduction du temps de travail dans la fonction publique implique une mise à plat de l'existant, la connaissance de la diversité des situations et des obligations de travail, la transparence dans l'application des textes réglementaires ou statutaires existants. Nous sommes quant à nous persuadés que la grande masse des fonctionnaires n'a rien à craindre de cette transparence et, au contraire, tout il redouter des manoeuvres que pourrait entraîner le maintien d'une « opacité ». Il est d'ailleurs probable que la complexité et la diversité des services publics ne sont pas plus grandes que celles rencontrés dans le secteur privé. Rien ne peut et ne doit s'opposer à ce qu'une dynamique de reprise de l'emploi irrigue l'un et l'autre secteur.
Conseil supérieur de la fonction publique l'irruption des usagers ?
Le Conseil supérieur de la fonction publique d'État du 24 février dernier a adopté, à une très large majorité, les modalités d'une représentation significative des usagers au sein de la Commission de modernisation des services publics. La FSU s'est d'autant plus félicitée de cette démarche qu'elle l"avait souhaitée et proposée. Passée encore largement inaperçue aux yeux de l'opinion, cette mesure est sans doute l'une des plus novatrices et porteuses parmi les décisions prises dans la fonction publique depuis des décennies. C'est aussi parce que nous refusons tout calcul de l'État, parce que nous voulons qu'il puisse assumer toutes ses responsabilités dans la crise et dans un nouveau développement économique et social, que nous souhaitons qu'il transforme profondément ses relations aux citoyens et aux usagers : moins « d'étatisme » et plus de « services publics ».
L'introduction d'usagers, de personnalités extérieures n'est évidemment qu'une amorce de cette transformation profonde.
Elle n'a de sens qu'étendue aux différents niveaux où se prennent des décisions de service public. Elle ne peut se limiter au relationnel, au rapport usagers-services, dans une logique fournisseur-clientèle. Elle doit s'engager dans une démarche de véritable droit d'intervention des usagers. Elle implique que parallèlement, les personnels se voient reconnaître eux aussi et enfin des droits analogues.
Mais c'est ce double élargissement qui contribuera le mieux au renouvellement du service public et à la mobilisation de l'État.