Interview de M. Alain Deleu, président de la CFTC, dans "Les Echos" du 17 août 1998, sur l'accord conclu par l'UIMM pour l'application des 35 heures et sur le réforme de la CFTC.

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Q - On comprend que FO ait signé l'accord UIMM – elle est mitigée sur les 35 heures –, moins pourquoi la CGC l'a fait ; mais la raison de votre signature est encore plus obscure. S'agissait-il de vous démarquer de la CFDT ?

Notre fédération a négocié, elle a signé, elle a pris ses responsabilités. La Confédération n'intervient jamais dans la décision finale, c'est une règle. Ensuite, nous avons l'habitude de soutenir nos fédérations dans leurs accords. Quant à l'hypothèse d'une signature purement tactique, nous la réfutions : ce type de pratique est à des années-lumière du comportement CFTC.

Q - Vous n'êtes guère enthousiaste… D'ailleurs, on ne vous a pas entendu, comme Marc Blondel, au lendemain de l'accord, voler au secours de votre fédération.

C'est sur le terrain qu'un peut juger si un accord est bon. Notre fédération est compétente pour savoir s'il fallait le signer. Elle l'a fait, c'est donc que c'est un bon accord. Et puis, il y avait un réel risque, dans ce secteur, d'une dénonciation des conventions collectives.

Q - L'auriez-vous signé, vous-même ?

À la question « faillait-il un accord le 28 juillet ? », ma réponse est « Oui, il en fallait un ».

Q - À n'importe quel prix ?

Peut-on dire que le prix de cet accord est excessif ? On lui a collé une image « anti-loi Aubry ». Moi, je pense qu'on aurait pu défendre une image exactement inverse. C'est un accord qui acte la durée légale des 35 heures et qui baisse la durée légale des 35 heures et qui baisse la durée effective maximale du travail d'une centaine d'heures par an. Il est donc faux de dire que le texte n'aura pas d'effets sur l'emploi. Je ne suis pas sûr du tout que s'il avait été plus nominatif, il aurait été davantage créateur d'emplois durables.

Q - Mais l'accord ne porte pas seulement les heures supplémentaires : il intègre aussi des jours fériés dans le temps de travail annuel, développe les contrats de travail sans référence horaire…

Ces aspects de l'accord montrent qu'il se prépare une transformation en profondeur des relations du travail à l'horizon de la prochaine décennie. Il s'agit pour les syndicats de relever ce défi en inventant les nouvelles formes de protection et de progrès social.

En réalité, l'accord sera ce qu'on en fera dans les entreprises. La CFTC souhaite qu'il soit le levier d'une multitude de négociations dans les entreprises. Nous allons porter tous nos efforts, ces prochains mois, sur cet objectif. La réalité, c'est d'abord le terrain. Or cette réalité est diverse. La loi met un objectif et des moyens. L'accord UIMM fixe un cadre. Mais ce sera à chaque entreprise de mettre les 35 heures en musique. Ce n'est pas le gendre de choses que l'on décrète. Il faut une volonté partagée de créer des emplois. Dans toute cette affaire, nous nous voulons avant tout réalistes.

Q - Est-ce réaliste de demander, comme vous le faites, les 35 heures sans baisse de salaires et avec création d'emplois ?

Les aides publiques sont justement là pour permettre la création d'emplois tout en maintenant les salaires. Cela, c'est une approche générale, après on peut discuter.

Q - Y aura-t-il des accords signés par la CFTC portant sur la modération salariale ?

Sans doute. Tout dépendra de la réalité des entreprises. La priorité numéro un, c'est de créer des emplois et c'est pourquoi nous engageons toutes nos forces dans cette bataille. Et puis, le dispositif Aubry va nous donner l'occasion de montrer que le syndicalisme que nous défendrons, celui qui est proche des gens, est un syndicalisme utile, même si ce n'est pas forcément un syndicalisme médiatique. Chaque emploi créé sera une victoire.

Q - À propos de médias, les deux organisations le plus en recul lors des dernières prud'homales, vous et la CGC, ont réagi totalement différemment. La CGC a fait son mea culpa et engagé une réforme de fond ; Vous, vous avez essentiellement accusé les médias de vous avoir délaissé.

Tout le monde a perdu des voix aux prud'homales, mais le fait est que les organisations qui ont monopolisé les médias (CGT, CFDT, FO) en ont perdu comparativement moins.

La différence entre la CGC et nous, c'est que la réforme, nous l'avons déjà engagée depuis quelques années. Le résultat des prud'homales nous a conduit à l'accélérer. D'ici à la fin de l'année, le nombre de nos fédérations sera passé de 30 à 17.

Entre la région et le département, nous choisissons de renforcer nos structures au niveau départemental, car il est plus proche des gens. Tout ceci ne va d'ailleurs pas sans quelques grincements de dents.

Q - C'est comme cela que vous expliquez que vos opposants internes aient multiplié les attaques contre vous depuis les prud'homales ?

En partie. En tout cas, nous sommes déterminés dans notre volonté de bousculer l'organisation. Par exemple, les syndicats qui plafonneront sur le plan électoral seront désormais obligés d'en étudier les causes et de prendre des décisions. Et puis, chaque militant CFTC va devoir mettre à plat son agenda, et faire des contacts et des visites sur le terrain sa priorité.

Q - Les prud'homales vous conduisent-elles également à infléchir votre ligne politique ?

Nous avons un double objectif, ambitieux certes, mais qui nous paraît être le seul réellement intéressant. Nous nous définissons avant tout par un syndicalisme positif, qui négocie, est proche des gens et donne l'espoir : un syndicalisme de « construction sociale ». Mais la mondialisation et la concurrence exacerbée entre les entreprises inquiète légitimement les salariés et appelle un syndicalisme de « résistance sociale ».

La vie économique est devenue une sorte de Monopoly réel. Il y a une rupture croissante entre l'argent et l'homme. Les richesses se font de plus en plus par la manipulation des entreprises et des emplois, sans conception de leur réalité. Délivrer ce double message est particulièrement difficile. Notre objectif, c'est de remettre la croissance économique au service du développement des personnes.

Q - Quel bilan tirez-vous d'un an d'action sociale du Gouvernement ?

C'est un bilan très actif. Notamment sur les 35 heures : le Gouvernement a provoqué des négociations, et cela nous semble très positif. Toutefois, nous attendons encore des décisions importantes concernant le licenciement. De même, sur la protection sociale, il faudrait que le Gouvernement joue enfin le jeu du paritarisme. Il a tort de ne pas faire ce pari.

Q - Sur le projet de réforme des cotisations sociales patronales ?

Nous sommes ouverts à toutes réflexions, mais nous continuons à revendiquer haut et fort une prise en compte de la valeur ajoutée des entreprises.

Q - Vous réalisez chaque année un sondage du climat social dans les entreprises et les fédérations. Quels enseignements en tirez-vous cette année ?

Pour la première fois, nous observons que les salariés ont le sentiment d'être véritablement entrés dans une période de croissance. Pour autant, leur perception de la compétition exacerbée que se livrent les entreprises est plus aiguë. Il en résulte d'indéniables facteurs de tension dans les entreprises. Sur les salaires notamment. Retour de la croissance ne signifie pas, pour les salariés, retour de la confiance.