Interviews de M. Michel Deschamps, secrétaire général de la FSU, de Mme Monique Vuaillat, secrétaire générale du SNES-FSU, et de MM. Jean-Paul Roux et Hervé Baro, secrétaires généraux de la FEN et du Syndicat des enseignants, dans "Le Monde" du 29 avril 1998, mise au point de M. Deschamps, et interview de Mme Vuaillat dans "L'Evènement du jeudi" du 30 avril, sur la réforme des lycées.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Colloque national "Quels savoirs enseigner dans les lycées", à Lyon et Saint-Fons (Rhône) les 28 et 29 avril 1998

Média : Emission la politique de la France dans le monde - L'évènement du jeudi - Le Monde

Texte intégral

LE MONDE : 29 avril 1998

TROIS QUESTIONS À MICHEL DESCHAMPS ET MONIQUE VUAILLAT

1 Représentant la Fédération syndicale unitaire (FSU) et le Syndicat national des enseignements du second degré (SNES), majoritaire chez les enseignants du secondaire, vous avez entretenu, jusqu'à présent, des relations assez tendues avec Claude Allègre. Dans quel état d'esprit abordez-vous ce colloque national sur les lycées ?

Cela dépend beaucoup de la façon dont le ministre répondra, ou pas, aux attentes des élèves et aux nécessaires évolutions du système éducatif. Chacun voit que les problèmes demeurent à la lumière du mouvement social de la Seine-Saint-Denis. Sur les lycées, nous attendons de voir si le ministre entend tenir compte des réponses apportées par les enseignants et les lycéens. Nous jugerons sur les actes. Si le ministre poursuit sa logique, qui consiste préconiser une réduction des horaires, avec une culture minimum, dans le souci de faire des économies de moyens, nous ne pourrons être qu'en désaccord.

2 Qu'attendez-vous en particulier d'une éventuelle en réforme des lycées ?

Nous en attendons beaucoup, tout en sachant que la dernière réforme n'a que trois ans. Tous les collégiens n'ont pas des chances de réussite égales au lycée. Nous souhaitons une évolution des contenus d'enseignement avec une exigence culturelle forte, une meilleure efficacité pédagogique, une individualisation de !a relation entre élèves et enseignants qui ne peut passer que par une réduction des effectifs. Une mesure concrète : mieux indiquer les choix d'options en seconde afin de faciliter le parcours ultérieur.

3 Lionel Jospin ne viendra pas au colloque comme cela était initialement prévu. Quelle est votre réaction ?

Pour l'instant, son absence est un non-événement. Nous l'attribuons au fait que le ministre va annoncer une vraie négociation sur la réforme des lycées. Après le colloque, cette phase de négociation doit enfin s'ouvrir, impliquant obligatoirement le premier ministre, compte tenu des enjeux, notamment budgétaires, de ce débat.


TROIS QUESTIONS À JEAN-PAUL ROUX ET HERVÉ BARO

1 Représentant la Fédération de l'éducation nationale (FEN) et le Syndicat des enseignements (SE), vous avez toujours soutenu Claude Allègre. Au moment des conclusions du colloque national sur les lycées, est-ce encore le cas ?

Nous avons envie de secouer un peu le ministre. Aujourd'hui, il s'agit d'un tournant. Nous constatons depuis plusieurs mois la création d'une multitude de tables rondes et de groupes de travail sur tous les sujets, mais les priorités sont noyées. Les enseignants, pris depuis près d'un an à rebrousse-poil, en ont assez. Au-delà de la multiplication des initiatives, il faudrait très vite passer à des décisions concrètes. Ce colloque sur les lycées est peut-être l'occasion pour Claude Allègre de recentrer son discours et de tracer des évolutions fortes. Ce serait un comble qu'Allègre le réformateur aboutisse au même résultat que Bayrou le conservateur : ne rien changer

2 Qu'attendez-vous en particulier d'une éventuelle en réforme des lycées ?

L'enseignement dans les lycées ne peut plus être traditionnel. Il est temps de mettre en place le « travailler autrement » pour lequel nous nous battons depuis des années. Nous attendons une plus grande liberté en matière de concertation entre les professeurs et une meilleure aide pour les élèves. Il faut donc modifier le temps de travail des enseignants ; nous le demandons fortement. Par exemple, au lieu des dix-huit heures réglementaires, quinze heures d'enseignement, plus trois ou quatre heures dont le contenu reste à discuter. Il faut également valoriser le travail oral des élèves, Il serait bon que cet apprentissage soit évalué au baccalauréat.

3 Lionel Jospin ne viendra pas au colloque comme cela était initialement prévu. Quelle est votre réaction ?

Nous le regrettons. La présence du premier ministre aurait donné un signal et marqué un engagement fort du gouvernement. Mais ce qui va compter, ce sont les décisions prises par le ministre, S'il ne les prend pas, il s'expose, et tout le Gouvernement avec lui, à des déboires importants. On ne peut plus rester le pied en l'air sur une quantité de sujets en se demandant si, oui ou non, on va avancer.


Déclaration Michel Deschamps, le 28 avril 1998

Maladresse ou volonté, le titre en Une d'un journal du soir* laisse entendre que la FSU aurait donné son accord aux “49 mesures” proposées par la Commission Meirieu “pour changer le lycée”.

La FSU dément cette affirmation : au contraire semble-t-il de certains journalistes, la FSU n'a pas eu connaissance des “49 principes” avant qu'ils soient présentés au Colloque de Lyon le 28.

La FSU était donc bien en peine de porter quelque jugement que ce soit, le 27 avril, date à laquelle Monique Vuaillat et Michel Deschamps ont répondu ensemble aux questions de B.Gurrey.

Les réponses apportées ont constitué leur seule déclaration au “Monde”. Fidèlement rapportées, elles ne peuvent, ni de près ni de loin, s'apparenter à une quelconque approbation.

La FSU, soucieuse d'une transformation positive du lycée comme de l'ensemble du système éducatif, jugera donc sur pièce, à l'issue du colloque, les déclarations, les propositions, et éventuellement les décisions ministérielles.

Elle le fera sans a priori et sans complaisance, avec la rigueur que le sérieux des enjeux éducatifs lui semble exiger.


L'ÉVÈNEMENT DU JEUDI : 30 avril 1998

Monique Vuaillat, celle qui veut flinguer la réforme

Edj : Pourquoi êtes-vous contre cette réforme des lycées ?

Monique Vuaillat : Premièrement, je remarque qu'il y a une décision de modifier la structure du lycée, et ses enseignements et d'atténuer la dimension « filière de formation », articulée autour d'un enseignement commun et de dominantes. Et ça, on ne peut pas dire que ça sorte de la consultation : ni des résultats de celle des enseignants, ni des résultats de celle des lycéens. Il n'y a pas eu de demande de modification structurelle. Et si on va vers une réforme qui structure les enseignements en culture commune identique pour tous, avec des spécialités greffées sur cette structure commune, ça change complètement la perspective du lycée. A notre avis, le lycée peut devenir encore plus ségrégatif que celui qu'on a aujourd'hui : toutes les observations que nous faisons montrent que c'est en diversifiant les approches, en diversifiant les enseignements, en articulant bien un enseignement commun avec des disciplines de spécialité que l'on fait réussir les élèves. Chaque fois que l'on va vers un menu commun, on accentue les écarts et les inégalités. Réduire ce menu à quatre disciplines, c'est un appauvrissement de la culture. Et je mets cela en relation avec la diminution drastique des horaires des élèves, qui sont facteurs d'inégalités. Parce que moins un élève est encadré dans un milieu scolaire, plus les inégalités sociales et culturelles jouent. En ce qui concerne les enseignements techniques, si on ramène à 28 heures sans option les enseignements, on appauvrira encore la formation technologique et professionnelle.

Edj : Mais le dispositif central, c'est justement l'aide et « le suivi personnalisé » des élèves.

M.V. : L'aide et le suivi personnalisé, c'est une chose, mais les horaires dégagés serviraient à apprendre aux élèves à travailler, à faire leurs devoirs... C'est très important, mais ça se fait quand même au détriment des horaires disciplinaires. D'abord, pour que les élèves passent 35 heures au lycée, il va falloir pouvoir les placer quelque part ! Donc quels espaces va-t-on leur offrir ? Si on veut reconstruire tous les lycées de France et de Navarre, oui ! Même les lycées neufs qu'on a construits sont déjà sursaturés. Effectivement, dans dix ans on pourra permettre à tous les élèves de travailler en petits groupes et faire leur travail personnel !

Edj : Projet de déconcentration de la gestion des enseignants, de réforme des lycées : un vrai cyclone...

M.V. : Tout cela va renforcer la puissance de la manifestation nationale du 5 mai sur la déconcentration, la réforme des lycées et sur la rentrée de 1998. Et s'il met vraiment les gens en colère... on n'est pas loin du bac. Alors en juin on aura les textes pour la déconcentration, et l'annonce de cette réforme des lycées qui est sortie du chapeau ! Le seul souci de la réforme des lycées, c'est d'appauvrir ses enseignements, de les réduire à leur minimum et de réduire les dépenses. Quant au débat parlementaire, s'ils veulent passer en force, je peux vous dire que nous, nous avons les moyens de bloquer les choses. On va au conflit, là, c'est clair.