Texte intégral
Mesdames,
Messieurs,
Cher Professeur Ruffié,
Je veux d'abord vous dire combien je suis heureux d'être ici à Tarbes avec vous, et de participer à vos réflexions. Combien je suis heureux, mais aussi combien je suis grave en abordant le sujet que vous avez choisi aujourd'hui de débattre en public : le sang. Et je tiens à vous féliciter, Monsieur le Directeur, de votre excellente initiative.
C'est toujours le sang qui aura marqué l'histoire des hommes et il porte toujours en lui, à la fois, le symbole de la vie et le symbole de la mort. Le sang des batailles, le sang des mères qui donnent la vie, le sang des saignées maladroites dans lesquelles se résumaient les possibilités thérapeutiques de la médecine ancienne.
Et puis un jour, brusquement, au regard de la lenteur de l'histoire, dans ce 20e siècle que nous achevons, l'homme devient capable de comprendre et d'agir sur les maux qui l'accablent. Et l'une des plus belles conquêtes de ces traitements efficaces de la médecine moderne aura certainement été la transfusion sanguine.
Juste avant la Seconde Guerre Mondiale, on découvrait les groupes sanguins majeurs, permettant de transfuser le sang à tous, sans risque de conflit immunologique mortel : En 1944, au débarquement tous les GI américains avaient leur identité sanguine – les groupes sanguins – sur eux et les blessés bénéficiaient tous de transfusions souvent salutaires.
Très vite, les méthodes de fractionnement du plasma étaient inventées, permettant d'isoler l'albumine, de recueillir et de concentrer ces précieux facteurs de coagulation arrêtant les saignements incoercibles des hémophiles.
Et puis, à la fin de la décennie des années 1950, un français, Jean Dausset, découvre que, dans le sang des hommes, les globules blancs portent l'originalité biologique de chacun d'entre nous : les groupes d'histocompatibilité dont la connaissance a permis la greffe d'organe comme celle des groupes de globules rouges avaient permis la transfusion. Mais surtout, la leçon des groupes tissulaires HLA est que jamais un homme ne peut être confondu biologiquement avec un autre homme car leurs groupes tissulaires, aussi proches soient-ils, ne sont jamais parfaitement semblables.
Quelle précieuse leçon nous donnait ainsi le sang !
Cette originalité portée par le sang, un homme va s'y intéresser particulièrement : c'est le Professeur Ruffié. Je sais que sa modestie en souffrira car, comme tous les grands savants, le Professeur Ruffié est modeste et préfère que l'on parle de ses découvertes plutôt que de lui-même. Jacques Ruffié pourra retracer, grâce à l'identité de chaque homme porté par le sang, l'histoire ancienne des hommes, au moment où ils ont peuplé la terre : il a tracé les grands courants migratoires à travers les continents, les premiers foyers humains, et ce qu'il nous a montré est fascinant.
La terre où régnaient – exceptionnellement – les conditions de la vie et les conditions de son aboutissement à l'homme, a-t-elle été le fruit d'un hasard extrême ou celle d'une volonté particulière ? Sur le globe terrestre, la mappemonde nous montre la prééminence des mers, et la biologie vous a appris les grandes similitudes entre le milieu marin et la composition du sang humain : l'homme solidaire de toutes ces espèces animales est né de la mer.
Voilà la belle histoire du Sang.
Pourquoi faut-il que ces dernières années, par la faillite de quelques responsables, mais aussi, et c'est le ministre de la Santé que je suis qui vous l'affirme, par la faillite d'un système qui aurait dû éviter le pire, pourquoi faut-il que l'histoire de la transfusion sanguine soit irrémédiablement marquée par le tragique ?
Mon devoir est de tirer les leçons du passé et d'agir pour que jamais – plus jamais – plus une telle tragédie ne puisse se reproduire. Aussi, une des premières choses que j'ai faites en prenant mes fonctions ministérielles a été d'examiner le dossier de la transfusion sanguine. Je l'ai examiné, je l'examine dans tous ses détails, sans autre parti-pris que d'assurer le bénéfice d'une transfusion offrant une sécurité maximale pour tous les Français.
Je dois vous avouer que certains aspects du dossier tels que je l'ai trouvé m'ont paru souffrir d'insuffisance. Aussi est-ce tout le dispositif de la transfusion en France que je suis en train de réétudier et pour lequel j'accomplirai toutes les réformes nécessaires.
Le Professeur Ruffié est parmi ceux qui ont bien voulu guider ma réflexion sur ce sujet.
Les grands principes de la transfusion sanguine, dans ses aspects de générosité et de solidarité entre tous les Français, doivent être maintenus : C'est-à-dire, un don bénévole, gratuit, et anonyme. Je ne cèderai sur aucun de ces principes fondamentaux : Les donneurs de sang eux-mêmes y sont très attachés : Je l'ai perçu entre autres, ici-même à Tarbes, où il y a quelques semaines, je remettais des diplômes aux donneurs de cette ville ; je l'ai perçu en rencontrant le Président de l'Association Française de Donneurs de Sang ; je le perçois tous les jours en rencontrant les français individuellement, notamment ici, en Midi-Pyrénées.
Certains ont plaidé contre la gratuité du don : Cela rendrait, disent-ils, la collecte du sang plus efficace. Je ne le crois nullement. Cela briserait un des plus beaux témoignages de spontanéité de la solidarité des Français.
Et aussi, (les chiffres le prouvent), les associations de donneurs bénévoles sont un facteur de sécurité majeure dans le collecte du Sang.
D'autres voudraient la levée au moins partielle de l'anonymat, permettre des dons dirigés, vers un donneur connu. Bien que je comprenne cette idée, et qu'elle puisse être dans certains cas exceptionnels, admissible, elle comporte d'énormes dangers : où serait la solidarité avec les Français qui n'ont pas une nombreuse famille et vivent isolés comme souvent nos aînés auxquels nous devons marquer particulièrement notre solidarité.
Quant à la réforme de la transfusion sanguine, celle de l'organisation des Centres de transfusion, des organismes de contrôle au plan national, je suis déterminé à la mener jusqu'au bout, dans l'esprit que je vous indiquais.
Je veux, qu'après mon passage au ministère de la Santé, les Français soient à nouveau parfaitement confiants et fiers de leur transfusion sanguine.
Il me reste à vous souhaiter, Mesdames, Messieurs, de fructueux débats et je veux vous remercier particulièrement Monsieur le Directeur pour avoir eu cette idée si importante d'un débat public qui amène nos concitoyens à parler entre eux du sang des hommes pour qu'il soit toujours le sang de la vie.