Texte intégral
Le Progrès, jeudi 27 août 1998
Le Progrès : Jack Lang a demandé plus d’audace au gouvernement ; Robert Hue entend être plus combatif à l’avenir : comment s’annonce cette deuxième année de présence des Verts au gouvernement ?
Dominique Voynet : La première année de participation des Verts au gouvernement se solde par un bilan positif. Ils ont démontré qu’ils étaient capables de prendre leurs responsabilités en termes de gestion et, surtout, l’idée de majorité plurielle qu’ils ont lancée un an avant la dissolution, fonctionne mieux qu’on ne pouvait le penser. Les Français, eux-mêmes, sont satisfaits de cette pluralité faite de cohérence et de diversité et paraissent aujourd’hui beaucoup moins hostiles à l’égard de l’action politique et des politiques.
En ce qui concerne l’action gouvernementale, beaucoup de choses ont été faites. Mais sans doute le plus difficile reste-t-il devant nous. Voter les 35 heures, par exemple, c’est bien, mais encore faut-il qu’elles deviennent une réalité dans les entreprises, puis au cours des années à venir dans le secteur public, et qu’elles créent des emplois. Nous ne sommes pas là seulement pour bien gérer ; nous sommes là aussi pour oser des ruptures. Et nous devons les oser, même si cela se heurte au quotidien et à la lourdeur de l’administration.
Le Progrès : Le gouvernement bénéficie d’une conjoncture économique favorable. Cette croissance est-elle bien partagée ?
Dominique Voynet : Le gouvernement a le souci de tirer le meilleur parti de cette croissance, ce qui implique d’allier désendettement, redistribution des fruits du dynamisme économique et préparation de périodes moins favorables. Mais la répartition de cette croissance doit refléter des priorités politiques : je continuerai à réclamer plus d’argent pour les transports collectifs et moins pour les routes ; moins d’argent pour la défense et plus pour l’habitat et les minima sociaux. Plus pour la prévention des pollutions et moins pour les réalisations de prestige. En tous les cas, les fruits de la croissance ne seront bien partagés que lorsqu’on aura mis en place une réforme fiscale de grande ampleur qui donne la priorité au travail sur le capital.
Le Progrès : Sur certains points comme la politique familiale ou le pacte civil de solidarité, le gouvernement vous paraît-il faire preuve de frilosité ?
Dominique Voynet : Le gouvernement est conscient des difficultés des familles mais est également conscient que le modèle familial traditionnel ne correspond plus à la réalité. Les choix en faveur des familles qui sont faits aujourd’hui, ne sont pas, comme hier, dictés par des considérations natalistes, mais destinés à assurer aux enfants la sécurité et la satisfaction de leurs besoins fondamentaux. En ce qui concerne le pacte civil de solidarité, ce n’est ni un mariage pour homosexuels, ni une caricature de la famille. C’est simplement une tentative de répondre aux différentes formes de la famille aujourd’hui. Je le défendrai comme un moyen légal de préserver les intérêts des personnes vivant ensemble.
Le Progrès : Défendez-vous également l’idée qu’il faut régulariser l’ensemble des sans-papiers comme le réclament de nombreuses associations, mais aussi les Verts ?
Dominique Voynet : Personne ne réclame l’ouverture incontrôlée des frontières. Par contre, de nombreuses associations et personnalités, y compris Charles Pasqua, qu’on ne peut taxer de laxisme, estiment que la régularisation des personnes qui se sont présentées en préfecture dans le cadre de la circulaire Chevènement est inévitable. Alors mieux vaut le faire le plus vite possible plutôt que de laisser pourrir la situation. Pas de jusqu’au-boutisme, donc. Simplement faire preuve d’humanisme et de bon sens.
Le Progrès : Les débats vont être animés par la ratification du traité d’Amsterdam. Quelle sera votre position ?
Dominique Voynet : La mise en place de la monnaie unique sans contrepartie sociale nous paraissait dangereuse et c’est la raison pour laquelle beaucoup d’entre nous ont dit « non » à Maastricht. Aujourd’hui la monnaie unique devient réalité, mais je m’inquiète de voir que le traité d’Amsterdam, malgré quelques avancées, n’a pas réparé les défauts de Maastricht. Et je ne pense pas que les députés Verts soient prêts à voter pour sa ratification.
Le Progrès : Et le référendum ?
Dominique Voynet : Ce traité n’est pas un bon traité, mais le référendum n’est pas la méthode la plus adaptée pour un dossier aussi complexe : je crains qu’une fois de plus la question posée ne soit dénaturée. Une fois de plus, et quelle que soit la formulation de la question, il y aurait affrontement entre anti et pro européens. Je suis pragmatique. Je souhaite la poursuite de la construction européenne. Et je considère qu’il est urgent de surmonter la crise actuelle.
Le Progrès : Les Verts présenteront-ils leur propre liste aux élections européennes ?
Dominique Voynet : Cette liste s’impose d’elle-même. À la fois pour porter la voix d’une Europe plus sociale, plus démocratique et plus écologiste et pour porter la parole autonome d’une force qui fait de la majorité plurielle ce qu’elle est : un pôle de renouvellement de l’action politique. Car, sans les Verts, celle-ci ne serait qu’une simple union de la gauche. Cette liste ne constitue pas une rupture au sein de la majorité. Mais elle rend difficile l’exercice de grand écart d’un ministre qui serait aussi tête de liste. C’est la raison pour laquelle je ne la conduirai pas moi-même.
Le Progrès : Daniel Cohn-Bendit est candidat. Soutenez-vous son retour sur la scène politique française ?
Dominique Voynet : Il est profondément européen, extrêmement brillant, et il partage la stratégie mise en place par le Verts. Ceci joue en sa faveur. Mais c’est aussi un électron libre. D’où les doutes qui planent à son égard. Certains se demandent si Dany sera suffisamment à l’écoute des volontés du mouvement et capable de les relayer. Pendant ces journées d’été, il aura l’occasion de répondre à toutes les questions que beaucoup de militants se posent. Moi j’ai envie de lui dire : mets-toi aussi au service des Verts, et apprends à dire « nous » au lieu de « je », au bénéfice de nos idéaux communs.
RTL – vendredi 28 août 1998 – 7 h 50
RTL : Alors c’est fait, Daniel Cohn-Bendit sera tête de liste des Verts pour les européennes ?
Dominique Voynet : Les Verts sont très attachés à leur liberté de choix, les militants seront amenés à se positionner aux mois d’octobre-novembre lors de notre assemblée générale et j’entends bien que personne ne close ce débat avant qu’il ait été mené. Et c’est vrai, la greffe entre Daniel Cohn-Bendit et le mouvement est en train de prendre. Hier soir, nous avions une longue réunion, au cours de laquelle il a été amené à exposer les motivations de sa candidature, et je crois que cela s’est très bien passé. Tout le monde était très content finalement de voir qu’il était soucieux de l’avis des militants et pas seulement de la dynamique d’une campagne.
RTL : Alors, désormais, vous appuyez sa candidature ?
Dominique Voynet : Pourquoi désormais ?
RTL : Parce qu’on a eu l’impression que jusqu’à présent, vous minaudiez un peu !
Dominique Voynet : Disons que pour Daniel Cohn-Bendit, comme pour tous les autres candidats, j’ai eu le souci d’être rationnelle, rigoureuse. J’ai fait deux colonnes, celle des avantages, celle des inconvénients. Je me suis dit que c’était vraiment un excellent candidat, qui était capable de se battre pour nos idées, qui était capable d’être convaincant, d’être concret, de parler vraiment au cœur des gens. Et puis à côté de cela, dans l’autre colonne, j’avais bien noté qu’il lui arrivait d’être un petit peu provocateur, un petit peu perso et puis, j’ai eu le souci de dire les choses pour qu’il ait le temps de corriger cela et de se mettre vraiment au service du travail qu’on fait ensemble.
RTL : Alors la colonne avantages est la plus importante ?
Dominique Voynet : Cela me paraît évident. Est-ce que vous pensez vraiment que les Verts auraient invité Daniel Cohn-Bendit à venir plancher à Lamoura pendant plusieurs jours, s’ils avaient l’intention de lui dire : désolés, retourne à Francfort ?
RTL : L’autre jour, dans « Le Monde », Daniel Cohn-Bendit s’est défini comme un « bâtard européen », ni Allemand en Allemagne, ni Français en France. C’est une carte de visite idéale pour conduire une liste, un bâtard européen ?
Dominique Voynet : Disons qu’être Européen, être convaincu qu’au-delà des difficultés actuelles générées par deux mauvais traités, le traité de Maastricht et le traité d’Amsterdam, l’Europe valait la peine d’être défendue, l’Europe valait la peine d’être construite et de ne pas devenir le bouc émissaire de toutes les difficultés que rencontrent les États. Moi j’y crois fort. Je pense que l’Europe sociale et l’Europe démocratique, l’Europe écologique que nous proposerons au cours de l’année prochaine, va convaincre un certain nombre de personnes que l’Europe, c’est vraiment autre chose que l’Union économique et monétaire.
RTL : Justement, Daniel Cohn-Bendit est très européen, peut-être plus que ne l’ont été à un certain moment les Verts, il disait également, dans « Le Monde » : il faut accepter la souveraineté politique de l’Europe. C’est aussi votre point de vue ?
Dominique Voynet : Je suis favorable, comme les Verts, à la construction d’une Europe fédérale, une Europe qui privilégie la circulation des idées et des personnes à la seule dimension économique. Je pense vraiment que cela devrait se traduire par la poursuite des transferts de souveraineté. Là où cela a été le cas, cela nous permet de construire des solidarités, de nous mettre d’accord sur les problèmes qui dépassent les limites de nos États.
RTL : Et dans quels domaines encore ?
Dominique Voynet : Je pense que dans le domaine de l’environnement notamment, nous avons beaucoup à faire ensemble. À Kyoto d’ailleurs, au moment de défendre le climat de la planète, les Européens ont su être moteurs, ils ont su être unis et puis aujourd’hui, ils se montrent capables de proposer ensemble des politiques permettant de réduire les émissions de gaz à effets de serre. Sur des enjeux comme celui-là, les États sont impuissants, ils ne peuvent pas agir seuls. Seule la coopération, la collaboration des peuples d’un continent entier est efficace.
RTL : Si Daniel Cohn-Bendit, comme c’est probable, mène la liste des Verts, avec quel objectif : plus de 7 % ?
Dominique Voynet : Des élus au Parlement européen, bien sûr, pour continuer à construire les Verts au Parlement européen. Mais aussi un score qui nous permette de prendre toute notre place dans la majorité plurielle. 5 %, je dirais que c’est la limite en deçà de laquelle le premier objectif ne serait pas atteint. 7-8 % c’est ce que nous considérons être notre poids dans la vie politique française, à la fois sur le plan de la présence et de l’ancrage sur le terrain et sur le plan des idées. Bien des idées neuves qui ont été portées ces dernières années l’ont été par les Verts. Je pense, par exemple, aux 35 heures ou à la nécessité de reconquérir un air et une eau de qualité. Sur ces thèmes, je sais que les citoyens sont très attentifs, je crois qu’on a toute notre place à défendre et une dynamique nouvelle à créer.
RTL : Mais avec un score pareil, les Verts pourraient devenir la deuxième force politique de la majorité de gauche, c’est votre ambition ?
Dominique Voynet : Mon ambition, c’est de faire en sorte que les Verts soient des partenaires incontournables de la majorité plurielle. Ils le sont d’une façon symbolique aujourd’hui, parce que, sans les Verts, la majorité plurielle, c’est l’ancienne union de la gauche. Si les Français se réconcilient avec la politique et les politiques, c’est aussi parce qu’une dynamique nouvelle est née de cette coalition inédite entre plusieurs forces progressistes. Aujourd’hui, pour aller plus loin, nous devons renforcer notre présence, notre crédibilité. Je pense que cela se fera davantage par le travail sur le terrain et par la formation des militants et des relais que nous avons dans la société que par des coups de menton en direction de tel ou tel autre partenaire de la majorité. Il ne s’agit pas de dépasser le Parti communiste, il s’agit simplement de faire en sorte qu’un tête-à-tête ne soit pas exclusif entre le Parti socialiste et le Parti communiste.
RTL : Cela sera bien le résultat quand même ?
Dominique Voynet : Vous vous ennuyez, M. Mazerolle ? Vous cherchez des motifs de conflit au sein de la majorité plurielle ? Moi, je n’en vois pas actuellement.
RTL : À propos de conflit, comment avez-vous apprécié cette phrase de Daniel Cohn-Bendit, dans « Le Monde » : le gouvernement conserve les pratiques d’un Parti socialiste hégémonique ?
Dominique Voynet : La tentation doit être permanente pour le Parti socialiste. Il est le plus gros partenaire de la majorité plurielle. Sans le Parti socialiste, il n’y a pas de majorité. Donc c’est vrai que la tentation, c’est d’abord de consulter le Parti socialiste, ses élus et ses relais, et puis ensuite de voir si cela colle avec les partenaires de la majorité plurielle.
RTL : Mais il succombe à la tentation ou pas ?
Dominique Voynet : Je pense qu’il combat la tentation, qu’il n’a pas forcément trouvé encore les méthodes les plus efficaces pour le faire. J’ai suggéré, il y a plusieurs mois déjà, que nous mettions en place une structure de concertation de la majorité, pas seulement au niveau du gouvernement. Lionel Jospin le fait très régulièrement. Tous les quinze jours, nous avons une réunion de ministres où chacun s’exprime librement. Mais au niveau des partis, nous avons le sentiment que le moment est venu de procéder à une évaluation du contrat que nous avons passé il y a quatorze mois ensemble, pour voir si on peut aller plus loin, comment, où les choses ont été trop imprécises et ne répondent pas peut-être suffisamment à l’attente des Français…
RTL : Sur les 35 heures, par exemple, avec les accords de branche qui sont signés en ce moment ?
Dominique Voynet : Sur les 35 heures, je crois qu’il faut être clair. L’accord le plus important qui a été signé aujourd’hui ne respecte, ni l’esprit, ni la lettre de la loi sur les 35 heures. La loi doit permettre de sauver du temps pour les salariés et doit permettre aussi de créer de nombreux emplois. Donc, des accords qui négligeraient cette deuxième partie de l’ambition de la loi ne sont pas tout à fait acceptables. Je souhaite que les partenaires sociaux, à la fois du côté patronal et du côté syndical, s’emparent de cette mise en œuvre de la loi et que la loi sur les 35 heures crée des centaines de milliers d’emplois, comme c’était prévu.
RTL : Daniel Cohn-Bendit, toujours, dit : c’est une erreur de laisser les problèmes d’immigration en charge du seul ministre de l’intérieur. Vous partagez son sentiment ?
Dominique Voynet : Disons que je partage avec Daniel Cohn-Bendit le souci que l’immigration ne devienne pas ou ne reste pas un thème central de la vie politique et de la vie tout court. Jusqu’à preuve du contraire, dans la vie quotidienne des gens, ce n’est pas le cas. Je crois que nous devons régler enfin le problème des sans-papiers. Le régler, ce n’est pas essayer de défendre une conception de la responsabilité politique qui nous éloignerait des valeurs de la République. Je crois que la régularisation de quelques dizaines de milliers de personnes qui ont fait l’effort de déposer, dans des conditions difficiles, des dossiers dans les préfectures, ne déstabilisera pas notre pays, qui a su, il y a deux mois, montrer ce que pouvaient être ses valeurs au moment où une équipe, qui incarnait bien cette diversité, de la France a su faire rêver et a su montrer finalement que c’était une chance pour la France que de parier sur la capacité d’intégration de ceux qui ont choisi d’y vivre.