Texte intégral
RMC : Mardi 5 avril 1994
P. Lapousterle : Avez-vous compris ces jeunes qui défilaient et avez-vous compris que c'était un mouvement important ?
P. Douste-Blazy : J'ai surtout compris qu'il y avait un malaise, un mal-être, de ces jeunes. Car quelle est leur perspective ? Le chômage fatal, l'amour infecté par le SIDA. Le soir à la télévision, dans les journaux : les guerres, les misères. Il y a une peur de l'avenir. Et aujourd'hui, il n'y pas d'endroit où les jeunes peuvent se parler et parler aux adultes. Il y a donc une part de responsabilité à nous, adultes, pour aller vers eux, leur tendre la main. C'est une société qui ne se parle pas assez. C'est pour cela que j'irai dans les lycées faire des forums, pour parler des MST, du SIDA, des relations à l'autre que l'on peut avoir. B. Vian a dit : « Il n'y a pas d'autre forme de mort que l'absence d'amour. » Aujourd'hui on le ressent très fort dans la jeunesse. Je trouve affreux que la droite ou la gauche disent : « elle n'aime pas M. Rocard ou E. Balladur. » Ces jeunes, de 14-15 ans, ce n'est pas leur problème. Leur problème, c'est les adultes et ils n'arrivent pas trop à rentrer dans ce monde, il y a une peur de ce monde.
P. Lapousterle : Quand cette tournée dans les lycées ?
P. Douste-Blazy : Nous sommes en train de mettre ça au point pour partir très vite. Dès la rentrée 94, il y aura, et j'ai demandé à F. Bayrou qu'il y ait des heures qui soient officielles, réservées, à l'éducation sexuelle, à l'approche du corps humain, car la santé c'est le plus beau cadeau que l'on a dans la vie et il faut savoir la garder.
P. Lapousterle : On dit que la rentrée parlementaire sera difficile aujourd'hui pour le gouvernement…
P. Douste-Blazy : On le dit chaque fois que les rentrées sont difficiles. Il n'a pas manqué une seule voix à la majorité aujourd'hui ; tous les députés RPR et UDF ont voté pour les textes du gouvernement. Je pense que ça va continuer. C'est vrai que le gouvernement doit écouter les députés et c'est vrai aussi, que les députés doivent être derrière ce gouvernement. Nous avons la chance d'être une majorité unie et solidaire et il faut le prouver.
P. Lapousterle : Quand vous dites « unie et solidaire » vous ne souriez pas ?
P. Douste-Blazy : Non, car je crois que la politique politicienne est une chose et savoir aujourd'hui relever le défi du chômage, en particulier des jeunes, car 1 jeune de moins de 25 ans sur 4, aujourd'hui est au chômage, je ne m'amuse pas avec ça. Je dis qu'elle est unie et solidaire. C'est la condition essentielle de la réussite de cette majorité.
P. Lapousterle : Grande journée contre le SIDA le 7, organisée à votre initiative avec télévisions, radios. Selon vous, cette journée est-elle urgente et pour quels résultats ?
P. Douste-Blazy : Elle est urgente. Je suis fier d'être dans un pays qui a pris cette décision de faire une première mondiale sur le SIDA Je remercie tous les présidents des chaînes, les artistes, journalistes de presse, radios, la vôtre en particulier aussi, la presse écrite, qui se mettent tous ensemble. Si nous nous sentons tous concernés alors on peut vaincre le SIDA. Aujourd'hui, il y a un individu toutes les deux heures, qui se contamine sur la planète et 13 millions de séropositifs sur la terre et 50 millions en l'An 2000. C'est donc un cri d'alarme. « Le SIDA c'est pas pour moi » mais arrêtons avec ça, arrêtons ! Les dernières enquêtes que nous avons faites, montrent que les nouveaux contaminés ce sont pour 40 % des hétérosexuels. Je dis qu'il faut le dire très fort. Il n'y a que deux solutions pour réussir sur le SIDA : la recherche, la science et trois : la jeunesse. Il faut savoir lui parler, qu'elle se protège. La prévention du SIDA aujourd'hui, c'est le seul vaccin que nous ayons. C'est le comportement, c'est la fidélité à son partenaire et le préservatif. Arrêtons une bonne fois pour toute, de rire au mot fidélité, au mot préservatif. L'épidémie est tellement grave qu'il faut se protéger.
P. Lapousterle : Pourquoi le Pr J.-P. Escandre, agrégé d'université, peut-il se permettre de dire que l'épidémie du SIDA est enrayée, que pour la première fois depuis 4 mois le nombre de cas déclarés est inférieur au mois de l'année précédente et de terminer ainsi : « Nous avons atteint le maximum. »
P. Douste-Blazy : Je pense que c'est très grave de dire cela ; c'est pareil que lorsqu'on dit que l'on a trouvé un grand médicament contre le cancer, contre le SIDA ou les chiffres diminuent, c'est très grave. Nous sommes des médecins, nous avons une éthique, c'est notre honneur. Il y a des malades qui m'écoutent ce matin ; on a une grande responsabilité vis-à-vis d'eux et on leur doit le respect. Les chiffres que j'ai, que nous avons tous, d'épidémiologie, montrent qu'il y a eu plus de cas, hélas, dans le premier trimestre 94 que durant le premier trimestre 93.
P. Lapousterle : Mais d'un point de vue éthique, peut-on laisser dire de telles choses à des gens qui ont des titres médicaux !
P. Douste-Blazy : C'est le problème de la liberté individuelle, des médias, c'est votre éthique de journalistes et c'est notre éthique de médecins en osant dire de telles choses.
P. Lapousterle : Une enquête de « 50 millions de consommateurs » prétend que 12 marques de préservatifs sur 28 en France, sont à éviter et que les normes en France ne sont pas suffisantes. Vrai ou faux ?
P. Douste-Blazy : Les normes françaises sont les plus rigoureuses au monde, premier point. Ensuite, un préservatif c'est du caoutchouc et c'est par définition poreux. Le problème étant de savoir ce qu'il laisse passer : des ions, comme cela a été prouvé par « 50 millions de consommateurs » ? Cela n'est pas un problème que ça traverse. Le vrai sujet étant de savoir si ça laisser passer les virus ? Réponse de tous les spécialistes hier soir après la dépêche rapportant ce que dit 50 millions de consommateurs, réponse donc de tous ces spécialistes au ministre de la Santé que je suis : « Non, les virus ne passent pas. » Ce que je veux c'est que les préservatifs soient sûrs pour le SIDA et que le HIV ne traverse pas. Donc encore une fois, les normes françaises sont les plus sûres. S'il devait s'avérer que quelques marques de préservatifs en France, commercialisées en France, ne sont pas à la hauteur, ni au rendez-vous de la sécurité, alors je les enlèverai du marché.
P. Lapousterle : Vous l'avez déjà fait dans le cadre d'une enquête du même genre…
P. Douste-Blazy : Sur les tests de dépistages du HIV, pour certains préservatifs. Aujourd'hui, tous les gens qui connaissent le sujet disent que les préservatifs commercialisés en France sont très sûrs. Je démens donc, car les gens qui sont responsables du contrôle en France, des scientifiques, qui le démentent. Je ne demande pas mieux qu'il y ait une polémique ou une discussion entre « 50 millions de consommateurs » d'un côté et les scientifiques de l'autre pour y voir clair. Mais aujourd'hui, tous les gens qui contrôlent les préservatifs disent qu'ils sont sûrs. C'est important, car des gens nous écoutent et peuvent ne plus avoir confiance en leur préservatif, ce qui serait le plus grave pour la prévention du SIDA, vu ce qu'on a vu tout à l'heure. La France est le pays le plus touché de la CEE.
P. Lapousterle : Pourquoi ?
P. Douste-Blazy : Nous sommes en retard sur le nombre de préservatifs consommés, dans la lutte contre la toxicomanie etc…
P. Lapousterle : Après-demain, le Parlement examine la loi sur la bioéthique. Quelles sont les urgences ?
P. Douste-Blazy : S'il y avait une urgence, c'est le diagnostic préimplantatoire. Jamais les députés n'ont eu à voter pour quelque chose d'aussi important pour l'avenir de l'espèce humaine. Imaginez un couple qui vient vous voir, dont le premier enfant a une maladie génétique très grave. Le deuxième enfant, pareil. Ils viennent vous voir en disant que vous pouvez les aider à avoir un troisième enfant normal. Je dis : on va essayer. Ce diagnostic préimplantatoire : on met le spermatozoïde et l'ovocyte de la femme dans un tube à essais. On fait des embryons. On regarde les embryons malades et ceux qui sont normaux. On prend ceux qui sont normaux et on les implante dans l'utérus de la femme. Ça fait un enfant normal. Bravo ! La vraie question, c'est : quelqu'un peut venir vous voir demain pour une autre maladie moins grave que la myopathie. On va peut-être accepter un tri, une sélection et une dérive eugénique. Je veux dire oui pour les maladies génétiques très graves et je veux dire non à la dérive eugénique.
P. Lapousterle : Vous pensez qu'on peut y réfléchir sereinement et pour toujours ?
P. Douste-Blazy : C'est une loi qui doit être faite en sachant qu'elle sera révisée tous les trois ans. J'y tiens beaucoup. Nous ne pouvons pas nous engager là-dedans. La médecine va tellement vite que ce que nous ferons cette semaine sur la bioéthique sera critiquable à la lumière des progrès dans trois ans. Quelle responsabilité pour l'avenir de l'espèce humaine.
France 2 : 7 avril 1994
G. Leclerc : « Tous contre le SIDA », pour la première fois les chaînes de télévision unissent leur effort pour une soirée exceptionnelle contre le SIDA. Quel est l'objectif de cette soirée ?
P. Douste-Blazy : Ce doit être une émission d'éducation, d'information et aussi, l'occasion de lancer un grand message d'espoir. Aujourd'hui, il y a un état d'urgence ; une personne toutes les deux heures se contamine sur la planète et il y aura 50 millions de séropositifs en l'an 2000 et notre pays, la France, est celui qui est le plus touché de l'Union européenne, avec 150 000 séropositifs et avec, hélas, 32 000 malades déclarés depuis le début de l'épidémie. Il faut donc faire vite, et merci aux chaînes de télévision publiques et privées, aux journalistes, aux artistes, qui se sont tous mis ensemble. Cela montre que quand on se mobilise tous, on peut faire reculer des barrières, même celles du SIDA.
G. Leclerc : On va demander de l'argent, à quoi servira-t-il ?
P. Douste-Blazy : Il y aura 50 % pour la recherche et 50 % pour les associations de lutte contre le SIDA qui sont des gens merveilleux et qui nous aident nous, pouvoirs publics. Ils nous montrent souvent le chemin qu'il faut prendre, on parle avec eux. Il ne faut pas oublier qu'il y a encore trop d'exclusion, de ségrégation, de rejet dans cette maladie. Il faut pouvoir en parler, ça nous concerne tous et pas uniquement des catégories. Souvent on entend dire en France et ailleurs : le SIDA, c'est pour les autres. Non ! Les dernières études faites au ministère de la Santé montrent que 40 %, presque la moitié des nouveaux contaminés, sont hétérosexuels et les femmes sont de plus en plus touchées. Donc oui, ça nous regarde tous.
G. Leclerc : Quel bilan peut-on faire de la prévention ? A-t-on commencé à enrayer la propagation de la maladie par exemple ?
P. Douste-Blazy : Quels sont les problèmes de la maladie en termes de traitements ? Le vaccin : on a de grosses difficultés car le HIV mute. Donc si on trouve un vaccin pour un virus, on ne trouvera pas pour les autres. Ensuite, c'est un virus qui est spécifique de l'espèce humaine, donc difficulté de faire des expériences animales. Donc côté vaccin, ça va prendre encore plusieurs années. Le seul vaccin aujourd'hui c'est la prévention ; parler à des populations ciblées, à la jeunesse surtout. Cette jeunesse est solidaire, elle a le sens de la générosité, elle est enthousiaste mais elle est aussi insouciante. Mon, notre travail d'adulte, c'est d'essayer de leur parler, de leur dire qu'ils sont en danger. Aujourd'hui, ce sont des nouveaux comportements vis-à-vis de l'amour, à savoir soit la fidélité à son partenaire, soit le préservatif.
G. Leclerc : Justement, à propos du préservatif, on a appris en début de semaine qu'il y avait 12 marques qui semble-t-il, ne protégeaient pas vraiment…
P. Douste-Blazy : J'ai vu que l'INC avait dit cela, et j'ai vu ensuite qu'il y a eu un rectificatif. Tout ça s'est passé de manière très grave. Aujourd'hui, les normes françaises sont les plus rigoureuses au monde et s'il y avait la moindre marque de préservatifs qui ne répondrait pas aux normes de sécurité, évidemment, je les enlèverais du marché.
G. Leclerc : Donc vous contestez…
P. Douste-Blazy : Tous les gens qui connaissent ce problème, tous les scientifiques, ont contesté cela et je pense que c'est très grave en termes de santé publique.
G. Leclerc : Le vrai danger réside chez les toxicomanes ; pourquoi ne pas généraliser véritablement l'échange de seringues et les produits de substitution ?
P. Douste-Blazy : C'est un de nos combats les plus difficiles, car d'abord dans le monde on s'occupe plus des toxicomanes que des causes de la toxicomanie. Ce qui entraîne une personne à se droguer, avec cette solitude, ce désespoir terribles. Il faut, vous avez raison, aussi s'occuper de la toxicomanie et notre pays est très en retard. Mon obsession c'est qu'un héroïnomane continue à se piquer et pourquoi ? Car sur 150 000 héroïnomanes en France, 1 sur 3 est séropositif au HIV, 7 sur 10 sont séropositifs à l'hépatite B ou C. Donc, l'idéal c'est qu'ils se désintoxiquent. Nous avons augmenté de 40 % le budget grâce au Premier ministre, pour la lutte contre la toxicomanie. Nous voulons aussi développer les programmes d'échange de seringues. Il n'y avait que quatre petits malheureux programmes d'échange de seringues en mars 93 quand je suis arrivé au ministère de la Santé de Mme VEIL. Il y en aura 45. Il y avait 50 places de méthadone alors qu'il y en avait 15 000 en Angleterre. Il y en aura 1 000 à la fin de l'année. Il faut continuer et travailler tous ensemble, on n'a pas le droit de laisser tomber ce pan de la santé publique.
G. Leclerc : L'Académie de médecine s'est prononcée hier, pour une levée partielle du secret médical, pour les partenaires de gens séropositifs. Votre avis ?
P. Douste-Blazy : Personnellement, je pense que l'annonce d'une séropositivité comme d'une séronégativité, c'est quelque chose de très, très grave, très lourd qui doit se faire dans le cas d'une relation entre le médecin et le malade. Relation de conscience de la part du médecin et relation de confiance pour le malade. Si vous êtes mon patient, je vous parle à vous ; à moi de vous convaincre, évidemment, de le dire à votre conjoint ou votre partenaire.
G. Leclerc : Mais ce n'est pas au médecin de le dire au conjoint ou au partenaire…
P. Douste-Blazy : Je pense qu'aujourd'hui, le secret médical est quelque chose d'important, si on veut garder la confiance. Il faut tout faire pour la garder.
G. Leclerc : Le RPR hier, a réagi vivement à la désignation de D. Baudis pour mener la tête de liste de la liste de la majorité. Qu'en pensez-vous ?
P. Douste-Blazy : Je pense que D. Baudis c'est le bon choix. Il y a quatre mois que je le dis. Quelqu'un de 46 ans, qui a de vraies convictions européennes. En fait le combat politique c'est le combat européen. Je dirais que dans ce gouvernement, nous avons une politique européenne avec comme ministre des Affaires étrangères, A. Juppé, RPR, et comme ministre des Affaires européennes, A. Lamassoure, UDF. Entre le RPR et l'UDF, je ne vois pas de différence aujourd'hui entre la politique européenne. Je ne vois donc pas pourquoi il y aurait un problème dans ce choix.
G. Leclerc : Le RPR doit accepter ce choix.
P. Douste-Blazy : Oui, je pense qu'il l'acceptera.
Le Figaro : 7 avril 1994
Le Figaro : Qu'attendez-vous de cette soirée ?
P Douste-Blazy : Elle doit permettre d'informer, d'éduquer, mais elle a aussi une mission d'espoir. C'est un cri d'alarme en direction de ceux qui ne se sentent pas concernés, d'espoir pour les malades qui ont droit à notre respect. Il faut faire passer une information essentielle : le sida n'est pas une maladie contagieuse mais une maladie transmissible. La nuance est de taille : la contagion, c'est la contamination par la proximité. Pour le sida, les modes de transmission sont parfaitement identifiés : le sang, le sperme, et aux enfants à naître de mères séropositives ou malades.
Le Figaro : L'Agence Française de Lutte contre le Sida est maintenant intégrée dans l'administration. N'y a-t-il pas un risque de rupture dans les actions entreprises ?
P. Douste-Blazy : Il n'y a pas de problèmes de transition. Il est normal que le ministère de la Santé pilote directement l'information sur le sida. Nos campagnes doivent avoir pour cible la jeunesse. Les jeunes sont généreux et ont le sens de la solidarité, mais ils sont insouciants. Notre devoir d'adultes est de les informer sur la prévention. Car le seul vaccin disponible est la maîtrise du comportement, la fidélité, ou le recours au préservatif. Le gouvernement s'est impliqué dans la campagne du préservatif à 1 franc. L'opération a été un tel succès que les pharmaciens ont manqué do stocks. L'opération continue, et on va arriver à 7 millions de préservatifs distribués.
Le Figaro : Il y a eu des campagnes ciblées sur les homosexuels en Grande-Bretagne et en Suisse, pourquoi pas en France ?
P. Douste-Blazy : Les populations d'homosexuels comme de toxicomanes, sont parfaitement informées sur la maladie et les modes de prévention
Le Figaro : Comment maîtriser la propagation du sida parmi les toxicomanes, sans risquer d'être laxiste ?
P. Douste-Blazy : Nous avons un retard énorme à rattraper. Actuellement il y a environ 150 000 héroïnomanes en France. Un tiers sont sans doute séropositifs au virus du sida. Sept sur dix sont porteurs des virus de l'hépatite B ou C. II faut savoir que les toxicomanes meurent plus du sida que de surdose. Il serait intolérable de rester indifférent, ce serait de la non-assistance à personnes en danger.
Le Figaro : Quels sont les ordres de priorité ?
P. Douste-Blazy : D'abord, il faut les aider à se désintoxiquer. En pratique, cela veut dire qu'il faut 3 à 5 places de désintoxication par hôpital. Mais si le toxicomane se retrouve à la rue en sortant de l'hôpital,il a toutes les chances de replonger dans la drogue. Actuellement il y a un déficit considérable en place de postcures : 610 lits pour 150 000 personnes c'est dérisoire. Les délais d'attente se prolongent sur plusieurs mois. Le Premier ministre a donné l'autorisation de doubler le nombre de places, et nous devrions être capables d'accueillir rapidement 4 500 personnes par an en postcure.
Le Figaro : Les statistiques européennes montrent des disparités flagrantes entre les pays. Ainsi les toxicomanes britanniques sont moins touchés par le fléau. Comment réagir ?
P. Douste-Blazy : Deuxième volet de notre action en direction des toxicomanes : une stratégie globale de prévention du sida, en leur donnant accès aux médicaments de substitution, qui évitent les injections et permet un suivi médical et social. Sur ce plan nous étions la lanterne rouge. Depuis 1990, la Grande-Bretagne propose 15 000 places de méthadone, l'Allemagne 7 000, et la France, jusqu'à l'année dernière, 52. Nous en avons créé 500, financées, installées, dont je peux donner la liste. Il y on aura 1 000 à la fin de l'année
Le Figaro : Beaucoup de toxicomanes sont des marginaux. Comment les convaincre ?
P. Douste-Blazy : Dans les années 70, la toxicomanie était un refus d'entrer dans la société. Maintenant c'est un phénomène lié à l'exclusion sociale. Il n'est pas admissible que la moitié des toxicomanes soient exclus du système sanitaire ils ne voient ni médecin, ni infirmière. Il faut un « sas » entre le domicile – quand ils en ont un – et les lieux de soins. Les « boutiques » sont ces lieux, où ils trouvent un réconfort, des gens à qui parler, un café pour se réchauffer. Ce sont des initiatives qui peuvent leur donner l'envie de s'en sortir.
Le Figaro : La Fédération nationale de la Mutualité française propose un programme méthadone pour accélérer l'ouverture des centres. Êtes-vous prêt à accepter cette aide ?
P. Douste-Blazy : Je suis prêt à collaborer avec toutes les équipes qui soumettront des projets qui se tiennent d'un point de vue médical et social, et je crois qu'il faut travailler avec les municipalités. Le projet de la Mutualité est très intéressant dans son principe, mais il faut voir ensemble comment il peut s'organiser.
Le Figaro : Êtes-vous favorable aux programmes d'échange de seringues ?
P. Douste-Blazy : L'échange de seringues est une mesure de prévention essentielle. II existait 4 programmes, il y en aura 29 à la fin de l'année, 45 en 1995. Nous avons montré notre volonté de nous y mettre, et le ministère de l'Intérieur a compris l'importance de ce programme. Je suis d'accord pour l'installation de distributeurs de seringues, mais à condition qu'ils soient sous l'autorité d'un pharmacien ou d'une association.
Le Figaro : Les malades qui souffrent de graves symptômes liés à la nutrition se plaignent que les hôpitaux soient incapables de prendre en charge cet aspect du traitement.
P. Douste-Blazy : Il y a encore beaucoup à faire pour aider les malades. Heureusement leur espérance de vie a augmenté. Nous devons les aider à avoir une meilleure qualité de vie. Par exemple, la dénutrition et l'amaigrissement sont des symptômes graves dont souffrent les malades du sida. Il est nécessaire que ces besoins nutritionnels soient mieux appréhendés et traités à l'hôpital. Il va de même pour d'autres maladies, d'où la décision de mettre en place un groupe de travail avec des nutritionnistes, des diététiciens et des représentations d'associations de malades pour faire le point sur les recherches et les mettre en œuvre le plus rapidement possible. D'ailleurs, l'hospitalisation doit être réduite au strict nécessaire, lorsqu'elle s'impose médicalement, pour permettre aux malades qui le peuvent d'être soignés chez eux, ou dans un cadre de vie digne. Cela signifie que les 180 000 heures d'auxiliaires de vie sont encore insuffisantes, que l'on va multiplier par deux le nombre d'heures de garde-malades, et par trois le nombre d'appartements thérapeutiques pour accueillir ceux qui n'ont pas de domicile.
Le Figaro : À droits sociaux égaux, tous les séropositifs ou malades ne semblent pas avoir les moyens d'accéder aux meilleurs soins.
P. Douste-Blazy : La lutte contre le sida ne peut pas se limiter à des lignes de crédits budgétaires. Toute la société doit se mobiliser. Le sida est une maladie marquée par la pauvreté, l'exclusion sociale. Ainsi, il y a trop de femmes enceintes qui une fois qu'elles savent qu'elles sont séropositives disparaissent dans la nature, et restent sans soins. Leur donner un rendez-vous à une consultation hospitalière trop éloignée de leur domicile est insuffisant. Seuls les réseaux de proximité peuvent les aider : là elles peuvent recevoir des conseils sur leurs droits, savoir comment se faire surveiller, voir un médecin, un infirmier.
Le Figaro : Un sondage publié hier dans « Le Figaro » montre que les trois quarts des Français sont favorables à un dépistage obligatoire annuel pour les catégories à risques. Êtes-vous toujours opposé à ce type de dépistage ?
P. Douste-Blazy : Il n'y a aucune ambiguïté dans ma position. Je suis contre le dépistage obligatoire. Il est important que les tests de dépistage soient plus fréquents, mais ils doivent être des actes volontaires. Maladie au long cours, le sida implique une relation de confiance solide entre le malade et son médecin, et il ne faut rien faire qui puisse l'entamer. Systématiser le dépistage sans consentement accélérerait un mouvement de fuite des malades, et on arriverait à un résultat contraire au but recherché.
Le Figaro : Y a-t- il réellement une extension de l'épidémie chez les hétérosexuels ?
P. Douste-Blazy : Trois études publiées récemment montrent que 40 % des nouveaux contaminés sont des hétérosexuels. Il faut savoir très vite leur signification : est-ce une évolution de l'épidémie ? Touche-t-elle indifféremment toutes les couches de la population ? Des individus ayant de nombreux partenaires sexuels ? Venant de régions fortement contaminées ? Ayant des comportements à risques ? J'ai demandé au professeur Jacques Drucker, qui a par ailleurs la responsabilité du réseau national de Santé Publique, de constituer un groupe de travail sur ce sujet afin de me donner un maximum de réponses précises avant l'été.