Texte intégral
Lutte ouvrière le 5 juin 1998
La fête en images
La fête, un succès populaire qui atteste de la vitalité de notre courant
Cette année, avec environ 35 00000 entrées, la fête de Lutte ouvrière a été un vrai succès.
Les habitués étaient au rendez-vous, en nombre, heureux d'être là d'autant que, pour tous, l'assistance dépassait de façon visible l'affluence des années précédentes. Car nombreux étaient ceux qui venaient pour la première fois à notre fête. La présence du « camarade soleil », qui nous boudait les années précédentes, a ajouté à l’ambiance joyeuse et détendue, permettant à nombre de participants de s'attarder, ajoutant au plaisir, à la décontraction, à la variété qui marquait ces trois jours.
Au moment des discours de notre camarade Arlette Laguiller, mais aussi des forums animés en permanence, des débats avec la LCR et la Gauche communiste du PCF, l'assistance nombreuse attestait de l'intérêt et de l'accord avec nos idées et notre combat. Cela était également attesté par les discussions animées autour des stands tenus par des camarades d'entreprise de toutes les régions. Bien des militants, des sympathisants, des visiteurs sont repartis avec plus d'espoir au cœur en voyant ces milliers de jeunes participant à l'organisation de la fête, a son fonctionnement, à son animation.
Oui, notre courant, certes minoritaire mais dont les récents résultats électoraux montrent qu'il rencontre un écho grandissant, se développe, vit et agit. Cette fête l'a montré, dans la joie, la bonne humeur et l'humour. L'ambiance fraternelle vécue pendant ces trois jours, les participants ne sont pas près de l'oublier. Et si cela a permis à ceux qui ne nous connaissaient pas, ou peu, de mieux comprendre ce que nous sommes et ce que nous voulons, nous nous en réjouissons. Nous ne disons pas « à l'année prochaine » mais « à bientôt, à nos côtés » à tous ceux qui le souhaitent !
Lutte ouvrière le 5 juin 1998
« Quelques craquements dans la gauche plurielle »
Parlant des promesses non tenues vis-à-vis des « sans-papiers », Arlette Laguiller a expliqué :
« Cette politique, le Parti Socialiste la paiera et risque de la faire payer à tous car c'est cela qui, dans le contexte du chômage, favorise le Front national.
Voilà pourquoi, si le Parti Socialiste, et plus généralement la gauche plurielle, continue de décevoir jusqu'à la fin de la législature, cette déception désarmera les travailleurs face à une droite qui reviendra au pouvoir. Heureusement que, pour le moment, la droite française est toujours la droite la plus bête du monde, surtout avec ses affiches ridicules qui font appel aux Gauloises et aux Gaulois.
Mais le Parti Socialiste peut tenter de se donner une image de rempart contre l'extrême droite, cela n'enlève rien à sa responsabilité majeure dans les progrès de l'influence de l'organisation lepéniste.
Mais tout cela, et c'est heureux, provoque quelques craquements dans la gauche plurielle, en particulier du cote du Parti Communiste Ces craquements, ils sont dus au fait que la combativité de la classe ouvrière, même déformé par le réformisme des centrales syndicales, n'a pas encore complètement disparu. Du coup, le Parti Communiste, pour ne pas perdre tous ses militants et tout son électorat populaire, fait mine de ruer dans les brancards.
Robert Hue demande, mais à genoux, à Lionel Jospin d'aller plus vite, de faire des gestes plus forts, mais sans préciser plus vite vers quoi, et plus fort contre qui. À moins – comme il est probable – que Robert Hue ne demande que des aumônes symboliques. Mais Jospin continuera la même politique car il n’est pas au service de l'électorat de gauche, mais au service de la bourgeoisie. Comme l’était Mitterrand, et comme les ministres de Mitterrand l'ont été. Ils n'ont qu'une envie, c'est ressembler à des ministres de droite, à des hommes d'État de la bourgeoisie !»
Extrait du discours d'Arlette Laguiller à la fête de Lutte Ouvrière, le dimanche 31 mai 1998
« Seule la résurgence des luttes sociales pourra mettre un terme à la voracité du patronat »
« Alors oui, reprise ou pas, la répartition du revenu national entre ceux qui créent les richesses – les travailleurs –et ceux qui les exploitent n'a jamais été seulement une question de conjoncture économique. Cela a toujours été une question de lutte. Cette fameuse lutte de classes que les politiciens comme la presse bien-pensante nient pour cacher le fait que le patronat, lui, la mène et l'a toujours menée !
Pour amener le patronat à créer les emplois qui manquent, tous les gouvernements qui se sont succédé ont préconisé des politiques qui se voulaient incitatives.
Plusieurs centaines de milliards sont dépensés tous les ans par l'État, par les collectivités locales pour subventionner les entreprises, pour alléger leurs charges sociales, pour adoucir leur fiscalité déjà clémente, pour leur offrir des terrains gratuits.
Toul cela a conduit à un endettement considérable de l'Etat. Et pour quel résultat ? Aucun. Le patronat s’est contenté d'empocher les cadeaux énormes sans créer de nouveaux emplois, et pire encore en détruisant ceux qui existaient encore.
La faillite de cette politique est aveuglante. Et, si aucun gouvernement, pas même celui de la gauche plurielle aujourd'hui au pouvoir, n'en a tiré les conclusions qui s'imposent, c'est qu'ils sont tous, sans exception, à plat ventre devant le patronat.
On ne peut pas compter sur le gouvernement pour améliorer une situation socialo dramatique pour les travailleurs. Mais c'est cette situation elle-même qui finira par pousser à bout les travailleurs, les classes populaires, les chômeurs. La colère du monde du travail finira par éclater un jour ou l’autre. Seule la résurgence des luttes sociales pourra mettre un coup d'arrêt à la voracité du patronat !
Regardez comment même les catégories de salariés qui passent pour être les plus favorisées, comme les pilotes de ligne, en viennent à cette conviction !
Depuis quelques jours, il y a un véritable matraquage dans la presse écrite et parlé pour dénigrer les pilotes de ligne qui ont envisagé de faire grève pendant le grand cirque du Mondial. Les pilotes sont bien payés, mieux que les smicards certes. Mais aucun salarié à qui on propose de réduire son salaire, alors que son entreprise fait des bénéfices, ne peut l'accepter sans réagir.
Et puis, il ne faut pas oublier que, quand les cheminots sont en grève, les mêmes journalistes disent aussi d'eux qu'ils sont privilégiés. Et, pour n'importe quels salariés en grève, ils n'oublient pas de prétendre que ceux qui ont du travail ne devraient pas se plaindre, même si ce sont des balayeurs à temps partiel qui gagnent moins que le SMIC !
Alors, Coupe du monde ou pas, un salarié est un salarié, et un exploiteur, un exploiteur. Ce sont deux camps différents et irrémédiablement opposés. Et le nôtre est du côté des salariés, et pas du côté de ceux qui sont surtout préoccupés de faire de l'argent à l'occasion du Mondial et qui s'inquiètent de leur éventuel manque à gagner...
Alors, à infiniment plus forte raison, il n'y a pas d'autre voie de salut que la lutte pour la grande masse du monde du travail, pour tous ceux qui n'en peuvent plus et qui ont toutes les raisons d'être révoltés par l'enrichissement inimaginable des détenteurs de capitaux, par tout le climat d'affairisme, de corruption, d'argent facile, que cela alimente dans la bourgeoisie, petite et grande, et parmi la valetaille politique à son service.
Nous les révolutionnaires, pas plus que quiconque, nous n'avons les moyens de susciter la réaction collective indispensable des travailleurs, ni même de la prévoir. Ce ne sont jamais les révolutionnaires qui provoquent les explosions sociales mais les exploiteurs eux-mêmes par leur arrogance, par leur avidité.
Ce qui est par contre en notre pouvoir, c'est de défendre et de populariser les objectifs sur lesquels les travailleurs auront intérêt à se battre demain pour que luttes changent réellement le rapport des forces. Ils imposeraient alors que le patronat ne puisse pas s'en sortir par des concessions superficielles, comme il a pu le faire il y a trente ans, après la grande vague de grèves de mai 68. »
Extrait du discours d'Arlette Laguiller le samedi 30 mai à la fête de Lutte Ouvrière
« Notre internationalisme est inséparable de nos convictions communistes »
« Nous avons !a conviction que la société capitaliste, une société qui crée en permanence la misère pour le plus grand nombre afin de permettre à une petite minorité d'accumuler du profit, ne représente pas l'avenir de l'humanité, mail qu'elle est d'ores et déjà dépassée car génératrice de crises et de misère.
La prospérité d'une puissance impérialiste comme la nôtre, basée-sur l'exploitation de sa propre classe ouvrière, est aussi basée sur l’exploitation féroce des pays sous-développés, par le pillage direct ou par l'intermédiaire du marché mondial. Ce que l'on désigne sous le nom pudique de sous-développement est la conséquence du pillage des pays pauvres auxquels les capitalistes des pays riches extorquent à bas prix des matières premières et les produits agricoles.
Ces peuples sont obligés de produire, avec des revenus et des salaires de famine, pour le marché capitaliste mondial, en abandonnant des cultures vivrières qui pourraient au moins les nourrir. Et ils doivent livrer leurs produits à très bas prix aux trusts capitalistes qui dominent l'import-export.
On parle hypocritement de « pays en développement » alors qu'en réalité, l’écart entre ces pays et les pays industriels ne diminue pas au fil des années mais s'accroît de plus en plus.
C’est cette situation que maintiennent les dictateurs autochtones, bourreaux de leurs peoples, subventionnés, armés et dont certains sont, le cas échéant, directement protégés par notre gouvernement.
C’est de cette exploitation et de la misère qu’elle entraîne que découlent les affrontements ethniques, les massacres et les génocides qui ne sont pas la cause du-sous-développement mais son produit.
Les quelques rares révélations qui ont filtré sur le génocide de qui s'est déroulée au Rwanda suffisent pour montrer la responsabilité majeure, directe, de notre impérialisme Cela n'empêche pas « nos » militaires, « nos » gouvernants, parmi lesquels « nos » socialistes, de parler de barbarie à propos de ce qui s'est passé au Rwanda, au Liberia ou dans d'autres pays d'Afrique. Les responsables locaux de ces massacres, ceux qui se salissent les mains, sont des crapules. Mais les véritables barbares, eux, sont ici, dans les bureaux feutrés des conseils d'administration des grandes sociétés capitalistes, dans les institutions officielles de la République, comme au sommet de l'État, dans tout cet appareil qu’on nous présente comme le garant de la démocratie alors que son ossature n’est finalement, en dernière analyse, que l’état-major d'une bande armée au service du grand capital.
Oui, nous sommes communistes parce que nous pensons que cette organisation sociale n'est, ne peut pas être l'avenir de l’humanité. Nous sommes, communistes parce que nous avons la conviction que cette société injuste et inhumaine laissera inéluctablement la place, à l'échelle du monde, à une société communautaire.»
Extrait du discours d'Arlette Laguiller à la fête de Lutte Ouvrière, le lundi 1er juin 1998
« Les travailleurs n’ont pas à se battre au nom du nationalisme »
À propos de la création de la monnaie unique européenne, Arlette Laguiller a affirmé :
« Ce n’est pas nous les communistes, qui allons regretter que les frontières s'effacent, même si ce n'est que partiellement.
Les travailleurs n'ont certainement pas à regretter ces frontières, dessinées au hasard de l'histoire, qui découpent le continent en mosaïque d'États nationaux dont certains sont minuscules, et au nom desquelles, au cours de guerres fratricides, on a dressé si souvent les uns contre les autres des peuples dont le destin est pourtant de vivre ensemble.
Les travailleurs n'ont certainement pas à regretter qu'avec la disparition des monnaies nationales, les gouvernements nationaux perdent – il est vrai, en principe seulement – le droit de manipuler leurs monnaies ou que les spéculateurs internationaux ne puissent pas jouer le mark allemand contre la lire italienne, ou le franc français contre la peseta espagnole.
Les travailleurs n'ont certainement pas non plus à pleurer parce que ce n’est plus la Banque de France qui dictera ses valeurs au gouvernement mais une Banque centrale située en Allemagne et présidée par un Hollandais qui dictera les siennes à toute l'Europe.
Car la Banque de France n'a jamais été celle des travailleurs, mais celle du grand capital dont, depuis bien longtemps, les ramifications sont internationales.
[…] Mais, ce qu’il y avait de progressiste dans l'Union européenne n’est qu'un côté de la médaille. L'autre face de cette pièce d'un euro, c'est qu’il n’a pas été créé dans l’intérêt des peuples, mais dans l'intérêt du grand capital, contrairement à ce que racontent les défenseurs bourgeois de cette Europe.
L'Union européenne est devenue nécessaire et possible parce que les trois principales puissances impérialistes de l'Europe, la France, l'Allemagne et la Grande-Bretagne, ne font pas le poids face aux États-Unis et au Japon. Elle s'est imposée depuis la disparition des empires coloniaux et par ce que, eu égard à la puissance des forces économiques actuelles, les marchés intérieurs des ridicules États d'Europe sont trop petits.
L'Union européenne n'a pas supprimé la concurrence et les rivalités même entre bourgeoisies européennes, elle reste une association de brigands capitalistes, rivaux entre eux mais contraints de s'unir et d’unifier leurs marchés pour défendre leurs profits contre plus forts qu'eux. [...]
Certains craignent que la monnaie unique aggrave les choses pour les travailleurs. C'est évidemment possible !
Mais la situation des travailleurs s'est considérablement aggravée bien avant que le projet même d'une monnaie unique ait été sérieusement envisagé. Les fermetures d'entreprises, les licenciements, la précarité, l'abaissement considérable des conditions d'existence des travailleurs ne sont dus ni à l’effacement récent des frontières ni à l'euro encore en projet !
La détérioration des conditions d'existence des travailleurs est due à une crise dont le début a au moins un quart de siècle, c’est-à-dire à une crise permanente représentant le mode d'existence du marché capitaliste. Pas plus que l’argent n'a d'odeur, le capital n'a de nationalité. Et les travailleurs n'ont certainement pas intérêt à se battre au nom du nationalisme qui est, non seulement une idée réactionnaire, mais qui en plus suggère que les travailleurs ont des intérêts communs avec leur propre bourgeoisie et qu'en revanche, les travailleurs des autres pays sont leurs adversaires et, en tout cas, des concurrents.
[…]
Eh bien, que les bourgeois unifient donc l'Europe, même à leur façon !
Les travailleurs s'en serviront pour s'unir d'un pays à l'autre et pour mener le combat de l'avenir pour la transformation de l’ordre économique et social. Et de ce combat, surgira – j'en suis convaincue – une Europe totalement unifiée avec des peuples librement associés en une seule communauté de plusieurs centaines de millions de personnes, sans mur de quelque nature que ce soit entre les hommes et les économies !
Une Europe qui ne sera pas repliée sur elle-même mais ouverte aux autres continents, avec des économies associées non pas sur la base de l'exploitation de régions ou de continents sous-développés par les pays développés, mais sur la base de l’égalité et la conscience de la communauté des intérêts. Car il est faux que l'Europe ne puisse pas aider l'Afrique, par exemple, sertir du sous-développement. Nous avons des bras et des compétences inutilisés, nous pourrions aider les peuples d'Afrique à produire ce qui leur manque du point de vue alimentaire, si nos exploiteurs ne les exploitaient plus.
Nous pourrions leur fournir, y compris avec leur aide, de nos propres usines, les produits industriels qui leur manquent. Ce n’est pas utopique, ce serait simplement rationnel, et cela se fera, un jour, le plus proche possible, je le souhaite. »
Extrait du discours d'Arlette Laguiller à la fête de Lutte Ouvrière, le lundi 1er juin 1998
« Le combat politique que nous menons, nous en sommes fiers. Les calomnies aussi nous en sommes fiers, car tant que nous serons calomniés, c’est que nous gênons »
« Je salue toutes celles et ceux qui nous connaissent bien ! Et merci à ceux qui sont là pour la première fois malgré la fraction de la presse qui nous traite de secte depuis notre progression, pourtant modeste, à l'élection présidentielle de 1995 et aux élections régionales récentes! Nous suscitons la curiosité mêlée d'hostilité de certains journalistes qui ne nous aiment pas. (...)
Des calomnies, des médisances, nous en avons l'habitude, comme en a eu l'habitude le mouvement ouvrier dans le passé.
Mais je profite de l'occasion pour dire qu'à Lutte Ouvrière, il n'y a pas de chef, il n'y a pas de patron, et encore moins de gourou. Et, contrairement à ce que certains journaux écrivent je ne suis manipulée par personne.
Il y a une direction collective qui est élue démocratiquement tous les ans. Il n'y a pas beaucoup de partis qui peuvent en dire autant. C'est cette direction collective qui m'a désignée comme porte-parole de notre organisation et qui me reconfie cette responsabilité tous les ans.
Certain de nos dirigeants sont connus de la presse, d'autres ne le sont pas. Un très grand nombre de nos militants et de nos sympathisants sont connus de leur entourage et de leurs camarades de travail, mais d'autres ne le sont pas. Cela stupéfie des journalistes particulièrement ou, devrais-je dire, socialement bornés et aveugles. Oui, nombre de nos militants et de responsables de notre organisation ne peuvent pas se faire connaître car la répression patronale existe dans les entreprises, même envers les syndicalistes qui sont relativement protégés.
Nous sommes la seule organisation d'extrême gauche et même de gauche à publier régulièrement, au nom de Lutte Ouvrière, des journaux d'entreprise qui sont des organes politiques et qui se revendiquent du communisme. Eh bien, nous en sommes fiers !
Chaque quinzaine, ces journaux d'entreprise dénoncent les faits et les méfaits, les iniquités et les injustices. (...)
De tout cela, que savent les journalistes qui nous critiquent pour ce qu'ils appellent notre « goût du secret »? Que savent-ils de ce que risque un travailleur dans son entreprise pour la simple circulation interne d'un tract politique ?
Croient-ils donc qu'un jeune qui cherche du travail peut dire, lors de son entretien d'embauche, qu'il sympathise avec les idées de Lutte Ouvrière et, à plus forte raison, qu'il en fait partie ?
Croient-ils donc qu'un intérimaire peut annoncer tranquillement, dans son entreprise, son appartenance à Lutte ouvrière ? Imaginent-ils seulement que, s'il le faisait, non seulement il ne garderait pas sa place mais il serait immédiatement sur une liste noire dans toutes les boîtes d'intérim de sa ville ou de sa région ?
Voilà la réalité, voilà pourquoi nous protégeons une partie de nos camarades, et là encore nous en sommes fiers.
(...) Camarades et amis, le combat politique que nous menons, nous en sommes fiers. Nous sommes fiers des pressions qui s'exercent sur nous. Les calomnies aussi, nous en sommes fiers car, tant que nous serons calomniés, c'est que nous gênons !
C'est pourquoi je remercie ceux des journalistes qui, même s'ils ne nous donnent pas aussi souvent que je le souhaiterais la parole, font au moins sérieusement leur métier en posant les problèmes politiques et ne se transforment pas en paparazzi ragotiers. »
Extrait du discours d'Arlette Laguiller, le samedi 30 mai 1998, à la fête de Lutte Ouvrière
L’éditorial d’Arlette Laguiller
Choisir son camp
C'est le premier anniversaire du gouvernement Jospin. En dépit de quelques mesures ponctuelles tels les emplois jeunes, dérisoires face à ce qu'il faudrait pour changer la situation de la jeunesse face au marché du travail, le bilan de sa première année n'est pas positif.
Il y a toujours 3 millions de chômeurs, bien plus si l'on compte les petits boulots, les emplois à temps partiel, les cas qui n'entrent pas dans les statistiques. On assiste à une intensification renforcée du travail dans les grandes entreprises. Les plans de licenciements cyniquement baptisés « plans sociaux » se succèdent dans, toutes les branches. Aucun travailleur n'est à l'abri des menaces qui pèsent sur les emplois. Si ce bilan n’est pas pire que ce qu'aurait fait un gouvernement de droite, il n'est pas meilleur.
On nous dit que la loi sur les 35 heures est positive parce qu'elle fait hurler le patronat. Mais le patronat hurle tout le temps et ce n'est pas parce qu'on l'attaque, c'est le plus souvent parce qu'on ne lui en donne pas assez : pas assez de subventions, de dégrèvements d'impôts, de diminutions de charges sociales, etc.
Ce gouvernement, qui est aussi incapable que les précédents de résoudre le problème du chômage, refuse même une augmentation significative des minima sociaux.
Régulariser la situation des sans-papiers, de ces travailleurs immigrés dont certains vivent et travaillent ici depuis des années, avait été une des promesses électorales du Parti Socialiste. Eh bien, même cette promesse-là, le gouvernement ne la tient pas. Plusieurs dizaines de milliers d'entre eux se retrouvent menacés d'expulsion. Il n'aurait pourtant pas coûté grand-chose au gouvernement de tenir ses promesses dans ce domaine. Mais il ne veut pas être accusé de laxisme par la droite et préfère trahir ses engagements électoraux.
Cette attitude cautionne en fait la démagogie imbécile de l'extrême droite qui rend les travailleurs immigrés, avec ou sans papiers, responsables du chômage, et fait aussi le jeu du Front national.
Tout cela provoque quelques craquements dans la gauche plurielle, en particulier du côté du Parti Communiste. Robert Hue demande à Lionel Jospin d'aller plus vite, de faire des gestes plus forts, mais sans préciser plus vite vers quoi, et plus fort contre qui. Et il le demande bien gentiment. Il vient par exemple de redemander, un « moratoire des licenciements », sans s'étonner de n'avoir jamais reçu de réponse à ses demandes précédentes.
Mais Jospin continuera la même politique car il n'est pas au service de l'électorat de gauche, mais au service de la bourgeoisie. Comme l’était Mitterrand, et comme les ministres de celui-ci l’ont été.
Alors Hue essaie de faire croire qu'il rue dans les brancards car il sait qu'à soutenir la politique de Jospin, il risque de perdre sa base. D'autant que, s'il perd son influence sur les travailleurs, il ne servira plus à rien à Jospin.
De plus, le gouvernement veut changer la loi électorale pour les prochaines européennes, avec un savant découpage de circonscription, qui aura pour effet de réduire la représentation du PCF, à moins que celui-ci se contente, une fois de plus, des places que voudra bien lui laisser le Parti Socialiste, à prendre ou à laisser.
Et puis, ce qui inquiète aussi Robert Hue, c'est de voir à chaque élection augmenter les suffrages qui se portent sur les candidats de cette extrême gauche qui reprend vis-à-vis des travailleurs le flambeau et la place abandonnés par le PCF.
Cela prouve que si le Parti Communiste menait une telle politique radicale, il reverrait à coup sûr remonter son influence, il verrait revenir ses militants, il redonnerait confiance à ses militants, il redonnerait espoir en même temps à tout le monde du travail. Cela permettrait d'imposer qu'on s'en prenne réellement aux bénéfices du grand patronat, ce qui permettrait de réduire la paupérisation et le chômage de façon radicale !
Oui, le PCF au lieu de faire semblant de s'opposer à Jospin pourrait réellement défendre les intérêts des travailleurs, et alors les efforts et le dévouement de ses militants ne serviraient pas seulement à assurer quelques strapontins ministériels à trois ou quatre cadres du parti.
Lutte Ouvrière le 12 juin 1998
L’éditorial d’Arlette Laguiller
La grève, arme de tous les travailleurs
La direction d’Air France avec le soutien déclaré de Jospin, flanqué de son ministre des transports Gayssot, avait choisi la fermeté face aux pilotes d’Air France, mais elle a finalement dû transiger. Elle réinstaure le gel des salaires ce qui est encore une façon de faire payer par les salariés les bénéfices de l’entreprise. Mais pour mettre fin à la grève, mercredi 10 juin, elle a dû remettre au placard au moins une partie de ses projets.
Nous ne savons pas pour l’heure si l’accord signé reflète la volonté de l’ensemble des grévistes. Bien sûr, la direction le gouvernement cherche maintenant à présenter cette fin de grève comme un succès pour eux. La presse servile les y aide tout comme elle a apporté sa pierre durant le conflit lui-même en se déchaînant contre les grévistes, les traitant de privilégiés parce qu’ils n’acceptaient pas la diminution de salaire qu’on voulait leur imposer.
Privilégiés, les pilotes de lignes ? Mais combien gagnent les vedettes de la télévision ou de la presse qui matraquent cette affirmation ? Et combien gagnent leurs patrons ? Quand a-t-on entendu ces journalistes s’en prendre à ceux – dont les propriétaires ou les actionnaires de leur chaîne ou de leur journal – qui gagnent dix fois, cent fois plus que les mieux payés des pilotes d’avions et qui, en plus, ne font rien et ne servent à rien ?
Les pilotes sont mieux payés, certes que la grande majorité des travailleurs. Et encore mentons beaucoup à ce sujet, en citant des salaires moyens. Mais si quelques-uns ont des salaires qui feraient rêver un smicard – mais qui sont dérisoires en comparaison de ce qu’empochent de riches parasites – d’autres n’ont qu’un salaire de petit cadre.
On ment encore en présentant les pilotes comme les agresseurs qui ont pris les usagers et le Mondial en otages. Ce sont eux les agressés, et c’est leur patron qui a choisi le début des vacances, qui coïncide avec le début du Mondial, pour tenter de leur voler deux mois de salaires. Bien des patrons usent de ce gendre de ficelle pour faire passer plus facilement leurs mauvais coups. Et comble de provocation, le patron d’Air France a proclamé sa volonté de faire des économies sur les salaires au moment même où il annonçait 1,87 milliards de francs de bénéfices pour son entreprise.
Les pilotes ont réagi. Ils ont raison. Aucun salarié, à qui on propose de réduire son salaire, ne peut l’accepter sans réagir, surtout quand son entreprise fait des bénéfices.
Égoïste, les pilotes, en s’opposant aux sacrifices qu’on veut leur imposer ? Il ne faut pas oublier que ceux qui propagent ce type d’arguments sont les mêmes qui traient d’égoïstes les cheminots, voire tout travailleur en grève, même mal payé, sous prétexte qu’avec le chômage ceux qui ont du travail sont des privilégiés.
Rappelons que parmi les salariés d’Air France, et même parmi le personnel navigant, certains ne gagnent que le SMIC. Et que le système de la double grille de salaires combattu à juste titre par les pilotes, qui consiste à payer moins les nouveaux embauchés, est largement appliqué. Les travailleurs d’Air France payent depuis plusieurs années par des suppressions d’emplois, par le gel des salaires et par une productivité accrue le redressement des bénéfices de la compagnie que le gouvernement s’apprête à livrer au privé.
La direction d’Air France, aidée par certains syndicats qui ne méritent guère ce nom, a voulu dresser les autres catégories du personnel contre les pilotes. En réalité, ce que craignait la direction d’Air France c’est que la grève des pilotes n’encourage d’autres catégories à ne plus accepter les sacrifices qu’on leur impose. Voilà pourquoi la direction d’Air France a préféré perdre, en une semaine de grève, le double de ce qu’elle veut économiser par an sur le dos des pilotes. Voilà pourquoi Jospin a tenu à affirmer son soutien au PDG de la compagnie et à faire cautionner sa politique par ses acolytes de la gauche plurielle. Les jours à venir diront si la signature de l’accord arrêtera la contagion ou si au contraire, le calcul de la direction se retournera contre elle, car le mécontentement demeure dans les autres catégories du personnel – comme bien au-delà.
Les manifestations de la semaine dernières, celle des travailleurs d’EDF-GDF, celle des arsenaux d’État, celle des travailleurs du commerce, comme la poursuite du mouvement de certaines catégories du personnel de la SNCF, montrent qu’il n’y a pas que les pilotes d’Air France à vouloir exprimer leur mécontentement.
Eh bien oui, les travailleurs, tous les travailleurs, commencent à en avoir assez de se voir imposer des sacrifices, alors que la Bourse s’envole et que s’enrichissent tous les parasites qui vivent de leurs capitaux, c’est-à-dire du travail des autres. Que patrons et gouvernants se méfient : à force de semer le vent, ils finiront par récolter la tempête.
Lutte Ouvrière le 19 juin 1998
L’éditorial d’Arlette Laguiller
Du cirque et du pain
Pour le ballon rond, ça tourne. Le foot-spectacle du Mondial est bien réglé. Ceux qui l’aiment sont servis. Quant à ceux qui en sont saturés, ils peuvent toujours éteindre la télévision. À ceux qui sont portés sur les cocoricos, on offre l’occasion d’en pousser : pour le vainqueur ou pour le perdant, mais qui s’est bien battu. Sans compter ceux pour qui les matches sont l’occasion après avoir ingurgité des pintes de boissons alcoolisées, de bastonner, mêlant la violence gratuite à la xénophobie et au racisme imbéciles.
Et surtout, le ballon rond, ça rapporte. Accessoirement aux petits malins qui parviennent à revendre 6 000 francs des billets, achetés 250 francs, à des supporters japonais escroqués par des margoulins. Principalement aux profiteurs du foot-business qui se partagent les 9,4 milliards de budget du Mondial. Sans parler de ceux qui ont palpé avant même que le Mondial commence : rien que le Stade de France à Saint-Denis a coûté 2,6 milliards. C’est autant qu’on empoché Bouygues et consorts. La billetterie de prestige a, paraît-il, suscité un engouement particulier. Pour les grandes entreprises, il est du dernier chic d’offrir à des relations d’affaires un de ces billets pour la phase finale qui se négocient à 15 000 francs.
Oui, le ballon rond, ça tourne. Et une première victoire de l’équipe de France aidant, des journalistes, en mal de sujet ou simplement serviles, ont déjà commencé à broder sur le thème : Aimé Jacquet et Lionel Jospin, même combat, pour une « équipe France » qui gagne. Pour Aimé Jacquet, cela reste encore à confirmer. Pour Jospin, tout dépend de qui on parle. S’il s’agit des propriétaires et actionnaires des entreprises, de tous ceux qui vivent de leurs capitaux, de ceux qui encaissent les 40 % de hausse de la cote des actions à la Bourse de Paris, rien que depuis le début de l’année, il y a de quoi se féliciter de la façon dont Jospin conduit son équipe ministérielle et gère les affaires.
Mais pour nous autres ?
Même pendant le spectacle, les mauvais coups continuent. La direction d’Air France par exemple a profité de la conjonction du début des vacances et du Mondial pour tenter de faire passer une amputation de deux mois du salaire des pilotes. Mal lui en prit, les pilotes ont réagi. Ils n’ont certes pas réussi à repousser complètement toutes les attaques de la direction. Mais ils l’on fait reculer, quoi qu’en dise une grande partie de la presse, haineuse vis-à-vis des pilotes, non pas parce qu’ils sont parmi les mieux payés des salariés, mais parce qu’ils sont des salariés qui se battent pour préserver leurs salaires.
Les pilotes ont eu raison : aucun salarié, à qui on propose de réduire son salaire ne peut l’accepter sans réagir, surtout quand son entreprise fait des bénéfices. Comme ont raison tous ceux qui, à la SNCF ou dans les transports publics des grandes villes, ne se laissent pas prendre au chantage du Mondial et protestent contre les suppressions d’emplois ou une aggravation des conditions de travail. Comme ont raison ceux qui, à l’instar des travailleurs de Chausson, se battent pour empêcher qu’on les jette à la rue et qui ont d’autant moins envie de respecter une « trêve du sport » qu’ils savent que les patrons, eux, ne respectent aucune trêve.
Mondial ou pas, dans toutes entreprises, surtout dans celles de production, les patrons continuent à aggraver le rythme de travail, à jouer avec les horaires au détriment des travailleurs. Dans toutes les entreprises, les patrons continuent à diminuer la masse salariale, ne serait-ce qu’en remplaçant les emplois durables par des contrats précaires mal payés.
Quant au gouvernement, il n’a pas songé, lui non plus, à une trêve, lorsqu’il a décidé cette petite saloperie qu’est la réduction de 3 % de l’intérêt du livret A, c’est-à-dire d’une épargne qui est surtout celle des travailleurs et des revenus modestes, alors que les intérêts que rapporteront les portefeuilles d’actions seront vingt fois supérieurs au bout de l’année ! Il n’a pas plus observé une trêve en proposant un décret ignominieux qui autorise les hôpitaux publics à licencier.
Alors, quoi qu’on puisse penser du spectacle footballistique, il ne durera qu’un temps. Et il n’est pas dit que même un exploit des hommes d’Aimé Jacquet puisse valoir à Jospin une prolongation de l’état de grâce.
Lutte Ouvrière le 26 juin 1998
L’éditorial d’Arlette Laguiller
Avec Jospin, pas de pause pour les profits patronaux
Le Gouvernement a fait un geste en faveur du SMIC. Pensez donc, la hausse automatique du SMIC en faction du renchérissement de la vie devait être de 1,7 %. Le Gouvernement a fait passer la hausse à 2 % : un geste de 16 francs par mois. Merci pour les smicards.
Mais pour le représentant du patronat, ce « coup de pouce au SMIC est absurde » et les salaires sont déjà en « dérapage inquiétant sur le plan de la compétitivité ». Et les médias de répercuter, comme les vérités révélées, le discours patronal sur la « nécessaire modération salariale ».
Combien gagnent donc ceux qui trouvent que le SMIC est trop élevé ? Les entend-on prêcher la modération pour les revenus du capital ? Les intérêts et les dividendes grèvent pourtant la compétitivité des entreprises, et autrement plus que les salaires. Mais pour ces gens-là, les travailleurs gagnent toujours trop, même s’ils ne touchent que les 6 929 francs du SMIC brut après revalorisation, c’est-à-dire s’ils doivent vivre avec un salaire net de 5 345 francs. Mais nombre de travailleurs même payé sur la base du SMIC, doivent survivre avec moins de 4 000 F tant le patronat multiplie les emplois et à salaire partiels.
La loi des 5 heures, dont le patronat s’est déjà emparé pour tenter d’imposer une flexibilité plus grande des horaires de travail, lui sert de prétexte officiel pour annoncer le gel, voire la diminution, des salaires. Mais à côté de ces attaques ouvertes contre les travailleurs, combien d’autres, au jour le jour, dans les entreprises ? Combien de tentatives pour réduire les salaires sous les prétextes les plus variés : ici, en supprimant une prime ; là, comme chez Peugeot-Citroën, une des entreprises les plus riches du pays, en tentant de voler une journée de salaire par la manipulation des dates des congés ; et, partout, remplaçant des CDI par des contrats précaires mal payés ? Partout, les patrons cherchent à obtenir plus de travail avec moins de travailleurs, en augmentant les cadences, en supprimant des postes, en jouant sur les horaires, en introduisant le travail de nuit ou le travail du dimanche.
Le plus cynique dans cette offensive patronale, appuyée par des médias serviles et des dirigeants politiques qui le sont tout autant, c’est d’évoquer le sort des chômeurs pour présenter ceux qui travaillent, aussi exploités soient-ils, comme des privilégiés. Mais nombre de grandes entreprises continuent à annoncer des plans de suppressions d’emplois. L’État se comporte comme les patrons, en annonçant la fermeture de plusieurs usines de Giat-Industries et en préparant un décret permettant les licenciements dans les hôpitaux publics.
Devant l’enrichissement des possesseurs de capitaux avec la peau des travailleurs, la discussion de salon au sein de la gauche plurielle autour de l’imposition du capital est d’une indécence provocante.
La majorité du PS se prépare à renier son vague engagement de relever, un peu, l’imposition des grandes fortunes dont le taux est ridiculement bas et que les plus riches ne payent même pas. Robert Hue hausse le ton sur la question, pour se donner une allure combative, mais insiste plus sur une réforme de la répartition de cet impôt que sur son augmentation conséquente sous prétexte de ne pas pénaliser les PME-PMI, ce qui est d’ailleurs faux.
Les profits que les entreprises encaissent et redistribuent à la bourgeoisie sont considérables. Il n’est que de voir l’indice de la Bourse monter, au rythme de plus de 60 % l’an, au somment où l’on augmente le SMIC de ce ridicule 2 %. Il y a de quoi assurer des salaires permettant de vivre et financer les créations d’emplois nécessaires pour résorber le chômage. Mais ce n’est pas en se couchant devant le patronat, ni même en cherchant à ménager ses intérêts que l’on reviendra à le convaincre de bien vouloir tenir compte des intérêts des classes laborieuses et de la société. Seule une politique s’attaquant hardiment aux profits des grandes entreprises et aux fortunes des bourgeois pourrait, non seulement réduire la paupérisation, mais aussi de façon radicale le chômage lui-même.
Il manque le rapport de force pour imposer cette politique ?
C’est le patronat lui-même qui, à force de provocations, finira par provoquer l’explosion sociale qui changera le rapport des forces entre le capital et le travail.