Interview de M. Nicolas Sarkozy, ministre du budget et porte-parole du gouvernement, à France 3 le 6 avril 1994, sur la situation économique, le chômage des jeunes et le retrait du contrat d'insertion professionnelle (CIP), l'échec des réformes et les blocages de la société, les élections européenne et présidentielle, et la situation internationale.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France 3

Texte intégral

M. Cavada : Mesdames, Messieurs, je vous souhaite la bienvenue dans La marche du siècle.

Premier mercredi du mois égale débat politique. Après Monsieur Jack Lang, le mois dernier, voici Monsieur Nicolas Sarkozy, ministre du Budget, porte-parole du Gouvernement et Maire de Neuilly depuis 1983.

39 ans, à moins que ça ne soit 38, deux enfants.

Monsieur Sarkozy, bonsoir.

M. Sarkozy : Bonsoir.

M. Cavada : Monsieur Sarkozy, depuis combien de temps faites-vous de la politique ?

M. Sarkozy : J'ai rêvé d'en faire depuis l'âge de 14 ans et je suis rentré dans une Permanence du Mouvement Gaulliste qui s'appelait à l'époque UDR, j'avais 17 ans.

M. Cavada : À quel âge avez-vous exercé votre première responsabilité élective ?

M. Sarkozy : J'ai été élu la première fois à 21 ans.

M. Cavada : Et c'était quoi ?

M. Sarkozy : C'était conseiller municipal.

M. Cavada : Pourquoi avez-vous dit à mon confrère du Nouvel Observateur, Hervé Algalarondo – je vous cite – « Un homme politique sans pouvoir, c'est un chanteur sans micro ou un cycliste sans vélo » ?

M. Sarkozy : Tout simplement parce qu'il faut avoir l'honnêteté de reconnaître la différence entre un intellectuel et un homme politique. L'intellectuel se bat avec ses idées, se suffit de ses idées. Un homme politique doit avoir des convictions niais il doit vérifier en permanence que ses convictions sont exactes, sont les bonnes pour le pays… qu'il soit représenté, et ça, c'est le rapport au pouvoir. Je n'ai jamais eu le snobisme de dire que ça ne m'intéressait pas.

Je pense que l'on fait de la politique pas simplement pour débattre des idées, pas simplement pour faire des articles, pas simplement pour faire des discours, on en fait pour agir.

M. Cavada : Un homme politique sans pouvoir, ça peut être aussi un homme politique dans l'opposition, est-ce à dire que vous la jugez inutile ou mal venue ?

M. Sarkozy : Non. Je l'ai connue puisque, depuis que je me suis engagé dans la vie politique, j'ai plus souvent connu l'opposition, c'est-à-dire l'échec, que le Gouvernement, c'est-à-dire le succès.

M. Cavada : Vous avez dit également à ce même confrère « Je suis le premier homme politique en « kit »… Qu'est-ce que ça veut dire ?

M. Sarkozy : J'étais un peu agacé que l'on me demande toujours « Alors, si jeune ! l'âge, l'ambition, etc… »

M. Cavada : … ça recommence ce soir!

M. Sarkozy : Voilà ! Non, mais c'est plus gentil ! j'ai l'habitude de dire : je pense que la solution pour nous qui voulions nous faire une place, qui voulions exister, qui voulions transformer notre formation politique ... parce qu'il faut bien comprendre que je me suis engagé, comme un certain nombre d'autres ici, dans la famille politique gaulliste, c'est-à-­dire une famille qui avait une histoire, des traditions, un parti politique, une légende, des barons. Il fallait qu'on existe. Il fallait faire sa place. Et pour cela, pour se faire sa place car on ne vous la donnait pas spontanément, j'avais l'habitude de dire que « quand on ne m'invitait pas à dîner, j'amenais le dîner », on était obligé de me faire une place !

M. Cavada : D'où le kit.

Le même confrère a titré ce portrait qui date de quelques mois de la formule suivante : « Le cynisme vrai ? » Ça m'a frappé. Êtes-vous quelqu'un qui appartient à une génération cynique et êtes-vous cynique vous-même ?

M. Sarkozy : Non, je ne crois pas ! Mais encore une fois je n'ai pas l'intention de m'excuser d'avoir choisi de faire de la politique. Jean-Marie Cavada, je n'en fais pas par hasard. Je ne suis pas rentré dans une pièce, j'ai vu de la lumière… il y avait une petite chaise qui était là… je me suis assis, on m'a laissé asseoir. Je me suis battu, parce que je crois en mes idées, parce que j'aime ce que je fais, parce que je suis passionné par ce que je fais. Et encore une fois je ne veux pas dire que tout cela est le produit du hasard. C'est le combat.

M. Cavada : Depuis combien de temps avez-vous voulu être Ministre ? Depuis toujours ?

M. Sarkozy : Non pas toujours… mais je crois qu'il faut que les gens comprennent que l'aboutissement normal de l'engagement politique, quand on veut en faire sa vie, quand on y croit vraiment, quand on n'en fait pas simplement comme un hobby, quand c'est vraiment sa passion, que l'on est habité par cet engagement, eh bien la logique, c'est de vouloir avoir le grand honneur d'être, pour la première fois, à la table du Conseil des Ministres de son pays. C'était un honneur. Je me suis battu pour l'avoir, et chaque jour je me bats pour mériter ces responsabilités.

M. Cavada : Voici le portrait – et quelques images volées, il faut le dire – d'un homme remuant dans une semaine qui fut elle-même agitée, c'était celle des manifestations de jeunes, qui aboutira – vous l'avez en mémoire – au retrait du C.I.P. – le Contrat d'Insertion Professionnelle –.

Regardez ce reportage de Pascal Richard et de Daniel Maillot « Semaine qui va vite ».

Reportage

Commentaire : Le football en général et le PSG en particulier, ce sont les rares passions de Nicolas Sarkozy en dehors de la politique, passion qu'il partage dans les tribunes présidentielles du Parc des Princes avec Jean, l'un de ses deux fils.

Fatigué, Nicolas Sarkozy. On le serait à moins. En ce vendredi, la journée du Maire a commencé depuis longtemps. Elle se prolonge par une visite prévue dans une école.

Conseil d'école trimestriel. L'occasion de mettre sur la table tous les petits problèmes, y compris ceux de la cantine.

Le Maire enregistre mais il n'aura pas le temps de parler dessert. Le Premier ministre a besoin de lui, un coup de fil… et le voilà parti, direction Hôtel Matignon. Le Contrat d'Insertion Professionnelle est devenu le cauchemar de ce Gouvernement, et en ce vendredi 25 mars, nouveau jour de manifestation nationale, il est grand temps de trouver une solution.

17 heures, plutôt qu'en porte-parole, c'est en proche conseiller d'Édouard Balladur que Nicolas Sarkozy traverse, sans s'arrêter, les couloirs de Matignon.

Directeur de Cabinet du Premier ministre, Nicolas Bazire est aussi l'un des interlocuteurs de Nicolas Sarkozy. Il se souvient que les relations entre les deux hommes ne datent pas de la formation du Gouvernement.

M. Bazire : Une des premières personnes que j'ai rencontrée Boulevard Saint Germain, quand j'ai commencé à travailler pour Monsieur Balladur, c'était Nicolas Sarkozy. Il était à l'époque député-maire de Neuilly, c'était à l'été 1988. Il connaissait déjà le Premier ministre et travaillait avec lui assez fréquemment. Donc, ce sont des liens qui sont, compte tenu de l'âge de Nicolas, assez anciens.

Commentaire : 50 minutes de réunion pour le conseiller particulier du Premier ministre. Le porte-parole, lui, reste peu loquace.

Des allers-retours avec la Mairie de Neuilly qui laissent moins de temps pour le Ministère du Budget situé à Bercy, c'est l'autre « Maison » de Nicolas Sarkozy.

De cette absence, les 9 000 employés travaillant ici ne souffrent pas. Brice Hortefeux veille. Chef de Cabinet, il est avant tout un ami de Nicolas Sarkozy depuis 18 ans. Tous les dossiers sont préparés, souvent la simple signature du Ministre suffira.

Nicolas Sarkozy n'a rien oublié de sa journée, de retour à son bureau de Neuilly, dernières consignes à son équipe.

« Ce qui est important, c'est d'essayer de ne pas être pris dans un tourbillon, c'est-à-dire d'essayer, dans l'ensemble des choses que j'ai à faire, soit en tant que Ministre du Budget, soit en tant que porte-parole, soit dans un rôle politique, soit comme Maire de Neuilly, de bien garder une certaine distance … et puis de ménager des temps où l'on peut réfléchir et ne pas se laisser entraîner par l'évènement, le tourbillon des évènements et la variété des sujets.

« J'étais en train de parler avec les parents d'élèves des menus, et puis je vois le Premier ministre pour parler des manifestations d'aujourd'hui, des problèmes d'emploi des jeunes, de leur insertion dans l'avenir. Les sujets varient… C'est à la fois passionnant… Mais simplement il faut être très organisé pour être toujours, au moment où l'on est, à ce que l'on fait ».

Samedi 26 mars :

Commentaire : Après une matinée passée à Matignon, Nicolas Sarkozy arrive à sa mairie.

La petite colère est oubliée. Avec le sourire et derrière l'écharpe tricolore, Nicolas Sarkozy célèbre finalement le mariage.

« Pas le temps », car, en vérité, toute cette fin de semaine est consacrée au C.I.P. et au moyen de sortir de l'impasse. Ce matin, rendez-vous secret, suivi d'une réunion avec Balladur. Réunion importante, bien sûr.

Et Nicolas Sarkozy est reparti. Il n'est plus Maire, ni Ministre, ni porte-parole. Celui qui traverse la rue au pas de course et qui, une fois de plus, est attendu, c'est le biographe de Georges Mandel. Un livre écrit par Nicolas Sarkozy et qui raconte la vie d'un homme politique et d'un passionné.

Dimanche 27 mars après-midi :

Hôtel Matignon : en cette journée électorale, deuxième tour d'élections cantonales, tout ici est calme et feutré, dans l'attente des premiers résultats.

Présent ici plusieurs fois par jour, Nicolas Sarkozy a un bureau ou plutôt, comme il le dit lui-même, un endroit où il s'installe pour travailler, quelquefois même sur des dossiers du Budget qu'il se fait porter par une navette pour gagner du temps.

Mais en cette fin d'après-midi, c'est toujours le CIP qui relient son attention. Dans cette crise, Nicolas Sarkozy se dit prêt à assumer tous les risques.

« J'ai un premier rôle qui est de travailler au côté du Premier ministre. Un deuxième rôle qui est d'expliquer ce que fait le Premier ministre et le Gouvernement. Et puis s'il le faut un jour, d'essayer d'être un écran. Bien sûr, j'y suis prêt. C'est normal. C'est la règle. Le cœur de l'action du Gouvernement, c'est l'action du Premier ministre. Il faut toujours être prêt et en position d'éviter que des problèmes lui remontent. Il en a suffisamment qui lui remonte naturellement. »

Commentaire : Nouveau coup de téléphone pour une ultime mise au point avec le Premier ministre.

Pendant que la voiture se prépare à repartir, Nicolas Sarkozy et Édouard Balladur se répartissent les interventions de la soirée.

Au Premier ministre, l'annonce d'initiatives pour la jeunesse.

Au porte-parole, le soin des premiers commentaires et analyse des Cantonales sur le plateau du 20 heures de TF1… le tout, sous l'œil de son chef de Cabinet et de ses responsables de la communication qui l'accompagnent partout.

Cette main tendue du Gouvernement, les responsables de la jeunesse ne l'attendront pas longtemps. Lundi matin, dans les Salons de Matignon, moins calmes et moins feutrés que la veille, Edouard Balladur accepte le dialogue, avec Nicolas Sarkozy, en maître de cérémonies, et malgré le « Verdun » du Ministre du travail, Michel Giraud.

En fait, depuis vendredi, les réunions de Matignon n'avaient toutes que cet objectif.

« Le Premier ministre a décidé de suspendre à partir d'aujourd'hui l'application du Contrat d'Insertion Professionnelle ».

Nicolas Sarkozy semble un peu amer.

« En 1981, j'ai commencé mon métier d'avocat. Je n'avais pas de relations. J'ai été engagé par mon premier patron à 3 200 frs, et j'étais fou de joie… C'était ma chance… je n'ai pas été dire des conneries : “je commence à 60 %…”. Je m'en fichais ! …»

Arrivé au ministère du Budget le CIP est suspendu mais la course de Nicolas Sarkozy demeure la même : pressé.

Ici, au 5ème étage, Annie est la secrétaire du Ministre depuis 6 mois. Travail agréable dit-elle, mais emploi du temps difficile.

Annie : « Le matin, vous arrivez… vous n'êtes pas sûre que votre agenda va tenir… Comme ce matin, c'est ce qui s'est produit. Il a fallu annuler tous les rendez-vous de ce matin. Donc, il faut arriver relativement tôt ».

Il y a un an, au lendemain de sa nomination, Nicolas Sarkozy tenait ici même sa première réunion. Dans le bureau de ses prédécesseurs, il n'a rien changé.

« C'était le bureau de Michel Charasse. Je n'y ai rien changé. C'est le même bureau, la même décoration. Le Premier ministre a dit qu'il fallait faire des économies. Rien n'a été touché. Mêmes meubles, même bureau, même emplacement ».

Le Premier ministre, il n'est jamais très loin. La preuve : ligne directe, sans standard.

Au Budget, Nicolas Sarkozy s'appuie sur une douzaine de conseillers. À leur tête, Pierre Mariani, directeur de Cabinet, un homme du Sérail, comme l'on dit, qui apprécie en connaisseur les qualités du patron.

M. Mariani : « Sans langue de bois, si vous voulez, je crois qu'il a surpris tout le monde par sa capacité à entrer dans les dossiers, et surtout à s'approprier la matière de façon à la restituer, sans donner l'impression de suivre quoique ce soit, si vous voulez ! … »

« La plupart des autres ministres, que j'ai vu fonctionner, étaient des gens qui prenaient les textes préparés par les collaborateurs, qui les lisaient. Lui, il les regarde, se les approprie… il les restitue… il participe à la discussion de manière extrêmement présente, vive et sans formalisme ».

Commentaire : Sans formalisme, arrivée mardi chez le Premier ministre au côté de Nicolas Bazire. La Presse du jour titre sur la volte­face du Gouvernement mais déjà Matignon travaille sur le prochain coup : la nomination comme médiateur de Michel Bon, directeur général de l'Agence nationale Pour l'Emploi.

Sous les lambris de Matignon, on se montre discrètement soulagés.

Mercredi 30 mars

Mercredi, jour de Conseil des ministres. Le ministère du Budget se réveille. Nicolas Sarkozy, lui, reçoit. Invité dans son bureau pour un petit déjeuner de travail, justement le directeur de l'ANPE, en compagnie de Brice Hortefeux et de Pierre Mariani, les deux collaborateurs du ministre.

En ces jours difficiles, Michel Bon est devenu l'homme de la situation. Officiellement, c'est lui qui s'occupe, à partir d'aujourd'hui, de trouver une solution à l'emploi des jeunes… lui, et seulement lui… du moins officiellement.

Les consignes sont passées, Nicolas Sarkozy peut se rendre serein au Conseil des ministres. Pour la circonstance, départ en navette : 7 minutes de traversée montre en main. Du coup, une arrivée à l'Elysée parmi les premiers, autour de la fameuse table du Conseil.

Une heure et demie plus tard, retour à Matignon, à pied, une fois n'est pas coutume. Et en fin de matinée, à nouveau le rôle du Porte-parole pour un Point de Presse traditionnel, sous l'œil des caméras et de sa garde rapprochée toujours attentive.

Maire de Neuilly, ministre du Budget, Conseiller du Premier ministre et Porte-parole du Gouvernement, rien n'est trop gros pour cet homme très ambitieux…

« … Vous ne croyez quand même pas qu'après les journées que vous avez vu passer avec moi, je vais vous répondre : non. Je n'ai pas cette forme de snobisme qui consiste à dire qu'on est là par hasard…, que j'ai vu de la lumière… il y avait un fauteuil qui était là… je me suis assis, et puis voilà ! Non. J'ai profondément voulu ce que j'ai fait. J'ai beaucoup travaillé pour y arriver. Je continue à beaucoup travailler. Et j'ai cette ambition de bien faire, de servir mes idées, de servir mon pays. Et puis, bien sûr, dans cette aventure, une véritable aventure, il y a aussi la part de la volonté personnelle de se dépasser, de se surpasser, d'exercer des responsabilités lourdes ».

Commentaire : Nicolas Sarkozy, homme pressé ! Un euphémisme ! En tous cas, un homme politique de la nouvelle génération qui, à 38 ans, se dit prêt à aller plus haut, plus loin, et il assure qu'il a le temps et qu'il sera patient. Mais à le voir courir, on a bien du mal à le croire.

M. Cavada : Monsieur Sarkozy, regardons un instant comment fonctionne la machine du Gouvernement de la France. Vous n'êtes pas, quand on regarde la liste protocolaire, le premier des Ministres, puisqu'il y a des Ministres d'État qui sont sur la liste devant vous… mais quand on regarde, en réalité, le fonctionnement du calendrier, du déroulement des journées, des différentes activités et de votre très grande proximité du Premier ministre, on a un peu l'impression que vous êtes une sorte de Premier ministre bis. C'est acceptable comme formule, ça ?

M. Sarkozy : Non.

M. Cavada : … de vice-Premier ministre ?

M. Sarkozy : Non.

M. Cavada : Alors, qu'est-ce qui serait acceptable ?

M. Sarkozy : Tout simplement, je suis ministre du Budget, Porte-Parole du Gouvernement, dans une équipe où chacun a sa place, a sa part…

D'abord, ça m'a fait une drôle d'impression de voir cela ! j'ai l'impression de ne pas me reconnaître…

M. Cavada : … et de ne pas vous arrêter !

M. Sarkozy : … ça me fait du bien. La prochaine fois, j'irai plus doucement.

M. Cavada : Comme dit Daniel Maillot, le cameraman, je l'ai beaucoup vu de dos !

M. Sarkozy : Dans cette équipe, je crois que ce qui fait sa caractéristique : on a connu des difficultés. Il y a des difficultés. C'est normal. Si l'on n'est pas prêt à assumer des difficultés, il ne vaut mieux pas aller au Gouvernement.

Ce qui me frappe, c'est la très grande solidarité, la très grande complémentarité de l'ensemble des Ministres.

Ça fait un an que l'on est ensemble, autour du Premier ministre, il n'y a pratiquement jamais eu, en tous cas, sauf si ma mémoire me trompe, de problèmes entre les ministres.

Il y a des comités interministériels pratiquement tous les jours, le Premier ministre arbitre, et c'est la décision de tout le monde.

M. Cavada : Il n'y a pas eu de problèmes entre les ministres mais il y a eu des problèmes avec des Ministres ?

M. Sarkozy : C'est normal. Comment peut-il en être autrement !

Souvenez-vous quand même… je crois que notre grand échec, si je devais commencer par là…

M. Cavada : … justement, c'était la question que j'allais vous poser…

M. Sarkozy : … eh bien, il est très simple… C'est une bonne question dans le fond…

M. Cavada : Ça dépend de la réponse…

M. Sarkozy : … c'est celui de ne pas avoir réussi à faire assez comprendre l'état dans lequel les Socialistes nous avaient laissé la France.

Et l'information va tellement vite… les évènements se déroulent à une telle vitesse que l'en ne s'en souvient plus ! Il y a un an, on est arrivé aux responsabilités du Gouvernement. On a trouvé la France isolée sur le plan international, avec une crise morale sans précédent. On avait honte de faire de la politique. Il y avait une crise des Institutions formidable… une crise économique, naturellement… et une crise sociale.

Et, avec cela, on a dû essayer de rebâtir véritablement le pays pour pacifier les choses en un an. Et, aujourd'hui, le temps a passé. Ce bilan, c'est le nôtre. C'est comme cela.

M. Cavada : Avec le recul, Monsieur le Ministre, il y avait, en arrivant au Gouvernement, une sorte de volonté consensuelle d'être le plus arrondi et le plus doux possible – je ne peux pas dire : soft, ce n'est plus le mot qui convient, mais, en tous cas, c'est bien cela que je veux signifier – est-ce que c'était une erreur, s'il avait été possible de faire autrement, que de ne pas faire un vrai bilan, vrai ou faux ?

M. Sarkozy : On ne l'a pas fait davantage, et je porte une part de responsabilité là-dedans parce que je me suis rendu compte que plus on disait que les Socialistes nous avaient laissé la France dans un état épouvantable, plus les Français nous croyaient et moins ils consommaient et plus la crise s'approfondissait.

On a eu cette difficulté et cette contradiction d'intérêts formidables, qu'il fallait d'un côté dire aux Français : « Regardez la France que nous avons trouvée, c'est difficile ; mais, de l'autre, leur dire : « Écoutez, ne regardez pas trop le passé. Il faut que l'on construise pour l'avenir. Il faut tout de suite relancer les choses ».

Mais plus on leur disait « il y a des déficits », plus ils nous croyaient… et plus la crise s'approfondissait.

M. Cavada : J'en reviens à votre propre personnalité et à votre expérience politique, Monsieur Sarkozy. Quand vous êtes arrivé au Gouvernement, vous n'aviez pas – et c'est le propre de la première fonction – d'expérience gouvernementale. Avec un an de recul, et très sincèrement, avez-vous fait des erreurs et lesquelles ?

M. Sarkozy : Oui, j'ai fait des erreurs. J'ai surtout fait des erreurs avant d'être Ministre. Depuis que je suis Ministre, je crois que j'ai appris à être moins dogmatique, moins de facilité dans le raisonnement, moins rapide dans la pensée. Je dis moins « Y a qu'à… » « Faut que… » … j'ai bien compris que la France, ce n'était pas une page blanche. Et ça, je ne le savais pas ! Enfin, je ne le savais pas ! J'imaginais. Mais je n'en avais pas la confrontation presque physique, et puis le Gouvernement m'a également appris à être plus tolérant. Au Gouvernement, on voit la fragilité de la Société française. Face à cette fragilité, il faut de la rondeur. Il faut de la tolérance. Et dans l'opposition, je n'ai pas eu ni assez de rondeur, ni assez de tolérance.

M. Cavada : Cette Société française, vous avez peur qu'elle craque ?

M. Sarkozy : Tout est organisé pour que ça ne soit pas ainsi. Mais chaque fois que nous avons fait une erreur au Gouvernement, c'est parce que nous avons voulu aller trop vite, trop fort, trop dur.

Et si je pense qu'il n'y a pas d'alternative à Monsieur Balladur et à son Gouvernement, c'est parce que je crois qu'aujourd'hui il correspond très exactement à la situation du pays : un pays qui a des difficultés, qui est donc inquiet parce que la crise frappe durement, qui sait qu'il faut qu'il se réforme, qui aime en parler mais qui n'aime pas les vivre.

Et puis la crise rend l'acte de réforme beaucoup plus difficile parce qu'il n'y a pas de marge de manœuvre.

M. Cavada : On essaiera, si l'on a du temps tout à l'heure, de raisonner un peu du point de vue de la conduite des affaires politiques du pays : comment faire avancer ou non des réformes en France ? Si c'est la Société française qui est bloquée, si c'est le Gouvernement ou les Gouvernements, successifs d'ailleurs, car plusieurs se sont heurtés à ce problème, qui ne savent pas introduire par le bon biais les réformes ou si ce sont les deux ?

Je voudrais revenir au point central qui a occupé les dernières semaines : un quart des chômeurs français ont moins de 25 ans. C'est un vrai drame. Cela a été dit et redit… ce n'est pas la peine que je le souligne, tant c'est évident. C'est vraiment l'un des tristes records que nous détenons en Europe. Qui est responsable de cela ou quoi ?

M. Sarkozy : S'il n'y avait qu'un seul responsable, ce serait très facile. Il suffirait de le dénoncer, de le changer et de trouver la solution.

Le bilan est très simple : il y a un jeune sur quatre au chômage en France. Il y en a un sur vingt en Allemagne. Pourquoi l'Allemagne ? Parce que l'Allemagne est le pays qui est le plus proche géographiquement, qui est le plus proche économiquement, qui est le plus proche de nous, et avec qui on peut se comparer.

Si nous avions le même nombre de jeunes au chômage en France qu'en Allemagne aujourd'hui –simplement un rêve, pas mieux que l'Allemagne, la même chose – ce n'est pas 750 000 jeunes qui seraient au chômage, c'est 150 000. Il y aurait 600 000 jeunes de plus à avoir un travail si nous avions simplement la situation des Allemands.

M. Cavada : Avez-vous une vue claire, maintenant, de ce qui est responsable et, éventuellement, de qui… ? Qui, au pluriel ou de quel type de système… ce sur qui il faut faire porter la responsabilité ? Parce que, au fond, on entend dépeindre cette situation mais ce n'est pas une fatalité, ça se modifie au cours des choses ?

M. Sarkozy : Le poids de l'Histoire, le poids des habitudes, le poids des traditions, le poids des « non-dits », la complaisance.

Finalement, l'un des travers les plus forts de la Société française, c'est la complaisance. On y reviendra peut-être dans le débat avec les jeunes. Je trouve que, moi compris, on est trop complaisants. On n'ose pas dire la vérité de peur de choquer, d'être battus ou d'être incompris. Mais la complaisance est formidable.

M. Cavada : Vous avez 39 ans, je l'ai dit. C'est donc vraiment un âge jeune pour être Ministre. Vous avez reçu, dans les dernières semaines, des manifestants jeunes, certains d'entre eux, d'ailleurs, à ma connaissance, en tête à tête. Est-ce qu'aujourd'hui ils ont fait changer votre vue sur ce qu'ils voulaient ? Et que veulent-ils selon vous ?

M. Sarkozy : J'en ai reçu. Pas seul, d'ailleurs, Nicolas était avec moi, bien souvent.

M. Cavada : Nicolas, c'est Monsieur Bazire ?

M. Sarkozy : Nicolas Bazire. J'ai trouvé qu'il y avait chez eux beaucoup d'émotion, beaucoup de volonté de bien faire, parfois de la naïveté, parfois, il faut bien le dire, pas une juste appréciation des choses.

Je me souviens, il y en a un qui m'a dit – j'essayais de parler, le tutorat, formidable le tutorat, qu'est-ce qu'il y a de plus beau dans une entreprise que quelqu'un, qui connaît son métier, le passe à quelqu'un qui veut l'apprendre – « je ne suis pas une plante verte » « Pourquoi une plante verte ? » « Je n'ai pas besoin de tuteur ».

Eh bien, je crois que la complaisance, c'est de manquer de respect aux jeunes. Et c'est leur manquer de respect que de ne pas leur dire la vérité. Dans tout ce qu'ils ont dit, il y avait beaucoup de choses de vrai. Il y a une chose que je n'ai pas assez entendu : c'est qu'il faut se battre, il faut travailler par soi-même, que l'apprentissage, la formation qu'ils vont acquérir, c'est douloureux. Mais l'investissement personnel, si eux ne le font pas, personne ne le fera à leur place.

Et tout ce qu'on peut leur raconter, ce sont des beaux discours larmoyants sur la jeunesse, mais ce sont des mensonges.

M. Cavada : Je reviens d'ailleurs au cœur de la question que je vous posais tout à l'heure : « Est-ce que l'un ou plusieurs d'entre eux ont réussi à changer votre vue sur ce qu'ils voulaient ou sur ce qu'ils ressentaient ? »

M. Sarkozy : Sur le fond, non. Sur la forme, oui.

M. Cavada : Sur le fond, c'était donc attendu ?

M. Sarkozy : Non, sur le fond… il y a quelque chose que je n'ai pas réussi à faire comprendre d'ailleurs : pourquoi en France sommes-nous condamnés à vouloir systématiquement tout réinventer ? Ne pourrait-on pas prendre ailleurs des idées qui marchent ?

Tenez ! il y a un exemple qui est assez amusant – enfin, je le pense en tous cas ! – la fameuse prime Balladur pour la voiture. Quand on l'a retenue, tout le monde s'en est moqué. Les spécialistes ont poussé les hauts cris, et puis cette prime marche formidablement bien. Il y aura vraisemblablement 180 000 véhicules vendus de plus, ce qui veut dire des emplois pour nos compatriotes. Eh bien, cette idée, nous l'avons prise au Danemark.

Et, lorsqu'on voit l'Allemagne où l'on donne tellement facilement du travail aux jeunes : pourquoi ne pas aller prendre ce qui marche en Allemagne pour essayer de le mettre en France ?

Eh bien, je ne suis pas arrivé à faire passer cela.

Mais eux m'ont convaincu d'autre chose : c'est qu'il faut absolument que l'on résolve ce problème. Comment s'expriment les jeunes dans la Société française ? Où peuvent-ils s'exprimer ? Et qui les représente ? Quand on a voulu trouver des interlocuteurs, on a eu un mal fou, parce que, par définition, les jeunes ne sont pas organisés, ne veulent pas être représentés, et ceux qui les représentent, respectables par ailleurs, sont souvent des syndicats étudiants, qui ont leur rôle, mais ce n'était pas la population qui était visée par les mesures d'urgence que nous avons prises, pour essayer de les sortir de la situation où ils se trouvent.

M. Cavada : Je vous propose que nous regardions maintenant, toujours sur ce chapitre de la jeunesse, qui a secoué le pays et, en tous cas, qui a provoqué énormément d'interrogations, ce reportage de Jean-Philippe Desbordes et de Robert Marmoz.

Nous sommes à Lyon, notre équipe a passé trois jours avec des jeunes manifestants et avec leur famille. Et surtout trois jours entiers, pourquoi ? Pour entendre le pourquoi de leur attitude et bien souvent aussi de leur colère.

C'était, je dois le préciser par honnêteté, la dernière manifestation qui se soit tenue à Lyon, juste avant le retrait du Contrat d'insertion Professionnelle.

Reportage

Commentaire : Lyon, un jour de manif contre le Contrat d'Insertion Professionnelle.

« Entrer dans le système, c'est sortir de la vie ».

Nancy se reconnaît dans cette pancarte. Elle vient d'avoir 18 ans. Après le bac, elle se destine à des études de Lettres pour devenir Prof de Philo.

Elle fait partie des premiers à être descendus dans la rue. Après 15 jours de grève, elle a tout vécu : l'euphorie des premières manifs et les violences de la Place Bellecourt.

Ses espoirs et ceux de ses amis vont bien au-delà du simple retrait du CIP Nancy : « même si ce mouvement avorte… je ne sais pas… il y a une espèce de révolution que l'on attend tous… au moins une grosse insurrection… même si ça avorte, il y aura au moins une coalition qui sortira de là… » Mathieu : « une solidarité… Si l'on se cantonnait au problème du CIP… Les gens rentreraient chez eux quand le CIP serait retiré. Ce n'est pas souhaitable. Il y a longtemps que les gens ont pensé que le CIP était plus un prétexte que le fond du problème ».

Commentaire : Pour méditer sur leur avenir, Olivier et Marjory vont plutôt sur les hauteurs de Lyon. D'origine modeste, sa manière est ouvrière, Marjory veut plus tard s'occuper des enfants. Olivier, lui, se destine à des études de théâtre. Tous deux en Terminale, ils estiment avoir fait un acte politique en descendant dans la rue.

Olivier : « Ça va contribuer à ce que toute une masse de la population des jeunes prenne conscience qu'elle peut avoir une partie active dans la vie politique du pays, et qu'elle a aussi un message à faire passer. Il ne s'agit pas de tout casser mais de savoir ce que l'on dit, et quand on le dit, et comment on le dit. C'est important. C'est au moins une étape dans la vie d'un citoyen… et c'est vachement important ! »

Marjory : « On n'arrête pas de nous dire que l'on est des adolescents. C'est à nous de prouver que l'adolescence finit bien un jour ou l'autre et que l'on est autant capable que tout le monde de prendre nos responsabilités et de passer dans l'âge adulte ».

Commentaire : S'émanciper est pour eux une obsession. Mais ni Olivier, ni Marjory n'ont l'intention de remettre en cause les règles de la Société.

Juliette non plus d'ailleurs. Du haut de ses 17 ans, écartelée entre ses parents divorcés, cette passionnée de littérature ne rêve que d'une chose : voler de ses propres ailes.

Juliette : « C'est vrai que les jeunes, si l'on parle en généralité, ont tout le temps l'impression qu'on les empêche… qu'il y a des tas de choses que l'on ne peut pas faire… déjà rien qu'au point de vue matériel ou au point de vue des idées, on a l'impression que l'on n'est pas écoutés ou mal entendus ou mal compris… ; et l'on se dit : « Plus on va devenir adulte, plus on va avoir le pouvoir de se faire entendre, le pouvoir de faire ce que l'on veut, d'être libre, quoi ! »

Commentaire : Petit détour chez Nancy dans le Quartier de la Croix Rousse.

Nancy est avide de liberté et d'expression, son quotidien : cigarettes et volets clos. Elle se méfie de tout et surtout de la télévision.

Nancy: « On a l'impression que ce n'est pas objectif du tout et que c'est manipulé complètement. Ça me révolte à chaque fois que je regarde les infos. Et l'on s'en rend compte, surtout en ce moment parce que l'on est dedans et l'on ne voit pas les mêmes choses que l'on vit ! Ça doit être pareil pour tout, pour toutes les infos ».

Commentaire : Bref, l'image que la Société renvoie des jeunes ne lui convient pas.

Et les adultes de s'interroger, comme le père d'Olivier, pasteur à Villefranche-sur-Saône.

Le père d'Olivier : Je crois que quelque part les adultes n'ont peut-être pas joué le rôle qu'ils auraient dû jouer auprès de la jeunesse. Peut-être que la jeunesse est une jeunesse désabusée. Une jeunesse qui n'a plus de point de repère. Une jeunesse où, peut-être aussi, les parents sont trop absents pour s'occuper de leurs problèmes, de leurs préoccupations. Et, dans ce sens, c'est vrai que les jeunes ont de quoi se poser des questions ».

Commentaire : La soirée carrières organisée chaque année au Lycée d'Olivier est le moment idéal pour poser des questions.

Depuis 20 ans, les élèves de Seconde, Première ou Terminale du Lycée Saint-Exupéry peuvent rencontrer des professionnels. Ce jour-là, 80 professions sont représentées.

C'est aussi l'occasion pour les adultes de prendre le pouls des lycéens d'aujourd'hui.

Géraldine : « On sent qu'ils sont inquiets de leur avenir, des conditions à la fois de leurs études et du milieu, du travail dans lequel ils vont rentrer. La jeune fille que l'on a vue tout à l'heure était complètement paniquée par le monde du travail dans lequel elle allait rentrer. Ça m'a impressionnée. C'est pour cela qu'on a parlé beaucoup des études et pas beaucoup du métier que je fais. Mais, bon, ce n'est pas grave ! »

« On était quand même moins inquiets, je trouve ! Personnellement, je pensais que le modèle de mes parents allait se reproduire, c'est-à-dire la capacité de rentrer dans les entreprises et d'y rester pendant 15, 20 ans… »

« Ils ont plus une vision… ils sont plus conscients du problème de la précarité de l'emploi ou d'un inonde du travail qui soit difficile à vivre ».

Commentaire : Ces lycéens sont-ils, à ce point, préoccupés par leur avenir ou ne prennent-ils conscience que maintenant des problèmes de l'âge adulte ?

Régulièrement, le dimanche, Olivier, qui habite chez ses parents, invite quelques amis pour un goûter dans le jardin. Ce jour-là, autour de la table, Emmanuel, élève en Terminale C, Juliette, Léa et Olivier, tous trois dans la même classe. Et, comme d'habitude, les parents d'Olivier sont de la partie.

Après des études de journalisme et un poste au ministère de l'Agriculture, la mère d'Olivier s'est arrêtée de travailler pour s'occuper de ses cinq enfants. Pour elle, toutes les occasions sont bonnes pour écouter les préoccupations des amis de ses enfants.

Juliette : « Moi, ce que je reproche un petit peu à tous les hommes politiques que l'on entend parler en ce moment, c'est qu'ils disent : « Oui, nous vous comprenons, vous, les jeunes… déjà, les jeunes ! …, le chômage, le Sida, vous vivez une époque horrible ! »

Il ne faut pas non plus nous coller la fatalité dessus…

Journaliste : Le Sida, c'est un problème par exemple ?

Juliette : « C'est vrai que c'est un problème, mais on nous donne les moyens de nous protéger contre cela…

On nous colle une image de génération à qui il va arriver fatalement des ennuis. On est mal partis. Il faudrait quand même calmer le jeu »

La mère d'Olivier : « On parle des adultes. Mais nous, quand on vous entend dire cela, on a tendance à dire : « Que proposez-vous d'autre ? » Et c'est normal que les adultes ne soient pas arrivés à trouver d'autres solutions. »

C'est facile de dire : « On n'est pas d'accord avec… » mais vous laissez quand même les adultes trouver les solutions !

Juliette : « On ne cherche pas une révolution. On ne veut pas que tout change. On voudrait juste que l'on arrête de prendre des mesures à la va-vite, sans discussion… comme cela ! Juste pour dire : on a pris des mesures ».

Commentaire : Certains parents ont eux aussi trouvé la sauce du Gouvernement plutôt amère.

De son passé militant, Anne, la mère de Nancy, a conservé un mode de vie dénué de contraintes, hormis celle d'un travail d'orthophoniste à mi-temps : 5 200 frs par mois suffisent à peine pour vivre dans un trois pièces, logement qu'elle partage avec ses deux enfants et quelques-uns de leurs copains.

Dans la rue en mai 68, anti-nucléaire en 1977, Anne a transmis à ses enfants le goût de la contestation.

Nancy : « Moi, j'ai l'impression que c'est beaucoup plus noir que 68 maintenant, donc qu'il y aurait beaucoup plus de raisons de faire maintenant Mai 68, en pire… parce que les raisons sont beaucoup plus graves et beaucoup plus profondes. Ce ne sont pas des petites libertés qui paraissent maintenant dérisoires. C'est cela, quoi, ce qui m'énerve dans 68 ! C'est que l'on compare à 68 parce que c'était bien marrant de vouloir la liberté sexuelle, des fleurs, et tout… mais c'est grave maintenant. Ça paraît beaucoup plus grave que de ne pas pouvoir parler de fesses à table. Je suis désolée ! C'est beaucoup plus grave que cela : ce n'est pas d'avenir.

68 ressemble autant à 1789 que 1994 à 1968.

Mère de Nancy : « En ce sens-là, quand vous me dites : on fait comme 68… »

Nancy : « On n'a pas dit que l'on faisait comme 68. On a dit que l'on faisait la révolution, ça n'a rien à voir! Ça nous fait rire en même temps… mais, en même temps, on ne rigole pas trop, ça dépend ! »…

Mère de Nancy : « Quand tu parles comme cela, tu arrives à me convaincre. C'est vrai que, nous, c'était plutôt un changement de mentalité qu'on voulait ! »

Nancy : « En fait, il faudrait changer presque tout, presque tout ! Surtout les choses sur lesquelles se base la Société. Si on change les bases, tout le reste change forcément ».

Journaliste : « C'est quoi les bases de notre Société ? »

Nancy : « C'est l'argent. C'est le capitalisme. C'est le matériel. C'est la hiérarchie sociale… »

Commentaire : Quelques lycéens parmi ceux qui ont manifesté plus de 15 jours dans les rues de Lyon. Nancy veut faire la révolution, avec des fleurs.

Olivier, Juliette et Marjory ne rêvent que d'insertion. Une jeunesse pleine d'espoir, unie contre le Contrat d'insertion Professionnelle. Des jeunes pleins de contradictions, elles s'étalent aujourd'hui encore sur les murs des lycées.

M. Cavada : J'imagine, Monsieur Sarkozy, que c'est humainement détestable de se trouver à gouverner en face d'une opinion Jeunes qui ne veut pas des mesures qu'on lui propose. Sincèrement, – je trouve que c'est très intéressant d'avoir une réponse qui soit dénuée de toute forme de précaution oratoire –, ce fameux CIP qui est une partie du dispositif de la loi quinquennale sur laquelle on reviendra tout-à-l'heure après le dialogue avec Monsieur Galbreith que je vous annonce d'ailleurs, ce C.I.P. était-il une erreur de conception, était-il une erreur de présentation ou était-ce une présentation inopportune, à un mauvais moment ?

M. Sarkozy : Le CIP était une bonne idée qui s'est transformé en erreur puisqu'on n'a pas été compris. Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ? Si, aujourd'hui, je viens ce soir pour vous dire que c'était l'idée la plus géniale qu'on ait eue depuis un an, personne ne me croira, ce n'est pas la peine.

Pourquoi l'a-t-on retiré, on a bien fait de le retirer ? Parce que personne n'en voulait. En vérité, je vais vous faire même une confidence, le CIP n'a aucune espèce d'importance pour nous, nous, ce que nous voulons, c'est que dans un an, à la fin de ce Gouvernement, inéluctable puisqu'il y a une élection présidentielle, il y ait moins de jeunes au chômage que lorsque nous sommes arrivés. Que ce soit par le CIP ou par tout autre système, c'est cela qui nous intéresse.

Notre idée était d'envoyer les jeunes vers l'entreprise, cela n'a pas pu marcher avec le CIP, on n'a pas pu se faire comprendre. Était-il possible de se faire comprendre ? C'est une autre histoire, c'est sans doute un autre débat et certainement d'autres jugements. Ce qui est important, c'est qu'à partir de cette crise, on a essayé de trouver un autre système, la prime à l'embauche, parce que ce qui compte, Jean-Marie Cavada, c'est d'ouvrir les portes des entreprises aux jeunes.

Les jeunes qu'on voit parler là, au-delà du côté folklorique du débat entre une jeune fille sympathique et sa mère, et les souvenirs attristés de 68, je rappelle tout de même qu'en 68 toute une génération s'est levée pour protester en disant : « Surtout ne me donnez pas de travail, votre croissance, je n'en veux pas », je n'ai pas le sentiment que c'est le message que nous ont envoyé les jeunes cette année.

Je voudrais dire une deuxième chose, cela a toujours été facile d'être jeune et je n'accepte pas cette idée, enfin, je ne l'accepte pas, je donne ma part de vérité, qui consiste à dire que, aujourd'hui, c'est plus difficile… elle avait raison cette jeune fille, cela a toujours été difficile d'être jeune, comme cela a toujours été difficile de passer d'enfant à adolescent, d'adolescent à adulte. Chaque changement de statut est difficile, mais c'est la vie qui est difficile.

Je ne me reconnais pas et je trouve que c'est un très mauvais service à dire aux jeunes : « Mais le monde va vous tomber sur la tête, il n'y a plus aucun espoir », c'est faux, tout est à réinventer. Quand cette jeune fille dit à la fin: « Mais il faut changer la Société », elle a tort, parce que nos idées ont triomphé dans le Monde. Faut-il que des gens soient morts de l'autre côté du mur de Berlin, en suppliant d'avoir la liberté que, nous, nous avons, pour entendre cela ? Faut-il que nous soyons déjà des nouveaux riches de la liberté pour ne plus mesurer la joie, le bonheur que de vivre dans une Société libre ? C'est vrai, il y a un problème formidable, c'est l'intégration.

M. Cavada : C'est peut-être qu'ils n'ont pas la même conception que vous, c'est-à-dire qu'ils pensent que la liberté, ça comprend aussi le fait que la Société soit harmonieuse, qu'elle ne soit pas en morceaux, qu'il n'y ait pas, comme on le voit maintenant dans les grands centres urbains américains et européens, des exclus en faveur de qui on ne fera plus rien, on laissera cette situation, petit à petit, se dégrader, c'est terrifiant ! C'est peut-être cela son combat de manque de liberté, vous ne pensez pas que cela a changé de camp ?

M. Sarkozy : Je comprends ce combat, mais le type d'économie qui est le nôtre est tout de même celui qui, à travers le Monde et à travers l'Histoire, a créé le plus de richesses. On ne va pas tout de même casser les sociétés et les économies qui ont créé le plus de richesses pour choisir des économies qui ont créé le plus de pauvreté.

Juste, si vous le permettez, un mot sur « intégration », parce que ce sont des mots magiques que la Société française sort de temps en temps et qui, à force de vouloir tout expliquer, ne signifient plus rien.

M. Cavada : Qu'est-ce pour vous l'intégration ?

M. Sarkozy : Pour moi, l'intégration, c'est de donner un travail, pourquoi ? Parce que si j'ai un travail, je peux avoir un logement, si j'ai un logement, je peux fonder ma famille, si je fonde ma famille, je peux avoir une vie sociale et si j'ai une vie sociale, je peux avoir une vie culturelle, je suis intégré. S'il n'y a pas de travail pour vous, il n'y a pas de possibilité d'intégration, la première des priorités.

Ce qui doit motiver chaque seconde de notre action au Gouvernement, c'est de donner du travail à ceux qui n'en ont pas parce que l'intégration passe d'abord par là.

M. Cavada : Dernier point en ce qui concerne ces 750 000 jeunes actuellement au chômage auxquels il faudra sans doute ajouter quelques dizaines de milliers d'autres à la rentrée prochaine, probablement 30 000, puisqu'il y aura un peu plus de 200 000 jeunes qui arriveront fatalement sur le marché de par la sortie des établissements scolaires et des diplômes, que va-t-on faire maintenant ? Va-t-on vers des états généraux ? que va-t-il en sortir de concret et quelle sera la méthode utilisée pour essayer de décider parce que, au fond, c'est une leçon de méthode qu'on vient de voir ?

M. Sarkozy : Finalement, moi, je me satisfais bien… d'abord on ne demande pas mon avis… je suis bien obligé de prendre les choses telles qu'elles sont… on peut rester abattu en disant : « C'est épouvantable, on n'est pas compris par la jeunesse », puis on peut essayer de trouver autre chose pour s'en sortir, c'est ce que le Premier ministre a essayé de faire. Vous ne voulez pas du CIP pour rentrer en entreprise ? Très bien, on remballe le matériel, on invente autre chose, c'est la prime à l'embauche.

Que nous ont dit les jeunes? « On ne veut pas d'un système ghetto, on ne veut pas d'un stage, on veut un vrai contrat, on ne veut pas être dans une administration, on veut être dans une entreprise et puis on en a assez des cadeaux au patronat, on veut aussi que l'entreprise fasse des efforts », on a inventé la prime. Chaque chef d'entreprise qui, avant le 1er octobre, engage un jeune aura une prime de 2 000 francs par mois…

M. Cavada : … Cela va marcher ?

M. Sarkozy. : Pour neuf mois alors que le jeune sera engagé pour 18 mois. Mais j'espère que cela va marcher. Si cela ne devait pas marcher, notre devoir national, c'est de trouver autre chose, un autre système. En grâce, ne mettons pas notre orgueil derrière des systèmes techniques ou technocratiques, ce qui compte, c'est le résultat.

Un mot encore, Jean-Marie Cavada, on a dit, on disait, il y a un an, « on ne peut rien faire contre le chômage, il faut rester les bras croisés », ce n'est pas vrai, nous avons d'ores et déjà des résultats. Sur le dossier le plus difficile, ces trois derniers mois, il y a eu 9 000 chômeurs de plus en France, les trois premiers mois de notre arrivée au Pouvoir, il y a eu 50 000 chômeurs de plus. Nous avons réussi, plus tôt que nous le pensions, à stabiliser la progression du chômage.

Je ne me satisfais pas de ces 9 000 chômeurs mais lorsque vous avez l'énorme paquebot France qui part en marche arrière et qu'il faut le faire aller de nouveau en marche en avant, il faut bien arrêter à un moment, ce n'est pas si simple. Nous avons mis un an pour stopper la progression du chômage, maintenant, il faut relancer les choses pour créer des emplois.

M. Cavada : Je vous propose que nous ayons un entretien ou plutôt un échange de conversation avec un grand économiste mondial qui s'appelle Monsieur John Kenneth Galbraith que je salue d'ailleurs du fond du Massachussetts où il se trouve en ce moment.

Bonsoir, Monsieur Galbraith.

M. Galbraith : Bonsoir.

M. Cavada : Monsieur Galbraith, nous vous avons invité parce que vous avez donné en début de semaine à notre confrère Le Monde une interview que beaucoup de personnes trouvent extrêmement intéressante parce qu'elle prend un autre point-de-vue que celui que nous avons souvent discuté dans notre pays.

Je m'explique, voulez-vous nous dire, Monsieur Galbraith, pourquoi vous pensez qu'il est plus important, qu'il est plus rationnel de créer de la richesse en donnant du travail aux gens plutôt qu'en consacrant cette richesse à indemniser le chômage, quel est votre point-de-vue sur ce sujet ?

M. Galbraith : J'ai écouté cette discussion avec beaucoup d'intérêt d'ici à Boston et je dois vous dire que je fais partie de la génération de de Gaulle, voire même de celle de Clémenceau. C'était un grand plaisir pour moi de voir l'accent qui est mis sur la jeunesse.

Je me serais opposé au CIP si j'avais été à Paris, bien que j'aurais certainement été retenu par les manifestations, pour une raison technique : quand on réduit les salaires, pour des jeunes ou pour tout groupe de la Société, d'une certaine manière, on restreint le pouvoir d'achat qui crée des emplois. C'est une des leçons que ma génération a appris de Keynes, c'est une des leçons qui me ferait hésiter devant toute mesure qui encourage l'emploi par une réduction des salaires, que ce soit pour les jeunes ou pour tous.

Quant à ce que je préconiserais, je crois que le moment est venu, aujourd'hui, d'avoir des actions collectives. Les pays de la CCE, les États-Unis, le Japon souffrent tous du chômage, particulièrement les États-Unis et les pays d'Europe occidentale, je crois que le moment est venu pour ces pays d'agir ensemble pour créer des emplois et agir ensemble pour mettre un terme à l'un des plus grands gaspillages qui soit, c'est l'inaction des gens, des gens qui ne font rien alors qu'ils pourraient créer de la richesse. Il est très important que nous ayons une action collective parce que sinon les actions des pays séparés se perdront dans les effets extérieurs, il faut donc une action collective, d'ensemble. C'est une grande initiative à laquelle j'invite mes amis conservateurs. Ce n'est pas une démarche extrémiste, c'est une démarche tout-à-fait raisonnable pour créer de la richesse et pour créer de l'emploi.

M. Cavada : Monsieur Galbraith, on va entrer dans un jeu de questions…

M. Galbraith : … Cela fait près de 60 ans que j'enseigne ici, donc il me faut au moins 65 minutes pour démontrer quelque chose.

M. Cavada : Et que dire d'un Français très impoli qui ne vous propose que 65 secondes, je vous prie de m'en excuser.

Je vous ai demandé de participer à cette émission parce que c'est une confrontation de deux conceptions de l'économie. Monsieur Sarkozy veut argumenter avec vous et probablement contre vous, je vous en prie.

M. Sarkozy : Tout d'abord, je ne me permettrais, même si Monsieur Galbraith, il me permettra de lui dire par amitié, est plutôt de la génération du Général de Gaulle que de Clémenceau.

Il a raison quand il dit que les pays doivent agir ensemble, c'est d'ailleurs pour cela que, moi, je suis profondément Européen. On ne peut imaginer de relancer l'économie et de retrouver le chemin de la croissance tout seul. Je ne suis pas de ceux qui pensent que la croissance ne crée pas d'emploi, Monsieur Galbraith a dit : « regardez les États-Unis », c'est formidable… ils ont créé 650 000 emplois depuis le 1er janvier, 475 000 emplois pour le seul mois de mars, c'est donc bien que la croissance créée des emplois.

Je me permettrai simplement de dire qu'il faut faire attention au débat sur les dépenses passives et les dépenses actives du chômage. Il y a beaucoup d'idées reçues dans cette affaire, pourquoi ? Qu'est-ce que les dépenses passives en France du chômage ? C'est l'indemnisation de la personne qui n'a pas d'emploi et c'est le système de pré-retraite, nous sommes un des seuls pays où cela existe. Qui propose, en France, de supprimer les pré-retraites et de ne pas indemniser les chômeurs ?

J'ajoute que, reprenant le raisonnement de Monsieur Galbraith, c'est du pouvoir d'achat qui est distribué à des gens qui ne travaillent pas. Quand on donne une indemnité à quelqu'un qui ne travaille pas, il consomme, il achète donc des produits et, achetant des produits, il fait créer des emplois.

M. Cavada : Monsieur Galbraith, votre réponse.

M. Galbraith : Cela m'est difficile de risquer un accord avec tout homme politique conservateur, quelle que soit son intelligence, mais je vais faire une exception. Je dois dire qu'il y a beaucoup de choses avec lesquelles je suis d'accord…

M. Sarkozy : … Peut-être parce que le plus des conservateurs des deux n'est pas celui qu'on pense.

M. Galbraith : Si vous passez des dépenses passives à des dépenses actives pour employer des chômeurs actuels, c'est évidemment un type d'action que je préconiserais très fort. La distinction que vous avez faite entre dépenses passives et dépenses actives est une distinction extrêmement importante.

M. Cavada : Quelque chose que vous n'avez pas expliqué en détail, probablement parce qu'on ne vous en a pas laissé le temps, Monsieur Galbraith, c'est comment vous voulez distribuer de la richesse en transférant cette masse de protection sociale, la protection du chômage, en la transférant sur un marché actif de l'emploi ? Comment opéreriez-vous si vous aviez à conseiller un gouvernement à nouveau, comme vous l'aviez fait il y a quelques décennies, notamment pour John Kennedy ?

M. Galbraith : Ce n'est pas un problème, à partir du moment où on emploie des gens, les dépenses passives diminuent.

M. Cavada : Oui, mais comment ?

M. Galbraith : Il y a moins de dépenses du fait qu'il y a moins d'indemnités de chômage.

M. Cavada : Monsieur Galbraith, comment emploie-t-on des chômeurs ? Parce que, en effet, la phrase est tout-à-fait évidente.

M. Galbraith : On donne des emplois aux chômeurs.

M. Cavada : Comment ?

M. Galbraith : À partir du moment où il y a une diminution du chiffre de chômage au fur et à mesure que les gens recommencent à travailler, il y a création de richesse, à ce moment-là, il y a un transfert d'une création de richesse zéro à une création de richesse effective. Je pense que c'est cela qu'il faudrait faire, c'est quelque chose que je dis en particulier aux conservateurs.

M. Sarkozy : Vous touchez là au point central de la différence entre un remarquable économiste qui manie formidablement à travers le Monde les concepts et un homme de gouvernement, quel qu'il soit, je ne me mets en scène naturellement, encore qu'aux États-Unis, le poids de la réglementation sociale, et on peut le regretter d'ailleurs, tout conservateur que je suis, n'est pas le même qu'en France, mais prenons un exemple :

En France, avec un an de travail, vous avez le droit à deux années d'indemnisation de chômage, en Allemagne, avec trois ans de travail, vous avez le droit à un an d'indemnisation. En France, un an de travail, deux ans d'indemnisation, en Allemagne, trois ans de travail pour un an d'indemnisation, qui proposera, qui pourra faire accepter à la Société française qu'on doit diminuer par deux les dépenses dites passives sous prétexte qu'elles sont passives.

Jean-Marie Cavada, ces dépenses sont passives pour celui qui a un travail, qui est tranquille, qui est cadre, qui est bien noté et qui sortira de l'entreprise avec une belle carrière. Celui qui fait partie des 3 350 000 chômeurs, qui n'a que cela pour vivre, croyez-moi, il ne pense pas que ce sont des dépenses passives, la France n'est pas une page blanche.

Je mets en garde, pas Monsieur Galbraith, je ne me permettrais pas, mais y compris mes propres amis de la Majorité, lorsqu'on nous pousse à vouloir aller plus loin, plus fort, plus dur, plus ceci, plus cela, la France est fragile, et proposer ces idées, c'est très bien, dans un discours, dans un colloque pour se faire applaudir, ce n'est pas bien pour conduire un pays comme la France. Nous devons réinsérer les exclus et non pas les exclure parce que le moment entre la suppression de l'indemnité et la création d'emploi, personne ne nous a donné la solution.

M. Cavada : Une dernière question que je voudrais vous poser, Monsieur Galbraith, vous ne me semblez pas partisan de la politique des monnaies fortes, que ce soit dans votre pays, menée par la réserve fédérale et vous avez aussi critiqué, à mots plus couverts parce que vous êtes un homme courtois, la politique des monnaies fortes concertée entre la France, c'est-à-dire le franc, et l'Allemagne, c'est-à-dire le mark. Expliquez-nous pourquoi vous êtes opposé à cette politique ?

M. Galbraith : Je dirais que je ne suis pas un très grand expert des politiques monétaires, je ne le suis pas plus aujourd'hui qu'avant. Je dis, aujourd'hui, que la réserve fédérale a augmenté un tout petit peu les taux d'intérêt en considérant que l'inflation était plus dangereuse que le chômage et, depuis lors, les marchés monétaires sont déréglés. Cela a été une des actions les plus irresponsables que l'on ait faite.

Cela me ramène à un point extrêmement important : on a toujours tendance, peut-être beaucoup plus aux États-Unis qu'en France, à croire que toute association avec l'argent, avec les finances, véhicule un message d'intelligence, en fait, le danger d'inflation aux États-Unis est très faible et notre problème de chômage est fort, donc la nécessité d'une croissance est très importante, or, la réserve fédérale n'a pas compris cela.

M. Cavada : Une dernière question, Monsieur Galbraith, si vous me permettez, la récession, à vos yeux, est-elle réellement terminée aux États-Unis, puisque les signes de reprise sont vraiment très importants, puisque la croissance a sensiblement augmenté, ou restez-vous relativement prudent et méfiant ?

M. Galbraith : Non, je reste très prudent. Après trois ans de prévisions d'amélioration, on ne peut qu'être prudent. L'un des indices que l'on cite fréquemment a montré un ralentissement de la croissance mais, moi, je continue à penser qu'il faudrait des politiques beaucoup plus vigoureuses de la part des grands pays industriels pour encourager la création d'emplois, et des créations d'emplois beaucoup plus que ce que nous avons vu jusqu'ici.

Il faut s'inquiéter beaucoup plus du chômage, en fait, aux États-Unis, en l'état actuel des choses, on devrait s'inquiéter beaucoup moins de l'inflation.

M. Cavada : Une politique vigoureuse, qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire, une plus forte implication des États, les grands travaux, qu'est-ce que cela veut dire pour vous ?

M. Galbraith : Il y a beaucoup de choses à faire aux États-Unis, des ponts, des routes, de la construction des aéroports…

M. Cavada : … Et en Europe ?

M. Galbraith : … Ce qu'on appelle d'une manière générale l'infrastructure est dans un très mauvais état aux États-Unis, je crois qu'il faudrait que des millions de gens soient mis au travail pour créer de la nouvelle richesse et une richesse dont on a terriblement besoin. Ce faisant, je reviens à ce que disait très sagement le Ministre tout à l'heure, cela permettrait de réduire les dépenses de chômage en accroissant les dépenses au niveau des salaires et au niveau des dépenses publiques.

M. Cavada : Et, en Europe, qu'est-ce qu'une politique vigoureuse d'après vous, parce que vous connaissez assez bien l'Europe ?

M. Galbraith : J'ai été très impressionné par la proposition de Monsieur Delors d'un programme de développement comme à l'échelle de la CCE. Il était trop réduit pour ma part, j'aurais souhaité qu'il soit beaucoup plus important.

Je crois que c'est quelque chose de très simple : en période de guerre, on n'hésite pas à le faire, aujourd'hui, alors qu'on est dans la paix, il ne faudrait pas hésiter à faire en temps de paix cette véritable relance.

M. Cavada : Je vous remercie infiniment, Monsieur Galbraith, de votre patience d'abord parce que vous nous regardez depuis un long moment et de votre participation, de vous être déplacé jusqu'à Boston pour converser rapidement avec nous.

Merci infiniment.

M. Galbraith : Cela a été un plaisir.

M. Cavada : Monsieur Sarkozy, nous avons parlé de style de gouvernement, nous avons parlé du butoir et des grosses difficultés que le Gouvernement auquel vous avez appartenu a rencontrés avec la jeunesse. Je voudrais maintenant qu'on se tourne vers un autre secteur qui est celui de l'économie. On entend parler de reprise, l'OCDE, d'ailleurs, l'Organisation de Coopération et de Développement Economique, qui regroupe en gros les pays occidentaux plus le Japon, révise ses prévisions à la hausse. Tout cela, ce sont des choses qui sont distillées d'une telle manière qu'on n'y voit pas encore suffisamment clair. Y a-t-il reprise, dans quels secteurs et avec quelle ampleur ?

M. Sarkozy : Y a-t-il reprise ? Oui. Dans quels secteurs ? Ceux qui sont le plus porteur en emplois, l'automobile, le logement, le bâtiment, les travaux publics, c'est incontestable ! Cette reprise, est-elle suffisante ? Non, il faut rester prudent. Il y a eu tellement dans l'Histoire de la République française de ministres des finances daltoniens qui voyaient en permanence les clignotants au vert qu'il faut que je fasse très attention, mais la reprise est incontestable.

J'observe que, quand avec Edmond Alphandéry, nous avions annoncé 1,4 point de croissance pour la France en 1994, tout le monde nous avait critiqué, y compris un journal aussi sérieux que L'Expansion qui prévoyait zéro pour cent de croissance pour 1994, et ce n'est pas sans plaisir que j'ai vu que, dans le numéro récent, il prévoyait 1,8 %, je suis donc devenu trop modeste.

M. Cavada : Vous signalez un certain nombre de secteurs de reprise, vous êtes à la tête d'un instrument qui a une tirelire formidable pour observer cette reprise, ce sont les excédents de recettes de TVA, c'est-à-dire les taxes sur la facturation. Y a-t-il des excédents de recettes très importants qui vous font penser que, en effet, c'est une courbe qui est en train de monter et ce n'est pas, je dirais, une foucade, une sorte de secousse de l'économie ?

M. Sarkozy : Nous avons les chiffres avec un décalage naturellement…

M. Cavada : … d'un mois ?

M. Sarkozy. : Au moins un mois, en vérité, c'est deux puisque la TVA est payée avec un mois de décalage et, moi, j'ai les recettes de TVA également avec un mois de décalage, ce sont donc deux mois de décalage. Ce que je peux dire parce que ce sont des faits : nous avons eu, sur le dernier semestre 1993, 16 milliards de recettes de TVA de plus que ce que nous prévoyions, or, la TVA est la première recette du Budget de l'État, c'est 500 milliards. Si la TVA rentre mieux, c'est que les gens consomment davantage même si, il faut le noter, la croissance française, qui sera certaine cette année, sera tirée davantage par l'extérieur… l'excédent de la Balance commerciale est extraordinaire…

M. Cavada : … l'extérieur, c'est-à-dire les exportations ou au contraire la réduction de nos importations due au fait de la modestie de la consommation ?

M. Sarkozy : Il y a eu les deux : la réduction des importations sur le premier semestre mais, sur le deuxième semestre, les exportations sont reparties puisqu'elles ont augmenté de 4,2 %. Notre croissance sera très clairement tirée par le Commerce extérieur, la reprise plus forte chez nos partenaires, notamment aux États-Unis, et par l'investissement. La meilleure nouvelle, c'est que cela fait trois ans, en France, que l'investissement des entreprises diminue et parfois de 15 % dans l'année, les chiffres de l'INSEE montrent que les chefs d'entreprise investiront cette année pour plus de 3 %. C'est un changement considérable, juste un problème, c'est qu'on ne paie pas de TVA sur l'investissement et qu'on ne paie pas de TVA sur l'exportation, ce qui veut dire qu'avant que j'ai davantage de recettes, il va falloir attendre un petit peu.

M. Cavada : L'INSEE, vous l'avez compris, est l'Institut National de la Statistique.

Maintenant que vous nous signalez que, en effet, dans un certain nombre de secteurs, – vous les avez volontairement limités puisque j'ai là, sous les yeux, une énumération un peu plus longue mais où la reprise est beaucoup plus modeste sur des secteurs comme la parfumerie, comme l'agro-alimentaire, comme le verre, comme le verre plat…

M. Sarkozy : … il y a quelque chose qui ne ment pas, les offres d'emplois… qu'est-ce qu'il y a de plus fondamental que les offres d'emplois dans un marché totalement désespérant ? Près de 40 % d'offres d'emplois en plus d'une année sur l'autre. L'apprentissage, qu'est-ce qu'il y a de plus important que de proposer des contrats de qualification d'apprentissage ? 28 % d'augmentation.

M. Cavada : Nous nous trouvons devant une machine économique qui, dans un certain nombre de secteurs que vous venez d'énumérer, a l'air de redémarrer, des carnets de commandes qui se regarnissent, des stocks qui ont l'air de se reconstituer, – pardon d'être un tout petit peu technique mais c'est vital pour la nation, donc on ne peut pas éviter ce débat devant vous qui en avez la première responsabilité –, et, moi, je voudrais savoir quel effet tout cela va-t-il avoir sur la courbe du chômage qui, jusqu'à présent, pour être très clair, continue à grimper, depuis maintenant de longues années et lorsque vous dites que le chômage se tasse, cela veut dire que l'on fabrique toujours du chômage mais beaucoup moins, c'est cela que vous voulez dire ?

M. Sarkozy : Oui, encore qu'on pourrait être plus précis, au regard des instruments statistiques du Bureau International du Travail qui ne dépend pas du Gouvernement français, le chômage est stabilisé en France à 12,2 % de la population active depuis trois mois. Au titre du BIT, le Bureau International du Travail, le chômage n'augmente plus, nous avons quasi stabilisé la progression du chômage.

M. Cavada : Pouvez-vous dire, ce soir, sans crainte d'être démenti ou sans crainte d'être légèrement excessif, que ce mois-ci le chômage est une courbe qui est, je dirais, plate ? Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de chômeurs, nous sommes bien d'accord, mais cela veut dire que nous ne fabriquons plus de chômeurs supplémentaires ?

M. Sarkozy : Cela veut dire que la courbe est quasi plane.

M. Cavada : Je voudrais maintenant venir à quelque chose de tout-à­-fait différent qui a d'ailleurs pour cause aussi parfois l'emploi, on l'a bien vu avec les jeunes, on l'a bien vu avec d'autres secteurs, qui est la façon de réformer ce qui ne va pas dans ce pays dont tout le monde s'accorde à dire que c'est un cher et vieux pays, selon l'expression du Général de Gaulle. Vos amis dans la Majorité, au moins presqu'autant que dans l'Opposition, disent du Gouvernement : « Les pêcheurs, il recule ; la loi Falloux, il recule ; le premier plan d'Air France, il recule ; les jeunes, je vous en fais cadeau, je n'insiste pas, on l'a vu tout à l'heure », donc, au fond, ce gouvernement est-il condamné, en attendant les Présidentielles, à cesser d'appliquer le programme de réformes pour lequel il a été élu et pour lequel, hier soir encore, votre Majorité à l'Assemblée nationale a rappelé aux membres du Gouvernement qu'ils avaient été élus pour cela ? Les réformes vont-elles cesser ?

M. Sarkozy : Vous avez dit que c'était nos amis qui disaient cela ?

M. Cavada : Ah, parfois !

M. Sarkozy : Heureusement que vous l'avez précisé…

M. Cavada : … il faut tout craindre de ses amis.

M. Sarkozy : Mais, moi, je n'accepte pas cela. Les pêcheurs, l'explosion que nous avons connue avec cette profession qui souffre, cette explosion, n'importe quel gouvernement l'aurait prise comme nous l'avons prise, c'est-à-dire pour gérer l'événement. La chute des cours a été brutale, nous avons essayé de faire tout ce que nous pouvions, ce n'est tout de même pas de notre faute s'il y a des chalutiers qui viennent des pays de l'ancienne Union soviétique faire de la concurrence sauvage et que les prix se cassent.

M. Cavada : C'est là clairement un effet de la dépendance européenne ?

M. Sarkozy : Ce n'est pas un recul, c'est tout simplement un problème normal dans un gouvernement qui a géré un pays en difficulté.

Air France, avant de juger, attendons de voir ce que donne le référendum lancé auprès des 40 000 salariés…

M. Cavada : … J'ai dit le premier plan.

M. Sarkozy : Oui, mais qu'est-ce qui compte ? Ce n'est pas le premier, le deuxième ou le troisième, ce qui compte, c'est qu'on sauve Air France, qu'on sauve le pavillon français et que, finalement, on fasse ce qui n'a pas été fait depuis des années.

Sur les jeunes, on en a parlé, ma conviction est que, qui que ce soit qui soit au Pouvoir, la société est devenue tellement complexe que le prêt-à-porter idéologique, c'est fini, que le tout à l'essai, tu prends ou tu laisses, c'est fini, que la petite boite bien carrée qu'on vous offre comme un cadeau en disant : « Voilà, vous ne discutez pas, vous prenez et vous ne changez même pas le nœud qui entoure le paquet de cadeau », c'est fini. La société est trop fragile et trop complexe pour cela.

Si on appelle cela « recul », je veux bien, j'appelle tout simplement cela être dans une démocratie. Je ne viens pas vous dire : « C'est un grand succès », on s'en serait bien passé, c'est une difficulté, on a dû trouver une autre voie pour passer. Finalement, c'est la méthode Balladur, elle en vaut bien d'autres si elle évite l'explosion sociale.

M. Cavada : Vous êtes en train de dire qu'au fond aujourd'hui gouverner c'est d'abord informer largement, et quand cela n'a pas marché c'est probablement qu'en effet il y avait déficience d'information, et ensuite seulement appliquer ; c'est cela que vous êtes en train de dire ?

M. Sarkozy : Je suis en train de dire qu'il y a un changement, ces 15 dernières années, formidable. Il y a 15 ans ou il y a 20 ans, un gouvernement agissait et la communication était au service de l'action pour montrer ce qu'avait fait de formidable le gouvernement.

Aujourd'hui, la proposition est totalement inversée : c'est parce que nous arrivons à expliquer ou à ne pas expliquer que nous pouvons agir. La communication doit précéder l'action parce que les gens ne veulent plus être menés par le bout du nez ; ils veulent comprendre, ils veulent dialoguer, ils veulent être informés. 58 millions de Français dans un pays moderne, même qui souffre de la crise, cela oblige à avoir un gouvernement qui a la capacité de discuter, de faire des compromis, et s'il faut passer de côté, voire reculer, il faut accepter de mettre son orgueil dans la poche pour avoir des résultats.

Ma conviction, c'est que nous serons jugés sur les résultats. Assez de discours, assez de promesses, assez de grands souffles et de grands discours. Dans un an, les Français auront à dire : « Ils nous laissent la France dans un meilleur état qu'ils l'ont trouvée ou non », et c'est à ce moment-là qu'ils jugeront.

M. Cavada : Est-ce que vous pensez que nous sommes entrés, dans ces dernières années de la décennie 90, dans une forme de rapport entre le pays et le gouvernement qui fait que le gouvernement doit d'abord accompagner les volontés de la nation, je dirais les suivre, les accompagner, les organiser, les transformer en lois, qu'elles s'appliquent notamment en totalité, parce que c'est un pays qui a la spécialité d'avoir des lois qui s'appliquent peu ? Ou bien est-ce qu'au contraire vous dites que malgré tout, parfois, il faudra passer outre parce que c'est nécessaire, sinon sur tel ou tel chapitre, voir le chapitre des prestations sociales, cela peut s'écrouler ?

M. Sarkozy : Je vais vous dire deux choses : je ne crois pas au grand soir de la réforme, brutale, tout d'un coup. Je ne crois pas aux dates magiques, comme si l'élection présidentielle, formidable ! allait changer la France… Est-ce que vous savez cela ? Après les élections présidentielles, si elles ont lieu le 26 avril 1995, tout deviendra facile le 27 avril… La France sera la même.

Et il faut toujours se pencher vers l'histoire. Le Général de Gaulle, personnage considérable, en 1962 fait un referendum extraordinaire, pour proposer l'élection du Président de la République au suffrage universel. Il est au fait de sa puissance politique ; c'est un personnage historique. Quelques semaines plus tard, à quoi est-il confronté ? À la grève des mineurs, à la réquisition de l'armée. Permettez-moi de vous dire qu'il ne s'en est pas remis puisqu'il a trébuché en 1965 et que les Français s'en sont séparés en 1969.

Moi qui suis gaulliste, je vous le dis : ce ne sont pas 29 ministres et un Premier ministre qui feront la réforme contre 58 millions de Français. Il faut convaincre, il faut faire évoluer cette société, la faire évoluer harmonieusement. C'est pour cela que je ne crois pas à la révolution, et je ne crois d'ailleurs pas à l'homme magique, charismatique, qui est le sauveur de la nation, dans la période que nous connaissons. Je crois à l'homme de bonne volonté, qui fait son travail au service du pays, et qui essaie de faire comprendre un certain nombre de problèmes, pour le faire avancer dans la bonne direction.

M. Cavada : Le Premier ministre est parti pour une visite en Chine, je vous fais quand même confiance pour avoir imaginé que vous avez parlé avec lui des principales réflexions politiques que vous souhaitiez formuler ce soir. Ma question est donc la suivante : y aura-t-il d'autres réformes fondamentales, importantes, avant la présidentielle ?

M. Sarkozy : La réponse est clairement oui.

M. Cavada : Lesquelles ?

M. Sarkozy : Sinon, nous n'avons qu'à partir du gouvernement. Nous sommes là pour réformer le pays. Sur la fiscalité, je souhaite envers et contre tout poursuivre la réforme de la fiscalité, parce que notre système d'impôt est trop complexe, personne n'y comprend rien de ce point de vue-là, je ne suis pas spécialement fier de la déclaration d'impôt de cette année qui est particulièrement compliquée. Il y a des injustices ; il y a 116 possibilités de déductions de l'impôt sur le revenu. Il faut avoir le courage de poser la question de savoir si elles sont toujours équitables ou s'il ne faut pas les changer.

Il faut se poser la question de la réforme de la justice, lui donner les moyens de travailler, de la réforme de la police…

M. Cavada : Lui donner les moyens, c'est-à-dire de l'argent ?

M. Sarkozy : De l'argent…

M. Cavada : Et des personnels

M. Sarkozy : Non, ce n'est pas exactement cela. Je crois que la réforme maintenant, c'est : « Je donne de l'argent pour qu'une administration soit plus efficace à condition qu'elle se réforme ». Nous n'avons pas les moyens de donner de l'argent, qui est l'argent des contribuables, comme un tonneau des Danaïdes, sans exiger des réformes.

C'est l'aménagement du territoire, que conduit Charles Pasqua, qui est une réforme gigantesque : on ne peut pas accepter que 40 % du territoire national se désertifie. C'est l'élu des villes, de Puteaux comme de Neuilly, qui vous le dit : on ne peut pas l'accepter.

C'est la loi famille : tout le monde parle de la famille, la famille dont on peut regretter qu'elle démissionne d'ailleurs. Lorsqu'on voit I a déshérence d'un certain nombre d'enfants…

M. Cavada : Quelqu'un l'a dit d'ailleurs dans le reportage.

M. Sarkozy : Ce sont les jeunes qui me l'ont dit. C'est l'allocation parentale au 2ème enfant. Le programme sera chargé ; la réforme, nous avons été élus pour cela, nous la conduirons.

Mais la vraie question, si vous me le permettez, ce n'est pas : « Faut-il la réforme ? », chacun le sait ; « quelles réformes ? », chacun les connaît. La vraie question, la plus difficile, c'est le rythme de la réforme.

M. Cavada : Qu'est-ce que cela veut dire ?

M. Sarkozy : C'est-à-dire aller jusqu'au bout de ce que peut accepter la société française sans jamais dépasser sa capacité de compréhension du moment. Ce qui est grave, ce n'est pas l'échec d'un gouvernement, c'est que quand une réforme échoue, on ne revient pas au point de départ, on recule. Regardez l'affaire de la Loi Falloux, dont je reconnais bien volontiers que c'est un échec pour nous.

L'affaire de la Loi Falloux n'était pas une mauvaise idée : on voulait donner davantage de moyens pour que le service public de l'Éducation fait par l'enseignement privé puisse éduquer les enfants ; ce sont les mêmes enfants… Le fait que nous ayons échoué, cela veut dire que pendant des années, on ne pourra pas y toucher. Donc faisons très attention à cela : une réforme qui échoue, on ne revient pas au point de départ, on recule. C'est une lourde responsabilité.

M. Cavada : Est-ce que vous pensez, monsieur Sarkozy, que ce pays est bloqué ou que c'est une mode de dire cela afin de se dispenser de faire des réformes de fond qui comportent en effet des risques ?

M. Sarkozy. : C'est une mode qui explique bien des paresses et bien des lâchetés. Le pays est inquiet, le pays est en crise. Mais quand vous pensez qu'en un an le Premier ministre a pu conduire la réforme des retraites… Que disait Rocard de cette réforme ? Michel Rocard disait qu'il y avait de quoi faire sauter 10 gouvernements ; nous sommes toujours là…

La réforme du Code de la Nationalité, dont on disait que la non réforme de ce code avait été une des raisons de l'échec de 88, une parmi d'autres, nous l'avons fait.

La réforme des lois d'immigration, le regroupement familial aujourd'hui – il faut habiter en France depuis plus de 2 ans –, nous l'avons fait aussi.

Pire, ou mieux si vous le permettez : la Haute Cour, la cour qui juge les ministres en exercice, ne s'est jamais réunie. Nous avons créé une Cour de Justice de la République qui, peut être saisie par le citoyen lambda, s'il a à se plaindre d'un ministre. Nous avons donné à nouveau de la respectabilité à l'institution. Cela prouve que la réforme peut se faire.

M. Cavada : Sur ce sujet que vous venez d'évoquer, est-ce qu'il y a à votre connaissance des dossiers déposés ou en cours d'instruction ?

M. Sarkozy : Des dossiers déposés, il y en a tout un tas. Mais fort heureusement, dans sa sagesse, le législateur a prévu une Commission d'instruction et a donné au Parquet le rôle de tri.

M. Cavada : Je voudrais vous parler de la cohésion de votre majorité car un gouvernement a besoin d'une majorité, si possible cohérente, pour pouvoir avancer, pour faire ses réformes, pour faire ses lois, bref pour travailler.

À propos des élections européennes qui arrivent au mois de juin, on a appris ces dernières heures, que l'UDF, qui est une composante de la majorité, aurait pour tête de liste, pour tirer sa liste, Dominique Baudis, le député-maire de Toulouse. Est-ce qu'il faut s'attendre à une liste unique UDF-RPR ? Est-ce qu'il faut s'attendre à deux listes et quel est votre souhait personnel ?

M. Sarkozy : Mon souhait est très clair : je ne vois pas comment nous allons expliquer, ou nous pourrions expliquer, à nos électeurs : « C'est formidable, nous sommes d'accord pour gouverner ensemble, nous le faisons depuis un an, mais, pardon, nous ne sommes pas d'accord pour faire campagne ensemble ». Cela, il faudra l'expliquer, ce n'est pas moi qui l'expliquerai, parce que c'est inexplicable.

Je suis très clairement pour une liste commune. C'est ce qui a été décidé, en tout cas jusqu'à aujourd'hui.

M. Cavada : Si je vous demandais quelle est la meilleure figure, la meilleure personnalité pour conduire cette liste unique, vous me dites que vous me répondrez après, c'est cela ?

M. Sarkozy : Non, je vous dis que je suis porte-parole du gouvernement et que ce n'est pas mon boulot.

M. Cavada : D'accord, c'est bien la même chose…

L'Europe, parlons un peu de l'Europe, monsieur Sarkozy. Vous avez toujours exprimé des convictions nettement européennes. Est-ce qu'aujourd'hui vous maintenez ces convictions, y compris je dirais malgré la pression de ceux qui pensent que l'Europe est certes une source de profils, de bien-être, d'expansion, mais aussi une source de difficultés professionnelles, et notamment d'un raidissement des corporations ?

M. Sarkozy : Je persiste et Je signe. Il y a quelque contradiction d'ailleurs, me semble-t-il, à exiger que l'Europe se défende mieux et en même temps à contester l'idée européenne. C'est parce que je suis Européen que je suis pour la préférence communautaire et que je souhaite une véritable identité européenne.

Quand vous pensez qu'un pays comme les États-Unis, 250 millions d'habitants et plus, la première puissance économique du monde, éprouve le besoin de créer l'ALENA, c'est-à-dire un marché commun avec le Mexique et le Canada, vous imaginez combien un pays de 58 millions d'habitants comme la France a besoin que ses chefs d'entreprise puissent s'adosser sur un marché qui est l'ensemble du marché européen.

À l'évidence, l'idée européenne est une idée essentielle pour préparer notre avenir.

M. Cavada : Qu'est-ce qu'il est urgent de dire dans la campagne européenne, si tant est que l'on puisse s'extraire des arrière-pensées personnelles et politiques, qu'est-ce qu'il est urgent de dire aux Français ? Quels sont les termes importants à débattre dans cette campagne européenne, sur le sol français notamment ?

M. Sarkozy : Je crois deux choses : la première, c'est que la Ligne Maginot, si cela marchait, nous les Français nous le saurions ; cela ne marche pas. La seconde, c'est qu'il ne faut pas être un Européen comme ça, bellâtre ; il faut pour l'Europe, comme pour la démocratie, exiger sa défense. L'Europe n'est pas un acte naturel, c'est un effort d'intelligence de pays qui étaient ennemis, d'avoir mis en commun des intérêts parce qu'ils se sont reconnus des intérêts en commun. Il faut avoir la force de le défendre.

Et je vais beaucoup plus loin que cela : je suis partisan des échanges internationaux, j'étais partisan de la ratification et de la signature du GATT ; pourquoi ? Parce qu'il y a quand même quelques contradictions à vouloir enfermer notre pays sur le seul endroit du monde qui est en crise économique, l'Europe. La crise que connaît le monde économique n'est pas une crise mondiale, c'est une crise européenne. Rendez-vous compte : la Chine, où se trouve le Premier ministre, a le plus fort taux de croissance du monde, 13 %, et on va se priver de conquérir des marchés avec eux ?

Le développement des dragons asiatiques, ces pays au taux de développement extraordinaire, qui nous font si peur, cela s'est traduit par quoi en 93 ? 13 % d'augmentation de nos exportations. J'aimerais tellement que les Français n'oublient pas qu'ils sont la 4ème puissance exportatrice du monde, que l'export fait travailler 1 Français sur 5 !

Un dernier mot : l'Afrique, hélas, s'enlise dans la crise. Cela ne menace pas nos entreprises, mais est-ce que cela nous facilite la vie ? La vie se développe formidablement, cela nous permet de conquérir des parts de marchés. Mais c'est vrai que cela nous pose des problèmes de délocalisation…

M. Cavada : Et donc de perte d'emplois.

M. Sarkozy : Et donc de perte d'emplois. Mais il faut savoir s'adapter, faire le choix de la qualité, de la souplesse, de la technologie, de la formation.

En vente, je ne voudrais pas qu'on voit tout cela comme des malheurs qui nous frappent inéluctablement. Moi, je suis optimiste, je crois en la France, j'aime ce pays et je pense qu'au contraire ce sont des formidables défis à relever. Pourquoi diable voudriez-vous – enfin pas vous – que nous nous renfermions sur nous-mêmes ? J'entends souvent des gens qui disent : « La France est grande » bien sûr qu'elle est grande ; « le message de la France est extraordinaire », mais ils le trouvent tellement extraordinaire qu'ils voudraient le garder dans nos frontières. C'est justement parce que je crois à l'exemplarité française que je voudrais que cette exemplarité aille au-delà de nos frontières.

M. Cavada : Que vous inspire ce qui est en train de se passer en Italie, monsieur Sarkozy ? C'est un de nos partenaires européens très importants. Notamment que vous inspire le personnage de monsieur Berlusconi ?

M. Sarkozy : Aucune fascination.

M. Cavada : Et je dois en rester là…

M. Sarkozy : Je suis au gouvernement de la France…

M. Cavada : Oui, je le sais…

M. Sarkozy : …. Les Italiens sont des amis et Je n'ai pas de jugement à porter sur celui qui pourrait devenir leur chef de gouvernement.

Je veux simplement vous dire pourquoi je crois tellement à l'engagement politique. Sur ce plateau, il y a un certain nombre de parlementaires qui sont venus. Nous sommes de la même famille, pas politique ; on a tous voulu se battre pour notre idéal. Je crois que la démocratie mérite une classe politique qui en fait son métier, son beau métier, sa belle profession. Cela évite d'avoir à retrouver de temps à autre des prophètes. Je ne crois pas aux prophètes, en tout cas dans la politique…

M. Cavada : En clair, est-ce que vous pensez également, sur un chapitre voisin et tout à fait essentiel pour la cohésion européenne, que celle nouvelle Italie sera moins bonne élève en Europe que ne fut la précédente ?

M. Cavada : Non, j'espère tout le contraire. Tout à l'heure monsieur Galbraith disait : « Regardez le franc fort, le mark fort… ». C'est formidable avec l'Italie : l'Italie a un taux de chômage supérieur à la France et l'histoire de la lire italienne est l'histoire de dévaluations successives. L'Allemagne est le pays d'Europe qui a le taux de chômage le plus faible et le mark n'a jamais été dévalué depuis 1945. Peut-être pourrions-nous, de temps à autre, regarder au-delà des frontières pour voir ce qui marche et ce qui ne marche pas toujours…

M. Cavada : Avant-dernier champ d'exploration politique cela concerne l'Algérie. Est-ce que l'Algérie n'est pas aujourd'hui, pour le gouvernement français et pour la France toute entière, un pays que l'on est obligé de regarder avec pratiquement des larmes pleins les yeux et où l'on ne peut plus rien faire ?

M. Sarkozy : C'est sans doute pour le gouvernement français et le Premier ministre l'un des plus graves sujets de préoccupation aujourd'hui. Nous sommes liés avec l'Algérie par une histoire commune, par des liens très proches, très intimes, par une proximité géographique et, circonstance aggravante, j'espère que ces pays ne m'en voudront pas, notre bassin méditerranéen va bien mal.

Quand vous pensez qu'un pays aussi important que la Turquie se trouve aux prises avec le séparatisme kurde… Les Kurdes, c'est 30 % de la population. Je ne sais pas si vous avez regardé les résultats des dernières élections municipales en Turquie : Istanbul et Ankara ont aujourd'hui des municipalités islamistes.

Faut-il parler de l'Egypte, ce beau pays ami, de la France ; et des problèmes qu'ils connaissent avec le terrorisme ? Faut-il parler de la Tunisie, dont le Président – je ne fais aucun commentaire – a été élu avec 99,72 % des voix ? Faut-il parler de l'Algérie ?

La France est une grande puissance méditerranéenne, et nous devons prendre garde à assurer la stabilité du bassin méditerranéen. Pour cela, il n'y a qu'une seule formule : le développement économique.

M. Cavada : Quand vous dites « assurer la stabilité », c'est d'abord par des formules de coopération économique que vous voyez marquer l'empreinte de la France et l'aide de la France dans ces pays ?

M. Sarkozy : Regardez ce qui s'est passé en Europe : l'Allemagne et la France, nous étions ennemis ; il y a d'abord eu un acte politique fondateur formidable : Adenauer et de Gaulle, qui sont des formes de génies de l'histoire. Mais après, qu'est-ce qui a tissé ces liens ? La Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier.

Je recevais les dirigeants israéliens il y a peu de temps. L'acte fondateur du calme entre les Palestiniens et les Israéliens, c'est l'acte du gouvernement israélien et de monsieur Arafat de dire : « On va essayer de se parler ». Mais ce qui fera la réalité de la paix, c'est la coopération économique, et la coopération économique peut se faire autour de deux projets formidables, au Proche et au Moyen-Orient : l'eau et le tourisme. Et si demain eux faisaient ce que nous avons fait, nous, hier en Europe la Communauté du Moyen-Orient de l'Eau et du Tourisme ? C'est ainsi qu'on crée la paix : l'économie amène la paix, la prospérité amène la paix.

Notre devoir, ce n'est pas de craindre le développement des pays en voie de développement ; ce sont des hommes et des femmes comme nous, ce sont des êtres humains comme nous, eux aussi ont le droit de manger à leur faim. Nous n'avons pas à les craindre : ce sont eux, demain, qui consommeront les produits que nous fabriquons. Nous ne pouvons pas continuer à vivre dans un monde où nous fabriquons des biens de plus en plus complexes pour des gens qui ne peuvent consommer que des biens de plus en plus primaires.

Non, décidément, il y a beaucoup de problèmes… Je crois qu'il faut les voir avec optimisme, et passion.

M. Cavada : Monsieur Sarkozy, dans un peu plus d'un an il y aura une compétition électorale majeure pour notre pays, puisque c'est la fameuse élection présidentielle. Je pourrais vous poser plusieurs types de questions, mais je vais essayer de me limiter à une seule : y participerez-vous ?

M. Sarkozy : Y participerez-vous ?

M. Cavada : Participerez-vous activement dans un camp, auprès d'un candidat, à cette campagne présidentielle ?

M. Sarkozy : La réponse est oui. Vous n'imaginez quand même pas que les hommes politiques que nous sommes vont se déclarer aux abonnés absents au moment de l'élection essentielle, qui est l'élection présidentielle… Ou alors cela veut dire quoi ? Cela veut dire que la lâcheté et le confort ont définitivement gagné.

M. Cavada : J'ai des prudences de chirurgien et je coupe petit morceau par petit morceau… Y participerez-vous ? La réponse est oui, et on l'imaginait bien, c'était presque un truisme de ma part que de vous le faire souligner.

D'autre part, vous y participerez à partir de quand, puisque le Premier ministre a dit qu'il ne voulait pas qu'on en parle le plus longtemps possible ? Ce sera quand le plus longtemps possible ?

M. Sarkozy : C'est très clair. Il faut faire très attention : il y a 3 200 000 chômeurs et nous sommes au gouvernement. Je crois que les ambitions présidentielles affichées, quelles qu'elles soient, sont insupportables au regard de nos compatriotes, aussi bien disposés soient-ils à notre endroit. Ils nous ont donné 500 parlementaires il y a un an et dans leur esprit c'est clair : ils ont réglé le problème socialiste, ils les ont sanctionnés, ils nous ont donné une majorité et nous demandent d'assurer le redressement de la France. Donc en termes de personnes, nous n'en parlerons pas, en tout cas au gouvernement, d'ici à la fin 94.

M. Cavada : Ma dernière question est celle qui restera, à mon avis, sans réponse, mais essayons quand même : auprès de qui courrez-vous cette compétition présidentielle ?

M. Sarkozy : Je vous y répondrai d'une manière détournée : ma conviction, c'est que nos idées sont majoritaires dans le pays depuis des années et des années, et pourtant nous avons été battus bien souvent. Pourquoi ? Parce que la division a été sanctionnée et, voyez-vous, sur ce sujet comme sur d'autres d'ailleurs, je partage pleinement l'avis de Charles Pasqua, qui est très sage : si nous allons unis autour d'un seul et même candidat aux élections présidentielles, nous avons la certitude du succès. Si nous y allons divisés autour de plusieurs candidats, alors c'est un cadeau inespéré que nous ferons aux Socialistes, et moi, je ne souhaite pas faire ce cadeau.

M. Cavada : Mais l'union en question dépend de la nature et des tempéraments des hommes. C'est presque aussi compliqué que le Plan quinquennal sur l'emploi, si je puis dire, à faire adopter par les mentalités. Comment mécaniquement l'obtenir si jamais les primaires en question ne fonctionnaient pas, qui d'ailleurs n'ont pas l'air pour l'instant d'être absolument fréquentées ?

M. Sarkozy : Quel que soit le système, ce qui compte c'est le résultat. Ce sera plus facile que vous le croyez, parce qu'il n'y a pas simplement le Premier ministre, les ministres, les députés, les sénateurs, les élus locaux. Il y a les électeurs de la majorité, et ces électeurs nous surveillent, ils nous regardent et ils nous disent une chose très simple : « Ne nous volez pas, une fois de plus, nos convictions et notre succès ». 
M. Cavada : Monsieur Sarkozy, je vous remercie d'avoir passé une heure et demie en notre compagnie et surtout d'avoir expliqué un certain nombre de points qui étaient quand même très importants et surtout très en situation.

Je voudrais citer les livres auxquels nous nous sommes référés et d'abord saluer le biographe que vous êtes. Ce n'est pas une nouveauté, vous en avez sans doute déjà entendu parler, vous l'avez vu dans le reportage. Je voudrais signaler le « Georges Mandel, le moine de la politique », de Nicolas Sarkozy. En le lisant, car je l'ai lu, je me suis demandé la chose suivante : pourquoi donc cet homme, qui était presque dans l'oubli, vous a-t-il séduit ? Qu'a-t-il donc de si attirant pour vous ?

M. Sarkozy : C'est parce qu'il est admirable. Elle est admirable, l'histoire de ce Petit Chose, un juif de la fin du siècle dernier, qui n'a qu'une seule idée en tête : approcher le grand homme de l'époque, Clémenceau, qui devient son directeur de cabinet et pas à n'importe quelle période, au moment de la Première Guerre Mondiale, qui devient ministre, ministre de l'Intérieur au moment de la débâcle, qui est livré aux Allemands par Pétain, qui est ramené par les Allemands en France après le débarquement et qui est assassiné par la Milice. Cela vaut mieux qu'une avenue…

M. Cavada : « Georges Mandel, le moine de la politique », par Nicolas Sarkozy, chez Grasset.

John Kenneth Galbraith : « La République des Satisfaits, la culture du contentement aux États-Unis » c'est une critique assez acerbe d'ailleurs de l'immobilisme intellectuel par rapport à la conduite de l'économie dans son pays.

Et je voudrais rappeler un outil avec lequel nous avons travaillé celle fois-ci, et déjà pour l'émission consacrée à Georges Pompidou : « Le Journal de l'Année », chez Larousse, édition 94.

Dans quelques instants, le résumé de l'actualité conduit par Christine Ockrent, suivi du dossier qu'elle vous présente chaque soir ; il sera consacré ce soir à la Chine avec deux invités : monsieur Lucien Bianco qui est expert de la Chine et une avocate qui s'appelle madame Yan Lan.

Ensuite, vous verrez le programme de vos régions, c'est-à-dire « Mercredi lez vous »

La semaine prochaine, changement de matière et de sujet de préoccupation « Erreurs médicales, qui est responsable ? »

Merci de votre longue et agréable fidélité. Bonne fin de soirée et merci, monsieur, d'être venu.

M. Sarkozy : Bonsoir.