Interview de M. Robert Hue, secrétaire national du PCF, sur RMC le 8 juin 1994, et déclaration parue dans "L'Humanité" du 22, sur les élections européennes du 12 juin, sur l'analyse de leurs résultats, sur la proposition de "Nouvelle alliance" de Michel Rocard et sur le "Pacte unitaire pour le progrès".

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Réunion du comité national du PCF les 20 et 21 juin 1994

Média : RMC - L'Humanité

Texte intégral

RMC : mercredi 8 juin 1994

P. Lapousterle : On aura pu remarquer que G. Marchais a applaudi hier l'arrivée de B. Clinton à l'Assemblée nationale…

R. Hue : Nous applaudissons la présence de B. Clinton à ces cérémonies du Débarquement. Par contre, ce qu'a fait Clinton à la tribune de l'Assemblée, lieu le plus symbolique de notre souveraineté populaire et nationale, pour exprimer à quelques jours du scrutin, son opinion sur l'Europe, nous semble marquer de sa part une volonté de domination des USA sur l'Europe. Nous avons vu sa conception de l'élargissement, n'hésitant pas à lancer un ferme avertissement aux pays de l'Est qui choisiraient de s'écarter de la voie occidentale dans ce domaine ! Ensuite, il a tenu un discours davantage de maître du monde, de gendarme du monde, un discours de puissant. Il a affirmé son intention de développer la présence militaire de l'OTAN. On sait ce que sait, c'est dans le droit fil de Maastricht, on voit ce que ça donne, que l'OTAN soit un pilier en Europe au niveau de la Défense. Tout cela nous semble grave. Clinton a dit d'autres choses et à l'Assemblée et hier soir dans un discours télévisé. Il s'est félicité, non sans ironie du reste, des accords du GATT. On est dans la campagne des européennes, qu'est-ce que ces accords viennent faire là !

P. Lapousterle : Vous ne pensez pas que Clinton est sincère quand il a dit qu'il souhaitait « une Europe forte » ?

R. Hue : L'Europe toute forte qu'elle soit, c'est une Europe qui s'inscrit précisément dans la politique générale choisie par les USA, je parlais du GATT, qui met notre pays, l'Europe, sous domination américaine. Les accords du GATT c'est une baisse de 27 à 45 % de nos prix agricoles, c'est 150 à 200 000 ha de vignes condamnés dans ce pays, c'est 30 % de terres agricoles en friche ! Non, ce discours ne semble pas s'inscrire dans le bon sens.

P. Lapousterle : M. Rocard a proposé, hier, à Créteil, une nouvelle alliance. L'appel s'adressait notamment à vous, au PCF entre autres. Vous avez entendu cet appel et êtes-vous prêts à dialoguer ?

R. Hue : Je n'ai pas le texte de M. Rocard. J'observe que lancer une telle initiative, une telle proposition, 4 jours avant ce scrutin des européennes, prend un caractère qui, aux yeux de ce qu'il faut faire en matière d'alternative pour le pays, prend un caractère électoraliste certain. Et je crois que c'est d'une autre façon que l'on doit imaginer l'alternative progressiste et construire. M. Rocard identifie, selon ce que j'en ai lu, sa nouvelle alliance, au calendrier électoral. Cette démarche risque d’apparaître beaucoup comme un simple raccommodage électoral. Il y a là, dans cette démarche, une culture politique ancienne.

P. Lapousterle : C'est le moment qui vous parait suspect ?

R. Hue : De toute façon, à trois jours d'un tel scrutin, le caractère électoral de la démarche prend le pas sur l'initiative par elle-même. Cette initiative, telle qu'elle est présentée en tout cas, manque du souffle nécessaire et apparaît comme une nouvelle proposition d'alliance, de sommet, peut-être autour du PS. Mais le PS doit tirer tous les enseignements de ce qui a échoué avec le Programme commun. Notre proposition de pacte unitaire pour le progrès que nous avons lancé il y a plusieurs semaines, s'inscrit à l'inverse d'une démarche électoraliste. Ce que nous voulons, c'est qu'en dehors de tout accord de sommet que nous rejetons complètement, c'est permettre aux citoyens, aux progressistes, aux jeunes, de se rencontrer pour exprimer leurs exigences pour mieux lutter et construire un projet politique. Ce n'est pas l'accord de sommet, même si, nous ne négligeons pas les rencontres entre formations politiques.

P. Lapousterle : Y a-t-il compatibilité dans l'avenir immédiat, entre le projet qui était votre pacte pour le progrès, le PUP, et la proposition de Rocard ?

R. Hue : Nous ne fermons la porte à aucune discussion mais une chose est certaine : pas de retour au passé. Pour le moment, ce que j'entends de ce que dit Rocard, reste des alliances à caractère électoral. Il évoque la présidentielle notamment, et les municipales et tout ça devra être regardé. Mais surtout, pas d'accord de sommet sans les citoyens eux-mêmes. Nous vivons une période où il y a un divorce profond entre les citoyens et la politique, car précisément, on n'écoute pas assez les citoyens. Or l'expérience nous montre et notamment l'échec du programme commun, l'échec des politiques des socialistes, qu'il faut prendre en compte en effet, ce que disent les citoyens. Le 12 juin prochain, nous disons à ceux qui veulent voter pour la liste du PC, que voter pour cette liste c'est encourager la démarche d'ouverture que nous avons engagée.

P. Lapousterle : Les analystes politiques classent la liste du PCF parmi les listes anti-européennes. Vous acceptez ou vous rejetez cette qualification ?

R. Hue : Nous ne sommes pas contre l'Europe, nous sommes contre cette Europe de droite. Ce que je regrette c'est qu'à l'étape où nous en sommes de la campagne, tout a été fait pour escamoter le vrai débat : la politique de l'emploi, le GATT, les conséquences du Traité Maastricht. Au lieu de tout cela, on a assisté à de lamentables opérations de diversion type BHL, un feuilleton quotidien des tribulations de milliardaires, de scandales politico-financiers, tout est fait pour désintéresser les Français de ce scrutin. Et c'est un piège. L'enjeu de cette élection est important, Balladur dit même « un bon score de Ia liste RPR/UDF confortera ma politique, et me permettra d'aller plus loin demain ». Or ce qu'il a en réserve est catastrophique et ce qu'il a prévu l'est aussi. Dans les tiroirs de Matignon, il y a des projets qui sont prévus pour le lendemain du 12 juin catastrophiques. C'est la loi quinquennale qui va s'appliquer avec tout ce que ça va comporter vis-à-vis du Smic, garanties de la flexibilité. C'est une réforme qui va conduire à un véritable éclatement de la Sécurité sociale !

P. Lapousterle : Quand vous entendez dire que Tapie est dans le camp de la gauche c'est…

R. Hue : Nous avons dit que Tapie est un milliardaire, certains des milieux populaires n'y croyaient pas et puis la révélation de son patrimoine le montre bien. Quand on a un patrimoine de 300 millions, l'équivalent de 25 écoles maternelles, on a du mal à se réclamer de gauche. L'essentiel par rapport au scrutin, c'est ce que je dis à propos des coups qui se préparent avec la Sécurité sociale, la loi quinquennale, les réformes Bayrou ce qui est annoncé par l'OCDE, tout ça est de nature à conduire les gens à l'abstention c'est un cadeau à la droite et aujourd'hui, les gens doivent se faire entendre et utiliser le bulletin de vote communiste de F. Wurtz.

P. Lapousterle : Priorité le 13 juin au matin pour le PCF ?

R. Hue : Première priorité le lendemain des élections, c'est de tirer les enseignements de ces élections et surtout, engager l'action contre cette politique Balladur et relancer en grand les espaces de dialogue et toutes les rencontres nécessaires pour la mise en œuvre du pacte unitaire pour le progrès.


L'Humanité : 22 juin 1994

S'engager résolument partout dans la construction du Pacte unitaire pour le progrès

Le rapport d'André Lajoinie pose un certain nombre de questions qu'il convient d'examiner avec soin – comme le fait notre discussion au Comité national – cellule par cellule, section par section, avec l'aide des directions fédérales. Nous devons, en effet tirer tous les enseignements des différents aspects du scrutin du 12 juin pour l'activité des communistes.

Je veux pour ma part, souligner deux aspects de la situation évoqués dans le rapport et décisifs à mes yeux.

Un véritable désarroi politique

Le premier porte sur ce que les Français ont exprimé avec force dans cette consultation, et sur la manière dont ils l'ont exprimé. Beaucoup d'observateurs l'on noté : ce scrutin a traduit le mécontentement, la colère, l'exaspération des gens et une grande inquiétude face à l'avenir. Ces sentiments sont nets, mais ils ont été exprimés dans ce qu'il faut bien appeler un véritable désarroi politique : forte abstention – ne l'oublions pas sous prétexte qu'elle est moins élevée que prévue –, émiettement des choix, « effondrement des partis de gouvernement », selon les termes du « Monde », prime aux candidatures ressenties pour la circonstance comme « dissidentes ».

Dans cet ensemble, il y a, bien sûr, le résultat honorable de notre liste, qui maintient le nombre de ses élus, au terme de la bonne campagne menée par Francis Wurtz, ses colistiers, communistes ou non, les militants et les élus de notre parti.

Ce décalage entre le message et les moyens de son expression doit nous préoccuper. Catégorique dans le rejet d'une situation vécue comme intolérable, il reflète l'hésitation, l'absence de repères clairs quant à la nature des choix politiques qui la produisent ; le scepticisme quant à la possibilité de s'en libérer et de faire prévaloir des solutions neuves, un projet politique inédit.

De grandes responsabilités pour notre parti

L'exigence de ce décalage donne à un parti comme le nôtre de grandes responsabilités. Notre peuple est durement frappé par une politique que la droite – Balladur n'a pas perdu de temps pour le rappeler – veut encore aggraver. C'est cela que nous ne pouvons laisser faire. Il est en même temps comme désorienté. C'est cela que nous avons pour raison d'être de l'aider à surmonter : nous ne laisserons pas déposséder notre peuple de son espérance d'une vie plus juste et plus belle à laquelle il a droit et que notre époque rend possible.

J'ai parlé à cet égard de « protestation constructive ». Chacun comprend bien que le second terme de l'expression n'est pas fait pour atténuer si peu que ce soit le premier, mais au contraire pour lui permettre de se déployer pleinement en le dotant d'un sens, d'un avenir, d'un horizon, d'un espoir.

On touche là à l'identité même de notre parti communiste. Il est, il se doit d'être toujours mieux le parti sur lequel quiconque souffre des injustices, des inégalités, des atteintes à la dignité, des mauvais coups de la politique de droite et du grand patronat doit savoir qu'il peut compter. Il est, il se doit d'être toujours mieux le parti sur lequel on doit savoir pouvoir compter lorsqu'on cherche à se rassembler pour lutter efficacement contre cette politique et ses effets désastreux. Il est, il se doit d'être toujours mieux le parti utile à toutes celles et tous ceux qui refusent de considérer comme « fatal » le maintien de la droite au pouvoir, comme « intouchables » les dogmes de l'ultralibéralisme, comme « immuable » la domination de l'argent-roi. Il est, il se doit d'être toujours mieux le parti utile à celles et ceux, de plus en plus nombreux, qui s'interrogent sur la société actuelle et ses évolutions, souhaitent la changer et sont à la recherche des moyens des changements auxquels ils aspirent.

L'aggravation de la crise politique

Le second trait de la situation, que je veux souligner, c'est l'aggravation de la crise politique, le fossé qui ne cesse de se creuser entre les citoyens et les forces politiques, entre les citoyens et la vie politique elle-même, rabaissée pour l'essentiel à de simples joutes politiciennes visant à se placer pour l'élection présidentielle.

Cela a été net au cours de la campagne elle-même. C'est encore plus évident depuis le 12 juin. Parodiant Wolinski, j'ai envie de dire : « Ils ne pensent qu'à ça ! » ; guerre des petites phrases assassines, règlements de comptes en tout genre, tentative de replâtrage et de recomposition de la vie politique « au centre » pour cadenasser toute alternative authentique, OPA sur les voix recueillies le 12 et monnayées le 13 à telle écurie « présidentielle »… Rien, décidément, n'aura été épargné aux Français ! Alors qu'ils sont aux prises avec tant de difficultés et qu'ils viennent de le dire, comment pourraient-ils ne pas être amers, déçus, écœurés devant ces pratiques qui, ajoutées à la réalité détestable des « affaires », ignorent et piétinent si délibérément leur souci et leur volonté d'être entendus ?

Je le dis sans gravité : de telles dérives sont dangereuses ; dangereuses pour notre peuple qui ne peut en attendre qu'une recrudescence de mauvais coups dont il est la victime désignée ; dangereuses pour la démocratie – la grande tradition démocratique française à laquelle notre peuple a tant contribué –, car de la désespérance d'un peuple ne peut sortir que l'aventure.

Une telle situation nous donne là encore de grandes responsabilités. Car il n'est pas vrai que notre peuple soit condamné à subir pour l'éternité la droite ou l'alternance, consistant à faire la même politique avec des hommes différents ! Et nous ne nous résignons pas à laisser la vie politique française patauger dans le marigot de l'affairisme, de la corruption, de l'arrivisme, du carriérisme ou d'un populisme qui porte bien mal son nom puisqu'il est destructeur des intérêts populaires.

Intéresser, mobiliser, enthousiasmer

Face à cela, notre parti veut faire souffler du neuf. Sa politique, ce n'est pas la grisaille de l'effacement ou du repli frileux, c'est une démocratie grande ouverte sur l'extérieur, qui puisse intéresser, mobiliser, enthousiasmer parce qu'elle est réalisée pour le peuple et avec lui ; parce qu'elle n'est pas le double mensonger d'une pratique qui la contredit, mais les mots et les actes réconciliés d'une pratique vivante et authentique.

C'est bien cette grande ambition de construction d'une issue politique nouvelle que nous avons décidé de faire nôtre au 28e Congrès. Et c'est bien en ce sens que nous avons proposé de passer à l'acte en appelant notre peuple et, sur la base de ses exigences, les forces politiques de gauche, de progrès à s'engager dans la voie inédite d'un Pacte unitaire pour le progrès.

Nous avions dit, au moment de son lancement, que cette initiative répondait à l'urgence de la situation. Urgence de se rassembler pour résister et riposter aux agressions de la droite au pouvoir. Urgence d'apporter une réponse aux questions montant de la société, aux attentes des progressistes, au défaut de perspective handicapant les luttes et le mouvement social. Urgence de réaccorder société civile et société politique, que la crise politique disjoint dangereusement, comme on l'a vu en Italie.

Le Pacte n'a pas été absent de la campagne électorale. Il a été en permanence présenté comme l'une des raisons du vote en faveur de notre liste, et nous savons bien d'expérience que l'intérêt qu'il a suscité a conduit des électeurs a le choisir le jour du scrutin.

Avec la construction du Pacte, faire souffler du neuf

Comme c'était prévisible et bien légitime, nous avons été surtout amenés à situer cette démarche neuve par rapport à d'autres ayant existé dans le passé, donc à dire ce que le Pacte n'est pas.

Qui ne voit que les raisons qui nous avaient amené à prendre cette initiative du Pacte sont encore plus pressantes a l'issue de cette consultation et que nous devons à présent nous engager, au positif en quelque sorte dans la mise en œuvre de cette construction nouvelle ? Et cela pour convaincre par son expérience même de son ambition, de sa réalité, de sa crédibilité, de son efficacité.

Dès le soir du 12 juin, j'ai déclaré au nom du Bureau national : « Nous nous fixons pour nous-mêmes l'objectif d'être toujours mieux porteurs de cette protestation qui s'est exprimée sous différentes formes et de l'aspiration à faire du neuf dans la vie politique et dans les réponses à apporter aux grands problèmes du pays.

J'ai la conviction que ce qui est maintenant à l'ordre du jour pour tous les communistes, c'est de s'engager avec courage, audace, imagination – et je sais qu'ils n'en manquent pas – dans ce cheminement du Pacte unitaire pour le progrès à construire avec notre peuple. L'avancée. le développement, le succès de cette initiative dépendent d'eux tous, de leurs capacités créatrices d'initiatives, de leur mobilisation au service du renouveau. Oui, l'heure est à la multiplication des initiatives personnelles des communistes, de leurs cellules, de leurs sections, de leurs fédérations – et, bien sûr, du Comité national – pour créer partout, sur le lieu de travail, dans la cité, le quartier, la ville et le village, des occasions de rencontres de dialogues, d'actions. En s'emparant des questions diverses posées par la vie. En confrontant les idées – les nôtres et celles des autres – sans attendre les directives, les initiatives d'en haut ou les réactions de tel parti politique ou de tel autre. En donnant consistance et suivi dans la durée à ce qui ne peut être simple débat d'un soir.

Le Pacte : une méthode et un contenu

Le rapport d'André Lajoinie l'a montré : le champ d'intervention est d'une grande amplitude, qu'il s'agisse de la lutte pour l'emploi, la protection sociale, les services publics, l'école, le logement, etc.

La construction du Pacte unitaire pour le progrès n'est pas seulement une démarche, une méthode : faire avec les gens, susciter leurs rencontres, leurs rassemblements, leurs actions. C'est indissociablement un contenu : celui de la résistance à la politique actuelle, de la construction d'une alternative politique, du cheminement vers une nouvelle pratique politique, une nouvelle culture démocratique.

Car la vie citoyenne ne se découpe pas. Il n'y a pas d'un côté les difficultés immédiates, de l'autre des solutions différentes dont la réunion constituerait le catalogue global de « l'autre politique » et, d'un troisième côté, les rapports des gens avec les formations politiques de gauche, de progrès. Le Pacte vise à briser ces cloisonnements sclérosants et dépassés pour faire s'épanouir une démocratie nouvelle nourrissant l'un par l'autre ces aspects en les soumettant tous a la maîtrise de l'intervention populaire.

Il n'y a d'ailleurs rien là que ne confirme pleinement l'expérience militante. Parler du Smic-jeunes, c'est ouvrir à l'action, c'est poser bien vite la question de ce qu'est la vie des jeunes aujourd'hui, leur avenir, leur place dans la société. Et c'est le chemin qui peut mener, par la discussion et d'autres luttes, à ce que pourrait être une autre politique, une autre société, un autre rôle des jeunes pour avancer en ce sens.

Le mouvement populaire a besoin d'espoir

La situation que j'évoquais tout a l'heure le confirme : le mouvement populaire a besoin de luttes rassembleuses, de discussions, de propositions. Il a aussi, et du même mouvement, besoin d'espoir. Pas de la chimère d'une société modèle, harmonieuse, désincarnée, présentée clés en main, sans lien avec ses préoccupations, dont il n'y aurait qu'à lui vanter les charmes. Nous en avons bien fini et depuis longtemps avec ce messianisme.

Mais, à l'inverse, nous voyons bien que chaque préoccupation immédiate conduit toujours, dès lors qu'on l'examine, aux mêmes questions de fond auxquelles elle se heurte : quelle vie sociale est digne des êtres humains à notre époque ? Qui doit l'emporter de l'homme ou de l'argent ? Qui doit diriger dans la société et au profit de qui ? Comme l'avait remarqué Georges Marchais dans son rapport au Comité central du 16 juin 1993 : « Les questions les plus fondamentales, les plus essentielles tendent à devenir des questions immédiates du débat politique ».

La construction du Pacte unitaire pour le progrès peut en ce sens contribuer pleinement à la montée d'une espérance, porteuse de luttes et de perspective. Par les questions essentielles auxquelles elle permet de cheminer. Et par sa pratique, par le style même de rapports qu'elle met en œuvre entre citoyens. Car, enfin, n'offre-t-elle pas elle-même l'expérience de rencontres et d'initiatives franches, démocratiques, libres, où l'être humain aura concrètement la primauté et non « l'argent-roi » ? Ne conduit-elle pas directement à l'expérience de la force et de la fécondité de la démocratie, à l'idée de ce qui pourrait changer dans la vie sociale si l'on se décidait enfin à écouter les gens ? Ne mène-t-elle pas, par la pratique de démocratie ressourcée qu'elle suppose, à l'idée que la politique peut être autre chose que la chasse gardée écœurante de la « classe politique », qu'elle peut être respectueuse des individus, intéressante, efficace, mobilisatrice, enthousiasmante ; qu'elle peut, j'ose le mot, faire rêver et qu'elle vaut le coup qu'on s'y mette et qu'on s'y donne ? N'est-ce pas ainsi dans ce mouvement même, si nous savons lui donner consistance et suivi – et non par toutes les déclarations au sommet qu'on voudra –, que l'on pourra le mieux affronter la crise politique et en sortir ?

Faire exister la novation du congrès dans la vie

On le voit, il n'y a rien là – je le souligne en passant – d'un appel au rassemblement autour du Parti, mais d'un appel au Parti à être pleinement utile au déploiement d'une démocratie active, créatrice, dynamique, stimulante ; à faire souffler du neuf dans la vie nationale ; à être le levain d'un « mouvement-citoyen » et être ainsi reconnu, avec son identité et ses valeurs, comme l'organisation, le parti politique indispensable aux progressistes et à la vie du pays ainsi que notre 28e Congrès en trace l'objectif.

Nous savons bien, pour l'avoir vécu nous-mêmes, que les communistes ont dû affronter ces dernières années bien des épreuves. Ils ont tenu bon avec courage et détermination dans des conditions politiques très difficiles. Ils se sont dépensés sans compter dans des luttes quotidiennes dans ces batailles que furent les élections législatives de l'an dernier, les cantonales et, tout récemment, les européennes. Ils ont décidé à leur congrès de confirmer et d'amplifier le renouvellement de leurs conceptions, de leurs pratiques ; de changer ce qui en eux-mêmes, dans leurs comportements et leurs règles de vie, fait obstacle au plein déploiement de la démocratie pour laquelle ils se battent ; de faire prévaloir l'esprit d'ouverture, d'écoute, de sensibilité aux problèmes des gens, de volonté d'être utiles à l'essor de leur intervention. Le Pacte unitaire pour le progrès, cette initiative dans l'esprit du congrès, nous conduit, si j'ose dire, à sortir des textes, à faire exister la novation de ce congrès dans la vie, dans nos comportements, dans nos actes. Sans aucun doute, une campagne comme celle des européennes, dans sa brièveté et ses conditions particulières, ne créait pas les meilleures conditions pour cela. Mais à présent, au lendemain de ce qu'a révélé ce scrutin, nous avons le temps et l'espace pour y parvenir.

Mettre concrètement, pleinement et hardiment en œuvre ce que les communistes ont décidé lors de leur 28e Congrès, c'est cela qui est à l'ordre du jour. Guy Hermier a parlé de consultation des communistes, de débat, d'expression de tous les communistes dans leur diversité ? Mais n'est-ce pas précisément ce que nous avons fait tous ensemble dans la préparation du congrès ? Et puisqu'on parle de lassitude, je crois que beaucoup de communistes commencent en effet à trouver lassant qu'a peine un congrès achevé, qui a décidé que le Parti communiste français resterait le Parti communiste, et qu'il poursuivrait, en lui donnant une ampleur nouvelle, sa rénovation, on lui propose d'en tenir un autre pour décider… autre chose.

Quant à la proposition d'une candidature unique pour la prochaine élection présidentielle, je rappelle que nos congrès – tirant les leçons de l'expérience – ont décidé qu'il y aurait pour ces élections un candidat communiste. Et il me parait assez étrange d'invoquer le besoin de rénovation tout en proposant – comme d'autres, ailleurs préconisent un retour à une « fédération de la gauche » – un retour à une « candidature unique de la gauche », comme dans les années soixante.

J'en ai la conviction, donner une dimension nouvelle à notre rénovation, c'est mettre en œuvre concrètement nos décisions du 28e Congrès. Oui, vraiment, le moment est venu dans tout le Parti de s'engager résolument dans la démarche de construction du Pacte unitaire pour le progrès.

On me dira peut-être : mais il y a les congés d'été. C'est vrai. Ils sont bien légitimes et bien mérités pour chacun d'entre nous. Mais il est des responsabilités qui ne peuvent attendre et, même dans cette période. Les nôtres sont grandes au regard de notre peuple. Je sais que chaque communiste, que chaque dirigeant en est conscient et que chacun, à sa manière s'efforcera d'y faire face. L'enjeu, je crois, en vaut la peine.