Interviews de Mme Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT, à France-Inter le 1er août 1994 et à RTL le 2, sur les bons résultats des statistiques du chômage et sur le financement de l'UNEDIC et le refus de la CFDT de voir le gouvernement revenir sur son engagement de verser au régime 10 milliards de francs pendant trois ans.

Prononcé le 1er août 1994

Intervenant(s) : 

Média : France Inter - RTL

Texte intégral

France Inter : Lundi 1er août 1994

J.-M. Four : Le chômage baisse, c'est toujours bon à prendre ?

N. Notat : Oui, mais la prudence est de mise. On a 0,4 % de chômeurs au mois de juin, mais on a eu 0,6 %, de plus de chômeurs, il faut donc faire attention aux variations mensuelles et ne pas crier victoire et prendre ce chiffre comme étant le chiffre qui va marquer une régression significative du chômage. C'est un chiffre passager, mais il faudra faire beaucoup plus que ce qui est en cours.

J.-M. Four : Le ministère du Travail annonce que d'ici à la fin de l'année, on devrait enrayer le chômage ?

N. Notat : Une stabilisation du chômage, ce serait le mieux que l'on puisse attendre à la fin de cette année. Mais une stabilisation, ce n'est pas une grande victoire.

J.-M. Four : Mais cette fois ça s'est infléchi ?

N. Notat : Je souhaite que ça dure, mais je ne souhaite surtout pas qu'on lève le pied sur les efforts qui doivent continuer à être fait pour continuer à faire régresser le chômage. On attend beaucoup de la croissance, mais si la croissance pointe le bout de son nez, c'est bien, mais attention, la croissance rie suffira pas à attaquer ce fléau du chômage.

J.-M. Four : Mais tout le monde essaye d'obtenir cette stabilisation depuis des années ?

N. Notat : C'est mieux, mais on a assisté tellement de fois à des annonces qui semblaient être de grandes victoires et qui devaient être contredites le lendemain parce que la conjoncture change et aujourd'hui elle change vite. La croissance est là, mais on ne sait pas si elle peut être durable.

J.-M. Four : Le chômage de longue durée reste un problème ?

N. Notat : C'est très préoccupant et nous le voyons à l'UNEDIC, le nombre de gens en fin de droits est catastrophique.

J.-M. Four : Ces chiffres ne vont-ils pas apporter de l'eau au moulin du gouvernement qui veut revenir sur le financement de l'UNEDIC ?

N. Notat : C'est quelque chose qui est incroyable et je vais dans les 48 heures prendre contact avec le ministre du Travail, N. Sarkozy et le Premier ministre lui-même, pour m'assurer que cette idée n'est pas une idée que le gouvernement a l'intention de concrétiser. Le gouvernement s'est engagé il y a un an à apporter pour le redressement durable de l'UNEDIC, 10 milliards de francs au régime pendant au moins trois ans. Cet engagement doit être tenu parce que cet accord exemplaire visait un redressement durable et sortait d'un redressement de court terme. Je n'imagine pas que le gouvernement puisse changer d'avis aujourd'hui, ce serait quelque chose qu'on a jamais vu. Un gouvernement qui se dédit de la sorte est un gouvernement qui se discrédite.

J.-M. Four : Vous devriez avoir l'appui du CNPF ?

N. Notat : Toutes les organisations patronales et toutes les organisations syndicales savent le prix qu'elles ont payé pour parvenir à cet équilibre. En même temps que l'État a apporté 10 milliards, les salariés ont accepté d'augmenter leurs cotisations, ainsi que les entreprises. La situation de l'UNEDIC n'est pas excédentaire, nous avons toujours 30 millions de déficit. C'est une dette, un emprunt qui nous permet d'assurer les obligations à l'égard des chômeurs. Il faut continuer ce redressement, c'est pourquoi je pense que le gouvernement ne va pas aller au bout de cette idée folle qui consiste à réduire sa participation.


RTL : Mardi 2 août 1994

R. Artz : Quelle portée apportez-vous aux résultats du chômage du mois de juin : éclaircie ou amélioration ?

N. Notat : Aujourd'hui, c'est une éclaircie mais sympathique car ça fait tellement d'années, de mois, que nous l'attendons et nous aimerions que ce soit l'amorce d'une tendance qui va se confirmer dans les mois qui viennent. Aujourd'hui, c'est prématuré que de garantir que c'est la lecture qu'il faut donner des chiffres d'aujourd'hui.

R. Artz : Dans la structure des chiffres, vous voyez une tendance…

N. Notat : Il y a sûrement plusieurs explications à ce chiffre. D'abord, il y a beaucoup moins de jeunes qui se sont inscrits en juin alors qu'ils avaient été très nombreux au mois de mai. Rappelons-nous, c'était + 0,6 %. Il y a aussi des jeunes qui semblent plus nombreux en juin à être entrés dans des contrats d'apprentissage et de qualification. C'est aussi un mouvement positif. Mais il y a, et je crois que c'est le point noir de ce chiffre tel qu'il est annoncé, c'est l'augmentation des chômeurs de longue durée. Ça c'est le signe que même si la croissance revient aujourd'hui, même s'il y a une partie du nombre de chômeurs qui parviennent à retrouver le marché du travail, on sait que ceux qui auront le plus de difficulté et même qui resteront en queue de file, ce sont les chômeurs de longue durée. Et là, il ne faut pas regarder les choses sans rien faire, il faut continuer à exercer une pression, une action, un effort durable et important pour leur permettre à eux aussi de progresser et de se réinsérer.

R. Artz : Vous avez l'impression que le Premier ministre et le gouvernement vont tirer parti de ces chiffres politiquement ?

N. Notat : Je ne vois pas comment un chiffre comme ça n'aille pas droit au cœur du ministre du Travail et du Premier ministre. En même temps, j'observe qu'ils font preuve de beaucoup de prudence et qu'ils s'abstiennent de tout triomphalisme et je crois que c'est réaliste et sage.

R. Artz : Vous avez vu le Premier ministre hier à propos de l'UNEDIC. Tout s'est arrangé, les 10 milliards seront versés ?

N. Notat : J'ai souhaité le voir, et rapidement, dans la journée d'hier, parce que je n'imaginais pas que l'État puisse envisager de mettre fin à une contribution pour laquelle il s'était engagé il y a à peine un an, de manière précise et concrète, avec sa signature au bas d'une feuille, pour trois ans. Et donc, je mesurais les conséquences tellement négatives sur l'ensemble du dispositif que je me suis dit, ce n'est pas possible.

R. Artz : C'est un malentendu ?

N. Notat : Je pense que dans la difficulté dans laquelle le gouvernement est actuellement de présenter un budget, une loi de finances pour 95, pour lequel le Premier ministre tient à afficher la réduction du déficit budgétaire, c'est difficile de faire les additions et de trouver le bon résultat à la fin. Donc, le ministre du Budget et ses services, je pense, cherchent à grignoter une peu partout les milliards qui pourraient être disponibles quelque part. Alors je le dis tout de suite, il n'y a pas de milliards disponibles à l'UNEDIC. Nous n'avons pas d 'excédent.

R. Artz : Vous voulez faire reculer le ministre du Budget, en somme ?

N. Notat : J'ai rencontré le Premier ministre, pour lui montrer en quoi il n'était pas concevable que l'État envisage cette hypothèse. Le Premier ministre m'a effectivement rassurée, hier après-midi, en me disant que le versement global de dix milliards de francs en 1995 serait garanti, me demandant simplement que nous puissions discuter d'un peu de souplesse dans le rythme des versements, ce qui est bien évidemment acceptable, dès lors que les dix milliards sont versés.

R. Artz : Va-t-il y avoir une négociation pour savoir le jour où le versement sera fait ?

N. Notat : Pas une négociation. Vous savez, en ce moment, les choses sont très précises, les versements doivent être faits à tel jour de chaque trimestre. Si c'est versé dix jours après, si c'est versé quinze jours avant, ce n'est pas un problème, et c'est de cela que nous discuterons.

R. Artz : Ça ne pose pas de problème, pour vous, que la subvention n'arrive pas en temps voulu ?

N. Notat : Pas en temps prévu, mais en temps utile, c'est très important.

R. Artz : Donc tout est arrangé ?

N. Notat : Je l'espère, mais le Premier ministre sait que le moment de vérification ultime de cet engagement renouvelé sera au moment où nous regarderons le budget, les propositions concrètes. Et là bien sûr, il faudra qu'il y ait correspondance entre l'engagement fait par le Premier ministre hier et la traduction dans la loi de finance.

R. Artz : Une question plus précise, les salariés d'une entreprise en Saône-et-Loire ont accepté de travailler à mi-temps afin d'éviter les licenciements. Et la différence de salaire devrait être compensée par l'UNEDIC. C'est le genre d'exemple que vous approuvez ?

N. Notat : Les partenaires sociaux ont permis que cette mesure soit possible en permettant effectivement en cas de difficultés d'entreprise, avérées, prouvées, que plutôt que d'opérer des licenciements, il est préférable de les maintenir en situation de contrat de travail avec un temps de travail réduit mais partiellement compensé avec une indemnité qui leur permet de ne pas accentuer une perte de pouvoir d'achat trop importante. Effectivement, l'UNEDIC participe à cette compensation.

R. Artz : Il y a beaucoup d'exemples de ce genre ?

N. Notat : C'est un système qui commence à se mettre en place. Il n'est pas très vieux et cet exemple montre qu'il peut véritablement être utile en cas de difficulté dans une entreprise.