Texte intégral
Europe 1 : Mardi 23 août 1994
E. Faux : Quelle est votre priorité, pour cette rentrée ?
N. Notat : J'en ai une, elle est claire, c'est l'emploi. On ne peut pas constater en France que la reprise est peut-être là, on ne peut pas ne pas constater que le gouvernement a engagé, depuis plus d'un an, une politique en faveur de la baisse des charges des entreprises, en assurant qu'elles devraient avoir un impact et des répercussions sur l'emploi, constater aujourd'hui que ce résultat n'est pas là. Aujourd'hui, il faut faire ce bilan, il faut s'arrêter dans le processus de cette réduction des charges, et attendre, exiger du patronat des contreparties, des négociations, des résultats tangibles sur l'emploi.
E. Faux : Vous craignez que la reprise soit un peu volée aux salariés ?
N. Notat : Ma plus grosse crainte est qu'elle soit un peu volée aux chômeurs, parce que les salariés, c'est évident qu'ils ne vont pas manquer. Ils ont des moyens de revendiquer dans les entreprises des augmentations salariales, des moyens de préserver leur emploi. Bref, ils posent des revendications dans les entreprises. Les chômeurs, eux, ils sont dehors. Donc, toute notre énergie va consister à ce que les salariés organisés, ceux qui ont un emploi, les syndicats qui portent leurs revendications dans les entreprises. Les chômeurs, eux, ils sont dehors. Donc, toute notre énergie va consister à ce que les salariés organisés, ceux qui ont un emploi, les syndicats qui portent leurs revendications, portent dans les entreprises les préoccupations et les attentes des chômeurs. Les préoccupations et les attentes des chômeurs, c'est quand même le principal qu'ils puissent pénétrer dans les entreprises pour y avoir un travail.
E. Faux : Demandez-vous au gouvernement de développer des aides, des systèmes d'incitation fiscale à l'emploi ?
N. Notat : Non, tout a été fait en la matière. Regardons ce qui s'est passé depuis quelques années : l'impôt sur les sociétés à diminué, la réduction des charges est engagée. On ne compte plus le nombre de primes d'incitation à l'embauche des jeunes. Parlons de la dernière, celle qui prévoit que pour chaque jeune embauché, les entreprises bénéficieraient de 2 000 francs en aide. C'est vraiment de l'argent que l'on verse par les fenêtres. Il faut que le gouvernement fasse une pause dans ce que j'appelle la politique de sucre d'orge en faveur de l'emploi pour les entreprises. Il dit stop. Ça ne veut pas dire qu'il n'y a plus rien à faire en matière d'aide fiscale et budgétaire en direction des entreprises, mais ce n'est pas à sens unique. On dit aux entreprises, au patronat, « Messieurs, maintenant, comment allez-vous être au rendez-vous de l'emploi, et quel engagement allez-vous prendre pour qu'effectivement, l'emploi soit là à la rentrée.
E. Faux : Vous pouvez citer des domaines dans lesquels on pourrait créer des emplois en grand nombre rapidement ?
N. Notat : Je pense que la question de l'insertion des jeunes, de leur formation, de leur embauche, il faut des résultats tangibles à la rentrée. Et là, le compte n'y est pas. C'est la raison pour laquelle je pense, ce n'est pas non plus entreprise par entreprise, mais au niveau des branches professionnelles, au niveau du CNPF tout entier, nous voulons qu'ils se mettent autour d'une table pour effectivement garantir ce mouvement d'embauche des jeunes, d'insertion des jeunes à la rentrée. Il y a plein d'autres thèmes à trouver : au niveau du temps de travail, de la réduction. Dans une réduction modernisée, c'est-à-dire une réduction qui contient mille et une manière de réduire le temps de travail il y a des possibilités. Examinons-les et passons à l'acte.
E. Faux : Renault, pour vous, c'est un symbole sans importance ?
N. Notat : Non, mais on est en 1994. Donc, c'est un événement si le gouvernement s'apprêtait à privatiser Renault, mais il ne faut pas grossir et amplifier les répercussions de cet événement. Et je suis un peu frappée de voir comment, subitement, lorsqu'il s'agit d'une privatisation d'une manière générale, comment l'État est magnifié dans son action. Comme si l'État actionnaire avait toujours été exemplaire, était toujours exemplaire et à la hauteur de sa responsabilité dans ses entreprises. Il l'a été à certains moments, il ne l'a pas été toujours.
E. Faux : Voulez-vous dire, dans votre article du Monde, que la distinction public-privé est devenue un peu fictive ?
N. Notat : Oui, c'est un constat. En tout cas, sur les conditions dans lesquelles les entreprises se sont restructurées et ont conduit leur politique par rapport à l'emploi, il y a eu au moins autant de plan sociaux, un mouvement de réduction des effectifs au moins aussi important dans le public que dans le privé.
E. Faux : Vous êtes pour la baisse envisagée par le gouvernement du prix de certains médicaments, qui vise à économiser environ 300 millions de francs sur les dépenses de la Sécurité sociale ?
N. Notat : Je pense que c'est une voie qu'il faut explorer.
E. Faux : M. Blondel envisage une grande manifestation nationale fin novembre ou en décembre pour défendre la Sécurité sociale. La CFDT s'y joindra-t-elle ?
N. Notat : Vous savez, il y a une seule manière, à mon avis, de bien réussir une manifestation de ce genre, si on a dans la tête l'équivalent de la manifestation contre la loi Falloux, ou contre le CIP, c'est que le gouvernement fasse un beau faux pas sur la question de la Sécurité sociale. Si c'était le cas, il ne manquerait pas d'y avoir une belle et grande manifestation pour défendre la protection sociale. En admettant que le gouvernement ne fasse pas cette erreur, je pense qu'il faut défendre la protection sociale. Mais il faut aujourd'hui défendre la Sécurité sociale : c'est la faire bouger, c'est la faire évoluer. Préserver, et je pense en particulier à l'assurance-maladie, la qualité, le niveau d'assurance-maladie que nous avons, c'est faire évoluer la Sécu. C'est donc ne pas regarder la Sécu dans une conception figée, ce n'est pas défendre et maintenir le statu quo, c'est évoluer, mais pas n'importe comment. Je souhaite donc, si M. Blondel en est d'accord, nous y sommes prêts, que nous puissions regarder à poser les conditions d'évolution et de réforme de la Sécu. C'est un dossier qu'il faudra ouvrir de manière urgente.
E. Faux : De tous côtés, montent des appels à l'unité syndicale. Hier, L. Viannet déclarait que les difficultés auxquelles la société est confrontée sont suffisamment sérieuses pour que les syndicats dépassent une situation de division qui gêne le combat social. Vous pouvez signer une déclaration comme celle-là ?
N. Notat : Oui, sauf pour L. Viannet à la CGT, cette déclaration de rentrée est à peu près, la même depuis une dizaine d'années. Il y a des enjeux tellement forts que les syndicats ont des efforts communs à faire pour agir ensemble. Mais agir ensemble, il faut s'entendre sur quoi ? Le pire, les salariés n'y croient plus. Tous les ans, nous faisons, certains syndicats, car je me garde, pour ma part, de faire des appels velléitaires à l'unité d'action. A partir du moment où rien en se passe derrière, les salariés finissent par douter de la capacité des organisations syndicales à agir et à agir ensemble. Donc je suis pour qu'avant de faire de telles déclarations tonitruantes, on prenne un peu plus de responsabilités dans ce que nous avons envie de faire ensemble.
E. Faux : Quel serait pour vous le portrait-robot du candidat idéal à l'élection présidentielle ? Allez-vous demander à tel ou tel candidat de s'engager sur l'objectif de la réduction du temps de travail hebdomadaire ?
N. Notat : Candidat idéal, je me méfie de ce qualificatif. Existe-t-il ? Il y a aujourd'hui, pour moi, de grandes préoccupations. Le futur élu à la présidence de la République, il me semble qu'il doit être capable de redonner de l'espoir sur le fait qu'il n'y a pas de fatalité dans notre société, à ce que nous nous enfoncions dans ces fractures sociales et dans ce niveau d'exclusion que nous connaissons. Si un candidat à la présidence de la République ne sait pas dire qu'il a des moyens d'intervention, qu'il a la volonté d'agir en ce sens-là, alors, effectivement, il continuera à y avoir de la défiance à l'égard de l'action politique. Mais en même temps, je lui demande un langage de vérité et donc, sur le temps de travail. Dossier prioritaire, il faut l'ouvrir. Attention, pas d'illusionnisme et pas d'hypocrisie : 35 heures sans perte de salaire, c'est le meilleur moyen de maintenir le statu-quo sur la réduction du temps de travail et de ne pas progresser dans la création d'emploi. Vive l'imagination sur le temps de travail.
Le Monde : 23 août 1994
Le Monde : Les signes d'une reprise économique et une légère amélioration sur le front de l'emploi sont perceptibles. A partir de ces éléments, quel discours entendez-vous tenir au gouvernement et au patronat ?
N. Notat : Plusieurs indicateurs paraissent témoigner que la récession, qui aura été particulièrement sévère, est dernière nous. Cependant, l'essai ne sera transformé que lorsque la reprise de l'activité se traduira également sur la consommation et sur l'investissement des entreprises [texte manquant] contexte, les mesures prises par le gouvernement ne se valent pas toutes. L'allocation de rentrée scolaire, qui correspond à une dépense de 6 milliards de francs pour l'État, présente l'avantage d'être ciblée dans son affectation. Elle aura un effet positif sur la consommation des catégories de ménages dont les revenus sont les plus faibles. Par contre, la politique de baisse des charges patronales n'a toujours pas donné de résultat tangible. Aussi, le gouvernement serait-il bien inspiré de geler la poursuite de la réduction des cotisations d'allocations familiales des employeurs, prévue dans le cadre de la loi quinquennale sur l'emploi. Ce gel devra être maintenu tant que le patronat ne se sera pas décidé à ouvrir des négociations d'envergure afin que cet allégement de charges ait un impact véritable en terme de créations d'emplois. Je crois en effet qu'il faut dissiper toute illusion : la reprise économique ne s'accompagnera pas spontanément d'un recul significatif du chômage. La réduction des charges sociales pas davantage.
Le Monde : On peut difficilement envisager des négociations interprofessionnelles avant la désignation, en décembre, du président du CNPF…
N. Notat : Je ne méconnais pas cette réalité. Mais cela n'empêchera pas la CFDT d'interpeller, dès la rentrée, le patronat dans les entreprises et les branches professionnelles. De nouvelles marges de manœuvre se dessinent, les résultats des entreprises se redressent. Qu'en font les dirigeants ? Il n'est pas soutenable que les chômeurs et les exclus, principales victimes de la crise, soient maintenant les laissés-pour-compte de la reprise. Les bénéfices de la croissance retrouvée doivent être équitablement répartis entre les salaires et les embauches nouvelles. Les termes de cette répartition doivent être équitablement répartis entre les salaires et les embauches nouvelles. Les termes de cette répartition doivent, à nos yeux, être au centre des revendications syndicales et des négociations dans les entreprises.
Le Monde : En matière de politique contractuelle, qu'attendez-vous du futur président du CNPF ?
N. Notat : Des engagements nets en faveur de l'emploi. Il existe dans ce pays un quiproquo énorme consistant – quoi qu'on en dise – à tout attendre de l'État pour venir à bout du chômage. L'État lui-même, selon les moments, le regrette ou l'alimente. Reconnaissons que les partenaires sociaux s'en accommodent souvent. Si l'impulsion et le rôle de l'État demeurent nécessaires, les solutions ne relèvent pas d'abord de l'ordre législatif ou réglementaire ; elles résident principalement dans la capacité d'initiative et d'innovation des acteurs de la société civile, en premier lieu des forces patronales et syndicales.
L'écart entre la nécessaire performance de nos entreprises comme de notre économie et l'état de dégradation du tissu social appelle des changements et des adaptations négociées dans la création, l'organisation et la distribution du travail. Il en est de même dans le système de formation et d'insertion des jeunes, dans le développement d'activités en rapport avec les nouveaux besoins de la société et des individus.
Le patronat ne peut pas éternellement se dérober à cette responsabilité-là. Les demandes de l'entreprise à l'égard de la société ne peuvent pas être à sens unique. Le CNPF se satisfera-t-il encore d'une situation où la politique contractuelle est essentiellement alimentée par l'État, en dépit des pétitions de principe sur l'autonomie de la négociation ? De ce point de vue, le dernier accord sur la formation professionnelle en est une belle illustration.
Le Monde : La CFDT a-t-elle l'intention de s'opposer à une éventuelle privatisation de Renault ?
N. Notat : Il est normal que le projet de privatisation de Renault – un événement qui n'aurait rien d'anodin – suscite un peu d'inquiétude chez les salariés. Nous serons très attentifs aux conditions dans lesquelles ce projet pourrait s'opérer, qu'il s'agisse du choix des nouveaux actionnaires, des garanties liées au développement industriel et, évidemment, à la qualité des relations sociales. Néanmoins, la CFDT ne veut pas se tromper d'objectif ni de cible quant à l'orientation de la mobilisation sociale de cette rentrée. Aujourd'hui, il y a mieux à faire que de se lancer dans une opération de diversion. Depuis longtemps, chacun sait que ce n'est pas le statut d'une entreprise qui détermine sa compétitivité et la façon dont elle mène ses restructurations. Du reste, les entreprises nationalisées n'ont pas suivi une politique de l'emploi bien différente de celle menée dans le privé.
Le Monde : Les mois qui viennent seront marqués par la préparation de l'élection présidentielle de 1995. Qu'attendez-vous de ce scrutin ?
N. Notat : Dans un contexte de mutations à l'issue incertaine, vécues comme autant de menaces sur l'avenir, les attentes des électeurs et les responsabilités des candidats seront considérables. Ceux-ci seront tenus d'annoncer clairement les choix qu'ils placeront au cœur de leur action. Plus que toute autre, cette élection focalisera sur elle les attentes et les espoirs des Français. Mais susciter un espoir nouveau n'est pas l'illusion. Aussi serons-nous sévères à l'égard de ceux qui se satisferaient de comportement frileux et attentistes que vis-à-vis de ceux qui adopteraient des comportements velléitaires par trop éloignés de leur capacité réelle à agir. La CFDT n'hésitera pas à dénoncer les hypocrisies, qu'elles viennent de droite (tout miser sur l'allégement des charges comme solution globale et radicale aux difficultés de l'emploi) ou de gauche (« les trente-cinq heures sans perte de salaire ») …
Le Monde : Vous nourrissez des craintes particulières à l'égard de la nouvelle direction du PS ?
N. Notat : Le Parti socialiste ne s'est toujours pas remis du traumatisme de sa défaite électorale de 1993. Il semble s'enfoncer dans une forme de culpabilisation collective assez incompréhensible à l'égard de son action gouvernementale. On le sent tenté par l'opposition pure et dure, la radicalisation des propositions. Si cela devait le conduire à faire de la surenchère sur le plan social ou à se considérer comme la super-organisation syndicale du pays, nous entrerions dans une période de rapports pour le moins tendus et conflictuels. La vie politique française a besoin d'un Parti socialiste qui joue son rôle sans confusion des genres.
Le Monde : Sur le plan syndical, la CGT lance régulièrement des appels à l'unité. Etes-vous toujours aussi peu disposée à y répondre ?
N. Notat : Les appels velléitaires et successifs à l'action ne garantissent pas que l'on parviendra à la mobilisation des salariés. Il existe un espace pour des actions de dénonciation et de résistance lorsque les propositions gouvernementales et patronales le justifient. La CFDT occupe et occupera ce terrain, seule ou avec d'autres, mais elle n'a pas du tout l'intention de se laisser enfermer dans les seules actions de dénonciation. Tout l'enjeu de cette rentrée sociale est de faire en sorte que le mouvement syndical puisse se placer en position offensive – et pas seulement réactive – en direction du gouvernement et du patronat.