Texte intégral
Le ministre d'État, ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du Territoire a présenté, lors du Conseil des ministres du 13 avril 1994, une communication relative au débat national sur l'aménagement du territoire.
Le Parlement devant être saisi, à l'issue du débat, d'un projet de loi d'orientation du territoire, il a paru utile de communiquer aux députés et sénateurs, le texte de l'intervention de Charles Pasqua à l'occasion de la conférence de presse qui a suivi le Conseil des ministres.
Le débat national pour l'aménagement du territoire décidé par le Conseil interministériel de Mende, le 12 juillet 1993, s'est déroulé dans l'ensemble des régions de France d'octobre 1993 à mars 1994.
Lancer un tel débat, dans une période de crise économique, constituait sans nul doute un pari.
Et pourtant, depuis le mois d'octobre 1993, le débat national a pris une ampleur telle que déjà plusieurs millions de Français ont pu s'exprimer.
Les principales collectivités territoriales, les acteurs institutionnels les plus importants ont apporté leur contribution à cette définition de la France de 2015 : schémas, propositions d'évolution des structures et des moyens constituent autant de facettes de l'image de notre pays dans vingt ans. Des besoins plus immédiats se sont affirmés. Les mesures concrètes qui leur répondent sont contenues dans le document d'étape qui est publié aujourd'hui.
Ainsi, progressivement, les Français se sont rendu compte que leur était donnée l'occasion de participer à un débat sans précédent, à un véritable exercice de démocratie directe, aux débuts d'une ambition partagée entre l'État, les collectivités locales et les citoyens.
Les rencontres avec les Conseils régionaux et les Conseils économiques et sociaux régionaux ont constitué un point fort de la concertation. Le Premier ministre s'est rendu dans 10 régions, le ministre d'État et le ministre délégué devant l'ensemble des Assemblées régionales.
Les Conseils généraux ont été directement associés au débat, ainsi que les associations de maires et les compagnies consulaires. Dans de nombreuses régions, la population, a été consultée, à l'initiative du corps préfectoral ou des Présidents de Conseil régional. La presse quotidienne régionale a apporté un concours important à cette sensibilisation des habitants.
À l'issue de cette première phase près d'un million de pages de contributions ont été reçues par la DATAR. Le document d'étape qui est publié aujourd'hui se veut la synthèse de ces propositions. Elle est ambitieuse et dessine une France à la fois plus équilibrée, plus solidaire et plus compétitive.
Désertification rurale, hyper concentration urbaine, place de la France en Europe, rôle de l'Ile-de-France et des métropoles, décentralisation, emploi : tels sont les grands enjeux que tous les intervenants assignent à la politique de l'aménagement du territoire, pour laquelle tous – c'est à souligner – souhaitent que l'État joue à nouveau pleinement son rôle de garant des grands équilibres entre les territoires et de l'égalité des chances entre les citoyens.
Placer l'homme au cœur du développement, par la mise en valeur de l'endroit où il vit, voilà sans doute l'aspiration du plus grand nombre
Une France plus équilibrée et plus solidaire, tel est le premier objectif de la politique d'Aménagement du Territoire.
Une forte prise de conscience s'est dégagée, au fur et à mesure que le débat a dépassé les vieilles querelles Paris/province, villes/campagnes, métropoles/villes moyennes.
Posée au départ en termes de concurrence, la question de l'aménagement du territoire s'est rapidement déplacée sur le terrain de la complémentarité. L'inquiétude qui progresse devant l'évolution d'une société qui exclut et marginalise de plus en plus rapidement les individus et notamment les plus jeunes a permis cette prise de conscience en ce qui concerne aussi les territoires.
L'idée d'une France à plusieurs vitesses est massivement rejetée. La cohésion est perçue comme facteur de développement.
Deuxième objectif : Une France plus compétitive par la reconquête de son territoire.
Aussitôt que les citoyens y ont participé, le problème de l'emploi est venu au centre du débat. La localisation des hommes suit celle des emplois. Ce fut la mission du mouvement vers les villes et il serait illusoire d'imaginer une « reconquête du territoire » qui ne poserait pas, d'abord, la question de l'emploi.
Pour beaucoup, la politique d'aménagement du territoire recèle en elle-même un potentiel de croissance, potentiel qui pourrait s'ajouter aux cieux moteurs de notre économie, la consommation intérieure et l'exportation.
La « mise à niveau » de la France dans la compétition internationale par la réalisation de grandes infrastructures de communication et le développement des moyens de formation, d'une part, la mise en valeur, par le développement local, des richesses naturelles, culturelles de chaque territoire, les activités et services nouveaux qu'elle entraînerait, d'autre part, apparaissent comme un gisement insuffisamment exploité d'entreprises et d'emplois.
Elle pourrait ainsi libérer de nombreuses énergies.
Placer la France au cœur de l'Europe apparaît également comme un objectif prioritaire
C'est un enjeu essentiel et bien mesuré dans la plupart des régions. Le centre de gravité de l'Europe se déplace vers l'Est et l'élargissement vers l'Europe du Nord et de l'Est ne fera qu'accentuer cette tendance.
La concentration des centres de décisions politiques et économiques et, partant, des richesses et des hommes autour d'un axe Londres, Bruxelles, Francfort, Milan, peut ainsi conduire à marginaliser peu ou prou les deux tiers de notre territoire national.
Le rééquilibrage du développement européen vers l'Ouest et vers le Sud-Est, pour notre pays, une priorité vitale. L'Arc Atlantique, reliant la Grande-Bretagne, la France et la péninsule ibérique, et la ceinture méditerranéenne, Espagne, France, Italie, sont d'indispensables contreforts de ce développement.
La réalisation de liaisons transversales Est-Ouest est tout aussi nécessaire, ainsi que celle des grandes artères ferroviaires, aériennes, fluviales – et désormais électroniques – permettant à notre territoire d'attirer sa part des grands flux économiques et d'irriguer le territoire en développant les services correspondants.
La mise en œuvre de cette armature européenne de la France est la condition de l'émergence des espaces métropolitains de rang international dont notre pays a besoin.
La France de 2015
La France de 2015 que souhaitent les Français apparaît ainsi plus compétitive, parce que plus cohérente et plus attractive. C'est une France où chaque territoire, chaque « pays », trouverait sa propre vocation.
Les moyens du développement, les infrastructures, les pôles de formation et de recherche et les équipements culturels, notamment, y seraient plus équitablement répartis, la qualité de l'environnement davantage mise en valeur.
Cette égalité de chances entre toutes les collectivités une fois assurée, chacune pourrait, dans le cadre de compétences clairement définies, conduire seule ou en association avec d'autres, ses projets de développement, grâce à une fiscalité plus transparente, mieux identifiée par niveau de collectivité, l'État assurant pour sa part une plus forte péréquation.
Dans cette France-là, existeraient des solidarités nouvelles organisées au sein de « bassins de vie », idée forte partagée dans l'ensemble des régions, aussi bien par les élus que par les socioprofessionnels et les habitants. Ces bassins de vie pourraient constituer, notamment en milieu rural, le nouveau périmètre de la présence des services publics, au plus proche des enjeux locaux. Beaucoup voient là, à terme, le cadre d'exercice d'une démocratie locale rénovée.
L'organisation des villes en réseau, entre métropoles et villes moyennes, entre villes moyennes d'une même aire géographique, entre villes moyennes et bourgs-centres des bassins de vie, permettra, dans une France aux télécommunications avancées, de relier les activités et les habitants entre eux et de mettre en valeur la totalité de notre espace.
L'éducation, la culture, le télétravail et les téléservices notamment, bénéficieront directement de ces nouvelles technologies.
Le redéploiement dans les métropoles régionales de grandes fonctions administratives, de services et d'entreprises publics, actuellement concentrés en Ile-de-France apparaît également comme un vecteur puissant de rééquilibrage de la France, sans que soit remise en cause la fonction capitale de Paris.
L'État, ainsi redéfini, est à l'image de cette France de 2015 : à Paris, les fonctions de souveraineté, qu'elles s'exercent toujours dans le cadre national ou qu'elles soient désormais partagées au niveau européen ; dans les principales métropoles, les fonctions administratives et techniques implantées de façon à conforter et à fertiliser les grandes vocations régionales.
Les grands réseaux de communication ne s'organisent plus seulement en étoile autour de Paris, mais relient directement les métropoles régionales à leurs homologues européennes.
Une nouvelle architecture de la France en Europe se dessine ainsi, dans laquelle le critère de distance-temps, qui a façonné la carte administrative et politique de la France, aura été adapté aux modes de communication et d'échange du XXIème siècle, au lieu de rester figé selon ceux du XIXème.
C'est à cette France de demain que l'État, comme les collectivités locales, doivent se préparer.
De très nombreuses propositions répondent à cet objectif
Les premières concernent les acteurs de la vie publique. Une meilleure association des citoyens, l'approfondissement et la clarification de la décentralisation, l'incitation à la coopération entre les collectivités, la réforme des finances locales et principalement celle de la taxe professionnelle, en permettant une réelle péréquation des ressources, doivent rétablir la solidarité entre les territoires et l'égalité des chances entre les citoyens, principes dont l'État doit demeurer le garant, notamment par la présence du service public. La déconcentration des services de l'État sera achevée.
Une deuxième série de propositions définit une nouvelle politique d'aménagement du territoire, autour de deux idées fortes :
Il s'agit d'abord d'enclencher le processus du développement local, en favorisant la création d'entreprises, d'activités et d'emplois, par des incitations fiscales et financières appropriées. Les espaces ruraux et urbains les plus menacés en bénéficieront prioritairement. La mobilité des entreprises et des emplois sera encouragée.
Il s'agit aussi d'accélérer les grandes infrastructures et les grands équipements nécessaires pour mettre la France au niveau de ses concurrents internationaux, en mobilisant les moyens financiers indispensables à cet effort d'investissement national et régional.
La loi d'orientation du territoire fixera le cadre assurant la cohérence de toutes les politiques à mettre en œuvre : un schéma national de l'aménagement du territoire inscrit dans la loi, définira l'organisation du territoire pour les vingt prochaines années, et pourra être révisé par le législateur tous les cinq ans.
Les moyens de l'État seront unifiés et la loi de finances présentée de façon à mieux faire apparaître les investissements de l'État et l'effort consenti en faveur de chaque Région.
Le document d'étape est donc la synthèse des propositions émises depuis octobre 1993. Son contenu doit être débattu, complété et amendé au cours de la deuxième phase du Débat qui se déroulera durant le 2ème trimestre 1994. Dans les prochains jours ce document ainsi qu'un dépliant plus succinct feront l'objet d'une large diffusion.
Les organismes nationaux, mais également tous les acteurs ayant participé à la première phase seront appelés à se prononcer, d'ici au 6 mai prochain, sur les orientations retenues dans le document d'étape.
Le projet de loi d'orientation sera soumis au Conseil des ministres du 8 juin 1994.
Édition SIRP, chef de service Olivier Dubaut