Texte intégral
Nous savons tous la place qu'occupent les métiers d'art dans notre patrimoine culturel et ce qu'ils apportent à la qualité de notre vie.
Ce secteur en difficulté, représente, il faut le rappeler, 30 000 entreprises pour un chiffre d'affaires de 83 milliards de francs dont 1/3 à l'exportation, soit l'équivalent du secteur automobile.
Véritable vivier d'emplois, il faut redonner à ces professions la considération, le pouvoir d'attraction et les conditions de vie décentes et parallèlement restaurer le goût du public pour les œuvres qu'elles créent ou qu'elles font revivre.
L'État et les collectivités locales pleinement conscients des enjeux économiques européens et internationaux ont donc décidé de mettre en œuvre une politique d'incitation en faveur des métiers d'art.
L'État, pour sa part, grâce à l'action menée par Alain Madelin et son département ministériel, est particulièrement présent dans ce domaine, à double titre :
– par une politique législative destinée à alléger les charges sociales et les contraintes administratives des PME/PMI et des travailleurs indépendants ;
– par l'action menée au plan national par la SEMA, sous la tutelle de la direction de l'Artisanat. La société d'encouragement aux métiers d'art œuvre depuis sa création, faut-il le rappeler, à la transmission des savoir-faire, à la formation et à la sensibilisation des jeunes, enfin à l'insertion de ces métiers dans l'économie locale.
Elle y réussit fort bien grâce aux prix quelle décerne, aux bourses qu'elle attribue aux jeunes, on peut dire que les métiers d'art sont dans de bonnes mains !
Les collectivités publiques sont également actives dans ce domaine. C'est le cas de la ville de Paris et de son maire Jacques Chirac, qui mène, par l'intermédiaire de Gabrièle Mass, son adjoint, une action permanente de reconnaissance des métiers d'art et qui réagit face aux mouvements migratoires des artisans du faubourg Saint-Antoine en réaménageant à leur intention les voûtes du viaduc de l'avenue Daumesnil, rebaptisé « le viaduc des arts ». Le maire du XIIème arrondissement, Paul Pernin et Danièle Tartanson, directeur de la Société d'Économie Mixte d'Aménagement de l'Est Parisien (SEMAEST), proposent aux artisans de ces métiers la location des 60 voûtes du viaduc à des tarifs préférentiels.
J'en resterai à cette rapide évocation, le projet étant en cours de réalisation.
Le ministre de la culture, pour sa part, n'avait jusqu'à présent pas placé le secteur des métiers d'art parmi ses actions prioritaires.
Si le patrimoine immobilier fait l'objet d'une loi de protection et bénéficie d'une politique active de restauration et de mise en valeur, j'ai souhaité y intégrer ce patrimoine immatériel, vivant, que sont les métiers d'art, vecteurs accessibles de notre culture.
Ma politique de relance des métiers d'art comprend donc trois axes principaux avec, pour pôle de référence, le Conseil des métiers d'art, qui se traduit par :
I. – Un soutien direct aux secteurs de création relevant du ministère
1. Le mobilier national, les manufactures
J'ai confié à Jean-Pierre Samoyault, nouvel administrateur général du mobilier national et des manufactures (Gobelins, Beauvais, la Savonnerie) une mission de développement et de mise en valeur artistique de ces institutions.
Véritable conservatoire des techniques anciennes, le mobilier national et les manufactures sont un lieu de soutien aux métiers d'art dans les actions de conservation, d'entretien et de restauration, de création, de production et de formation.
La tapisserie traversant une crise toute particulière due à la désaffection du public et à son prix de revient, crise durement ressentie par Aubusson, ancienne manufacture royale où les ateliers sont privés, j'ai donc décidé d'amplifier le soutien du ministère en prévoyant un plan de commandes de 3,9 MF en 1994.
La Délégation aux art plastiques achète des cartons aux créateurs, les galeries finançant le tissage, puis exposant et vendant les tapisseries.
En 1993, le Conseil économique et social a commandé un carton de tapisserie « éclatée » en 12 blasons à Joël Auxenfants dont le tissage vient d'être terminé par les ateliers d'Aubusson et l'ensemble inauguré très prochainement.
Enfin, j'ai décidé de lancer une ambitieuse commande de tapisserie au titre du 1 % pour la Bibliothèque Nationale de France.
2. La manufacture de Sèvres
La manufacture de Sèvre, en dehors de sa vocation purement patrimoniale, développe de plus en plus la recherche et la promotion de l'art vivant dans son atelier expérimental en collaborant avec des artistes comme Ettore Sottsass, Pierre Alechinsky, et bien d'autres.
Chaque année, elle met à la disposition du public mille objets dans ses deux points de vente (Sèvres et Paris).
3. Le verre et les vitraux
La Délégation aux Arts Plastiques avec la Direction du Patrimoine favorise l'intervention d'artistes vivants associés à des artisans dans monuments historiques, notamment à travers la création de vitraux contemporains.
C'est le cas de Conques que j'ai visité alors que le programme était en cours de réalisation.
Pierre Soulages et Jean-Dominique Fleury, l'artiste et le maître-verrier, ont dû s'affronter, se comprendre, pour arriver à donner à ces vitraux toute l'austérité et tout le dépouillement conforme à l'art roman.
II. – Une incitation à la consommation du public.
Pour développer cette tendance, il faut pouvoir présenter les créations au public, pour l'inciter à l'achat.
1. Le réaménagement du bâtiment Formigé au mobilier national
L'ancien musée des Gobelins, construit en 1913 par Formigé, sera destiné dans sa totalité à la présentation des activités des manufactures et du mobilier national dans leur triple mission de conservation, de production et de création sous la forme d'expositions temporaires des collections, en particulier des tapisseries. L'objectif est la restitution d'ici la fin 1995 de l'intégralité du site des Gobelins au profit des seules activités des manufactures et du mobilier national.
2. Le redéploiement des collections au musée des arts décoratifs à Paris
Le musée des arts décoratifs occupe depuis 1905 l'aile de Marsan du Palais du Louvre. Il présente, outre les collections classiques (tapisseries, mobiliers, objets) du Moyen-Âge jusqu'au XIXème siècle, une très riche collection d'art nouveau, d'art déco et de design contemporain.
À la suite du départ du ministère des Finances, les musées de l'Union Centrale des Arts Décoratifs (incluant le musée de la Mode inauguré en janvier 1986) se sont vu affectés 2 500 m2 supplémentaires dans l'aile de Rohan. Cette extension de surface, ainsi que la création en sous-sol du Carrousel destiné à abriter les réserves et ateliers de l'UCAD, a permis d'organiser un remodelage complet des musées de l'Union des Arts Décoratifs. L'achèvement de cette rénovation est prévue pour l'année 1997.
III. – Un transfert du savoir-faire en maintenant la qualité de la transmission
1. Le réaménagement de l'École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs (ENSAD) à Paris
Une première campagne de restructuration de l'ENSAD est engagée en 1982, par le ministère ; la seconde l'est en 1992 sous l'impulsion de Richard Peduzzi, architecte d'intérieur et scénographe de notoriété internationale, directeur de l'ENSAD depuis 1990.
L'équipe d'architectes Luc Arsène-Henry, Philippe Starck et Pascal Cribier chargée de ce réaménagement à l'issue d'un concours, propose un projet, d'une grande force architecturale, symbolisant les objectifs pédagogiques de l'école.
Pendant la durée des travaux dont l'achèvement est prévu en septembre 1997, l'ENSAD s'est installée à Ivry dans une ancienne usine de métallurgie réhabilitée.
2. Nouveau projet, nouveaux locaux pour l'École Nationale des Arts Décoratifs (ENAD) de Limoges
L'ENAD de Limoges quittera ses locaux presque séculaires pour investir en octobre, un bâtiment neuf dessiné par les architectes Finn Geipel et Nicolas Michelin.
Pour cette école qui dispense un enseignement de cinq années à des étudiants recrutés sur concours après le baccalauréat, ce déménagement matérialise un nouveau projet.
Elle favorisera l'élargissement du recrutement aux étudiants de toute la France et de l'étranger. Les deux premières années d'enseignement se situent dans un cadre généraliste où prévalent la culture générale et l'expérimentation plastique. Deux options, Art et Design, sont proposées à partir de la troisième année. L'école s'est, en outre, dotée de nouveaux Départements d'activités : le CRAFT (Centre de Recherche des Arts du Feu et de la Terre), un lieu d'exposition et un atelier technique pour les arts du feu, (accueillant des artistes leur permettant de créer des œuvres originales à partir de la porcelaine.
Dans le panorama des cinquante-cinq écoles d'art françaises, la nouvelle École Nationale d'Art Décoratif de Limoges présente donc une double originalité : son atelier technique « Arts du feu » et son identité, l'art décoratif.
3. L'École Nationale d'Art Décoratif d'Aubusson
Fondée en 1884, l'école d'Aubusson, spécialisée dans les arts et techniques de la tapisserie, connaît depuis la rentrée 1993-1994, un nouveau cursus composé de trois années d'étude ponctuées par deux nouveaux diplômes :
– la Capacité aux Arts et Techniques de la Tapisserie (CATT) ;
– le Brevet des Métiers d'Art « Art et techniques du tapis et de la tapisserie de lisse » (BMA), de niveau IV (Baccalauréat).
Par ailleurs, l'école assure encore et pour la dernière année une préparation au CAP « Art du tapis et de la tapisserie de basse lisse ».
(Évoquer brièvement l'atelier de restauration de Rennes appelé à devenir un centre interrégional de conservation et de restauration du patrimoine pour l'Ouest de la France).
Au carrefour de ces actions de soutien et d'incitation en faveur des métiers d'art, se situe le Conseil des métiers d'art.
VI. – Le conseil des métiers d'art
En référence à la tradition japonaise de nomination des trésors vivants et au titre du patrimoine immatériel qu'il faut protéger, j'ai souhaité désigner, dès cette année, vingt artisans pour leur attribuer une aide financière de 100 000 F afin qu'ils puissent transmettre et sauver leur savoir-faire. Ils seront nommés maîtres d'art et tradition.
Pour les sélectionner, il m'a paru nécessaire de faire appel à leurs pairs pour recenser et établir les métiers à sauvegarder. J'ai donc demandé à quarante d'entre eux d'appartenir à cette nouvelle assemblée en acceptant d'être membre du Conseil des métiers d'art, pendant trois ans.
Cette liste n'est pas exhaustive, les talents sont nombreux.
Le choix difficile a été dicté par le croisement d'un certain nombres de paramètres bien précis :
Un certain professionnalisme
J'ai fait appel à des personnes confirmées dans leur art ou dans l'action qu'elles mènent en faveur des métiers d'art auxquelles j'ai souhaité ajouter de jeunes talents.
La diversité des secteurs
Tous ne peuvent pas être représentés dans cette première composition.
Ont été retenus les secteurs liés à un matériau :
– la terre pour les céramiste et émailleur ;
– le textile pour les brodeur, tisserand, passementier, dentellier ;
– les métaux pour les coutelier d'art, sculpteur-orfèvre, joaillier, glypticien, fondeur d'art, forgeron ;
– le verre pour les bombeur sur verres et maître-verrier ;
– le papier pour les relieur d'art, graveur, illustrateur, calligraphe...
Également ceux liés à la restauration :
– la facture instrumentale pour les luthier-archetier et facteur d'orgues ;
– les doreur, doreur sur bois, ébéniste, marqueteur, restaurateur de tapis-tapisserie.
Les métiers du spectacle y ont bien entendu leur place : avec les costumier, perruquier, décorateur, marionnettiste et décorateur forain.
Enfin, la mode, vecteur sensible et fragile de notre culture avec différents créateurs.
Dernier critère, la diversité des régions avec un équilibre relatif entre la province et Paris.
Vous verrez figurer dans ce Conseil des artisans venus de Bretagne, dans l'Est, le Sud-Ouest ou la Bourgogne.
Vous pourrez être étonnés de ne voir figurer aucun représentant des fédérations, des syndicats ou des chambres consulaires. S'ils n'appartiennent pas au Conseil en tant que tel, ils seront en revanche invités à participer activement aux travaux en commissions, au même titre que les représentants des ministères concernés.
Un rappel rapide du fonctionnement de ce Conseil.
Il se réunira en séance plénière trois fois par an minimum et se répartira en commissions restreintes pour y aborder des thèmes plus concrets et être ainsi le porte-parole de l'ensemble des secteurs des métiers d'art.
Leurs travaux devront me guider dans les actions prioritaires, d'ordre économique et social, d'une politique qu'il faut mettre en œuvre dans ce domaine, tant en matière de sauvegarde que de promotion de ces métiers.
Pour terminer, vous avez noté la présence d'Étienne Vatelot à mes côtés.
Artisan et expert de renommée mondiale, Étienne Vatelot n'a cessé de se battre pour la mise en valeur de ces savoir-faire.
Devenu Président de la SEMA, il a mis toute son ardeur au service de la formation et de l'insertion économique de ces métiers au plan national et international.
Par souci de complémentarité entre nos actions respectives, il nous a paru logique, à Alain Madelin et à moi-même, de demander à Étienne Vatelot d'assurer la présidence de ce Conseil, persuadés l'un comme l'autre d'avoir fait le meilleur choix.
Il sera donc chargé d'animer le Conseil, de mettre en place son organisation interne afin de me proposer la liste de pré-sélection des vingt maîtres d'art et tradition pour 1994, puis la synthèse des travaux effectués en commissions permettant de définir les orientations d'une politique.
En conclusion, je rappellerai la phrase de Michel Serres qui dit ne jamais penser aussi bien que quand il a les mains occupées.
Je souhaite donc au Conseil des métiers d'art une excellente réflexion.
Je passe la parole au Président qui aura l'honneur de conclure cette conférence.