Interviews de M. Gérard Longuet, ministre de l'industrie des postes et télécommunications et du commerce extérieur et président du PR, à RTL le 28 avril, "Le Figaro" le 29 avril, France 2 le 26 mai, "le Point" le 28 mai et "Libération" le 8 juin 1994, sur l'enquête menée sur son patrimoine et sur les finances du PR (construction d'une maison à Saint-Tropez, sociétés Investel et Avenir 55).

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : RTL - Le Figaro - France 2 - Le Point - Libération

Texte intégral

RTL : jeudi 28 avril 1994

R. Artz : Après s'être intéressé aux comptes du PR, dont vous avez été naguère le trésorier, le juge Van Ruymbeke s'interroge sur votre patrimoine, notamment deux acquisitions immobilières, une à Paris, l'autre à Saint-Tropez. Avez-vous pu être, dans ce domaine, imprudent ?

G. Longuet : Je suis enchanté de pouvoir parler de cette affaire et d'en parler très directement car à travers mon image, c'est d'une certaine façon les hommes politiques et surtout l'image d'un parti politique, du PR, d'une région, d'une entreprise – celle qui est citée dans le journal – et c'est ma réputation personnelle et celle de ma famille. J'ai longtemps hésité – pendant 48 heures – et j'ai choisi de parler complètement. Je ne le ferai pas ce matin à RTL car nous n'avons pas le temps. Je donnerai deux interviews aujourd'hui même, qui paraîtront demain au Républicain lorrain, parce que c'est la Lorraine, et pour moi c'est important, et au Figaro parce que je suis un homme de droite et c'est le quotidien national qui véhicule le plus mes idées. J'ai la certitude absolue d'apporter la démonstration que les insinuations et la diffamation – je pèse mes termes – qui ont été utilisées contre moi sont absolument sans fondements. Je ne vais pas entrer dans le détail maintenant. Je regrette simplement – et je le dis parce que RTL est la première radio de France – qu'un journaliste, M. Thomas, ait cru traiter autant d'assertions fausses, diffamatoires et parfaitement contraires à la réalité, sans prendre le soin de vérifier ces informations. C'est parfaitement scandaleux.

R. Artz : Vous pouvez dire cela dans tous les médias qui ont traité la question, on n'est pas les seuls…

G. Longuet : Ce n'est pas le problème. Le problème c'est que je suis à RTL, la première radio de France, et qu'on n'a pas le droit de prendre ce type de responsabilité face à un homme qui représente plus que lui-même, sans avoir fait l'effort de recouper ces informations.

Q. Vous savez très bien que c'est par la justice que tout cela vient…

G. Longuet : Pas du tout. Il y avait information. On a le droit et on a le devoir, lorsqu'on est journaliste, de recouper ces informations. Tel n'a pas été le cas lorsque des informations majeures ont été diffusées mardi par deux quotidiens français. Vous êtes la première radio de France…

R. Artz : Ce sont ces quotidiens que vous mettez en cause également…

G. Longuet : Naturellement, mais quand on est la première radio de France on ne traite pas à la légère ce type de sujet, je le dis avec gravité. Deuxième certitude : le PR n'a rien à voir avec l'affaire Trager. Rien à voir. Et s'il avait à voir quelque chose, croyez-moi, depuis 9 mois, le conseiller chargé de cette enquête multiplie les auditions, je suis persuadé qu'il aurait mis en examen les responsables du PR. Aucun responsable du PR n'a été mis en examen, n'est mis en examen et – j'en suis persuadé – ne sera mis en examen dans cette affaire.

R. Artz : Mais enfin…

G. Longuet : Laissez-moi terminer. Quant à mon patrimoine personnel, je suis marié avec une femme qui est avocat. Nous sommes mariés depuis 27 ans. Je suis un cadre supérieur, c'est une profession libérale qui a réussi. Mon patrimoine est parfaitement conforme à ce qu'on peut espérer dans ce type de situation. Et puisqu'il faut se mettre tout nu devant les journalistes, c'est la méthode aujourd'hui, je le ferai avec l'amertume d'un homme qui s'est engagé dans la vie publique pour ses convictions et qui n'est pas là, nécessairement, pour rendre des comptes à des insinuations. Je le ferai cependant pour la confiance que me portent mes amis du Parti républicain, pour mes amis lorrains et pour l'honneur de ma famille.

R. Artz : Vous, vous en êtes pris aux journalistes, mais que dites-vous du juge ?

G. Longuet : Non ! je ne m'en suis pas pris « aux journalistes » : je m'en suis pris à M. Thomas, qui en trois minutes, a repris à son compte des assertions qu'il n'a pas vérifiées personnellement. Il y a des journalistes en France : l'immense majorité ont fait leur travail et ont essayé de recouper les informations. Ceux qui n'ont pas recoupé les informations et qui les ont présentées comme telles n'ont pas fait leur métier comme ils doivent le faire. C'est tout. Et quant au juge, il fait son métier et je répondrai comme je réponds aux services fiscaux. Je l'ai toujours fait. Je veux que vous sachiez que lorsqu'un ministre accède aux responsabilités – je l'ai fait deux fois, en 86 et 93 – il doit rendre des comptes au fisc et fait l'objet d'un examen rapide de sa situation. En 1986, comme en 1993, ma situation n'a fait l'objet d'aucune remarque. Ce sont des choses que vous ne savez peut-être pas mais qu'on a peut-être le devoir de savoir quand on est journaliste avant de répéter ce type d'informations. Ce n'est pas le juge qui est en cause : c'est la façon dont l'instruction et des informations sans fondements et sans vérifications sont colportées avec complaisance. Chacun fait son métier. Lorsqu'un homme politique annonce un chiffre, que ce soit le chiffre du chômage, du commerce extérieur, de l'emploi, il vérifie ce chiffre. Et vous, journalistes, à juste titre, vous lui demander de vérifier ces chiffres. Je demande la même chose.

R. Artz : En tout cas, on vous a laissé vous exprimer…

G. Longuet : Et j'y suis très sensible parce que RTL est une radio que j'aime, c'est la radio des Lorrains, en particulier.

R. Artz : Avez-vous été surpris que le RPR choisisse H. Carrère d'Encausse comme numéro 3 sur la liste commune de la majorité aux européennes ?

G. Longuet : C'est une femme formidable et c'est pour le RPR un choix extraordinairement judicieux parce que c'est un choix d'ouverture, de dimension internationale. H. Carrère d'Encausse est connue en France, en Europe. Lorsqu'elle siégera à Strasbourg, elle sera, pour notre majorité, pour l'union de la majorité, solidaire autour de D. Baudis, un formidable porte-parole. J'en suis fier. En plus, on manque de femmes en politique. Elle entre par la grande porte. Tant mieux.

R. Artz : Il y aura aussi des membres du RPR de longue date sur la liste ?

G. Longuet : Je le souhaite.

R. Artz : Un sondage BVA indique que J. Chirac revient en force dans la course aux présidentielles. Comment peut se gérer la rivalité J. Chirac/E. Balladur dans ces conditions, si chacun d'eux est clairement en mesure de battre la gauche ?

G. Longuet : C'est une chance pour la majorité d'avoir des candidats qui sont tous les deux capables de battre la gauche. Chacun a sa personnalité. E. Balladur assume la responsabilité du gouvernement. Ce n'est pas facile tous les jours. Je suis très optimiste pour le gouvernement. Le plus dur est fait. Je me réjouis que J. Chirac, qui est un homme de qualité, ne soit pas méconnu. Maintenant, c'est leur problème à eux deux. J'appartiens à l'UDF. Nous regarderons cette confrontation avec beaucoup d'attention mais ce n'est pas à nous de porter les jugements sur des hommes de qualité.

R. Artz : L'UDF devra trancher à un moment, d'un côté ou de l'autre…

G. Longuet : Je le souhaite. Je souhaite en particulier que l'UDF puisse le faire à l'occasion de son renouvellement statutaire.

R. Artz : La reprise économique : à quelles conditions peut-elle apparaître comme crédible aux yeux des Français ?

G. Longuet : Ce qui est nouveau et qui est important, c'est la reprise allemande. L'Allemagne nous tire vers le haut. Elle nous tirait vers le bas jusqu'à présent. Je suis donc optimiste. Ce que le gouvernement a fait va être relayé par la reprise allemande.

R. Artz : La prime de 5 000 francs sur le remplacement des voitures a été un succès. Vous avez une autre idée en réserve du même genre ?

G. Longuet : Je ne l'ai pas encore aujourd'hui.


Le Figaro : 29 avril 1994

Le Figaro : Votre train de vie et votre patrimoine font aujourd'hui l'objet de deux commissions rogatoires. Vous ne souhaitiez pas vous exprimer, jusque-là, sur l'enquête en cours. Pourquoi le faire aujourd'hui ?

Gérard Longuet : Parce que nous sommes passés des insinuations à la calomnie. Je dois donc me défendre par devoir. Pour ce que je représente en qualité de président du Parti républicain. Pour l'honneur de mes proches et celui de mes amis, également mis en cause. Je le fais sans plaisir, car j'ai toujours protégé le plus possible ma vie privée. Mais c'est le seul moyen de tordre le cou à des contre-vérités désolantes et désastreuses.

Depuis que je suis personnellement visé, je crois avoir tout entendu. On a même dit que mon épouse, Brigitte, était une « riche héritière ». C'est faux. Nous avons eu des débuts difficiles. Et nous avons toujours travaillé. Mon épouse depuis vingt-six ans, moi depuis vingt-sept. Tout ce que nous avons, nous l'avons payé avec l'argent de notre travail. Notre patrimoine est celui d'un couple de cadres supérieurs qui travaillent tout deux depuis plus de vingt ans.

Le Figaro : Justement, dans son enquête, le juge Van Ruymbeke s'intéresse à l'achat d'un appartement, que vous avez revendu en 1993, avenue Victor-Hugo, à Paris (XVIe). Comment aviez-vous financé cette opération ?

G. Longuet : Il n'y a rien à cacher. J'ai acheté cet appartement de 138 m2 en 1984, soit quatre ans avant l'apparition de la fameuse « commission Trager », ce qui montre bien l'absence de tout lien avec cette affaire. Pour la somme de 1,8 million de francs. Mon apport personnel était d'un tiers. J'avais en effet perçu 600 000 francs d'indemnités d'éviction d'un autre appartement que j'occupais auparavant, rue Cortambert. J'ai contracté un emprunt auprès du CCF. Pour le reste, j'ai réglé des mensualités de 14 000 francs de 1984 à 1991. Avec les revenus d'avocats de mon épouse et mes indemnités de député au Parlement européen, nous avons pu faire face à cette charge d'emprunt. Il n'y a pas eu un sou de liquide lors de cette transaction effectuée devant notaire. Cet achat s'est déroulé dans les règles, documents à l'appui.

Le Figaro : La même commission rogatoire évoque également le financement de la construction, à Saint-Tropez, d'une résidence secondaire. Quelles sont vos explications sur ce point ?

G. Longuet : Dès 1986, nous avons eu le projet, avec mon beau-frère, de faire bâtir une maison commune, « familiale », à cet endroit. Finalement, nous avons opté pour deux maisons séparées, construites sur un terrain à diviser, et pour cela nous avons constitué comme c'est l'usage, une SCI. Je disposais de moyens inférieurs à ceux de mon beau-frère. J'ai donc choisi la parcelle de terrain placée près de la route et ne bénéficiant pas de l'ouverture sur la mer. J'ai donc payé moins cher, un tiers du prix global parce que mon terrain valait à l'évidence moins cher. Nous avons versé exactement 1 050 000 francs entre 1986 et 1990, prélevés pendant ces quatre années sur nos revenus.

Pour la construction, j'ai fait réaliser des travaux par un entrepreneur ami, de Bar-le-Duc, que je connaissais depuis longtemps et en qui j'avais toute confiance. Il venait travailler pendant la morte saison. Ce qui explique que le chantier se soit étalé sur trois ans. Ce qui m'arrangeait financièrement. Contrairement à ce qui a été dit, cette entreprise a bien été réglée, régulièrement et en chèques, de 1989 à 1991. Fin 1990, 90 % du chantier était déjà payé, et payé par chèques bancaires, je le rappelle.

Le Figaro : Ce n'est pourtant pas ce que dit le contrôleur du fisc, Alain Ducrocq. Dans un rapport remis fin 1991, il affirme, après avoir vérifié les comptes de Céréda SA, que vous n'aviez pas honoré votre commande…

G. Longuet : C'est une erreur née d'une confusion entre les dates. Premier point, le contrôleur a vérifié la comptabilité des années 87 et 88 de cette entreprise. Il y a trouvé le devis de notre maison, et aucun règlement. Et pour cause ! Les versements ont commencé le 22 mai 1989, lorsque le chantier a véritablement démarré. Alain Ducrocq a rendu son rapport sur l'exercice 1987 et 1988, alors qu'il l'a remis en 1991. C'est ce qui explique cette apparente contradiction. Deuxièmement, pour financer l'opération, j'ai bénéficié d'un prêt-relais auprès de deux établissements bancaires pour les trois premiers versements. Il n'y a pas eu de travaux entre mai 1989 et février 1990, puisque tous les permis de construire de Saint-Tropez avaient été suspendus à l'époque par le maire d'alors, Alain Spada. J'ai achevé de payer les travaux en 1991 et 1992 grâce à la vente de la société Investel.

Le Figaro : Pouvez-vous éclaircir ce dernier point ?

G. Longuet : Investel est un fonds d'investissements que j'ai créé fin 1988. Cela a été la seule opération réalisée en tant qu'actionnaire. Naturellement, je n'ai reçu aucun salaire. J'ai revendu Investel en 1991, quand je suis devenu président du PR, après que Nostalgie fut passée de 4 millions de pertes à 10 millions de bénéfices. Cette vente m'a rapporté 2 350 000 francs, déclarés en 1991 et imposés. Cet argent m'a permis de solder l'emprunt contracté pour l'avenue Victor-Hugo, de payer les frais courants d'Avenir 55, c'est-à-dire de ma permanence, et de continuer à payer le chantier de Saint-Tropez.

Le Figaro : La deuxième commission rogatoire délivrée aux policiers du SRPJ de Rennes vise une société commerciale, Avenir 55, dont vous étiez le gérant jusqu'en juin 1993. Pouvez-vous justifier son activité et les confortables entrées d'argent dont elle semble avoir bénéficié ?

G. Longuet : Très certainement. La société Avenir 55 a été créée en 1987 pour gérer ma permanence. En 1986, j'ai fait du conseil d'entreprises. J'avais acquis une certaine compétence. Cette démarche, je le précise, est totalement légale. L'entreprise a démarré lentement, pour connaître un point haut en 1990. Élu président du PR, j'ai décidé de la mettre en sommeil ; j'ai livré ma dernière étude en 1991, puis revendu Avenir 55 à la valeur du nominal, soit 50 000 francs. En quatre ans d'activités, cette société à réalisé 2 millions de chiffre d'affaires. Je touchais environ 12 000 francs par mois, impôts payés.

Le Figaro : Qui était les clients d'Avenir 55 ?

G. Longuet : Des grandes sociétés. Ce qui est fondamental, c'est qu'aucun versement d'argent liquide n'a alimenté les comptes d'Avenir 55. Je pense que le juge le sait, et depuis longtemps. Il possède tous les exercices d'Avenir 55 de 1987 à 1992.

Le Figaro : La procédure visant, elle, le PR a été récemment transmise au parquet de Paris. Dans son rapport daté du 24 mars dernier, Renaud Van Ruymbeke affirmait que 28 millions de francs avaient été déposés en liquide sur les comptes du parti entre 1987 et 1991. Contestez-vous ces faits ?

G. Longuet : Non, ce chiffre est vraisemblable. Mais ces entrées d'argent sont pour la plupart antérieures à la loi de 1990 sur le financement des partis politiques. Elles peuvent choquer aujourd'hui. Mais à l'époque, les dons d'entreprises étaient le seul moyen de vivre pour une formation politique. Il n'y a là rien qui soit une découverte. De plus, cet argent n'a pas disparu. Il a servi à payer des permanents, des loyers, à financer des dépenses d'affichage… Si l'origine des fonds est confidentielle, les dépenses sont, elles, claires et connues.

Le Figaro : Régie publicitaire liée au PR, le Groupement des règles réunies (GRR) a encaissé près de 20 millions de francs entre 1990 et 1992 auprès de la seule Société française de radiotéléphone (SFR). Une société que vous connaissez bien, puisque vous aviez autorisé sa création en 1987. La SFR n'a-t-elle pas voulu remercier votre action en finançant le GRR, et donc le PR ?

G. Longuet : Nullement. J'ai effectivement accordé mon feu vert à la SFR, mais je n'ai fait qu'entériner le choix de plusieurs commissions techniques spécialisées. Il n'y a aucun lien de cause à effet. Jean-Pierre Thomas, gérant du GRR, pour lancer cette régie publicitaire, a démarché les grandes sociétés qu'il connaissait. Il a obtenu des ordres de publicité réels de la SFR. Mais il peut démontrer que des achats d'espace ont bel et bien lieu, comme le contrat le prévoyait, auprès de la presse hebdomadaire – Le Point, L'Express, Le Nouvel Observateur et Le Figaro Magazine –, ainsi que dans le Journal des régions et la revue Marianne. Le contrat avec la SFR était pluriannuel et s'achevait en 1991, ce qui explique l'étalement des sommes versées. À terme, ce sont des recettes qui correspondent à ce que la loi de 1990 aurait autorisé comme versements.

Le Figaro : Il n'empêche que le GRR attire toujours la suspicion…

G. Longuet : La structure avait pourtant été mise en place pour éviter le abus de tout genre. Elle appartient désormais au passé, puisque le financement public des partis permet aujourd'hui de s'en passer. Dans ce cadre, le GRR est effectivement une structure vouée à l'extinction.

Le Figaro : Craignez-vous les enquêtes en cours ?

G. Longuet : Non, je suis serein en ce qui concerne l'enquête sur mon patrimoine et celle sur le PR. Tout simplement parce que nous n'avons aucun lien, ni de près ni de loin, avec l'affaire Trager. Nous avons été poussés dans ce dossier sans vraiment comprendre ce qui arrivait. Après six mois de recherches, de perquisitions, d'auditions, aucun des membres du PR cités dans l'affaire n'a été mis en examen.

Quant à mon patrimoine et à mes revenus, ils sont transparents. Ce sont ceux qu'un couple de cadres supérieurs après plus de vingt ans de travail. J'avoue ne pas comprendre cet acharnement mais j'en mesure les conséquences. Il porte atteinte à l'image des partis politiques, du Parti républicain, à la mienne et – ce qui est plus grave pour moi – à celle de ma famille.


France 2 : 26 mai 1994

Gérard Longuet : Il y a deux certitudes : mon patrimoine personnel est celui d'un couple de cadres supérieurs. Ma femme est avocate, je travaille depuis 28 ans, elle aussi. Tout ce que nous avons, nous l'avons acheté avec des chèques, avec des revenus déclarés, avec des impôts qui sont vérifiables. Ça, c'est ma première certitude. Je tiens à le dire avec force. La deuxième certitude, c'est que j'ai choisi l'entreprise privée, entre 1989 et 1990. J'ai misé sur le succès de Radio-Nostalgie. Je suis fier d'avoir accompagné le succès de Radio-Nostalgie. C'est ce que l'on me reproche, paraît-il, aujourd'hui. Ça m'est parfaitement égal. Les dossiers seront transmis au Parquet. Enfin, on aura une information complète, autrement que par extraits de presse.

France 2 : Dans l'opération Investel, au départ, vous n'aviez pratiquement pas versé de fonds. À la sortie, vous réalisez une plus-value de 2,4 millions.

G. Longuet : C'est ce que font toutes les sociétés de fonds d'investissement. Il suffit de lire la presse économique pour savoir que le système est toujours de même. Vous avez un projet, vous rassemblez des investisseurs. Je n'avais pas d'argent, mais j'avais des projets. Ces projets se sont trouvés bon. J'ai gagné de l'argent un peu, c'est vrai. Mes investisseurs, ceux qui m'ont fait confiance, ont gagné beaucoup d'argent. Si j'étais resté non un homme politique, mais un homme d'entreprise, je serais encore plus riche aujourd'hui. J'ai fait le choix de la politique parce que c'est ce que je préfère.

France 2 : Mais l'une des questions est de savoir si vous ou des proches avez perçu des rémunérations de votre société Investel ?

G. Longuet : Quand on crée une entreprise, c'est pour gagner de l'argent. Il se trouve qu'Investel, je n'en ai pas été salarié, parce que la société ne faisait pas de bénéfices. Je n'ai pris aucun salaire, aucun dividende, aucun jeton. En revanche, quand j'ai vendu mes parts, comme elle était adossée au succès de Radio-Nostalgie, j'ai fait une plus-value, ce qui est la logique d'un fonds d'investissement. Il faut vraiment ne rien connaître à l'économie privée, ne rien connaître à l'économie d'entreprise et avoir un peu de malveillance pour parler en des termes aussi brutaux et aussi durs, qui ont manifestement une intention diffamatoire.

France 2 : Quand vous étiez ministre des PTT, la Générale des Eaux a obtenu le contrat SFR. Aujourd'hui, on la retrouve dans Investel, on sait qu'elle a versé des fonds dans la régie publicitaire du PR. Avez-vous des liens privilégiés avec cette société ?

G. Longuet : J'ai beaucoup de respect pour le PDG de la Générale des Eaux. Il a fait d'une vieille société une société de dimension mondiale. Je voudrais simplement vous dire que quand j'ai créé Investel, je l'ai fait avec les Mutuelles du Mans, avec la BIMP. Ce n'est que parce que la Générale des eaux était actionnaire de TMC que j'ai songé à la contacter pour être actionnaire minoritaire de Radio-Nostalgie. C'était une logique d'entreprise. Tous les journalistes économiques qui connaissent le monde de la communication savent parfaitement que c'était un des actionnaires possibles et que c'était une démarche d'entrepreneur. Il était normal que je la fasse. Si la Générale des eaux m'avait dit non, j'en aurais peut-être trouvé un autre. Peut-être n'aurais-je pas fait l'affaire.

France 2 : Avez-vous le sentiment de faire l'objet d'un complot politique ?

G. Longuet : Pas du tout. Il y a un devoir de transparence. Je voudrais rappeler une autre vérité : depuis neuf mois, l'instruction de l'affaire Trager porte essentiellement sur le rôle qu'aurait pu jouer le PR. Je tiens à rappeler à tous nos amis téléspectateurs qu'aucun responsable national du PR ou local n'est mis en examen dans l'affaire Trager. Nous n'avons rien à voir avec cette affaire. À partir de cette affaire, il y a des enquêtes. Sur le PR, je trouve cela normal. Il y a une enquête préliminaire. Il y aura transparence. Sur mes affaires personnelles, sur les revenus de ma femme, sur la situation de ma famille, c'est dur, je l'accepte parce que c'est la loi de la transparence. Je la jouerai jusqu'au bout. Je n'ai rien à cacher. Je suis fier de mon travail. Je suis fier de ce que j'ai construit dans ma famille.


Le Point : 28 mai 1994

Le Point : Dans un nouveau rapport, le juge Van Ruymbeke vous soupçonne d'abus de biens sociaux sur les bénéfices que vous avez retirés d'une société créée par vous en 1989 : Investel. Et vous n'auriez réglé les factures de la construction de votre villa de Saint-Tropez qu'à la suite d'un contrôle fiscal de l'entreprise qui a construit la maison.

Gérard Longuet : Je ne veux pas attaquer un magistrat. Mais, franchement, cela confine vraiment à la persécution à mon égard. Pour ma maison de Saint-Tropez, c'est de la diffamation à l'état pur. Elle a été intégralement payée par chèques et à un prix plutôt élevé pour 220 mètres carrés, j'en ai apporté la preuve. Seulement les travaux ont duré longtemps, comme prévu, pour étaler la dépense. Le devis, qui était de 1,5 million, a été porté après deux avenants à 2,549 millions. Cette somme a été réglée entre mai 1989 et décembre 1993. L'essentiel – les deux tiers – ayant été payé fin 1990.

Le Point : L'inspecteur du fisc entendu par le juge affirme qu'au moment de son contrôle, de février à septembre 1990, vous n'auriez réglé que 10 % du devis initial. Et que la société de la Meuse, Cereda, qui a bâti la maison travaillait pour le conseil général de ce département, dont vous avez été vice-président.

Gérard Longuet : J'ai réglé 150 000 francs en 1989, soit 10 % du devis initial. J'ai payé le solde – par chèques – en 1990. Pourquoi ? Parce qu'en 1989 les travaux n'avaient pas réellement commencé. En effet, le nouveau maire de Saint-Tropez, Alain Spada, avait gelé tous les permis de construire, dont le mien, pour en vérifier la conformité. Ces travaux ont vraiment débuté fin 1989 pour s'achever fin 1991. Le certificat d'achèvement des travaux date de mars 1992. Les paiements ont accompagné le calendrier de construction. Sur le deuxième point, depuis dix ans, au conseil général de la Meuse, je n'ai jamais eu la responsabilité d'attribuer des marchés publics. Et depuis mon élection à la présidence du conseil régional, en 1992, l'entreprise Cereda n'a bénéficié d'aucun marché attribué par le conseil régional. Je me suis adressé à cette société pour la construction de ma maison uniquement parce que je connaissais le patron depuis longtemps, que j'avais confiance en lui.

Le Point : Venons-en à votre société Investel. Comment avez-vous réalisé un bénéfice de 2,4 millions sur des actions de Radio Nostalgie ?

Gérard Longuet : Il faut comprendre les mécanismes financiers d'une société de ce type. Quand on crée un fonds d'investissement, il faut deux choses : une société financière qui rassemble les capitaux – ce sera la Société financière de la rue de l'Arcade, adresse où demeurait la banque partenaire du fonds, la BIMP – et une société de gestion de fonds, ce sera Investel dans laquelle j'étais majoritaire à 65 %. J'ai recherché des opportunités d'investissement à présenter à mes actionnaires et j'ai trouvé, en mars 1989, le projet de rachat de parts minoritaires de Radio Nostalgie.

Le Point : Comment avez-vous repéré cette « affaire » ?

Gérard Longuet : De façon très simple. C'est un ancien copain de Science po, qui travaillait à l'époque avec Hervé Bourges – alors président de RMC – qui m'a mis en contact avec lui. Hervé Bourges m'a expliqué que RTL était intéressée au rachat des parts minoritaires de Radio Nostalgie mais qu'elle souhaitait un autre actionnaire. Je lui ai proposé la participation de notre fonds, avec ses actionnaires de base, la BIMP et les Mutuelles du Mans. Puis nous avons demandé à la CGE, déjà gérante de Télé Monte-Carlo, si elle était intéressée. Elle nous a rapidement donnée son accord et a rejoint les autres actionnaires, qui ont acheté, ensemble pour [chiffre illisible] millions, 18 % des actions. C'est à ce moment-là que Radio Nostalgie est passée à une situation bénéficiaire et a connu un exceptionnel succès. C'est ma fierté d'avoir eu une vision juste de son potentiel de développement et d'avoir permis à mes actionnaires de réaliser une excellente opération. Fin 1990, quand j'ai pris la présidence du PR, j'ai revendu 60 % des 65 % des actions que je possédais à un groupe dirigé par Alain Lefebvre, cession qui m'a rapporté à l'époque 2,4 millions. J'ai également bénéficié d'une commission d'apport personnel d'affaire de 219 000 francs. J'ai cédé les derniers 5 % en 1993, en entrant au gouvernement. Si j'avais revendu toutes mes actions en 1994, j'aurais fait 90 % de bénéfices de plus… Cette année-là, la CGE et les Mutuelles du Mans ont cédé pour plus de 30 millions leurs participations à la Générale occidentale… Finalement, ce n'est pas la CGE qui m'a fait gagner de l'argent, c'est moi qui lui en ai fait gagner beaucoup !

Le Point : Un ancien ministre des P et T, devenu député, pouvait-il faire des affaires avec la Compagnie générale des eaux, qui traitait avec l'État et avec votre parti, le PR ? Le juge recense d'ailleurs les liens entre la CGE, vous et le PR : le contrat radiotéléphone accordée à la SFR (filiale de la CGE), l'achat du siège du PR par un prêt de la Sarl de Christian Pellerin (autre filiale de la CGE).

Gérard Longuet : Si la SFR a obtenu le projet de radiotéléphone lorsque j'étais ministre des P et T, c'est qu'elle avait présenté le meilleur projet industriel. C'était un projet qui permettait, en particulier, un important transfert de technologies au profit d'un constructeur français, Alcatel. C'était l'avis de la commission technique chargée de l'appel d'offres. C'était également celui de la CNCI. Avis avalisé par le ministère. Le choix a donc été fait selon des procédures transparentes et publiques et selon des critères objectifs. Quant au siège du PR, c'est la Sarl – principale société du marché dont la CGE est actionnaire – qui nous a proposé le marché suivant : un prêt à 3 % ce qui était peu, compensé par une clause de cession au prix d'achat. C'est-à-dire qu'en cas de non-paiement le PR renonçait au profit de la Sarl à toute plus-value immobilière. En conclusion, en 1988, j'ai travaillé durement pour gagner de l'argent. Mais je l'ai gagné légalement et cela n'a vraiment rien de répréhensible.


Libération : 08 juin 1994

Libération : On vous reproche entre autres d'avoir payé votre maison de vacances suite à un contrôle fiscal chez l'entrepreneur ayant construit votre maison. Le sous-entendu étant que l'entrepreneur aurait obtenu des marchés publics non pas directement de vous mais de certains de vos amis, par exemple meusiens.

Gérard Longuet : C'est scandaleux de dire cela. Premièrement, en ce qui concerne le Midi, j'ai commencé à payer l'architecte dès 1988 et la maison dès 1989, bien avant le contrôle fiscal dont vous parlez. Deuxièmement, depuis dix ans, je n'ai attribué aucun marché au titre du conseil général de Meuse, et l'entreprise Céréda, qui a construit ma maison, n'a jamais eu de marché du conseil régional. J'assignerai devant la justice tous ceux qui colporteront ces propos diffamatoires.

Libération : La construction intellectuelle faite à posteriori est que, suite au contrôle fiscal, vous vendez Investel pour payer votre maison, avec disons l'aide de la CGE à qui vous avez donné, alors que vous étiez ministre, un gros marché de radiotéléphone…

Gérard Longuet : Là encore ça n'a aucun sens, c'est de l'amalgame. L'achat du terrain de Saint-Tropez est une décision familiale et un placement. En 1987, nous avons avec mon beau-frère l'opportunité d'acheter un terrain. Nous le faisons. En 1989, sur ce terrain, nous construisons chacun une maison. Mon épouse et moi payons la nôtre en deux ans, de 1989 à 1991, avec les chèques financés sur nos revenus et des emprunts. Et effectivement, fin 1991, je rembourse une partie de ces emprunts avec la vente de ma participation à Investel. Où est le problème ?

Venons-en à Investel. En 1988, la droite perd les élections et le pouvoir pour plusieurs années, je suis député de la Meuse, j'ai envie d'entreprendre, de créer un fonds d'investissement. De l'été 1988 à mars 1989, avec des collaborateurs, j'essaie à la fois de rechercher des investisseurs et des capitaux. Tout ceux que je consulte alors, dont la CGE, refusent tant que nous n'avons pas de projet valable. En mars 1989, je rencontre Hervé Bourges, président de RMC. Avec son équipe, nous imaginons une solution pour permettre à RMC, qui possède un droit de préemption mais pas d'argent, de prendre le contrôle de Nostalgie : la création d'une nouvelle société détenue à 51 % par RMC en échange de la participation qu'elle détenait dans Nostalgie. Des minoritaires apportent les 49 % restants. La nouvelle société emprunte 50 millions de francs pour compléter le financement. Nous avons mis en place cette structure, monté le fonds d'investissement, la Financière de l'Arcade, et trouvé les capitaux auprès des Mutuelles du Mans, de la CGE, de la BIMP, et mis en place la société de gestion Investel. C'est à cette occasion que la CGE s'est jointe à nous. D'abord parce qu'elle était déjà actionnaire de Télé Monte-Carlo, ensuite parce qu'Havas et la Lyonnaise des Eaux étaient associé à RTL… J'ai donc proposé à Guy Dejouany de se joindre à nous…

Libération : Ce même Dejouany à qui, lorsque vous étiez ministre, vous aviez donné le marché des radiotéléphones ?

Gérard Longuet : Je n'ai donné de marché à personne. La CGE présentait la meilleure offre à plusieurs points de vue, notamment parce que c'était la meilleure solution pour l'industrie française. En 1990, c'est également à la CGE que Paul Quilès a confié la licence du téléphone GSM. Ces licences exigent des investissements très lourds. Or on dit que la société qui les exploite n'est toujours pas rentable.

Libération : À l'époque, vous étiez député et conseiller général ?

Gérard Longuet : Oui. C'était un an après mon départ du gouvernement.

Libération : Vous hésitiez alors entre la politique et les affaires ?

Gérard Longuet : Oui. Nous avions perdu le pouvoir, j'avais 42 ans et je n'avais pas envie de rester simple député pendant des années. J'ai fait ce que bon nombre de mes collègues socialistes font depuis 1993. J'ai voulu faire du conseil, créer une entreprise. J'assume totalement ce choix.

Libération : Un des problèmes n'est-il pas d'avoir hésité trop longtemps entre politique et affaires ?

Gérard Longuet : À cette époque, en 1988, j'étais redevenu député de base. Je n'étais ni président de conseil général ni président de conseil régional, je n'avais pas la possibilité de le devenir. Je n'étais pas président du PR. J'avais envie de faire mes preuves dans le monde économique.

Libération : Pourquoi arrêtez-vous ?

Gérard Longuet : Parce que François Léotard me dit qu'il ne veut plus être président du PR. Il me propose de le remplacer. À l'automne 1990, j'ai finalement choisi la politique et mis fin à mes activités privées.

Libération : En 1989, vous étiez député, conseiller général, en plus vous aviez monté cette société, Avenir 55, qui vous rapportait quand même pas mal d'argent… Vous aviez envie d'en gagner plus ?

Gérard Longuet : Non, ces deux activités sont complémentaires. L'activité de conseil que je menais à travers Avenir 55 me permettait de financer mes dépenses politiques et de me donner un complément de revenu de l'ordre de 15 000 francs net par mois. Investel, c'était l'espoir d'un gain en capital. C'est ce qui s'est d'ailleurs passé. Quand j'ai décidé de vendre, l'audience de Nostalgie s'était redressée. J'ai eu droit à une part de la plus-value dans des conditions totalement transparentes et légales. Cela a représenté 2,4 millions de francs. Si Nostalgie ne s'était pas redressée, j'aurais travaillé pour rien.

Libération : La maison de Saint-Tropez a été payée à partir de quand ?

Gérard Longuet : Le terrain, de 1987 à 1990, en quatre versements par chèques. L'architecte, de 1988 à 1992, en six versements par chèques. Et l'entreprise de construction : de 1989 à 1991, en dix versements par chèques et par traites, avec le solde, 6 % au moment de la réception définitive des travaux en 1992.

Le premier versement a été fait en mai 1989 et représentait 10 % du marché de base. La construction a vraiment commencé fin 1989. En février 1990, j'ai effectué un deuxième versement (1). À l'époque, j'avais réglé un tiers du marché de base. En juillet, j'ai emprunté 700 000 francs. Quand j'ai décidé de céder ma participation dans Investel, j'ai signé des traites à l'entrepreneur, parce que je sais combien cette participation va être vendue et combien je vais pouvoir disposer.

Libération : Quand vous voyez Michel Charasse à deux reprises l'été 1992, c'est sur ces questions-là ?

Gérard Longuet : Oui. Il me dit qu'il a reçu une lettre anonyme, manuscrite, dénonçant le fait que je me serais fait construire une maison dans le Midi sans la faire payer…

Libération : À l'époque, vous étiez bien au courant d'un rapport des impôts ?

Gérard Longuet : Non, c'était une lettre anonyme.

Libération : Donc le ministre vous convoque à deux reprises pour une lettre anonyme ?

Gérard Longuet : Oui. Charasse m'a dit : « Mon cher Longuet, il paraît que vous vous faites construire une maison sans la payer ». Je réponds : « Mon cher ministre, je vous envoie les factures et les paiements », ce que j'ai fait. Et l'affaire s'est arrêtée là. Encore aujourd'hui, il n'y a aucune trace d'un rapport. C'est assez mystérieux.

Libération : Vous avez investi combien dans le projet Nostalgie ?

Gérard Longuet : 62 500 francs…

Libération : Vous faites la culbute quarante fois. Est-ce qu'on peut dire que là vous avez réussi un coup extraordinaire ?

Gérard Longuet : C'est sans rapport. Ce qui a été rémunéré par la plus-value, ce ne sont pas ces 62 500 francs, ce sont des mois de recherche, la qualité de l'ingénierie, la mobilisation des capitaux. C'est enfin le redressement de Nostalgie et ma crédibilité.

Libération : C'est de l'argent facilement gagné ?

Gérard Longuet : Je ne pense pas cet argent, c'est vingt ans de compétence. Si j'avais raté, qu'aurait-on dit ?

Libération : On découvre ça aujourd'hui alors que vous nous aviez expliqué que vos investissements immobiliers résultaient de vingt années de travail de vous et de votre épouse. En gros, 150 000 francs de salaire par mois…

Gérard Longuet : Non, ce chiffre est faux. Mes revenus cumulés avec ceux de mon épouse, qui est avocate, ont représenté de 1984 à aujourd'hui, environ 9 millions de francs. Sur cette période, nous avons payé environ 2 millions d'impôts. Cela représente, après impôts, 60 000 francs pour deux personnes qui travaillent. À cela s'ajoutent les 2,4 millions d'Investel.

Libération : Quand nous nous étions vus, nous vous avions proposé de publier votre patrimoine avant votre entrée en politique et après. Pour des raisons familiales, vous aviez refusé. Cela aurait pourtant pu être un bon moyen de désamorcer la polémique…

Gérard Longuet : Effectivement. Mais je déteste ce déballage. Je le fais pour répondre à des insinuations que je juge injurieuses, parce que je suis un nomme public et que je suis obligé de rétablir la vérité. Mais sans aucun plaisir. Le problème, c'est que certains aujourd'hui pensent qu'on ne peut pas faire des affaires quand on est un homme politique autrement que par combine. C'est faux.

Libération : Vous êtes mis en cause d'une manière très concrète sur le marché SFR. On vous soupçonne en gros d'avoir favorisé la CGE. Seriez-vous d'accord pour qu'une commission indépendante juge de la qualité de ce marché au travers des études techniques qui ont été réalisées ?

Gérard Longuet : La licence SFR a été attribuée dans des conditions qui n'ont suscité aucune contestation et aucune critique. Les procédures ont été transparentes. Les critères de choix objectifs. C'est aujourd'hui que l'on crée un amalgame entre cette attribution et le reste. Mais le choix de 1987 ne soulève aucun problème.

Libération : Et l'étude pour l'entreprise de TP Cogédim qui vous a été payée en gros 1 million de francs grâce à Avenir 55 ?

Gérard Longuet : Il s'agit d'un contrat de conseil de 480 000 francs hors taxe par an pendant deux ans, 1988-1989 et 1989-1990. La Cogédim s'interrogeait pour savoir qu'il fallait ou non qu'elle investisse dans un téléport. Je connaissais ce sujet. Je pouvais avoir un rôle utile de conseil. J'ai fait une étude très complète, que j'ai synthétisée dans un document de 150 pages. Je leur ai d'ailleurs déconseillé de s'engager dans cette voie.

Libération : C'est vous-même qui l'avez faite ?

Gérard Longuet : Oui, comme j'ai traité pour d'autres clients.

Libération : Revenons à la procédure Van Ruymbeke. Ne pensez-vous pas qu'il aurait été bon que vous vous expliquiez sur cette commission versée, d'après Trager, à un membre du PR ?

Gérard Longuet : Il n'y a aucun lien entre Trager et le PR. Le membre du PR est un élu municipal qui était en même temps l'avocat de Trager. Il a toujours nié avoir reçu cette somme et l'avoir transmise. Le trésorier du PR a expliqué à la justice que nous n'avions rien à voir avec cette affaire. Ni de près ni de loin. Et après des mois d'investigations, aucun lien entre cette commission et le PR n'a pu être établi. Et pour cause, l'argent est sans doute resté à Nantes.

Libération : Sur les comptes de Trager ?

Gérard Longuet : Je ne sais pas, je ne comprends pas cet acharnement contre nous. À moins que cela n'ait été un prétexte pour enquêter sur nous.

Libération : Certains présentent votre parti comme une énième filiale de la CGE.

Gérard Longuet : C'est ridicule.

Libération : On ne peut pas expliquer également l'aide de la CGE par la relation personnelle qui vous unit à son PDG, Guy Dejouany ?

Gérard Longuet : À titre personnel, j'ai beaucoup d'estime pour lui. Mais cela n'explique rien. Et j'ai dans le monde de l'entreprise de très nombreux amis.

Libération : Est-ce que Balladur, à la suite des articles dans la presse vous concernant, vous a appelé ?

Gérard Longuet : Je crois qu'il est conscient de l'épreuve qui m'est imposée ainsi qu'à ma famille. Il sait que je n'ai rien à me reprocher.

Libération : Pensez-vous être victime d'une manipulation ?

Gérard Longuet : J'ai été trésorier de 1982 à 1986, et je sais comment tous les partis ont été financés avant 1990. C'est pour cela que j'ai souhaité une loi d'amnistie. Je crois que c'est cet engagement clair qu'on veut me faire payer aujourd'hui.

Libération : Vous voulez dire qu'à Rennes, on pense ça.

Gérard Longuet : Je ne sais pas.

Libération : Vous ne pensez pas que comme pour Tapie, plus vous allez prendre des coups, plus vous pouvez monter dans les sondages ?

Gérard Longuet : Je ne cherche pas à monter dans les sondages. Je cherche à préserver mon équilibre et celui des miens, et mon image auprès de ceux qui me font confiance. Je n'ai pas l'ambition politique nationale, je ne suis pas candidat à la présidence de la République. Même pas à Matignon.

Libération : On vous présente pourtant comme un premier ministre possible en cas d'hypothèse Balladur.

Gérard Longuet : Tant mieux, mais je ne suis candidat à rien.


(1) Le contrôle fiscal commence le 6 février 1990, le deuxième chèque de Gérard Longuet est daté du 7.