Texte intégral
P. Lapousterle : La grève à Air France continue même si ce conflit semble devoir finir bientôt. Quel jugement portez-vous sur ce grand conflit social de 93 et sur la manière dont le gouvernement l'a traité ?
P. de Villiers : L'autorité de l'État a été bafouée, la liberté de circulation, y compris pour les compagnies étrangères, a été piétinée mais il faut bien dire aussi que le plan qui avait été proposé était injuste, même si les sacrifices sont inévitables. Un ministre des Transports qui dit "on ne recule jamais" et qui, quelques minutes après, nous dit qu'il n'y a plus de plan, plus de PDG – après l'avoir maintenu, soutenu, il le lâche –. J'ai peur qu'il arrive à Air France ce qui est arrivé au bateau France. F. Mitterrand distribue les bons et les mauvais points au gouvernement, est toujours prêt à donner du poignard. La cohabitation douce à laquelle le pays est livré et puis les grévistes qui aujourd'hui disent à tous leurs collègues virtuels : "Si vous n'êtes pas content poursuivez et le gouvernement reculera", c'est une gestion tout à fait calamiteuse.
P. Lapousterle : C'est un échec total pour le gouvernement ?
P. de Villiers : C'est un précédent redoutable pour tout ce qui concerne les réformes à faire et qui démontre que quand on veut réformer, autant le faire vite, et autant le faire en étant proche des hommes. Car incontestablement à Air France il y a des rampants, les navigants, il y a eu une cote mal taillée et ça n'a pas marché. Il allait vraiment Attali et le socialisme pour gérer un conflit d'une manière aussi dialectique et aussi lamentable en faisant la part des riches et des pauvres, des hauts et des bas salaires, sans prendre garde à la nécessité de mieux partager les sacrifices.
P. Lapousterle : Votre avis sur C. Blanc nouveau patron d'Air France ?
P. de Villiers : C'est lui qui rédigeait les discours de M. Rocard, récemment encore.
P. Lapousterle : Vous êtes contre une modification de la Constitution. P. Méhaignerie a eu une remarque hier et a dit : "Mais comment MM. Les députés pouvez-vous être contre un projet qui est signé par le président de la République et le Premier ministre ? N'est-ce pas assez comme signatures pour que ce texte montre les intérêts de la France" ?
P. de Villiers : On pourrait aussi ajouter : les mêmes vont nous expliquer qu'il faut un accord au Gatt le 15 décembre et, les mêmes nous disaient il y a un an qu'il fallait dire oui à Maastricht car c'était l'emploi. On peut se tromper même quand on est une haute autorité de la République. On est en train de faire un nouveau contresens. Les Accords de Schengen qui consistent à faire un espace sans frontières, alors que l'urgence historique aujourd'hui on le voit bien avec ce qui se passe en Algérie, avec la guerre civile, avec un afflux incroyable de réfugiés à venir en France, sur la frontière Sud, alors que l'urgence historique est de renforcer les frontières de la France, au Sud, on est en train de les démanteler. Le Sénat et la délégation à l'Assemblée et R. Pandraud l'a encore répété hier matin que "ces accords sont inapplicables". Par exemple aujourd'hui, les contrôles aux frontières extérieures de l'Europe n'existent pas, ce sont de véritables passoires. Deux éléments : 1/ Les interpellations d'immigrants illégaux ont crue en France à la frontière franco-italienne de 28 % depuis le début de l'année. Jamais il n'y a eu autant d'immigration clandestine en Europe et en France. 2/ Le problème du trafic des stupéfiants. La culture du pavot sous serre, représente le 6e chiffre d'affaires de la production agricole néerlandaise ! Comment va-t-on faire sauter les contrôles aux frontières internes tant qu'on n'a pas de véritables contrôles aux frontières externes de la Communauté et tant qu'on n'a pas une législation commune, une harmonisation des conditions de la lutte contre le trafic des stupéfiants ! C'est une folie, une erreur historique !
P. Lapousterle : Vous croyez que l'Assemblée nationale vote en ce moment la libre-circulation de la drogue et des clandestins en Europe ?
P. de Villiers : C'est exactement comme pour Maastricht et le Gatt. Maastricht c'est l'emploi, nous a-t-on dit. Un an après on voit que c'est plus de chômage, plus d'immigration clandestine et d'insécurité. Il ne suffit pas de juger les gens sur les intentions. Les intentions sont toutes les mêmes, tout le monde veut lutter contre l'immigration clandestine. Mais dans les faits, si on applique le système de Schengen, ça ne marche pas. Exemple : le système d'information Schengen c'est un système qui permet aux polices d'avoir un système informatique permettant de suivre sur tous les territoires européens, les criminels à la trace. Ce système ne marche pas, c'est un nouveau système Socrate pour la SNCF. Puisqu'on nous dit que les Accords de Schengen sont aujourd'hui inapplicables, sauf à prendre des risques considérables pour la drogue et l'immigration clandestine, patientons. Je ne comprends pas pourquoi o se presse à faire cette réforme de la Constitution. Sans compter qu'on ne change pas de Constitution comme on change de liquette.
P. Lapousterle : Intention affichée à ce conseil demain : remettre l'Europe sur les rails. On va parler du GATT. Faut-il avancer sur le terrain du GATT ?
P. de Villiers : Sur l'Europe elle-même, oui, il faut une relance, reprendre la construction européenne et la reprendre autrement pour avoir une véritable Europe démocratique et non pas une Europe dirigée par les commissionnaires de Bruxelles, les technocrates. Il faut une Europe qui règle les problèmes par rapport à l'Europe centrale et orientale et il faut une Europe qui soit réaliste. Aujourd'hui le Traité de Maastricht est complètement dépassé. La crise agricole nous a montré que le droit de véto, l'idée d'une Europe confédérale, c'est très important de respecter la souveraineté des États dans leurs intérêts vitaux. La crise monétaire de l'été dernier a montré que le système des parités rigides qui prépare la monnaie unique est un système irréaliste. Il a fait sauter le SME. Je suis donc pour une Europe du réalisme, des souverainetés nationales parfaitement accordées, une Europe des peuples. Le GATT ; je trouve qu'il est quand même incroyable que l'on, se prépare à signer le GATT le 15, car il ne faut pas être trop naïf sur les intentions du gouvernement. Elles percent à travers toutes les interviews et les sous-entendus des différents articles. Ce à quoi je m'opposerai formellement car le GATT est une très mauvaise affaire pour la France. Du reste, on a promis qu'on ne signerait pas le GATT à cause du Blair House. Il n'y a pas de débat à l'Assemblée nationale, incroyable ! Il en faut un et un vote pour que chacun prenne ses responsabilités. J'ai l'intention ce matin d'écrire au Premier ministre pour que précisément, chaque parlementaire, député et sénateur puisse dire au pays ce qu'il a fait su le GATT, qu'on présente l'accord du GATT concocté actuellement dans les couloirs des ministères et que chacun puisse se prononcer par un vote. Dans quel pays est-on, dans quelle CEE est-on ? Que le Premier ministre ait dit dans le TGV en allant à Nantes il y a quelques jours ; "qu'il avait découvert le texte du pré-accord de Blair House dans Libération", ça veut dire qu'en réalité ce texte de Blair House sur lequel on va se prononcer n'existe pas à la disposition des Chancelleries.
P. Lapousterle : Ça prouve que la presse est utile …
P. de Villiers : Oui et heureusement qu'elle est là pour informer le Premier ministre.
P. Lapousterle : Vous promettez une liste pour les européennes, on ne sait pas qui d'autre sera sur la liste à part vous ?
P. de Villiers : Chaque chose en son temps. Sur cette conception de l'Europe, une Europe démocratique, qui ne soit pas hémiplégique mais qui soit la grande Europe, celle des peuples, ou chaque peuple garde son quant-à-soi quant à sa législation, quant à sa manière de se diriger, notamment de contrôler ses frontières et de préserver ses intérêts vitaux et la préférence communautaire. Il y aura une liste, il y aura des femmes, des hommes qui se battent pour une idée simple : la préférence communautaire. Si on ne l'a fait pas, l'Europe mourra dans les têtes et dans les cœurs.