Interviews de M. Gérard Longuet, ministre de l'industrie des postes et télécommunications et du commerce extérieur, dans "Le Moci" du 2 mai 1994, sur le développement des relations commerciales entre la France et le Japon et la campagne de promotion "Le Japon, c'est possible".

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Circonstance : Voyage de M. Gérard Longuet au Japon du 8 au 11 mars 1994

Média : Le Moci

Texte intégral

Le Moci : La campagne de promotion française « Le Japon c'est possible », lancée en 1992, est-elle maintenue ?

Gérard Longuet : Elle avait deux objectifs : mobiliser les entreprises françaises sur le marché japonais et intéresser davantage le Japon à la France, en particulier dans sa dimension technologique et industrielle. Cette campagne a déjà eu des effets concrets. La France a pu obtenir, grâce à elle des résultats encourageants : ouverture du marché japonais de la viande de porc, acquisition sur appel d'offres international d'un hélicoptère français par la police japonaise qui achetait jusqu'à présent, de gré à gré des appareils américains et, pour la première fois, attribution d'un marché public de construction dans le port de Yokohama à un consortium auquel appartenait GTM.

Le Moci : Mais, ce n'est pas l'ouverture complète.

Gérard Longuet : Certes, non. Mais la mobilisation des entreprises françaises, engagée par une multiplication des actions sur le Japon depuis trois ans commence aussi à porter ses fruits, d'abord dans les douze secteurs retenus comme prioritaires, mais aussi dans des secteurs plus difficiles (équipements électriques et ferroviaires). Le fait que notre déficit commercial à l'égard du Japon ait été réduit de près de 20 % en 1993, peut-être considéré comme un premier pas, et plus encore la progression de 4 % de nos exportations, en dépit du contexte économique récessif que connaît l'archipel.

Enfin, c'est sans doute au Japon que les résultats de la campagne sont les plus positifs. Il faut donc continuer à utiliser le bon esprit de cette campagne, à la fois pour obtenir de nouvelles ouvertures et aussi pour mobiliser davantage nos entreprises : car celles-ci doivent faire des efforts, intensifier leur prospection du marché, veiller à une qualité de tous les instants, faire preuve de patience et de ténacité.

Nous avions conçu cette campagne sur un moyen terme de trois ans. L'expérience nous montre maintenant que pour être efficace, il nous faut l'inscrire dans la durée. Cela paraît d'autant plus nécessaire que la récession économique, au Japon comme en France, n'a pas aidé au développement rapide des liens économiques entre les deux pays. C'est pourquoi, j'ai effectivement l'intention de prolonger au-delà de 1994, la campagne « le Japon c'est possible ».

Le Moci : Mais ne croyez-vous pas, cependant, que les méthodes américaines sont plus percutantes ?

Gérard Longuet : Je sais que certains regrettent de ne pouvoir utiliser les méthodes et les moyens dont disposent les États-Unis. Personnellement, je considère que cette approche ne sert les intérêts de personne, et ce pour plusieurs raisons.

D'abord, parce que nous venons de conclure le cycle de l'Uruguay et de signer l'accord final qui porte création d'une Organisation Mondiale du Commerce. Dans un tel contexte, l'utilisation de mesures unilatérales va à l'encontre et du droit et de l'histoire.

Ensuite dans beaucoup de secteurs, les concessions faites par le Japon aux États-Unis ne produisent que des gains à court terme. Enfin, il nous faut être réalistes ; nous ne disposons ni de la relation historique, ni des moyens de pression dont les États-Unis peuvent faire usage, même si l'Europe s'est dotée récemment d'instruments de politique commerciale plus adaptés, comme le souhaitait la France.

Je voudrais cependant que la Commission des Communautés européennes engage une discussion économique avec le Japon d'une façon plus concrète et efficace que ce n'est le cas actuellement.

Le Moci : Quels ont été les résultats concrets de votre voyage entrepris en mars ?

Gérard Longuet : Je ne me suis pas rendu au Japon pour y signer des contrats, mais pour dialoguer avec les nouveaux dirigeants de la seconde puissance économique mondiale et pour améliorer sur le long terme le cadre de nos échanges économiques. Je vois deux grands axes à mon voyage. Le premier était politique et économique. Nous connaissions mal en France le gouvernement de M. Hosokawa, qui a mené pourtant une politique courageuse et très novatrice de réformes. J'ai eu l'occasion de rencontrer l'ancien Premier ministre et six de ses ministres, et j'ai pu, auprès de chacun, encourager le Japon à aller de l'avant dans la voie engagée de la déréglementation, de l'ouverture du marché et de la relance. J'ai manifesté le désir de l'Europe de renforcer ses liens économiques avec le Japon et souligné l'incompréhension qui serait la nôtre si nous devions constater que discrimination de nos intérêts par rapport aux intérêt américains.

Le second axe de ce voyage a consisté en un tour d'horizon sectoriel avec les responsables concernés. J'ai ainsi choisi cinq thèmes majeurs pour mon déplacement : le développement de la coopération vers les pays tiers, les équipements pour l'automobile, les équipements électriques et nucléaires, l'aéronautique et l'espace, et enfin nos exportations agro-alimentaires. Nous avons tenu avec les entreprises qui m'accompagnaient, des réunions très concrètes avec les ministères concernés et les fédérations japonaises : Keidanren, Japan Automobile Manufacturers Association Federation of Electric Power Companies et Society of Japanese Aerospace Companies.

Le Moci : Et la communauté française ?

Gérard Longuet : Je voudrais ajouter que j'ai été particulièrement satisfait de constater que nous disposons au Japon d'une communauté française compétente et dynamique. La communauté française n'est pas larmoyante ou geignarde : elle sait que c'est un marché difficile et qu'il faut s'y battre. Mais elle sait aussi que c'est un marché d'un intérêt exceptionnel. Les entreprises françaises qui ont réussi à s'y imposer y font croyez-moi, d'excellentes affaires, d'une ampleur sans commune mesure avec celles que l'on peut faire dans certains de ces nouveaux Eldorados dont on nous annonce régulièrement l'apparition ici ou là.

Le Moci : La crise japonaise vous paraît-elle sérieuse ?

Gérard Longuet : Le Japon a traversé une sérieuse crise conjoncturelle. Le « régime minceur » de l'économie est à la hauteur des excès passé de l'économie de la « bulle ». Mais il ne faut pas oublier ce que représente le Japon ; un PNB qui pèse plus du double de ceux des autres pays d'Asie de l'Est réunis, un niveau d'investissement exceptionnel dans les secteurs stratégiques, une puissance financière qui rayonne dans le monde entier.

Le Moci : Craignez-vous une crise structurelle plus menaçante ?

Gérard Longuet : Je sais que, comme chez nous, la crainte d'une crise structurelle plus profonde existe. Mais savez-vous que l'inquiétude de ce pays est, à long terme, le manque de main d'œuvre ? Par ailleurs, le Japon dispose d'une immense réserve de productivité dans les services, ce qui devrait permettre de compenser les charges croissantes imposées à la société par le vieillissement de la population. Personnellement, je ne nourris pas beaucoup d'inquiétude sur l'avenir du Japon !

Le Moci : Dans quelle mesure pourriez-vous étendre votre « Initiative française vers l'Asie » au Japon ?

Gérard Longuet : Je voudrais d'abord lever une ambiguïté : « L'initiative française vers l'Asie », que j'ai lancé le 3 février et qui, soit dit en passant, exerce un pouvoir de mobilisation qui dépasse mes espérances, concerne tous les pays de ce continent. Bien entendu, elle n'exclut pas le Japon. Nous avons certes identifié quelques pays qui nous paraissent mériter des efforts tout particuliers, mais l'Asie est une région économique de plus en plus intégrée qui constitue un ensemble cohérent dans lequel nous sommes suffisamment présents et avec lequel nous devons renforcer nos liens.

Le Moci : Quel rôle doit avoir le Japon ?

Gérard Longuet : Un rôle essentiel à jouer dans cette perspective. J'ai rappelé déjà le poids de son PNB. Son marché est encore relativement fermé, mais tout laisse à penser qu'il va s'ouvrir notablement, que ce soit par mutation interne ou sous la pression des différents partenaires commerciaux.

Le Japon est également un acteur majeur en Asie. Les commanditaires japonais (que ce soit les ingénieristes, les industriels qui y ont investi, les maisons de commerce ou les grands magasins) jouent un rôle de plus en plus important. L'aide au développement japonaise, la première au monde en volume, et pour l'essentiel non liée, s'oriente en majeure partie vers le continent asiatique. Nous devons travailler ensemble vers des pays de cette région. Là aussi, « le Japon c'est possible », comme le montrent plusieurs exemples de partenariat sur pays tiers.

En outre, peut-on vraiment prétendre gagner des marchés en Asie si l'on ne connaît rien de ces compétiteurs japonais que l'on rencontrera en toutes occasions ?

Le Japon est donc bien au cœur de « l'Initiative française vers l'Asie ». L'augmentation de la part des crédits d'intervention consacrés à l'Asie par le CFCE, le CFME ou l'Actim, le concerne tout simplement.