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Le Figaro : La semaine passée vous étiez à Libreville à l'occasion du sommet des chefs d'État africains, six mois après la dévaluation de 50 % du franc CFA. Les rumeurs d'une nouvelle dévaluation ont beaucoup, circulé à ce moment-là, notamment en Afrique. Qu'en est-il exactement ?
Michel Roussin : L'Afrique est le continent de l'image. Quand on voit, à l'occasion d'un sommet des chefs d'État africains, descendre d'un avion le tandem Roussin-Noyer (Christian Noyer, directeur du Trésor et président du Club de Paris, NDLR), « de Dakar » – le sommet où a été décidée, le 12 janvier dernier, la dévaluation – revient. Mais si la dévaluation a été si forte – 50 % –, c'est pour qu'il n'y ait pas besoin de recommencer. L'économie africaine a été assainie par électrochoc. Ni la France ni les institutions internationales n'ont donc maintenant de raison d'envisager une telle décision.
Le Figaro : À combien peut-on évaluer l'aide de la France cette année aux pays de la zone franc ?
Michel Roussin : En 1994, la France a doublé son concours financier par rapport à l'an dernier. Il est de l'ordre de 5 milliards de francs auxquels il faut d'ajouter les 25 milliards d'annulation de dette bilatérale. Et ne pas oublier l'action militante de la France pour l'Afrique au sein du Club de Paris. À ce jour, la plupart des pays de la zone franc ont fait l'objet d'un examen par cette instance (le dernier pays, le Togo, le fera dans les tout prochains jours, NDLR). Le traitement que leurs créanciers leur ont accordé est extrêmement favorable et leur permet, dans l'ensemble, de supporter le poids d'une dette mécaniquement alourdie par la dévaluation.
Le Figaro : Selon vous, le fait que le directeur général du FMI soit un Français a facilité les choses ?
Michel Roussin : L'essentiel est que M. Camdessus était convaincu de la nécessité de la dévaluation. C'était d'ailleurs également le cas de M. Preston, le président de la Banque mondiale. Avant que les institutions de Bretton Woods ne rentrent dans le jeu, il n'y avait plus eu aucune aide internationale ces pays depuis trois ans. Seule la France pratiquait une petite perfusion permanente sur le malade. Mais cet argent servait uniquement à payer soit les arriérés de salaire des administrations, soit les arriérés de paiement vis-à-vis du FMI et de la Banque mondiale. Il ne finançait plus la croissance.
Le Figaro : De quoi a-t-on parlé précisément à Libreville ?
Michel Roussin : Les chefs d'État africains ont interrogé les représentants du Fonds, de la Banque mondiale, mais également – et c'est une première – de l'Europe des Douze, sur leurs intentions au cours des douze prochains mois. Il n'y a pas eu de problème, pas plus avec les institutions internationales qu'avec la France. Tout au plus peut-ou signaler que certains pays ont quelques difficultés de négociation avec le FMI dans le cadre de la révision des programmes. Et ils souhaiteraient que nous leur apportions notre aide financière avant que les institutions internationales ne l'aient fait. C'est malheureusement impossible sous peine de retomber dans les vieux travers d'autrefois. Simplement au lieu de financer un arriéré de salaires, nous ferions un prêt-relais. Sur le fond, la logique malsaine serait la même. Cela étant, nous ne sommes pas bloqués. Dans un pays ami, qui connaît quelques difficultés au niveau de son administration fiscale, nous avons monté une petite équipe pluridisciplinaire avec des gens de la Banque, du Fonds et du ministère. Enfin, je note avec satisfaction l'engagement de l'Union européenne à nos côtés. La présence d'un représentant de la Commission européenne à Libreville est très importante à mes yeux.
Le Figaro : Six mois après cette dévaluation, estimez-vous que l'on peut parler de succès ?
Michel Roussin : Les résultats, en tout cas, sont très encourageants et visibles : on est sur la bonne voie. Les pays africains – ainsi que la France – doivent poursuivre l'effort engagé. Ils sont condamnés à être plus rigoureux, à redevenir des gestionnaires et à vivre au sein d'entités régionales indispensables pour le développement de ces pays. Des hommes d'État militent particulièrement en faveur de cette idée de régionalisation : les présidents Diouf, Compaoré, Bongo…
Le Figaro : Justifié ou non, le sentiment d'avoir été abandonné par la France est vivace parmi la population des pays de la zone franc…
Michel Roussin : Seule la France pousse aussi loin une telle coopération. Aucun pays n'est à ce point présent sur le terrain. Quant à sa volonté de ne pas lâcher l'Afrique, elle est suffisamment claire quand on mesure l'effort financier consenti malgré les rigueurs budgétaires que nous nous imposons et que le contribuable français supporte. Nous avons fait en sorte que les plus défavorisés ne soient pas encore plus pénalisés par la dévaluation. Dans cette perspective, nous avons créé le Fonds spécial de développement, qui permet de financer des travaux qui non seulement améliorent immédiatement le mode de vie des Africains mais génèrent des emplois.
Il reste toutefois un point où nous sommes faibles le prix des médicaments. Nous avons fait des efforts importants mais je ne suis pas satisfait des résultats.
Le Figaro : Vous insistez sur les effets positifs de la dévaluation. Mais il y a aussi des effets pervers, comme celui d'inciter les producteurs de matières premières – le coton, par exemple – à exporter plutôt que de vendre aux entreprises locales.
Michel Roussin : Si déjà cela permet des rentrées de devises, c'est une bonne première étape. Toutes les filières ne peuvent redémarrer d'un coup de baguette magique. Pour reprendre l'exemple du coton, je constate qu'au-delà de l'exportation de ce produit brut, les pays de la zone franc sont désormais capables de livrer leurs produits finis. Ainsi, les Nigérians d'acheter des ballots de tissus déjà imprimés sur le marché de Yaoundé ou de Ouagadougou.
Le Figaro : Pourtant, cette dévaluation, vous n'y avez pas été toujours favorable. En définitive, ne vous a-t-elle pas été imposée par le FMI, la Banque mondiale et aussi par Bercy ?
Michel Roussin : C'est la logique et l'analyse des faits qui l'imposait. C'est le premier ministre lui-même, qui a décidé, après une analyse approfondie de la situation, d'encourager les Africains à prendre cette décision difficile.
Le Figaro : À votre avis, quelle est la prochaine étape importante dans le processus de la dévaluation ?
Michel Roussin : Ce sera le retour des capitaux privés en Afrique, qu'ils soient étrangers ou plus encore africains. À ce moment-là, et à ce moment-là seulement, on saura que les gens croient enfin dans l'avenir de ces pays. Pour ma part, j'y crois.