Texte intégral
Sylvie Pierre-Brossolette : Cette affaire Canal + n'en finit pas d'alimenter la polémique ; avez-vous aussi appris cela par la presse, si oui est-il normal qu'un ministre des finances ignore une telle opération, et que répondez-vous à Rousselet qui accuse Balladur de placer systématiquement ses hommes à tous les postes-clé, Raymond Barre ayant de son côté dénoncé l'état partial qui se mettrait doucement en place ?
Edmond Alphandéry : Vous savez, il y a la vie des affaires et il y a la vie du gouvernement. Et la vie des affaires ne concerne pas le gouvernement, sauf lorsqu'il agit d'entreprises publiques, et Canal + n'est pas une entreprise publique. Canal + est une société cotée, qui a des actionnaires, Monsieur Rousselet avait trois actionnaires importants, Havas, la compagnie générale des eaux, la société générale, qui à eux trois représentaient près de 50 % du capital. Ils ont fait un pacte d'actionnaires, c'est la vie du capitalisme. Et je crois que ce n'est pas à l'état de s'immiscer systématiquement dans les affaires du domaine privé. Quant au procès qui est fait au gouvernement, est-ce que Monsieur Peyrelevade, qui a été nommé à la présidence de la plus grande banque européenne, et dont on connaît les liens notamment avec Monsieur Mauroy, est-ce que c'est un ami du pouvoir ? Est-ce que Monsieur Christian Blanc, qui a été nommé à la présidence d'Air France, dont chacun connaît les liens avec Monsieur Rocard, est un ami du pouvoir ? Est-ce que Monsieur Sapin, ancien ministre de l'Économie et des Finances de Monsieur Bérégovoy, qui est au conseil de la politique monétaire est un ami du pouvoir ? Est-ce que Monsieur Hanoun, deuxième sous-gouvernement de la banque de France, qui a été reconduit dans ses fonctions, est un ami du pouvoir ? Je crois vraiment que ce procès est un procès d'intention, nous choisissons les hommes chaque fois que c'est nécessaire, en fonction de leurs compétences, et c'est le critère exclusif de choix.
Sylvie Pierre-Brossolette : Il y a eu beaucoup plus de changements que dans les 10 premiers mois du gouvernement Rocard…
Edmond Alphandéry : Il y a eu des changements, c'est exact il y a eu des changements tout simplement parce que la situation nécessite qu'on mette à des postes de responsabilité des hommes nouveaux.
Christine Fauvet-Mycia : Raymond Barre, dont vous appréciez les compétences, a parlé légèrement quand il a mis en doute l'impartialité de l'état Balladur ?
Edmond Alphandéry : J'ai beaucoup d'amitié, beaucoup de respect pour Raymond Barre, mais je trouve que ce qualificatif est injuste.
Sylvie Pierre-Brossolette : Les socialistes vous accusent de brader les bijoux de famille en privatisant les entreprises à trop bas prix ; une des clés du succès des privatisations n'est-il pas justement ce bas prix, et les socialistes ont-ils complètement tort de vous accuser de brader ?
Edmond Alphandéry : Oui, c'est un très mauvais procès pour une raison très simple, c'est que c'est un prix de moyen-terme. Les cours de bourse montent ou descendent, et j'ajoute que nous sommes soumis à un prix plancher qui est fixé par la commission de privatisation en toute indépendance. Nous ne pouvons pas fixer le prix que nous voulons. Et nous avons un prix qui est supérieur au prix fixé par la commission de privatisation. J'ajoute que les privatisations sont un très grand succès populaire, plus de trois millions d'actionnaires pour ELF, sans compter le succès de Rhône-Poulenc ou de la BNP. Pour ELF, il y a eu, tenez-vous bien, pour 38 milliards de demande des français pour acheter ELF, 38 milliards de francs, nous n'avons pu servir que 15 milliards. Et puis, n'oublions pas que depuis 6 mois nous avons privatisé pour 76 milliards de francs, qui sont les ressources dont nous avons absolument besoin, notamment pour soutenir l'activité, recapitaliser les entreprises publiques, lutter contre le chômage, ça finance en particulier un certain nombre d'opérations pour l'emploi, et donc les privatisations sont au fond le moyen financier pour lutter contre le chômage. C'est important, si nous n'avions pas ça, comment ferions-nous pour lutter contre la récession ?
Sylvie Pierre-Brossolette : Mais est-ce très orthodoxe financièrement, puisque c'était destiné au départ à désendetter le pays ?
Edmond Alphandéry : Oui, vous avez raison. J'aimerais bien, je préférerais de beaucoup que nous affections la totalité des privatisations au désendettement de l'État. Malheureusement, nécessité fait loi. Nous avons hérité de la récession la plus grave depuis la guerre, et depuis 10 mois nous nous débattons, alors même que nous n'avons pas de ressources pour faire face à cette situation. Nous avons un déficit budgétaire qui est le double de celui que les socialistes avaient voté quelques mois auparavant. Il faut le gérer, et manifestement, sans ces privatisations, nous serions paralysés. Donc il faut aller chercher l'argent là où il est.
Christine Fauvet-Mycia : Allez-vous accélérer le mouvement, et est-ce que à l'automne il y aura une autre phase de privatisations, et avec qui ? On parle beaucoup de AGF et de Renault ?
Edmond Alphandéry : Oui, les privatisations vont continuer. D'abord il y a I'UAP qui est dans les tuyaux comme chacun sait, nous avons pour habitude d'avoir toujours deux fers au feu, donc dans les semaines qui viennent, nous annoncerons d'autres opérations de privatisation. Vous avez cité deux entreprises, elles sont sur les rangs effectivement.
Christine Fauvet-Mycia : Quelles seront les conditions nécessaires pour arriver à la privatisation de Renault ; on parle d'une privatisation partielle ou totale, un accord a été signé qui détruit les liens entre Volvo et Renault, quelle influence cela aura-t-il sur la privatisation ?
Edmond Alphandéry : Après l'échec de la fusion, il fallait constater la séparation. La séparation entre Volvo et Renault se fait dans des conditions tout à fait convenables, c'est une séparation à l'amiable, et la voie est désormais ouverte pour la privatisation de Renault. Il fallait cet accord avant de privatiser Renault.
Sylvie Pierre-Brossolette : Vous confirmez le maintien de M. Schweitzer pour faire cette privatisation ?
Edmond Alphandéry : Pour l'instant il n'a jamais été question de changer Monsieur Schweitzer. Mais enfin le problème n'est pas à l'ordre du jour.
Christine Fauvet-Mycia : Avez-vous une idée de ce qu'on pourrait faire du produit de ces nouvelles privatisations ?
Edmond Alphandéry : Le problème est simple. Nous avons inscrit 55 milliards dans le budget de 94 pour les privatisations, nous en avons déjà fait 33, c'est à dire pratiquement les 2/3. Donc je crois que raisonnablement l'objectif de 55 milliards sera atteint. Ces 55 milliards, nous savons où ils iront. Ils iront notamment à recapitaliser les entreprises publiques, à financer le déficit, donc à désendetter l'État, et en partie aussi à des opérations en faveur de l'emploi. Si il y a un surplus, nous verrons, moi personnellement je ne serais pas hostile à ce qu'on fasse un effort supplémentaire pour les recapitalisations d'entreprises publiques.
Christine Fauvet-Mycia : Et le rapprochement possible de Renault avec Fiat ?
Edmond Alphandéry : C'est un de ces dossiers dont on parle de manière récurrente. En toute hypothèse, je crois qu'il faut d'abord privatiser Renault avant d'envisager des alliances importantes avec des entreprises du type de Fiat.
Sylvie Pierre-Brossolette : Quel va être le sort d'Air-France, Bruxelles va-t-elle autoriser le gouvernement français à accorder des subventions ? Si les salariés refusent le plan de M. Blanc, que va-t-il se passer? Faudra-t-il déposer le bilan, et votre objectif à terme est-il toujours de privatiser cette entreprise ?
Edmond Alphandéry : Je crois qu'avant de parler de la privatisation d'Air-France, il faut aider M. Blanc à réussir un plan de redressement. La situation d'Air-France est très préoccupante, très très préoccupante. M. Blanc, très courageusement, propose un plan de redressement, je souhaite qu'il réussisse, et je souhaite que nous donnions les moyens à Air-France d'être recapitalisé suffisamment pour un redressement durable.
Sylvie Pierre-Brossolette : Bonnes nouvelles du côté de Bruxelles ?
Edmond Alphandéry : Nous verrons, je ne veux pas me prononcer sur cette question.
Christine Fauvet-Mycia : Vous êtes un ministre optimiste, alors pourriez-vous donner des signes positifs à ceux qui commencent à perdre un peu confiance ?
Edmond Alphandéry : Deux raisons d'optimisme: d'abord les sondages d'opinion, notamment auprès des chefs d'entreprises, tous les sondages convergent, le climat est en train de changer. Que ce soient des sondages faits par l'INSEE, donc par l'administration, que ce soient des sondages faits par la banque de France, par des organismes indépendants comme Locabail, tous les sondages faits auprès des PME notamment, sont plus favorables. D'autre part, les indices eux-mêmes sont meilleurs. L'indice de la production industrielle qui vient de paraître en décembre, même s'il est masqué par le fait que l'indice de l'énergie fluctue évidemment selon l'évolution climatique, fait apparaître une augmentation de la production manufacturielle de 0,5 %. Et pour la première fois, la production manufacturielle est en sensible hausse. Un autre indice très concret, le carton, vous savez quand le carton va, tout va. Pourquoi ? Parce que plus l'activité est importante, plus il y a d'emballage. Lorsque vous demandez aux fabricants de carton comment se présente leur situation, ils vous disent tous que depuis la fin de l'année dernière, et au mois de janvier, les choses vont nettement mieux. Donc ce sont des indices qui ne trompent pas.
Sylvie Pierre-Brossolette : Est-ce que la baisse des taux décidée par la Bundesbank est une bonne nouvelle pour nous, et conseillez-vous à la banque de France de suivre ?
Edmond Alphandéry : Oui, je voudrais quand même mettre un bémol à ce que j'ai dit tout à l'heure : je crois qu'il ne faut pas pavoiser lorsque nous sommes dans un pays où il y a autant de chômeurs, où nous sortons d'une très grave récession, il faut savoir que les choses évoluent lentement. Et donc je crois qu'il faut tenir un discours tout à fait raisonnable. Et donc je pense que les perspectives de redémarrage sont progressives. Alors vous m'interrogez sur une question extrêmement sérieuse. C'est vrai que nous étions nombreux à nous demander si à la suite de la politique américaine d'augmentation des taux récente, les allemands n'allaient pas tarder à recommencer la baisse des taux d'intérêts dont toute l'Europe a besoin. Et effectivement, ça a été hier une très bonne nouvelle. La baisse du taux d'escompte en Allemagne ouvre la porte à des baisses de taux d'intérêts en Europe dont nous avons tous besoin étant donnée la situation économique en Europe. Pour ce qui est de la France, vous savez que la responsabilité de cette affaire incombe dorénavant à la banque de France, je le sais d'autant mieux que c'est moi qui ai mis cette loi sur les fonds baptismaux, et donc je n'ai pas l'intention naturellement d'interférer dans la décision que la banque de France aura à prendre. Pour autant, incontestablement, cette baisse en Allemagne élargit les marges de manœuvre de la banque de France.
Christine Fauvet-Mycia : Nous poursuivons avec une question d'une auditrice.
Une auditrice : À quoi sert la croissance et la reprise économique si elles ne sont pas partagées par tous, si tout le monde ne peut pas en profiter ?
Edmond Alphandéry : C'est vrai, il y a malheureusement depuis le début des années 80 un développement d'une France à deux vitesses et des phénomènes d'exclusion, et beaucoup de français ont le sentiment que certains sont de plus en plus riches et d'autres de plus en plus pauvres, et je dois vous dire que c'est l'un de mes principaux soucis. Je trouve qu'il faut attacher à cela énormément de soin. Il y a une réponse à cela, ce sont toutes les prestations, le RMI, les allocations de chômage. Le budget social de la nation qui regroupe toutes ces prestations est absolument considérable. Mais qui dit prestation dit naturellement cotisation qui pèse sur le coût du travail, et il faut faire attention à ce que cela n'engendre pas, lorsqu'on atteint une certaine limite, du chômage car le chômage est la pire des inégalités. Donc c'est un problème qui est difficile à régler.
Christine Fauvet-Mycia : Une autre question d'auditeur.
Un auditeur : Le niveau actuel du RMI est désuet, c'est beaucoup trop bas, ne serait-il pas possible de réévaluer le RMI à 4 000 francs et les contrats emploi-solidarité à 4 500 francs d'urgence ?
Edmond Alphandéry : Là encore c'est le problème de l'exclusion et heureusement qu'il y a des mécanismes comme cela pour faire face à des situations de détresse qui sont très nombreuses. Il y a 660 000 personnes qui touchent le RMI, il y a 360 000 personnes qui sont en contrat emploi-solidarité. Il y a plus d'un million de personnes qui touchent ces allocations, et ça coûte déjà des sommes importantes. Il y en a pour 14,5 milliards dans le budget de l'État, sans compter l'effort des collectivités locales rien que pour le RMI. Faut-il augmenter ? Bien sûr je comprends que ce soit très difficile de vivre avec des sommes aussi modestes. Pour autant, il faut se souvenir que le SMIC n'est qu'à 4 800 francs, et donc est-ce qu'il serait normal, est-ce qu'il serait logique qu'une société indemnise des gens qui ne travaillent pas à peu près au même niveau que ceux qui travaillent au SMIC ? Il y a là un vrai problème et un danger.
Sylvie Pierre-Brossolette : Quel type de décisions peuvent être prise lors du comité interministériel sur la ville le 22 février ? François Mitterrand a mis en garde le gouvernement contre les risques d'explosion sociale, si vous n'augmentez pas les sommes allouées aux plus défavorisés, qu'est-ce qu'on peut faire d'autre ?
Edmond Alphandéry : On peut faire beaucoup de choses. C'est un dossier qui est traité par Simone Veil et je n'ai pas du tout l'intention d'interférer, même si naturellement je fais partie de ce comité interministériel. On peut faire beaucoup de choses, il y a des inégalités qui naissent dans les villes, notamment dans les banlieues, et donc il faut traiter les problèmes dans leur globalité. Il y a le problème de la sécurité bien évidemment, mais aussi ceux de l'emploi, il y a ceux du logement, et donc il faut traiter tous ces problèmes de manière globale. Il y a un très grand nombre de contrats qui ont été signés, je crois un peu plus de 180, et beaucoup d'ailleurs ont déjà été mis en œuvre. Je pense que c'est dans cet esprit de traitement global du problème qu'on fera progresser ce problème social qui est essentiel, qui est celui des conditions de vie dans certaines banlieues des villes.
Edmond Alphandéry : Quand on va dans les banlieues, on entend surtout les associations qui se plaignent de ne plus recevoir de subventions…
Edmond Alphandéry : Oui, c'est vrai, nous faisons tout ce que nous pouvons, mais il faut savoir que la situation financière du pays est très difficile, il faut savoir que nous avons hérité d'un déficit budgétaire de 350 milliards de francs, et que nous essayons de réduire progressivement, que nous réduisons progressivement. Mais la situation financière du pays n'est pas facile.
Christine Fauvet-Mycia : Et quand Mitterrand parle de révolte fondamentale, vous pensez qu'il dramatise ?
Edmond Alphandéry : Je crois qu'il ne faut jamais dramatiser. Nous avons un tissu social qui est fragile, il faut donc faire très attention à la gestion sociale du pays, et regarder tous ces problèmes, notamment les problèmes de la ville, les problèmes d'exclusion, à la fois avec intelligence, avec réalisme, et avec cœur.
Sylvie Pierre-Brossolette : Mitterrand n'est pas le seul à dramatiser, à l'intérieur de la majorité beaucoup de voix s'élèvent pour dire qu'il faudrait prendre des mesures assez radicalement différentes de celles adoptées par Balladur ; Philippe Séguin a dit qu'il faudrait revoir les priorités de son plan social et de l'emploi, et tout dernièrement Charles Pasqua a mis en avant un grand plan pour remettre en cause la rigueur budgétaire, l'orthodoxie de Bercy…
Edmond Alphandéry : D'abord ce n'est pas un rapport Charles Pasqua, jusqu'à nouvel ordre c'est un rapport de certains fonctionnaires, qui pour l'instant n'a pas été examiné par les ministres. Donc il n'est cautionné par aucun responsable gouvernemental.
Christine Fauvet-Mycia : …Mais qui devrait nourrir leur réflexion ?
Edmond Alphandéry : Mais il nourrit la réflexion, c'est une bonne chose.
Christine Fauvet-Mycia : Quand Charles Pasqua ne veut pas de fuite, en général il sait y faire…
Edmond Alphandéry : Oui, mais enfin, des fuites malheureusement il y en a de plus en plus, vous êtes bien placés pour le savoir.
Christine Fauvet-Mycia : Vous pensez que Pasqua ne maîtrise pas son cabinet ?
Edmond Alphandéry : D'abord, ce que je voudrais rappeler, c'est que moi-même j'ai lancé en collaboration avec Charles Pasqua l'idée d'emprunts régionaux, dont une partie pour drainer l'épargne locale pour des équipements autoroutiers, de TGV, etc., avec un financement en nature, et donc c'est une idée qui va dans le sens que propose Charles Pasqua. Alors pour répondre à votre question très concrètement, Charles Pasqua a un dossier qui est à mon avis essentiel, c'est celui de l'aménagement du territoire, et je dis oui, il faut mobiliser les ressources, et des ressources importantes pour l'emploi dans la France profonde. C'est absolument capital et là je rejoins totalement Charles Pasqua. Alors faut-il pour autant rompre toutes les barrières financières ? Je suis convaincu que ça n'est pas du tout la philosophie de Charles Pasqua, d'ailleurs ça n'est pas la philosophie du gouvernement, je dis non, attention à ne pas déséquilibrer le budget parce que les conséquences pourraient en être incalculables. Il faut mobiliser les ressources, personnellement je réfléchis à certains projets, j'aurai l'occasion d'ailleurs d'en parler prochainement à Charles Pasqua.
Christine Fauvet-Mycia : Raymond Barre y va aussi de ses suggestions, dans Le Progrès il suggère que la protection sociale est excessive ; pensez-vous qu'il ait raison ou qu'il ait tort ?
Edmond Alphandéry : Je crois qu'il soulève un vrai problème, tout à l'heure je vous l'ai dit, nous avons un budget social de la nation qui est tout à fait considérable, et qui regroupe l'ensemble des prestations que nous versons sous forme de RMI, d'allocations chômage, et toute la sécurité sociale qui est très coûteuse. C'est une bonne chose parce que ça permet de faire face aux inégalités, cela permet de faire face notamment au développement de la pauvreté et aux problèmes sociaux que rencontre une société comme la France aujourd'hui. Mais il faut savoir que la contrepartie, c'est un coût qui se retrouve notamment dans le coût du travail, et que parfois cela peut aggraver le chômage ; et le chômage est la pire des inégalités. Et donc ce que dit M. Barre est juste, il faut concilier à la fois la nécessité de faire face à ces problèmes sociaux qui sont de plus en plus graves, et d'éviter d'aggraver les charges sociales et d'aggraver par là même le chômage. C'est un peu la quadrature du cercle.
Sylvie Pierre-Brossolette : Est-ce que vos remèdes ne sont pas un peu décalés par rapport à l'ampleur du mal, en tout cas c'est un peu l'opinion de Dominique Voynet, notre invité de la semaine dernière, qui vous pose une question.
Dominique Voynet : Face à la montée du chômage, le gouvernement a essayé de diminuer le coût du travail pour essayer d'inciter les entreprises à embaucher, et ça n'a pas été très efficace. Autre méthode utilisée ces dernières semaines, la relance de la consommation ; est-ce que vous pensez sincèrement qu'un cadeau de 5 000 francs pour tout acheteur d'un véhicule en remplacement d'un autre véhicule de plus de 10 ans constitue une réponse à la hauteur de l'enjeu pour tous ceux qui se débrouillent avec des indemnités de fin de droit, des RMI, des petits boulots, des stages, et pour lesquels l'idée d'acheter une voiture apparaît davantage comme un rêve que comme une réalité ?
Edmond Alphandéry : Je crois que Dominique Voynet est écologiste si je ne m'abuse. Et donc, je comprends qu'elle se plaigne d'une mesure qui est la plus écologique qui soit puisque c'est une mesure qui lutte contre les autos les plus polluantes, les plus anciennes, et aussi les plus dangereuses. Donc il me semble que cette mesure devrait la satisfaire.
Christine Fauvet-Mycia : Mais elle peut avoir le souci de l'écologie et de…
Edmond Alphandéry : …Et de l'économie. Pourquoi ai-je beaucoup plaidé pour que des mesures soient prises en faveur du secteur automobile ? Parce que c'est un secteur extrêmement important et qui était en arrière de l'activité économique, il fallait relancer, et l'expérience prouve que ça marche bien : en l'espace de 15 jours, on me dit que chez Peugeot les prises de commande ont augmenté de 67 % par rapport à 93. Chez Citroën, de plus de 80 %, chez Renault 40 % de demande de Twingo. C'est pour répondre à la question concernant les gens qui sont impliqués dans cette affaire.
Christine Fauvet-Mycia : On ne peut pas imaginer que les chiffres sont gonflés ?
Edmond Alphandéry : Non, ce sont des commandes. En tout cas, je veux dire par là que le mouvement est parti, d'ailleurs les constructeurs automobiles ont fait de leur côté le nécessaire. Ça veut dire qu'en fait des gens qui ont des voitures de plus de 10 ans ont souvent des gens modestes, et on leur donne un sacré coup de main pour changer de voiture. Et en plus, ça permet de créer de l'emploi et de faire repartir l'économie, alors franchement, qui s'en plaindrait ?
Christine Fauvet-Mycia : En politique, il y a beaucoup d'échéances à l'horizon, à ce sujet on écoute un auditeur de Toulouse.
Un auditeur : J'aimerais savoir pourquoi on fait tant d'obstruction pour empêcher Baudis d'être tête de liste aux européennes ?
Edmond Alphandéry : Ce n'est pas moi qui fais de l'obstruction puisque je plaise pour que ce soit lui qui soit tête de liste aux européennes.
Christine Fauvet-Mycia : Vous sentez cette obstruction ?
Edmond Alphandéry : Non, je ne sens pas d'obstruction, il y a un choix, il y a donc plusieurs candidats, moi c'est mon candidat. D'abord parce qu'il est de la jeune génération, ensuite c'est le maire de Toulouse et apparemment il se débrouille bien, sa ville est bien gérée, et puis il appartient au CDS et ça ne me déplaît pas.
Sylvie Pierre-Brossolette : Quel est le bon critère pour le départager avec Jean-François Deniau ?
Edmond Alphandéry : Le meilleur critère, c'est tout simplement de savoir celui qui fera le plus de voix, celui qui permettra à la liste de faire le plus de voix. Je crois, d'après les sondages dont j'ai eu vent, que Dominique Baudis est celui qui trainerait le mieux la liste.
Christine Fauvet-Mycia : Il y a un sondage commandé par le CDS qui dit que Baudis fera le plus de voix, et un autre commandé par le PR qui dit que ce serait Deniau… Autre problème, c'est qu'il faudrait un couple, donc un RPR à côté d'un UDF, alors qui voyez-vous au RPR ?
Edmond Alphandéry : Ça, ce n'est pas à moi d'en décider. Je pense effectivement qu'il faudra un ticket, c'est au RPR d'en décider.
Sylvie Pierre-Brossolette : Êtes-vous d'accord avec le Premier ministre qu'il ne faut pas que ce soit un ministre ?
Edmond Alphandéry : Ça poserait vraiment des problèmes. C'est vrai que faire conduire une liste par un ministre dont on sait pertinemment qu'il n'ira pas siéger à Strasbourg, ça pose un problème. Je comprends le Premier ministre qui finalement s'est rallié à l'idée de faire conduire la liste par des gens qui envisagent de rester à Strasbourg.
Christine Fauvet-Mycia : Sur la présidence du CDS, René Monory pousse beaucoup les jeunes. On aura du mal à départager Méhaignerie et Bosson, la solution ne serait-elle pas d'en pousser un troisième, et pourquoi pas Baudis ?
Edmond Alphandéry : Je ne sais pas quelle solution sera trouvée, mais personnellement je serai en faveur de toutes les solutions qui évitent de voir s'affronter mes deux amis Pierre Méhaignerie et Bernard Bosson.
Sylvie Pierre-Brossolette : Est-ce que vous souhaitez que les ministres ne soient pas présidents de partis ?
Edmond Alphandéry : On ne va pas entrer dans cette question qui nous conduirait à ouvrir la boîte de Pandore. Ce que je souhaite, c'est que dans cette affaire pour la présidence du CDS, on trouve une solution qui évite que deux ministres importants du gouvernement de M. Balladur se trouvent en compétition.
Christine Fauvet-Mycia : On sent M. Balladur de plus en plus candidat aux présidentielles, alors pour vous c'est clair, il est candidat ?
Edmond Alphandéry : Le Premier ministre nous a fixé une règle, et personnellement je trouve cette règle merveilleuse, elle me plaît énormément, ça consiste à demander aux ministres de ne pas parler de la présidentielle avant l'échéance, c'est-à-dire avant 1995. Aujourd'hui, nous sommes confrontés à des problèmes, les français ont des préoccupations, c'est le chômage, c'est l'emploi, c'est la sécurité, c'est les problèmes de l'exclusion, nous avons évoqué beaucoup de problèmes qui intéressent les français, c'est l'activité économique, c'est le problème des faillites, des risques de faillite de leur entreprise. Voilà les vrais problèmes, et face à ces problèmes le gouvernement a lancé une multitude d'actions dans tous les domaines. Le gouvernement est très réformiste, il se lance dans une action très difficile parce que ces réformes se font dans un environnement social qui est fragile. Le gouvernement précédent, malheureusement dans un environnement économique autrement plus favorable, a pratiqué le sur place, l'immobilisme. Vous savez, M. Rocard nous critique, mais en 88 il a hérité d'une économie en croissance, alors que nous héritons d'une économie en récession, il a hérité d'une situation fiscale pléthorique, et nous, héritons d'un déficit qui est le double de celui qui avait été voté quelques mois auparavant, d'une situation de l'emploi qui s'améliorait en 88, et nous qui s'est détériorée à vitesse grand V. Alors je crois qu'il faut quand même ne pas oublier ces choses-là. Dans cette situation, le gouvernement s'est lancé dans une action réformiste, dans beaucoup de chantiers. Regardez l'aménagement du territoire, regardez la sécurité sociale, regardez la justice, regardez la sécurité, regardez l'immigration…
Christine Fauvet-Mycia : Il reste encore beaucoup à faire puisqu'Édouard Balladur parle d'un certain nombre de réformes pour après 95, notamment l'école, la protection sociale et les institutions…
Edmond Alphandéry : Mais il a raison. Édouard Balladur a situé avec son gouvernement l'action gouvernementale dans la durée. Les réformes nécessitent du temps, et donc il est tout à fait normal qu'on se donne 5 ans, et notamment pour une raison très simple, c'est que la majorité dont nous sommes issus est une majorité qui a été élue pour 5 ans.
Sylvie Pierre-Brossolette : Pensez-vous que ça pourrait être Chirac qui puisse les appliquer ces fameuses réformes ?
Vous pensez qu'il a encore une chance ou vous pensez qu'il y aura un candidat UDF qui brouillera la donne et organisera la division ?
Edmond Alphandéry : Vous pensez que je vais manquer de vigilance, et que je vais oublier la recommandation du Premier ministre ? Vous revenez très doucement sur ce terrain pour essayer de me faire parler.
Sylvie Pierre-Brossolette : Vous souhaitez qu'il y ait un candidat unique ?
Edmond Alphandéry : Très franchement, je ne souhaite en aucun cas me prononcer sur l'élection présidentielle.
Christine Fauvet-Mycia : Pasqua ne se prive pas de parler des primaires, vous êtes d'accord ?
Edmond Alphandéry : Il ne parle pas de ça, il propose, d'après ce que j'ai cru comprendre, que nous mettions à la disposition des partis politiques, pour organiser les primaires notamment dans les bureaux de vote et les mairies, les mairies à leur disposition, pour permettre à des partis qui voudraient faire des primaires de les organiser. Le choix en appartient naturellement aux partis politiques.
Christine Fauvet-Mycia : Comprenez-vous que Balladur élude la question de son pacte avec Chirac, parce que s'il le disait, ça ne contribuerait pas à la sérénité du climat ?
Edmond Alphandéry : Je crois vraiment que ce sont des questions qui ne méritent pas de commentaire.
Sylvie Pierre-Brossolette : Sur la Bosnie, la dernière nouvelle c'est l'intervention de la diplomatie russe ; est-ce une bonne chose, ou bien cela présente-t-il aussi des inconvénients ?
Edmond Alphandéry : Moi je pense que c'est une bonne chose que les russes joignent leurs efforts à ceux des occidentaux pour la paix. C'est une question douloureuse, et le moment est délicat. Question douloureuse parce que la population de Bosnie, et particulièrement à Sarajevo, souffre et la France n'est pas insensible à ces souffrances. Il ne faut pas oublier que la France a actuellement le plus fort contingent de militaires pour des causes humanitaires dans le cadre de la Forpronu, et il ne faut pas oublier d'autre part que la France a une activité diplomatique intense, et Alain Juppé s'est dépensé sans compter, notamment pour convaincre nos partenaires de lancer cet ultimatum. Pour autant il s'agit d'un moment très délicat, nous sommes à quelques heures…
Sylvie Pierre-Brossolette : Vous croyez à la bonne volonté serbe ?
Edmond Alphandéry : Je crois que les serbes sont en train de prendre au sérieux cet ultimatum, et je crois qu'ils ont raison de le prendre au sérieux. Et le fait que les Russes, semble-t-il, souhaitent contribuer à rendre cet ultimatum efficace est à mon avis une chance supplémentaire pour la paix.
Christine Fauvet-Mycia : Vous envisagez un moment que la France puisse retirer ses casques bleus sur le terrain si aucune solution globale n'était trouvée ?
Edmond Alphandéry : Nous n'en sommes pas là, attendons, le sujet est très grave, l'affaire est extrêmement délicate, attendons de voir ce que va donner l'ultimatum. Je suis convaincu que les Serbes prendront conscience de la nécessité de respecter les clauses de l'ultimatum, et que la paix sera préservée. L'essentiel dans cette affaire, c'est que les belligérants se retrouvent autour de la table des négociations, et qu'on trouve une solution diplomatique au problème, c'est ça l'objectif de la politique française.
Christine Fauvet-Mycia : Pour achever ce Forum, un rite : quel est le plus grand regret de votre carrière politique ?
Edmond Alphandéry : Vous savez, on a toujours des regrets. Je vais vous dire mon regret, c'est de ne pas trouver le temps pour avoir une collaboration régulière avec un journal dans le cadre d'un éditorial. J'aimerais pouvoir être éditorialiste dans un journal, j'aurais aimé le faire, et j'aimerais le faire si le temps m'était donné.
Christine Fauvet-Mycia : Monsieur Alphandéry merci, notre prochain invité sera Patrick Devedjian, député RPR des Hauts-de-Seine.