Déclaration de M. Jacques Chirac, président du RPR et maire de Paris, sur la place de Paris dans la politique de l'aménagement du territoire, Paris le 30 mars 1994.

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Circonstance : Colloque sur le thème "Paris et l'Ile de France, quelle capitale pour la France de demain", à Paris le 30 mars 1994

Texte intégral

Messieurs les Ministres, 
Monsieur le Président, 
Mesdames, Messieurs,

La politique d'aménagement du territoire se définit par son ambition, noble et exigeante : dessiner une France plus harmonieuse, plus solidaire, plus équilibrée.

L'essentiel est en jeu, puisqu'il s'agit d'imaginer et de mettre en œuvre un développement qui permette de rassembler, en les conjuguant, les multiples atouts et talents que compte notre pays. C'est l'avenir de la société française, ses valeurs et son identité qui sont en cause.

Aménager le territoire, c'est afficher clairement la volonté de revitaliser les régions défavorisées, celles que la géographie ou l'histoire ont laissé à l'écart du développement. C'est la nécessité, de plus en plus forte, de contenir les concentrations urbaines, génératrices de tensions et d'exclusion.

Le colloque qui nous réunit aujourd'hui avait pour objet de mieux appréhender et de préciser le rôle qui revient à la capitale et à la Région Ile-de-France dans le cadre de cette grande politique.

La qualité des interventions et des débats y a largement contribué. La diversité des participants, élus, universitaires, chercheurs, économistes, responsables d'entreprises, a favorisé une confrontation fructueuse des approches et des analyses. Je tiens à vous remercier, tous et toutes, de votre participation.

C'est une évidence : au-delà des querelles traditionnelles entre Paris et la province, aussi stériles qu'artificielles, l'aménagement du territoire ne peut avoir qu'une seule règle : valoriser l'ensemble des dimensions de notre géographie et les complémentarités de notre espace.

J'irai même plus loin : cette politique n'obtiendra les résultats escomptés que si notre capitale joue pleinement son rôle en France, au sein d'une Europe et d'un monde de plus en plus compétitifs. En aucun cas, il ne faut céder à la tentation de présenter Paris et sa région en position d'accusés. Paris est un atout pour la France et je ne vois pas comment l'avenir de notre pays et celui de la région Ile-de France pourraient être dissociés.

Pour que Paris soit à la hauteur de ses responsabilités, il faut d'abord que notre ville soit capable de maîtriser son développement et fasse de la préservation de l'équilibre urbain une absolue priorité.

Les élus de la capitale se sont clairement exprimés en ce sens lors de l'élaboration de la charte d'aménagement de la ville.

La maîtrise du développement de la capitale suppose, et c'est l'une de mes principales préoccupations, une parfaite mixité urbaine. Encourager l'habitat et la diversité des populations qui font son âme ; préserver le dynamisme économique et l'emploi dans la ville : autant de priorités indissociables. Ce sont les deux faces d'une même exigence : l'équilibre dans la cité.

C'est cette volonté d'équilibre et de solidarité qui inspire la politique d'aménagement urbain conduite dans la capitale. Elle en constitue l'ossature.

Cet équilibre, c'est celui qui doit exister entre les différentes fonctions urbaines : habitat, travail, culture et loisirs. Pour cela, nous avons fait le choix de maîtriser la construction de bureaux et de privilégier résolument le logement. Le plan d'occupation des sols, en cours de révision, en portera témoignage.

L'équilibre urbain, c'est aussi un équilibre sociologique entre les différents types de logement et d'habitat. Équilibre qui justifie que le parc social de logements de la capitale soit développé et ouvert aux parisiens qui en ont le plus besoin : les familles les plus démunies bien sûr, mais aussi celles qui, ne pouvant accéder au parc locatif privé, étaient écartés des logements sociaux, en raison de plafonds de revenus inadaptés à la situation parisienne. Ces anomalies sont progressivement corrigées.

L'équilibre de Paris, c'est enfin une harmonie entre les différents quartiers qui la composent. Harmonie qui suppose de gommer les frontières entre l'opulence et la pauvreté. C'est tout le sens de notre politique en faveur de l'est parisien.

Mondialement reconnue pour la qualité de son cadre de vie et de son environnement, unanimement respectée pour la richesse de son architecture et de son histoire, Paris se doit de valoriser son patrimoine, avec toute l'attention et les moyens requis. À travers l'image de la capitale, c'est au rayonnement de la France que nous concourrons.

En qualité de maire de Paris et d'élu de la Corrèze, je mesure l'importance des atouts que Paris et la région capitale peuvent mettre au service de la France.

La force de Paris et de l'Ile-de-France est une chance pour notre pays. Porte d'entrée du territoire français, tête de réseau économique, financier et culturel, la région Ile-de-France doit contribuer à dynamiser l'ensemble du territoire. C'est sa vocation historique et naturelle, comme le symbolise l'Université de Paris qui incarne la force et la continuité du rayonnement de la France dans le domaine de l'enseignement et de la recherche et qui doit être protégée contre toute tentation de l'affaiblir.

La signature prochaine de la charte du Bassin Parisien constitue un progrès riche de symboles : la région Ile-de-France apportera, pour la première fois, son concours financier à la réalisation de projets qui ne sont pas sur son territoire. La démarche est originale. Je forme le vœu qu'elle soit relayée et prolongée par d'autres initiatives du même type, au-delà des frontières du Bassin Parisien.

Pour cela, Il faut d'abord préserver le potentiel de la région Ile-de-France : comment pourrait-on attendre de la capitale qu'elle entraîne dans son développement l'ensemble du territoire s'il lui fallait, au nom d'une vision réductrice renoncer à progresser et à se moderniser ?

C'est une évidence : il faut que le tissu économique francilien se renouvelle, comme il n'a cessé de le faire depuis un millénaire, que la création intellectuelle et scientifique demeure au meilleur niveau. C'est au regard de cet objectif, le seul qui importe, qu'il faut définir les fonctions de la capitale de demain.

C'est ainsi que les institutions importantes de Paris relevant du domaine de l'économie, de la recherche et de la culture pourront entretenir et développer des relations de coopération toujours plus étroites avec le reste du territoire national.

La mise en valeur de ce « réseau », où les intérêts se rejoignent et se confortent, est l'une des clés de la stratégie de développement de notre territoire. Il tourne le dos à cette vision de caricature qui voudrait que la région Ile-de-France ne puisse prospérer que sur les ruines de ce que l'on nommait, Il y a plus de 30 ans, le « désert français ».

Paris n'a nullement vocation à accaparer les richesses et les équipements de la Nation. Membre du groupe restreint des capitales mondiales, elle a cependant pour ambition d'occuper la place politique, économique et culturelle qui lui revient dans l'Europe occidentale.

Cette ambition n'est pas simplement la nôtre : elle doit être aussi celle du pays tout entier. Car si Paris s'affaiblissait, toute la France en ressentirait rapidement les effets. La politique d'aménagement du territoire ne saurait consister à organiser de simples transferts entre Paris et la province. Elle doit être autre chose qu'un jeu à somme nulle : rien ne serait plus dangereux que de nous contenter de répartir la pénurie, car personne n'y gagnerait. Que l'on me comprenne bien : il ne s'agit pas de créer les conditions d'un hégémonisme parisien. Il s'agit d'affirmer l'ambition d'un développement solidaire pour l'ensemble de notre territoire. J'ajoute que, à la différence de beaucoup d'autres pays, la France entière s'est toujours reconnue dans sa capitale. C'est un privilège que nous devons préserver.

Pour maintenir leur rang en Europe et dans le monde, Paris et sa région ont besoin d'une France dont l'identité profonde soit préservée.

J'ai eu l'occasion de dire que Paris était un atout pour la France. Je crois que l'inverse est également vrai : la France, avec toute la diversité de ses provinces, constitue une chance pour Paris.

Dans la concurrence internationale et européenne, Il ne s'agit pas uniquement de savoir si Paris séduit les Investisseurs plus que Francfort, Londres ou Bruxelles. Il s'agit de veiller à ce que la France, avec toutes ses forces et toutes ses richesses, soit capable d'attirer sur son sol le plus grand nombre d'Intelligences et d'entreprises étrangères.

À trop concentrer nos atouts sur quelques métropoles régionales, nous avons vidé près de 50 % de notre territoire de l'essentiel de sa substance, omettant au passage le lourd tribut qu'il nous faudra acquitter pour inverser cette tendance.

Conscients des risques que comportent ces déséquilibres, Paris et la région d'Ile-de-France sont prêts à mettre en œuvre les solidarités nécessaires, car la cohésion interne de notre pays est un des éléments constitutifs de son rayonnement.

L'État doit montrer l'exemple. Il ne peut pas se contenter d'être le chef d'orchestre de l'aménagement du territoire.

Il doit aussi en être l'acteur à travers ses propres services. J'entends par là qu'il doit abandonner définitivement cette conception comptable qui voudrait que l'on ferme des établissements ou des services publics dans les zones difficiles, au seul motif qu'ils ne seraient pas rentables.

Démanteler, sous prétexte d'économies immédiates, le maillage administratif de notre territoire, c'est oublier le prix de l'exode rural, de la désertification des campagnes et de la croissance déraisonnable des villes et des banlieues.

La revitalisation des régions déshéritées, qu'elles soient urbaines ou rurales, suppose de vigoureuses mesures de soutien en faveur des activités, qu'elles soient agricoles, industrielles, artisanales, commerciales ou libérales parce qu'elles constituent la substance de l'économie française. Il est essentiel de les encourager et de les développer grâce à de puissantes aides financières et fiscales. Le coût de cette politique sera, là aussi, inférieur à celui trop souvent ignoré car mesuré a posteriori, de la progression du chômage qui résulte de l'asphyxie d'une partie de notre territoire, qu'elle soit le fait de la désertification ou, à l'inverse, de la concentration urbaine.

Vos débats l'ont remarquablement démontré : l'aménagement du territoire, ce sont d'abord et avant tout de solides convictions.

La conviction que le développement maîtrisé et équilibré de Paris et de sa région est une chance pour la France.

La conviction qu'en fédérant les énergies, il est possible de développer harmonieusement notre territoire et de renforcer notre influence dans une Europe de plus en plus continentale.

La conviction qu'en étant plus imaginatifs, nous nous donnerons les moyens de développer l'emploi, de faire reculer l'exclusion, de redonner tout son sens à l'égalité des chances.

Les perspectives tracées aujourd'hui, les pistes de recherche esquissées, méritent d'être prises, approfondies et poursuivies. La réflexion sur l'avenir de la Capitale et de sa Région justifie un effort renouvelé d'imagination. Les initiatives des uns et des autres en ce sens doivent être mieux connues et mieux rassemblées.

La ville de Paris est prête à poursuivre le travail ainsi engagé et à offrir, sous les formes concertées et appropriées, le cadre d'une réflexion commune aux institutions parisiennes et franciliennes, pour leur permettre de fédérer leurs efforts de recherche prospective sur l'avenir de la Capitale.

Paris et l'Ile-de-France seront, j'en suis sûr, à la hauteur de ces enjeux. Leur Intérêt le commande. Leur sens des responsabilités et leur esprit de solidarité le garantissent.

Au fond, l'aménagement du territoire n'est-il pas tout simplement un hymne à l'unité de la Nation ?