Texte intégral
RTL : Mercredi 29 juin 1994
J.-J. Bourdin : Hier, à l'Assemblée nationale, B. Tapie a déposé une proposition de loi pour rendre le chômage des moins de 25 ans illégal. Il estime que « le droit d'obtenir un emploi est inscrit dans la Constitution. Il faut imposer aux entreprises l'obligation de recruter des jeunes. Les entreprises doivent recruter des chômeurs de moins de 25 ans au moins 5 % de leur effectif ». Selon lui, « cela permettrait de donner du travail à 750 00 jeunes », « cela coûterait chaque année 66 milliards de francs à l'État car cela serait financé par le budget de l'État ». Que dites-vous de cette idée, vous, ministre du Travail ?
M. Giraud : Ce que j'ai envie de dire, c'est que, si le sujet n'était pas si sérieux, on pourrait imaginer que B. Tapie vient d'inventer le moteur à eau. Lutter contre le chômage par une imprécation, ça ne m’apparaît pas sérieux. C'est à la fois se moquer des chômeurs et aussi, se moquer de la loi. L'inégalité face aux chômeurs, c'est plutôt des conditions d'accès ou de maintien dans l'emploi. Ça concerne en particulier, aujourd'hui, les jeunes sans qualification ou les salariés les plus âgés. Alors je préfère que, pour les jeunes sans qualification ou les salariés les plus âgés. Alors je préfère que, pour les jeunes sans qualification, on fasse ce que le gouvernement fait, à savoir, alléger les charges qui pèsent sur les bas salaires, développer la formation en alternance. C'est ainsi que l'apprentissage s'est développé de plus de 60 %, depuis le début de l'année. Quant aux salariés les plus âgés, c'est toute l'organisation du travail, le temps partiel, ce sont les contrats de retour à l'emploi. Je préfère une formule qui respecte à la fois la loi et le partenariat social.
J.-J. Bourdin : Revenons sur les propos tenus par E. Balladur avant-hier. Il nous a dit qu'il « espérait raisonnablement inverser la courbe du chômage avant la fin de l'année ». Avez-vous le même espoir, sachant que les chiffres du chômage du mois de mai en seront pas très bons ?
M. Giraud : Ce qu'il faut dire d'abord, c'est que tous les indicateurs d'évolution sont positifs. Les offres d'emplois, les offres d'emplois satisfaites, l'emploi des jeunes : tout, tout va dans le bon sens et continue d'y aller. Ce qui veut dire qu'il y a un effet de croissance, et aussi un effet de mesures structurelles touchant à l'emploi. En revanche, il faut savoir que la stabilisation du chômage, qui précède la décrue est susceptible de faire l'objet de quelques aléas. J'imagine que le Premier ministre, dans sa réponse de lundi soir, avait en tête le fait que ce nouveau dynamisme de l'offre que l'on sent aujourd'hui peut susciter un afflux des demandes d'emplois. L'objectif reste le même : l'arrêt de la courbe de croissance le plus tôt possible et aussi vite que possible, et aussi, le début de la décrue. Le Premier ministre vise la fin de l'année, je le confirme.
J.-J. Bourdin : Accélération des offres d'emplois. Donc, vous confirmez aussi que les chiffres de mai ne sont pas très bons.
M. Giraud : Je n'ai pas les chiffres, mais je pense que mai risque de ne pas être très bon.
J.-J. Bourdin : On parle d'une augmentation du chômage de 1 à 2 %.
M. Giraud : Si j'avais des chiffres, je vous les donnerais. Il faut savoir que je les donne dès que je les connais, donc demain.
J.-J. Bourdin : Pas de coup de pouce du SMIC le 1er juillet, mais une augmentation de 2,1 %, le taux horaire passe de 34,83 francs à 35,56 francs. Est-il normal que le pouvoir d'achat des salariés payés au SMIC augmente moins que le pouvoir d'achat moyen des autres salariés ?
M. Giraud : Le gouvernement a clairement défini sa politique en matière de salaire minimum et il l'a fait l'été dernier, avant même le débat sur la loi quinquennale. 1) Il faut assurer un minimum décent. 2) Il ne faut pas que le coût du travail pour les catégories les moins qualifiées dissuadent les entreprises à créer des emplois. Il apparaît, quand on regarde les choses avec recul, que la succession des coups de pouce conduit à une sorte d'exclusion sociale. Le nombre des smicards a doublé de 80 à 92 et aujourd'hui, la politique des bas et moyens salaires s'est essoufflée. Moi je suis pour privilégier l'emploi. Nous avons aujourd'hui, un objectif absolument prioritaire qui est l'emploi. Deuxièmement, je l'ai dit à la commission de la négociation collective dès lundi, je suis pour ré-ouvrir une véritable une véritable négociation sur les bas et les moyens salaires. La politique du gouvernement, c'est privilégier l'emploi. Il ne faut donc pas que le SMIC augmente trop vite. C'est le double objectif qui est poursuivi.
J.-J. Bourdin : J.-Y. Hollinger vous demandait ce matin, dans sa chronique, « où en était le déblocage de la participation pour l'achat d'une voiture ». Certaines entreprises refusent de débloquer cette participation.
M. Giraud : Il y a deux déblocages : celui de la réserve constituée pour les années 89 et 90 et, dans ce cas, l'accord d'entreprise est obligatoire et l'employeur peut s'y opposer, s'il le souhaite. S'agissant de votre question, de deux choses l'une : ou bien les fonds sont gérés par un organisme extérieur à l'entreprise, et l'expérience montre que les fonds sont débloqués sans restriction ; ou bien les fonds sont conservés et gérés par l'entreprise sur des comptes courants. Jusqu'à présent, la décision du gouvernement n'était qu'indicative et donc, certaines entreprises pouvaient refuser le déblocage. Mais dès les promulgations de la loi de participation que je suis en train de faire voter en ultime lecture au Sénat, courant juillet, cette incitation deviendra une obligation.
J.-J. Bourdin : Comment vit-on, quand on est au RPR, ministre élu de la région parisienne, la rivalité entre Chirac et Balladur ?
M. Giraud : Il est possible d'assumer une double fidélité. En tout cas, c'est une attitude à laquelle je ne dérogerai pas. Et puis, quand on est à la fois ministre du Travail et président de la région d'Ile-de-France, par les temps qui courent, on n'a pas à se demander comment on occupe ses journées.
RMC : Lundi 4 juillet 1994
P. Lapousterle : Les chiffres du chômage du mois de juin sont très mauvais, 20 000 chômeurs en plus, pourquoi cette rechute ?
M. Giraud : Le chiffre du mois de mai est décevant, c'est indiscutable. Pourquoi est-il décevant ? Quand on regarde les choses d'un peu plus près, on s'aperçoit qu'un certain nombre de demandeurs d'emploi, qui ne se sont jamais manifestés ou qui avaient abandonné l'idée de s'inscrire, sont venus s'inscrire. C'est, me semble-t-il, l'effet d'une annexe et d'un contrat confirmé, celui d'une reprise progressive. Il ne faudrait pas oublier qu'il y a un an, on en était à une moyenne de 30 000 demandeurs d'emploi supplémentaires tous les mois. Depuis six mois, c'est l'effet du début de retour de croissance en même temps que de la mise en application des mesures d'urgence, la loi du 23 juillet, et le début d'application de la loi quinquennale, il y a un freinage très sensible puisqu'on est à peu près, au cinquième de la progression qu'on connaissait il y a un an. Tous les indicateurs sont aujourd'hui positifs : les offres d'emploi, les offres d'emploi satisfaites, la formation-insertion des jeunes, les contrats de retour à l'emploi, les offres d'emploi satisfaites, la formation-insertion des jeunes, les contrats de retour à l'emploi qui concernent des chômeurs de longue durée. L'ensemble de ces indicateurs persistent au mois de mai, ce n'est donc pas une inversion. La tendance reste la même, il y a un chiffre décevant au mois de mai, j'aurais préféré qu'il soit plus faible, mais ça n'est, me semble-t-il, qu'un incident de parcours sur une trajectoire de sortie de la situation très mauvaise que l'on a connue pendant plus de deux ans.
P. Lapousterle : On peut toujours penser, qu'à la fin de l'année, il y aura un retournement de la tendance, c'est-à-dire qu'on aura moins de chômeurs le mois suivant par rapport au mois passé ?
M. Giraud : Je voudrais vous rappeler que, en 1993, tous les conjoncturistes, je dis bien tous, annonçaient pour 1994, 250 000 demandeurs d'emploi supplémentaires. Ils ont révisé, il y a quelques semaines, en disant qu'il n'y aura pas plus de 100 000. Moi, je vous dis que ne sera pas à 100 000, nonobstant, on est aujourd'hui tout près du palier et donc tour près de l'inversion. C'est l'effet, à la fois de la politique économique du gouvernement et du traitement de fond, c'est-à-dire des mesures structurelles qui ont été prises pour protéger l'emploi – les plans sociaux –, pour faciliter l'accès à l'emploi – les exonérations – et pour préparer les jeunes à trouver leur place dans le monde du travail.
P. Lapousterle : Parmi vos amis, tout le monde ne vous soutient pas.
M. Giraud : C'est normal vous savez, il y a un moment où l'inquiétude se transforme en impatience. Le problème, c'est de ne pas sombrer devant l'impatience et de continuer à travailler de façon déterminée, pour prouver à ceux qui craignent qu'ils ont tort.
P. Lapousterle : Sur la loi quinquennale qui est la vôtre, Messieurs Pericard et Novelli vous ont délivré un carton jaune, en disant que l'application de la loi était alarmante. Il y aurait « un défaut majeur de communication » et les chefs d'entreprise ne connaîtraient pas cette loi.
M. Giraud : On dit que cette loi est trop longue ou trop compliquée. D'abord, je voudrais dire que, si l'on veut vraiment s'attaquer aux racines du mal – j'évoquais tout à l'heure la création et la protection de l'emploi, la préparation à la vie de travail – on est obligé de balayer large, ou alors ce n'est pas un ensemble de mesures structurelles. C'est vrai que c'est une loi de société, c'est vrai qu'elle est rentrée au Parlement avec 52 articles et les parlementaires l'ont nourrie, l'ont enrichie. J'ai été heureux d'accepter un certain nombre de leurs amendements. Elle est sortie avec 83 articles, elle a été votée à l'unanimité de la majorité, aussi bien à l'Assemblée nationale qu'au Sénat. Je trouve qu'aujourd'hui, la critique n'est peut-être pas la mieux venue. Je voudrais préciser que, tous les jours, nous traitons des plans sociaux ou nous signons des conventions avec des chefs d'entreprise qui sont très heureux de trouver les mesures de la loi quinquennale. On dit « mais elle est difficilement lisible pour les PME », je voudrais vous dire que, la semaine dernière, j'avais l'expression très affirmée de la CGPME, à propos des décrets concernant la simplification de la représentation syndicale dans les PME. Il y a d'autres mesures pour les PME : les groupements d'employeurs, le fait que les exonérations sont totales pour les PME qui se créent. Bref, c'est une loi dont je veux bien qu'on dise qu'elle est lourde mais elle est utile dans tous les cas de figure, elle commence à porter ses fruits, on n'aurait pas, aujourd'hui, signé 25 conventions pour créer 56 000 emplois de services supplémentaires, s'il n'y avait pas la loi quinquennale. Il faut s'y faire, il faut qu'elle soit relayée un peu partout, il faut que les organismes représentatifs du patronat, des PME, des syndicats fassent aussi leur part de travail. Ne cherchons pas dire que cette loi est mal adaptée ou qu'elle est trop lourde.
P. Lapousterle : Vous pensez que Messieurs Pericard et Novelli sont de mauvaise foi ?
M. Giraud : Non, pas du tout, mais qu'ils aient rencontré, ici ou là, un chef d'entreprise qui dise qu'il n'a pas tout assimilé, tout compris, je veux bien le croire. Mais, vous savez il y a partout des gens qui ont un peu de retard, je connais encore des Français qui comptent en ancien franc.
P. Lapousterle : B. Pons disait que les résultats ne sont pas au rendez-vous. Il pensait principalement au chômage.
M. Giraud : Je vous disais, tout à l'heure, qu'il y a des moments où l'inquiétude se transforme en impatience. Mais il ne faudrait pas que l'impatience fasse oublier un certain nombre de vérités. La majorité a pris la responsabilité du pouvoir. On avait un chômage galopant. 30 à 40 000 chômeurs de plus par mois, on a mis un formidable coup de frein. Je vous disais qu'on s'attendait à ce qu'il y ait 3,5 millions de chômeurs à la fin de 1993, ils n'y étaient pas M. Rocard disait à « 7 sur 7 », le 23 octobre, « on aura 4 millions de chômeurs fin 1994 », on sera très loin du compte. Le freinage aujourd'hui, représente un considérable effort. C'est toujours de trop, un chômeur de plus, c'est un chômeur de trop. Mais le problème aujourd'hui c'est effectivement, d'avoir une perspective de retour. Je ne dis pas une perspective de retour au plein emploi parce qu'il ne faut pas tromper les Français, mais d'avoir une perspective d'amélioration très sensible de la situation, c'est dans cette perspective que nous nous situons.
P. Lapousterle : Quand vous avez entendu V. Giscard d'Estaing dire, ce week-end, qu'il fallait radicalement changer de politique pour assurer le plein emploi, c'est-à-dire 5 à 6 % de chômeurs seulement en France et que, à l'horizon de l'an 2000, il fallait qu'un chômeur sur deux soit au travail, est-ce-que c'est une perspective possible et intéressante ?
M. Giraud : Envisager, dans un délai raisonnable, de réduire de moitié le chômage, c'est une perspective que j'accepte. E. Balladur a lui-même fixé comme objectif la réduction de moitié du chômage des jeunes à l'intérieur des cinq ans de la loi quinquennale.
P. Lapousterle : Des jeunes ?
M. Giraud : Oui, mais ça compte énormément. Nous sommes sur cette perspective. Qu'est-ce-qu'il faut faire ? Il faut, bien entendu, poursuivre la politique d'allégement des charges qui pèsent sur le travail. Le coût du travail est beaucoup trop élevé, notamment pour les emplois les plus modestes. C'est ce que nous faisons et l'accélération doit se faire en faisant basculer une partie des résultats de la croissance sur la lutte contre le chômage et moi, je me réjouis de voir les partenaires sociaux, car il faut travailler avec eux. Les partenaires sociaux de l'UNEDIC acceptaient qu'on mette en œuvre, aujourd'hui, un certain nombre de dispositions qui permettent à des chômeurs de retrouver du travail, les aider à retrouver le travail. Ce qui justifie qu'on ait une politique de négociation sociale, le partenariat social. Il faut avoir le courage de repenser un peu l'organisation du travail, c'est vrai qu'aujourd'hui il faut intégrer les temps de formation dans la vie de travail, c'est vrai qu'aujourd'hui il faut intégrer les temps de formation dans la vie de travail, mieux articuler la vie de travail sur la retraite. Ça bouscule un peu, c'est nouveau. C'est vrai que, quand on bouscule un peu, ça suscite quelques réactions. Tant pis pour les réactions, on va tout droit.
P. Lapousterle : Les ministres s'entendent bien, en ce moment, tout va bien ?
M. Giraud : Il n'y a aucun problème. Vous savez, le gouvernement est bien dirigé et l'atmosphère au gouvernement est excellente.
La Tribune Desfossés : 25 juillet 1994
La Tribune : les prévisions de l'OCDE sur l'emploi ne sont pas optimistes. Pour la France, l'OCDE prévoit une baisse de l'emploi de 0,4 % en 1994 et une légère reprise de 0,6 % en 1995. Le gouvernement ne fait-il pas preuve d'un trop grand optimiste en décelant les premiers effets de la reprise sur l'emploi ?
Michel Giraud : Le constat est clair. Sur les cinq premiers mois de l'année, l'augmentation du nombre des demandeurs d'emploi a été de 40 000 l'année dernière à la même époque. Il s'agit donc d'une décélération très nette.
Les écarts de prévisions entre l'OCDE, l'Insee et le ministère du Travail s'expliquent pour des raisons simples. Les prévisions de l'OCDE sont calculées en moyenne annuelle – en comparant la moyenne de l'emploi en 1994 à celle de 1993 –, alors que nos prévisions sont établies en comparant le chiffre de décembre 1994 à celui de décembre 1993. Celles de l'Insee sont faites à partir de modèles économiques : elles ne peuvent donc pas anticiper des ruptures rapides, telle celle que nous avons connue au début de cette année sur le marché du travail.
En 1994, on doit avoir une augmentation de la création d'emplois en France. Plusieurs éléments me conduisent à l'affirmer. Tout d'abord, les chiffres de l'emploi salarié au premier trimestre, en haussent de 25.700, en particulier dans les services. Ensuite, la baisse très marquée du chômage partiel qui s'est réduit de moitié depuis septembre dernier, ainsi que l'augmentation, elle aussi très sensible, de l'activité des entreprises d'intérim. Enfin, le succès des contrats aidés en entreprise (contrat de retour à l'emploi, apprentissage, qualification), qui montre que les entreprises veulent embaucher.
La Tribune : Et la prime à l'embauche des jeunes, instituées pour remplacer le CIP ?
M. Giraud : Pour l'instant, cette mesure n'a pas encore beaucoup décollé, 10 000 primes ont été attribuées en deux mois. Mais cette disposition est encore peu connue des entreprises. La campagne ne fait que commencer. Nous allons l'intensifier à la rentrée de septembre.
La Tribune : En tout état de cause, les experts sont unanimes : la reprise sera insuffisante à faire reculer le chômage. Quelles sont vos prévisions ?
M. Giraud : Il y a un an, quand j'ai signé avec les partenaires sociaux l'accord sur l'Unedic, tous les conjoncturistes prévoyaient 3,5 millions de chômeurs en fin d'année 1993 et 250 000 de plus en 1994. Or le chômage a commencé à freiner fin 1993. En début d'année, les experts ont réduit à 100 000 l'augmentation du nombre des chômeurs en 1994. Je suis tout à fait certain qu'on ne dépassera pas ce chiffre. Je crois même qu'on ne l'atteindra pas. Mon sentiment est que l'on connaîtra le palier stable et, sans doute, un début d'inversion de la courbe du chômage avant la fin de l'année. Je le dis depuis plusieurs mois. Je continue à le penser.
La Tribune : Le secrétaire général adjoint du RPR, Jean-Louis Debré, a récemment critiqué le bilan économique d'Édouard Balladur, notamment l'augmentation du chômage de 340 000 en un an. Comment réagissez-vous ?
M. Giraud : Jusqu'au mois d'octobre, les demandeurs d'emploi supplémentaires sont à mettre au compte des socialistes, c'est-à-dire 250 000. Je constate eu, depuis seize mois, l'inquiétude génère parfois l'impatience. Le propre d'un ministre, c'est de rendre en compte l'inquiétude de sa légitimité mais de ne pas se laisser traumatiser par les manifestations d'impatience.
La Tribune : Où en est le débat sur la réduction des charges au sein du nouveau gouvernement ? Le Premier ministre a affirmé qu'il n'y aurait pas de prélèvement supplémentaire sur les ménages, donc pas de « TVA sociale ». Faute de marges de manœuvres budgétaires, il n'y aura donc pas de nouvelle baisse de charges pour les entreprises dans le budget 1995 ?
M. Giraud : Dans le budget 1995, il y aura le respect de la loi quinquennale, c'est-à-dire la poursuite de la budgétisation des cotisations d'allocations familiales. Peut-on aujourd'hui aller plus loin ? J'ai toujours été et je demeure très réservé à l'égard d'une TVA dite « sociale ». Celle-ci ne pourrait conduire qu'à une réduction du pouvoir d'achat à un moment où l'économie a besoin d'une reprise de la consommation. Et que penser du caractère prétendument « social » d'un impôt qui pénalise beaucoup plus les personnes les plus démunies, car ce sont celles qui épargnent le moins…
En revanche, je suis favorable à une accélération de la baisse des charges sur les bas salaires. Je suis délibérément pour une politique d'allégement « ciblé ». Je suis tout à fait convaincu qu'une part du produit de la reprise doit être affectée à cet effort de baisse des charges sur les salaires les plus modestes, sans pour autant perdre de vue l'objectif essentiel de réduction progressive des déficits publics.
Lors de l'exécution du budget 1995, l'amélioration de la conjoncture devrait nous permettre d'accélérer la baisse des charges. Non en nous appuyant sur un supplément de CSG ou une TVA « sociale », mais en affectant une partie du produit de la reprise à l'allégement des charges.
La Tribune : Y a-t-il un débat sur ce thème au sein du gouvernement ?
M. Giraud : Il y a globalement un accord. Nous avons constaté, mercredi dernier, lors de la réunion d'arbitrage sur les dépenses budgétaires à Matignon, que tous les ministres sont d'accord pour considérer que le respect des engagements de la loi quinquennale sur la réduction des déficits est une priorité absolue. Ce qui signifie que chacun est prêt à faire des efforts. Nous sommes aussi tous d'accord sur la nécessité de continuer d'alléger les charges sur les salaires les plus modestes, ce qui n'exclut pas de poursuivre, au gré des possibilités, la réduction de l'impôt sur le revenu.
Êtes-vous satisfait des arbitrages budgétaires 1995 pour le ministère du Travail ? Vous souhaitiez obtenir 120 milliards de francs, notamment pour poursuivre le traitement social de chômage, avec les contrats emploi-solidarité (CES).
La Tribune : Avez-vous réussi à convaincre le ministre du Budget ?
M. Giraud : Je n'ai pas encore reçu ma « lettre plafond ». Mon budget 1993 était de 103 milliards de francs. Je bénéficie de quelques augmentations en cours d'exercice. Mes demandes, en 1995, tournent effectivement autour de 120 milliards. À 115 milliards je m'en sors. J'ai dans mon budget des éléments lourds, notamment la budgétisation des cotisations d'allocations familiales qui coûtera environ 16 milliards de francs en 1994, le traitement du chômage de longue durée : les contrats de retour à l'emploi (CRE), les CES, les emplois consolidés. Je pense obtenir les 160 000 CRE que j'ai demandés. Les CES seront reconduits à 650 000, comme pour 1993. C'est pour tenir compte de la nécessité d'un effort supplémentaire contre l'exclusion que leur nombre a été augmenté. Si nécessaire, il pourra en être de même en 1995.
Un autre volet n'est pas encore définitivement tranché : le volet Unedic. L'accord signé en juillet 1993 prévoit une participation de l'État de 10 milliards de francs par an au financement du régime d'assurance chômage. Or on constate aujourd'hui que les prévisions sur les bases desquelles a été négocié le protocole d'accord s'avèrent heureusement pessimistes. Le chiffre de 10 milliards est-il révisable ? En tout état de cause, rien ne se fera sans négociation avec les partenaires sociaux. Ceux-ci savent bien que ce que l'État sort en crédit budgétaire, c'est de la fiscalité, donc du pouvoir d'achat en moins.
La Tribune : Un arrêt du Conseil d'État vient de confirmer une circulaire de l'ANPE stipulant que les personnes travaillant plus de 78 heures par mois ne pouvaient être considérées comme des chômeurs de catégorie 1, c'est-à-dire figurer dans les statistiques officielles publiées chaque mois par votre ministère. L'application de cette décision aurait comme conséquence de « sortir » d'un coup 227 700 demandeurs d'emploi des statistiques. Allez-vous en tenir compte ?
M. Giraud : Ce serait, certes, une bonne opportunité de mettre nos statistiques en conformité avec celles du Bureau international du travail (BIT), ce qui conditionne l'exactitude des comparaisons internationales. Il faudrait aussi, simultanément, reconstruire les courbes d'évolution du chômage observées dans les derniers mois, voire dans les dernières années. Techniquement, cet exercice de vérité est envisageable. Il impose évidemment un grand effort d'explication car il ne manquera pas de commentateurs mal intentionnés pour estimer qu'à l'occasion d'une opération vérité l'ANPE manipule à son avantage les chiffre du chômage. La décision n'est pas prise. En tout état de cause, il ressort de l'arrêt du Conseil d'État que les chiffres de chômeurs de catégorie 1 sont surévalués, et cette information, à elle seule, est réconfortante.
La Tribune : Dans son intervention du 14 juillet, le président de la République a regretté que le gouvernement n'ait pas augmenté le Smic dans des proportions plus fortes au 1er juillet, comme la loi l'y autorisait, et s'est prononcé pour une hausse des salaires pour relancer la consommation et favoriser l'emploi. Qu'en pensez-vous ?
M. Giraud : Le gouvernement a clairement défini sa politique en matière de salaire minimum. Il n'est pas question de toucher au Smic. C'est un arbitrage qui date du 17 août 1993, il faut en revanche, veiller à ce que le coût de travail ne dissuade pas les entreprises de créer des emplois pour les publics les moins qualifiés.
La politique du « coup de pouce » systématique de nos prédécesseurs a contribué à aggraver l'exclusion sociale : le nombre de personnes au Smic a plus que doublé entre 1980 et 1992, en passant de 3,9 % à 8,6 %. La situation de l'emploi est suffisamment préoccupante pour que le gouvernement ne privilégie par une augmentation rapide du Smic au détriment de l'insertion dans l'emploi des personnes peu qualifiées qui sont les plus facilement exclues du marché du travail : 700 000 chômeurs sont des manœuvres ou des employés non qualifiés.
J'ajoute que l'indispensable négociation sur les bas et moyens salaires, à laquelle je convie fermement les branches, ne doit pas être contrariée par une majoration accélérée du Smic.
La Tribune : Une étude de votre ministère montre que le travail à temps partiel a augmenté de 20 % en deux ans grâce aux exonérations de charges. Un récent rapport parlementaire, présenté par le député RPR, Jean-Yves Chamard, préconise de revoir l'article 39 de la loi quinquennale sur la réduction de la durée du travail (ex-amendement Chamard sur la semaine de quatre jours) pour développer le « temps choisi ». Allez-vous répondre à cette demande ?
M. Giraud : Si le travail à temps partiel a augmenté grâce aux exonérations de charges, il a surtout bénéficié des nouveaux dispositifs mise en place par la loi quinquennale. Fusion du contrat de travail à temps partiel et du contrat intermittent en un dispositif unique. Annualisation possible du temps partiel. Élargissement de la plage d'éligibilité : 16 heures - 32 heures au lieu de 19 heures - 30 heures. Possibilité d'effectuer des heures supplémentaires.
L'article 39 sur l'expérimentation de la réduction aidée du temps de travail (amendement Chamard) n'est qu'un élément supplémentaire du dispositif. Pour le moment, les expériences ne décollent pas beaucoup. Nous avons quelques dossiers en cours d'examen. En fonction des résultats obtenus au 31 décembre 1994, une éventuelle amélioration de la mesure pourrait être envisagée.
La Tribune : Les partenaires sociaux sont parvenus à un accord sur les formations en alternance. Allez-vous, comme prévu, présenter un projet de loi sur l'alternance à l'automne pour instaurer cette fameuse « première marche » pour les jeunes non qualifiés ?
M. Giraud : Je souhaitais une reprise de la négociation : je me réjouis de la conclusion de l'accord national interprofessionnel. C'est un succès pour le dialogue social dans l'esprit de la loi quinquennale, avec le resserrement du système de collecte et le capital temps formation, et la mise en œuvre de quelques dispositions audacieuses, comme la réforme de la taxe d'apprentissage.
Je pense toutefois que le toilettage des contrats d'orientation n'est pas tout à fait à la hauteur de l'enjeu pour les jeunes non qualifiés. Je prépare effectivement un projet de loi pour l'automne. Il sera court et s'inspirera aussi fidèlement que possible de l'accord conclu entre les partenaires sociaux pour mettre en place une grande filière de formation en alternance, articulée autour du contrat d'apprentissage, mais préservant le contrat de qualification pour satisfaire certains besoins de formation. Je m'efforcerai de rendre un peu plus performant le dispositif pour les jeunes non qualifiés. Enfin, le projet de loi complétera l'accord pour mieux prendre en compte trois acteurs essentiels du développement des formations en alternance : l'État, dans sa fonction de contrôle et de garantie de bon emploi des fonds ; les régions, en cohérence avec les nouvelles responsabilités conférées par la loi quinquennale ; les chambres consulaires, pour conforter leur légitimité dans le domaine de l'apprentissage.
France 2 : Lundi 1er août 1994
A. Krauss : A-t-on une baisse réelle du chômage ou est-ce conjoncturel ?
M. Giraud : On sentait depuis quelques mois que les efforts de la reprise, la mise en œuvre des dispositions législatives de la loi quinquennale, conduisaient à une amélioration de tous les indicateurs de la courbe du chômage et qu'on était assez proche du palier. Pas de triomphalisme, il y a trop de familles dans l'épreuve pour avoir un discours qui soit déplacé, mais c'est vrai que c'est la première baisse depuis quatre ans, 13 000 demandeurs d'emploi en moins et, si l'on tenait compte des chômeurs ayant une activité réduite, ce que le Conseil d'État demande mais ce que le gouvernement n'a pas fait, ce serait un peu plus de 30 000, c'est donc une amélioration significative.
A. Krauss : Des experts pronostiquent une hausse du chômage.
R : Honnêtement, je crois que nous avons aujourd'hui atteint un palier suffisamment fiable pour qu'on n'ait pas cette crainte d'une ré-augmentation du chômage. On peut avoir un mois ou un autre un chiffre positif, mais nous avons atteint le palier. Je voudrais rappeler qu'au milieu de l'année 1993, tous les conjoncturistes disaient qu'il y aurait en 1994, 250 000 demandeurs d'emplois supplémentaires. M. Rocard a dit à 7/7 qu'on atteindrait les quatre millions de chômeurs fin 94. Or, les conjoncturistes ont réduit à la baisse leurs perspectives il y a quelques mois. Mon sentiment : ce sera moins, ce pourrait être assez sensiblement moins.
A. Krauss : La reprise semble moins bénéficier à la France pour l'emploi que pour d'autres pays ?
M. Giraud : C'était le cas, on ne peut pas considérer que ce sera le cas parce que les dispositions pour favoriser l'emploi portent leurs fruits et je pense que nous allons avoir une croissance plus porteuse d'emplois et puis ne comparons pas les chiffres français corrigés des variations saisonnières et ceux de l'Allemagne qui ne le sont pas. La situation de l'emploi en France, et notamment celle des jeunes, est à notre avantage.
A. Krauss : Dans ce chiffre, dans le détail, qu'est-ce qui est positif et négatif ?
M. Giraud : Sur la durée, nous avons une augmentation de 31 300 demandeurs d'emplois. En 1993, c'était 174 000. Pour les 16-25 ans, le chômage avait augmenté de 24 200 au premier semestre 1993, il baisse de 18 900. Deux éléments pour dire que nous avons atteint un palier : la baisse des licenciements économiques de 22 %, les offres d'emplois satisfaites augmentent de 34 % sur l'année. Il y a donc des tendances très affirmées qui nous conduisent à dire que nous avons atteint le palier et que nous devons avoir confiance.
A. Krauss : Le Conseil d'État a demandé que l'on retire des demandeurs d'emplois qui travaillaient à temps partiel, vous ne l'avez pas fait ?
M. Giraud : Le Premier ministre est tout à fait conscient que, ce serait une simplification qui ne serait pas inutile puisqu'elle permettrait des comparaisons difficilement possibles aujourd'hui, mais il ne veut pas qu'il y ait d'équivoque. Il ne faut pas qu'on dise « ils ont voulu changer le thermomètre pour montrer que cela allait plus vite ». On maintient la présentation traditionnelle et on la maintiendra pour les mois qui viennent mais je demande aux services compétents d'établir un été qui réponde aux dispositions qui ont été arrêtés par le Conseil d'État. Mais de cette façon il n'y aura pas de confusion.
France 2 : 1er août 1994
E. Leenhardt : Le Premier ministre avait annoncé une hausse du chômage pour 1994.
M. Giraud : Le Premier ministre et nous pensons que le chômage augmentera de moins de 100 000 personnes et nous faisons tout ce qui doit être fait pour accompagner la reprise par la mise en œuvre des mesures structurelles de telle façon qu'on ait une reprise qui soit porteuse d'emplois, ce qui n'était pas toujours le cas naguère.
E. Leenhardt : Quel est votre analyse des chiffres du chômage ?
M. Giraud : Le chômage a diminué parce que, si l'on prend la période de six mois, on a le cinquième des entrées en chômage qu'on avait il y a un an, parce que les jeunes sont aujourd'hui en meilleure situation. L'année dernière, pratiquement 25 000 jeunes chômeurs supplémentaires, et cette année 20 000 jeunes chômeurs en moins. Donc, la situation est bonne. Ceci étant, pas de triomphalisme. Ce serait tout à fait déplacé. D'abord, je crois que nous sommes arrivés à un palier, mais un palier peut avoir des hauts et des bas. Un palier, ce n'est pas un plancher plat. Il peut y avoir un effet de tôle ondulée. Et puis ensuite, quand on a encore 3,3 millions de chômeurs, c'est-à-dire un grand nombre de familles qui sont dans l'épreuve, dans la peine, il faut se garder de toute satisfaction déplacée.
E. Leenhardt : Est-ce que vous pouvez mesurer d'ores et déjà les effets de la prime à l'embauche ?
M. Giraud : On en est au tout début. Je rappelle que la décision est du mois d'avril. Il n'y a eu que le mois de mai et le mois de juin. Donc, c'est un début. Un petit début, environ 10 000 primes ont été accordées. Mais en revanche, les contrats d'apprentissage, les contrats de qualification sont en très forte progression : + de 55 % pour les contrats d'apprentissage, près de 50 % pour les contrats de qualification. Et c'est là une des explications de l'amélioration de la situation dans l'emploi des jeunes.
E. Leenhardt : En revanche le nombre des chômeurs longue-durée, lui, continue d'augmenter. Cela veut dire qu'il va y avoir de plus en plus d'exclus du monde du travail en France ?
M. Giraud : Il y a un effet mécanique. À partir du moment où il y a reprise de l'activité, mise en œuvre des mesures de la loi quinquennale et des mesures d'urgence pour les jeunes, obligatoirement on a une augmentation du chômage de longue durée. D'autant que, les chômeurs de longue durée, ce sont ceux qui sont rentré dans le chômage en 91-92, début de la crise, crise profonde. Et puis il y a eu l'opération des 900 000 chômeurs que je ne conteste absolument pas. Mais on a offert à un certain nombre d'entre eux des stages de trois mois. Ils sortent du stage, ils sont chômeurs de longue durée. Donc, on a un vrai problème, ce qui justifie l'effort du gouvernement en faveur de chômeurs de longue durée, les contrats de retour à l'emploi, dont je tiens à signaler qu'ils sont en très forte augmentation.
E. Leenhardt : Sur quoi est-ce que vous tablez d'ici la fin de l'année ? Parce que les experts apparemment sont moins enthousiastes et moins optimistes que vous.
M. Giraud : Il y a d'abord les effets de l'économie en général. Je veux dire par là qu'il y a aujourd'hui une reprise de l'activité industrielle. Plus seulement l'exportation, l'investissement. Une reprise de l'activité industrielle, un début de reprise de la consommation. Il y a une baisse des licenciements économiques et une augmentation très sensible, 34 % des offres d'emplois et des offres d'emploi satisfaites. Toutes les composantes dont nous disposons, conduisent à penser qu'on est arrivé à un palier, un palier fiable, un palier solide.
E. Leenhardt : Est-ce que le gouvernement ne risque pas de trahir la parole donnée sur le financement de l'UNEDIC ?
M. Giraud : Le gouvernement respectera l'engagement financier qu'il a pris. En revanche, ce que souhaite le gouvernement, c'est qu'il y ait une concertation avec les partenaires sociaux pour voir comment échéancer les versements, conjuguer l'équilibre durable du régime d'assurance-chômage que je souhaite tout autant que les partenaires sociaux et les comptes publics de la nation. Chacun sait qu'à partir du moment où on dépense plus, ou bien c'est du déficit, ou bien c'est de la fiscalité, ou bien c'est de l'emprunt et l'emprunt n'est rien d'autre que de la fiscalité à terme.
E. Leenhardt : Vous garantissez aux syndicats que les 10 milliards de francs seront versés en 1995 et 1996 ?
M. Giraud : Je donne la garantie que les engagements financiers de l'État seront respectés par l'État et puis il appartiendra au gouvernement, et en particulier au ministère du Travail, de voir avec les partenaires sociaux, les gestionnaires de l'UNEDIC, quel est l'échéancier le plus conforme aux intérêts du régime d'assurance-chômage et à la situation du Budget de l'État.