Déclarations de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères, en réponse à des questions sur la situation en Algérie et l'aide de la France, le GATT et les relations avec le Liban, au Sénat le 14 avril 1994.

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Texte intégral

Q. : Ma question s'adresse à monsieur le ministre des Affaires étrangères que je remercie d'être présent pour y répondre.

La situation en Algérie, mes chers collègues, ne cesse de s'aggraver. Ce pays qui nous est si proche à tant de points de vue est en proie à une véritable guerre civile larvée. Chaque jour apporte son lot d'assassinats qui frappent des intellectuels, des fonctionnaires, des enseignants mais aussi de simples citoyens. Tous ceux qui refusent de voir leur pays tomber dans l'obscurantisme sont aujourd'hui menacés. Cette situation nous pose très directement deux types de problèmes ; le premier est de savoir comment la France peut aider l'Algérie à sortir de ce marasme. C'est notamment le problème de l'aide économique et financière qui doit accompagner les accords qui viennent d'être conclus avec le FMI et la Banque mondiale. Je vous serais reconnaissant, M. le ministre, de bien vouloir nous donner toutes précisions utiles à ce sujet.

Le deuxième problème est d'ordre humain. Les risques physiques qu'entraîne cette guerre civile larvée se traduisent déjà par une vague d'exodes de citoyens français à qui vous avez d'ailleurs, fort justement, conseillé de partir et aussi de bi-nationaux dont on ne connaît pas exactement le nombre. Cela pose de très sérieux problèmes d'accueil, en particulier pour les plus âgés qui n'ont en France ni assises, ni ressources. Ce qui a été fait jusqu'ici dans ce domaine nous paraît tout à fait insuffisant. La tendance à se décharger pour cet accueil sur les communes qui n'en peuvent mais n'est pas une solution. Vous avez déjà été saisi de ce problème par plusieurs de nos collègues et je tiens à votre disposition, Monsieur le ministre, de nombreux cas précis qui montrent des difficultés rencontrées.

Mais il n'y a pas que les Français ou les bi-nationaux. Beaucoup d'Algériens qui ont des attaches en France et qui ne se sentent plus en sécurité dans leur pays cherchent à trouver refuge chez nous et se heurtent à de grosses difficultés pour obtenir des autorisations de séjour dans la mesure où ils ne sont pas considérés comme des réfugiés politiques pouvant revendiquer le droit d'asile auprès de l'OFRA. Il s'agit certes d'un problème difficile, d'autant plus difficile que le nombre de postulants risque de s'accroître. Mais la France, pensons-nous, ne peut pas rester sourde à l'appel d'hommes et de femmes qui considèrent en quelque sorte, ce qui leur vaut les menaces dont ils sont l'objet, que la France est leur seconde patrie. Plusieurs organisations comme, par exemple, le Comité international de soutien aux intellectuels algériens, s'efforce d'apporter des solutions ponctuelles. Mais je vous demande, M. le ministre, de quelle façon le gouvernement entend répondre à cette situation qui, je le répète, ne peut nous laisser indifférents.

R. : M. le Président, la situation en Algérie est pour la France un sujet de très grave préoccupation. Comme vous l'avez dit ; ce pays est proche de nous, je dirais même que c'est un pays ami et nous espérons tous que sa population pourra retrouver le plus vite possible la stabilité ; c'est loin d'être le cas aujourd'hui.

L'une des raisons de ce drame algérien, c'est d'abord la crise économique et je réponds par-là à votre première question. Nous avons vivement incité les autorités algériennes à s'engager dans la voie d'une vraie réforme économique et depuis quelques mois c'est ce qu'elles ont fait. Ces efforts se sont matérialisés très récemment, le 11 avril pour être précis, par une lettre d'intentions signée entre le gouvernement algérien et le Fonds Monétaire international ; ceci a abouti, vous le savez, à la dévaluation du dinar d'un petit peu plus de 40 %. Il est impératif que maintenant la communauté internationale accompagne l'effort que l'Algérie a ainsi consenti et la France est tout à fait en pointe pour l'obtenir ; cela signifie concrètement deux choses : tout d'abord le rééchelonnement de la dette algérienne. Vous savez qu'à l'heure actuelle, des recettes d'exportation pétrolière correspondent à peine aux services de cette dette. C'est un véritable étau qui étreint l'Algérie ; il faut le desserrer et c'est ensuite la mobilisation de crédits bilatéraux et multilatéraux supplémentaires.

La France est prête à apporter sa part, elle l'a déjà fait de manière très importante en 93, elle recommencera en 94 et, surtout, nous devons entraîner les autres. Dès lundi prochain, je ferai – et j'en ai prévenu la Présidence – au conseil des ministres des Douze une communication demandant que l'ensemble de nos partenaires nous aident dans cette tâche, ainsi que les autres créanciers. J'ai lancé le même appel au Japon, lorsque j'y étais il y a dix jours, puisque vous le savez, le Japon est le deuxième créancier de l'Algérie après la France.

Deuxième question, je suis obligé évidemment de réduire la longueur de ma réponse, l'accueil de nos compatriotes. Nous leur avons conseillé, c'est vrai, lorsque leur présence n'est pas indispensable en Algérie, de rentrer. Environ 300 sont déjà rentrés. Nous avons mis en place un dispositif pour les accueillir, dispositif pour faciliter la réinscription dans les écoles, l'octroi de bourses ; dispositif également pour réintégrer les fonctionnaires dans leurs corps d'origine ; dispositif social, car vous l'avez signalé à juste titre, un certain nombre d'entre eux n'ont pas de ressources. Nous avons obtenu que les règles habituelles d'octroi du RMI soient assouplies pour que les dossiers puissent être instruits de manière plus rapide. Qu'il reste des efforts complémentaires à faire, j'en conviens et nous nous y attaquons en particulier en ce qui concerne le logement. Les possibilités d'hébergement supplémentaires doivent être dégagées et le Premier ministre a donné des instructions en ce sens.

Enfin, troisième aspect de votre question, l'accueil des Algériens cette fois ci, qui ne sont pas ressortissants français. C'est un problème d'une extrême difficulté. Il faut en être bien conscient parce que si les choses se dégradent, c'est par dizaines de milliers que le problème peut se poser à nous. Je ne voudrais pas politiser un sujet qui ne mérite pas de l'être, mais je permettrais simplement de citer M. Rocard : « La France ne peut pas accepter toute la misère du monde » et donc nous agissons dans ce domaine – j'allais dire au cas par cas, cas par cas au pluriel vraiment – en essayant de traiter les problèmes les plus difficiles, les plus sensibles, les problèmes humains qui sont les plus actuels et je crois que c'est dans cet esprit que les demandes – non pas d'asile, puisqu'il ne s'agit pas de cela, vous l'avez dit vous-mêmes, mais d'accueil en France – sont étudiées en ce moment dans un esprit d'ouverture mais aussi de mesures et de responsabilités.


Q. : M. le Président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s'adresse à M. le ministre des affaires étrangères, car j'aimerais, M. le ministre, connaître votre sentiment sur les conclusions de la conférence ministérielle du GATT qui s'achève demain à Marrakech. Force est en effet de constater, M. le ministre, que les États-Unis continuent de pratiquer des sanctions à l'égard des exportations en provenance d'Europe, plus particulièrement de France et, notamment, les exportations d'acier vers les États-Unis. Lundi, il y a 4 jours, la commission américaine compétente a engagé de nouvelles procédures en vue de nouvelles sanctions contre des tuyaux d'acier au carbone en provenance de notre pays. Les États-Unis ne respectent pas les arbitrages internationaux rendus en faveur du Canada en matière d'exportation de bois. Aujourd'hui, l'acier, le bois. Demain, peut-être, nos produits agricoles. Alors, M. le ministre, je voudrais vous demander quel est le sens d'un accord international qui ne serait pas respecté par les États-Unis, ni dans le cadre du GATT, ni dans le cadre de la future Organisation mondiale du commerce. Rien, M. le ministre, ne laisse supposer que le Congrès américain ratifiera cet accord. Tout laisse supposer, au contraire, que députés et sénateurs américains continueront à exiger les bénéfices de tout l'arsenal de disposition discriminatoire que met à leur disposition la loi américaine sur le commerce et, en particulier, la fameuse section 301. Du reste, le Président Clinton dans sa campagne électorale, non seulement s'est réclamé de cette sanction, mais aussi a invoqué le recours à une section super 301. Je voudrais donc vous demander, M. le ministre, quels sont les moyens que nous aurons de faire appliquer cet accord et, dans la mesure où l'Europe et la France seraient victimes de représailles commerciales américaines, quels sont les moyens dont nous disposons en France et dans l'Union européenne pour répliquer à ces mesures discriminatoires éventuelles.

Enfin, M. le ministre, vous avez accompagné le Premier ministre en Chine. Les Américains viennent de faire savoir qu'ils mettraient des barrières techniques très importantes, aussi bien peut-être qu'en matière de Droits de l'homme, à une éventuelle adhésion de la Chine au GATT Je voudrais vous demander, M. le ministre, de préciser à ce sujet quelle est la position de la France.

R. : M. le Président, mesdames et messieurs les sénateurs, M. le sénateur. La bataille peut-être la plus ardue que nous ayons eu à mener dans le cadre de la négociation du cycle de l'Uruguay a été celle de l'Organisation mondiale du commerce. Nous voulions une Organisation mondiale du commerce. Beaucoup de nos partenaires étaient réticents, au premier rang desquels les États-Unis. Nous avons obtenu sur ce point satisfaction, puisque cette organisation est créée à Marrakech et doit entrer en fonction en 1995.

Pourquoi avons-nous voulu cela ? Précisément, pour mettre un terme aux pratiques unilatérales que vous dénonciez à juste titre et que le gouvernement français dénonce lui aussi. L'acier, l'audiovisuel, le bois, d'autres secteurs encore, il n'est pas tolérable que le commerce international soit une sorte de jungle où la puissance donne des droits supérieurs à certains et c'est donc pour mettre un terme à cela que nous avons voulu cette organisation. Vous allez me dire mais vous n'avez pas obtenu satisfaction puisque les pratiques américaines subsistent. Excusez-moi de vous faire remarquer que l'Organisation mondiale du commerce n'est pas entrée en vigueur. Et c'est précisément au moment où elle entre en vigueur que nous pouvons espérer que nous aurons les dispositions nécessaires pour dire aux Américains « maintenant, ça suffit ! ». Ces mesures sont d'ores et déjà contraires à l'esprit de l'accord. Elles ne sont pas contraires à la lettre puisque l'organisation n'est pas entrée en vigueur. Que va changer l'organisation ? Elle prévoit notamment, parmi beaucoup d'autres dispositions, une procédure de règlement des différends commerciaux. A l'heure actuelle, comment cela se passe-t-il ? Lorsqu'il y a un différend, on constitue ce que l'on appelle un panel au GATT, c'est-à-dire un comité d'experts indépendants, je traduis. Ce panel, ou ce comité d'experts, étant constitué par consensus. Avec l'Organisation mondiale du commerce, on renversera la charge de la preuve. La procédure sera obligatoire et il faudra que par consensus on s'oppose aux résultats de l'arbitrage international. Donc, vous voyez que ça change fondamentalement les choses. C'est la première riposte dont nous disposons par rapport à la situation que vous dénoncez. Est-ce que cela sera suffisant ou pas, est-ce que ce sera respecté ou pas, est-ce que ce sera ratifié ou pas ? Je ne suis naturellement pas en mesure de le dire aujourd'hui et nous devons être très vigilants sur le processus de ratification aux États-Unis et calquer notre propre processus de ratification sur ce qui se passera outre-Atlantique. S'il n'y avait pas ratification, ce serait évidemment tout l'édifice de l'Uruguay Round qui s'effondrerait…

Deuxième moyen de riposte, ce sont les instruments de politique commerciale de la Communauté elle-même ; de l'Union européenne elle-même. Et vous savez que là aussi, il a fallu beaucoup batailler. On est parvenu à un accord le 15 décembre in extremis. Nous avons, en ce qui concerne les dispositions anti-dumping, anti-subventions et les clauses de sauvegarde, obtenu d'abord que les moyens de la Commission soient renforcés de façon que les procédures soient raccourcies et, ensuite, nous avons également changé les procédures de vote. On est passé de vote à la majorité qualifiée pour décider d'une procédure à des votes à la majorité simple ou à des votes à la majorité qualifiée pour s'opposer à une décision de la Commission, C'est donc beaucoup plus automatique et beaucoup plus rapide et le règlement permettant de traduire dans les faits ces dispositions a été récemment adopté.

Troisième question, et je vais vite, la Chine. Notre position, comme celle des États-Unis, ne vous y trompez pas – car nos partenaires ont parfois le génie de faire apparaître certains aspects seulement de leur position –, est favorable en principe au retour de la Chine dans le GATT, dont elle a été l'une des parties fondatrices. Mais comme nous l'avons dit à Pékin lorsque le Premier ministre et ainsi que Gérard Longuet y étions, c'est sous condition, sous condition que la Chine joue le jeu elle aussi et qu'elle se plie à un certain nombre de règles. Je n'en évoquerai que deux, le respect de la propriété intellectuelle – alors que la Chine est aujourd'hui un vaste espace de contrefaçons dans bien des domaines – et, également, des règles relatives aux marchés publics de façon générale, l'ensemble des règles multilatérales du GATT. Donc, c'est uniquement lorsque ces progrès auront été accomplis que l'on pourra envisager le retour de la Chine au GATT.


Q. : M. le Président, Monsieur le ministre, mes chers collègues. Ma question s'adresse à M. le ministre des affaires étrangères. Dans quelques jours va se concrétiser une nouvelle étape des négociations commerciales multilatérales du cycle de l'Uruguay à Marrakech. Ce nouvel acte nous aurait-il permis de faire progresser les intérêts bien compris de notre pays et de la Communauté européenne ? Je ne le crois pas. Dans ce domaine du commerce international, aurions-nous conservé les axes essentiels qui conditionnent dans ce monde en turbulences nos économies et nos emplois ? Je réponds par la négative. Il faut malgré tout un accord. Mais à l'évidence, celui qui se dessine est en fait un ultime rattrapage avant l'échec qui ne règle pas, tant s'en faut, toutes les difficultés. Pour l'agriculture, où la promesse « pas un hectare de jachère en plus » s'est révélée une tromperie qui n'a pas tardé à être éventée, que deviendra l'agriculture des zones défavorisées lorsque s'appliqueront les mesures de restrictions aux exportations, certes différées de quelques années ?

Le maintien de l'équilibre du territoire rural sera alors particulièrement menacé. Ensuite, pour nombre de secteurs dont l'aéronautique et les services financiers, les négociations piétinent. La protection de l'environnement, la sous-évaluation de certaines monnaies et la disparité des conditions d'emploi, voilà autant de sujets différés, pour ne pas dire passés à la trappe. Sur des sujets essentiels, le satisfecit gouvernemental n'est pas de mise. Ce serait en effet renoncer à interdire ou à limiter le dumping social au risque de compromettre encore plus un certain nombre de grandes branches de nos activités. Il s'agit là d'une faute, puisque cette disparité sociale devient aujourd'hui tout à fait préoccupante au fur et à mesure que s'intensifie la concurrence des nouveaux pays industrialisés, essentiellement asiatiques.

L'impact dévastateur de l'inégalité des coûts du travail sur nos économies n'aurait-il pourtant pas mérité qu'on lui consacre quelques réflexions mais, sujet brûlant, il est resté prudemment dans les esprits. Qu'en est-il enfin des équilibres de concurrence et du renforcement de nos instruments de défense commerciale ? Les États-Unis nous menacent du fameux article 301 de leur loi qui permet de prendre unilatéralement des sanctions contre un pays qui refuse d'ouvrir son marché aux importations américaines. Sur ce sujet également, notre gouvernement est resté inerte et la France demeure vulnérable. L'acte final va entériner cette situation, alors qu'il nous aurait fallu renforcer nos instruments de défense et obtenir des Etats-Unis qu'ils lèvent cette menace permanente et acceptent de rétablir des règles de concurrence stables et équilibrées. Il risque de n'en être rien.

M. le ministre, j'aimerais que vous nous donniez des éclaircissements sur l'attitude de votre gouvernement, principalement sur les trois points principaux de mon intervention, l'agriculture, la clause sociale, la loyauté des pratiques commerciales.

R. :M. le Président, mesdames et messieurs les sénateurs, M. le sénateur. Quand l'esprit de dénigrement l'emporte sur l'esprit d'analyse, on finit par dire n'importe quoi et permettez-moi de vous dire très respectueusement que votre exposé vient d'en fournir la démonstration !

Il n'est pas d'usage de répondre à une question par une question ; je le ferai néanmoins. Qu'est-ce qui vous autorise, M. le Sénateur, à dire que l'engagement « pas un hectare de jachère supplémentaire » n'a pas été tenu ? Rien ! Et permettez-moi simplement de vous rafraîchir un peu la mémoire, la jachère c'est vous ! Le début de la jachère, c'est vous ! Et c'est la réforme de la politique agricole commune telle que votre gouvernement l'a acceptée !

Je répondrai sur les trois points que vous avez évoqués. Sur l'agriculture, je vous ai dit ce qu'il en était ; les engagements pris seront tenus et, en l'état actuel des choses, rien n'autorise à dire qu'un seul hectare de jachère supplémentaire ait été vu à la conclusion du Cycle de l'Uruguay. C'est déjà fait, n'y revenons pas ! C'est fait grâce à vous, et les paysans le savent bien, d'ailleurs ils vous l'ont signifié il y a quelques mois et ils continueront à vous le signifier à l'avenir.

Deuxième question, c'est celle des procédures commerciales. Je viens de répondre à M. Chaumont ; j'ai répondu précisément à M. Chaumont et je ne vais pas y revenir.

Enfin, sur le troisième point, la clause sociale, là encore dire que le gouvernement français a abandonné cette préoccupation, c'est manifestement contradictoire avec tout ce qui a été fait à Marrakech. Nous avons obtenu qu'aussi bien dans la déclaration de la Commission que dans la déclaration présidentielle du président du GATT, soit mentionnée la nécessité pour la future organisation mondiale du commerce de se pencher sur un certain nombre de problèmes qui constituent autant de distorsions de la concurrence internationale. Les questions d'environnement – peut-on parler de concurrence loyale entre une entreprise qui a à satisfaire à des exigences environnementales très strictes et une entreprise qui n'en n'a aucune ?

Les questions sociales ensuite. Peut-on parler de concurrence loyale entre une entreprise qui respecte les prescriptions minimales de l'Organisation internationale du travail et une entreprise qui ne les respecte pas ? Évidemment non, et nous avons obtenu que ce problème soit posé. Je voudrais simplement appeler la haute attention de l'Assemblée sur la mesure qu'il faut observer en la matière. Parce que quand on me dit qui il faut ramener les niveaux de salaire des pays en développement au niveau de salaires des pays développés, cela veut dire tout simplement qu'on dénie à ces pays en développement la possibilité de se développer. Alors la clause sociale, oui, mais une attitude de la France qui consisterait à claquer la porte de la prospérité à tous les pays en développement auxquels nous voulons venir en aide, ce serait évidemment une exagération que M. Mickael n'a pas hésité à franchir et que moi je ne fais pas.


Q. : M. le Président, messieurs les ministres, mes chers collègues. Ma question s'adresse à M. le ministre des Affaires étrangères. La France et le Liban ont vécu depuis des siècles des relations d'exception. Nous savons aussi que l'exception libanaise, que 17 années de guerre n'ont pas totalement détruite, a besoin dans le respect d'indépendance des deux pays, du message et du soutien de la France pour être demain encore ce lien entre l'Orient et l'Occident, entre les valeurs judéo-chrétiennes et celles de l'Islam. Or, cette exception en Orient, faite de liberté d'opinion, d'éducation, de communication, de liberté religieuse me paraît être à nouveau en péril. M. le ministre, pouvez-vous nous faire le point sur les relations actuelles entre la France et la République libanaise, notamment depuis quelques semaines où il apparaît que la règle de convivialité qui donne la légitimité au pouvoir tel que le définit l'accord de Taëf me paraît malmenée. En effet, notamment depuis le 23 mars dernier, le pluralisme de l'information, notamment radiotélévisée, le respect des droits de la défense pour des prévenus politiques, dont certains ont aussi la nationalité française, le respect des droits des minorités, notamment chrétiennes mais aussi druzes, ne paraissent plus assurées de manière équilibrée.

Dans ce domaine des droits fondamentaux et du respect des valeurs démocratiques, l'inquiétude vient des plus hautes autorités morales, le pape Jean-Paul II qui vient de décider de reporter son voyage au Liban et le Patriarche d'Antioche dont je souhaiterais vous porter ici communication de quelques lignes de son courageux message pascal. Je le cite : « l'État n'a pas traité tous ses sujets sur un même pied d'égalité. Il n'a pas donné aux Chrétiens le sentiment qu'il les prenait sous sa protection comme il prend les autres citoyens, soit en ramenant chez eux les déplacés avec leur habileté et les garanties requises, soit en désarmant tout le monde plutôt que de les poursuivre eux-seuls, soit en s'interdisant d'éloigner leurs chefs de parti, soit en protégeant leurs biens exposés dans certains endroits à tous les abus, soit en empêchant de violer les droits de domicile en y opérant des descentes au mépris des lois constitutionnelles sans compter la violation des Droits de l'homme dont sont victimes les détenus auprès des services de sécurité et l'étouffement de la liberté d'information. Il n'est pas d'autre à part celle de sa foi en Dieu. Le Liban est une patrie pour tous ses fils, chrétiens et musulmans, soucieux de jouer ensemble leur rôle dans ce relèvement.

M. le ministre, entendons ce message et, même si ce n'est plus à la mode médiatique, n'oublions pas le pacte séculaire entre le Liban et la France, tel que nous l'a rappelé le Général de Gaulle !

R. : M. le Président, mesdames et messieurs les sénateurs, M. le sénateur, lorsque j'écoute dans les rencontres internationales ou lorsque je lis dans les messages des chancelleries, ou dans la presse ce qui se dit sur le Liban, j'observe que le seul pays, le seul gouvernement à rappeler avec constance et partout y compris à Damas quand j'y suis moi-même allé, que la France ne transigera pas sur l'unité territoriale du Liban, sur son intégrité, sur sa souveraineté, c'est précisément la France. Et je veux vous assurer que dans ce domaine-là, nous sommes d'une très grande clarté, d'une très grande ténacité. C'est la raison d'ailleurs pour laquelle nous avons refusé récemment de parrainer au conseil de sécurité à un projet de résolution qui ne faisait pas référence à la résolution 425 qui précisément constitue la base juridique de cette souveraineté et de cette intégrité du Liban. Et je l'ai dit à plusieurs reprises, nous n'accepterons pas que le Liban soit le seul à payer le prix du processus de paix au Proche-Orient. Donc, sur ce plan-là, je crois qu'il n'est pas question d'avoir le moindre doute.

Deuxième manière dont nous nous sommes engagés vis-à-vis du Liban, c'est sur le plan économique et commercial, pour aider ce pays dans sa reconstruction. L'aide française à la reconstruction du Liban a doublé de 92 à 93. J'ai les chiffres ici et je vous en fais grâce ; nous avons décidé de poursuivre cet effort en 1994 dans bien des domaines, y compris dans le domaine culturel, scientifique et technique. Voilà qui est de nature, je l'espère, à vous montrer que la France garde toute sa solidarité avec toutes les communautés qui constituent le Liban, car le Liban justement, a cette originalité d'être pluriconfessionnel et pluricommunautaire. Inutile de dire que nous nous sentons, c'est vrai, des responsabilités particulières vis-à-vis de la communauté chrétienne.

Il y a eu récemment, vous le savez, au Liban des attentats graves dirigés contre la communauté chrétienne précisément, l'un d'entre eux dans une église. Et c'est à la suite de cet attentat et de la procédure de l'enquête judiciaire qui a été lancée que sont intervenus deux événements qui vous préoccupent à juste titre. Tout d'abord, l'interdiction de certains médias télévisés et radiophoniques privés. Nous avons fait savoir au Premier ministre, au président du conseil des ministres libanais de passage à Paris, que la France était attachée au pluralisme de l'information. Il m'a personnellement indiqué qu'il faisait préparer par son gouvernement un nouveau cadre législatif fixant les règles d'émission de ces télévisions et de ces radios alors qu'à l'heure actuelle, il n'y a aucune espèce de législation et qu'on compte ces radios et ces télévisions par dizaines, pour ne pas dire par centaines. Je lui ai indiqué que ce cadre législatif devait dans l'esprit de la France respecter les principes de pluralisme auxquels vous êtes attachés.

En ce qui concerne les procédures judiciaires lancées contre telle ou telle personne, dont l'un d'entre eux, c'est vrai, M. Fouad Malek est également citoyen français, nous avons rappelé notre attachement au droit de la défense. Il y a des procédures judiciaires, c'est normal, mais il faut que les avocats puissent faire leur travail ; on nous a assurés que c'était le cas, nous avons des renseignements sur l'intéressé qui est bien traité dans l'état actuel des choses et nous serons bien entendu tout à fait vigilants sur la suite de cette procédure.