Editorial de M. Jean Poperen, membre du bureau exécutif du PS, dans "Vu de Gauche" de juillet et interview à RTL le 29 août 1994, sur ses propositions pour la gauche et le débat interne au PS pour préparer le prochain congrès et les élections présidentielles de 1995.

Prononcé le 1er juillet 1994

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Média : Vu de gauche - RTL

Texte intégral

Vu de Gauche : juillet 1994
Quel projet ? Quelles perspectives ?

Les primaires à la Pasqua n'auront donc pas lieu. Mais la bataille des primaires, c'est-à-dire du premier tour, est déjà engagée à droite. Son issue et sa portée dépendent, pour l'essentiel, de ce qui va se passer à gauche. Chirac, qui joue sur la droite profonde, calcule qu'il a plus de chances de gagner la primaire si l'affrontement entre une gauche retrouvée et la droite domine la campagne. Balladur spécule lui, sur l'absence de dynamique à gauche, qui laisserai une grande disponibilité, à son avantage, dans la zone du marais.

Mais la gauche devrait-elle être réduite à décider du vainqueur à droite ? à n'être plus qu'un arbitre ? C'est pourtant le triste sort qui la guetterait si elle devait s'enfermer dans une stérile querelle d'investiture. Il ne sera pas facile d'y échapper tant la gauche elle-même est engluée dans la présidentialisation létale de la vie politique. Or ces disputes écœurent un électorat avide de réponse de fond.

Quel est le projet de la gauche ? Quelles perspectives ?

D'ici à l'automne, y aura-t-il réponse, ou du moins annonce de réponse ? La pause estivale s'ouvre sur deux signaux encourageants.

Le 19 juin, en écartant Rocard, le PS remettait en cause la dérive gestionnaire et consensuelle, où, en une dizaine d'années, il avait perdu son âme et ses électeurs. Si l'événement à cette signification, s'il est autre chose qu'une foucade de lendemain de désastre électoral, autre chose qu'un sursaut d'un jour, alors le congrès de novembre devra se faire sur une claire majorité de gauche dans le PS et sur quelques options mobilisatrices, sur une double volonté.

Volonté d'organiser la riposte des forces du travail européen à l'offensive antisociale du « libéralisme », à l'heure de la mondialisation.

Volonté de recomposer la gauche d'aujourd'hui, en dépassant les structures de parti épuisées, dont les événements ont montré qu'elles avaient perdu le contact avec les forces populaires. L'accord intervenu entre les diverses composantes de la mouvance de renouveau communiste, qui devraient provoquer une large confrontation en octobre, est un autre signal qui laisse espérer qu'une dynamique l'emportera sur le risque de dégénérescence groupusculaire. Les semaines de la rentrée prochaine pèseront lourd : sans doute décideront-elles si la gauche existera de nouveau sur les échéances à court terme ou si elle n'a d'autre avenir que la très longue marche.


RTL : lundi 29 août 1994

M. Cotta : J. Delors n'est pas sorti de son silence. Le PS peut-il attendre jusqu'au mois de janvier sans être jamais fixé ?

J. Poperen : Évidemment non. Nous ne pouvons pas être condamnés à attendre. Fixés sur le candidat, cela dépend du candidat éventuel. Celui-ci ou éventuellement, un autre. Mais nous n'allons pas rester l'arme au pied jusque-là. Et je dirais que, d'une certaine façon, le comportement de J. Delors, que je comprends très bien, dans la logique non seulement de l'homme, mais dans la logique politique. Le comportement de J. Delors nous permet de nous occuper de l'essentiel c'est-à-dire des propositions que nous devons faire.

M. Cotta : Vous avez dit que vous étiez contre un candidat auto-proclamé. N'est-ce pas contradictoire avec le fait d'être suspendu aux lèvres de J. Delors pour savoir s'il vous dit oui ou non ?

J. Poperen : Je pense que quelques-uns de nos amis, avec les meilleures intentions du monde, ont tort de paraître suspendus. L'éventuel candidat se décidera. Il a très clairement marqué que, pour le moment, il ne dirait rien. En effet, pendant deux jours, il n'a rien dit sur ce sujet. Il a parlé sur beaucoup de questions, il a dit des choses intéressantes. Mais il ne se décide pas. Est-ce qu'un grand parti comme le nôtre, un parti démocratique, peut rester l'arme au pied pendant des mois et retarder ce qui est l'essentiel, c'est-à-dire élaborer ses propositions et élaborer ses plates-formes, étant entendu, et c'est une question de méthode – c'est là que je me sens en effet dans la manière en désaccord avec pas mal de socialistes : il y a un couple indissociable entre candidat et plate-forme et proposition. Les deux ensembles. C'est essentiel. C'est le cœur du sujet. Est-ce que nous aurons un candidat sans programme, sans propositions, sans plate-forme ? Est-ce que ce sera l'auto désignation ?

M. Cotta : Pour Renault, J. Delors a dit que, compte tenu de l'environnement international, il ne vaudrait mieux pas que l'entreprise ait l'État comme propriétaire. Ne craignez-vous pas que sur d'autres sujets, il ne vous contraigne, vous, J. Poperen, à faire le grand écart ?

J. Poperen : Vous avez entendu là-dessus le premier secrétaire du PS, H. Emmanuelli, il a été très clair. Et sur cette question comme sur beaucoup d'autres, je me sens en parfaite harmonie avec lui. C'est d'ailleurs pourquoi je souhaite qu'une majorité se dégage clairement dans le PS autour des propositions d'H. Emmanuelli. Nous verrons ensuite avec l'éventuel candidat. Mais de grâce, puisque le candidat ne veut pas qu'on parle de sa candidature, pourquoi, M. Cotta, vous obstinez-vous à ce que, ce matin, on ne parle que de ça ? Il ne veut pas qu'on en parle : on n'en parle pas et on parle donc de l'essentiel, c'est-à-dire nos propositions. Je rebondirais volontiers sur ce que je viens d'entendre de votre collaborateur Hollinger qui était tout à fait passionnant. C'est-à-dire que le monde du travail semble enfin vouloir ne plus simplement subir. Et moi, je lance ici, en effet, un appel : depuis trop d'années, sous le coup de la crise, on a supporté, on a subi, on a encaissé, et il est évident que rien n'est donné. Quand j'entends, par exemple, Chirac parler du contrat social. Vous me direz, vous en parlez aussi. Le contrat social, il ne tombe pas du ciel, il n'est pas octroyé, il n'est pas donné, il est le résultat de l'action, il est le résultat de la lutte que peuvent mener des salariés et ceux qui cherchent un salaire actuellement, qui sont des millions à supporter et bientôt, ne voudront plus supporter. C'est ça qui va dominer les mois à venir. Et vous me permettrez de dire que ça risque de peser plus lourd que les petits jeux de couloir, des supputations sur tel ou tel candidat. En tous cas, ces questions de candidature leur sont subordonnées.

M. Cotta : Lorsque Glavany dit que le PS va faire une rentrée sociale, qu'est-ce qui distingue le PS des autres ?

J. Poperen : Précisément. Tout le monde gémit. J'ai entendu ce que j'appelle un concert de larmoiement social. Il y a des abbé Pierre partout : il faut faire le bien, il faut faire du social. Je viens de vous le dire. On obtient sur le terrain social que ce qu'on conquiert, que ce qui est gagné par l'action, par la lutte, par la volonté des intéressés. C'est un fait que, depuis des années, la passivité a prévalu. C'est l'effet de la crise, il faut secouer ça. Et précisément parce qu'il semble que la crise recule, il faut tirer parti de cette circonstance plus favorable pour exiger, pour obtenir, pour imposer, et c'est comme ça que ça se présente dans les semaines à venir.

M. Cotta : Lorsque Delors dit « le socialisme, c'est liberté, responsabilité, solidarité », est-ce que ça vous suffit, comme définition du socialisme ?

J. Poperen : Solidarité, alors je dirai solidarité de qui avec qui ? Est-ce que les boursicoteurs sont vraiment très solidaires des RMIstes, c'est une question à laquelle chacun peut apporter une réponse claire. C'est un mot qu'il faut expliciter. Tout le monde dit ça aussi.

M. Cotta : Ne craignez-vous pas, chez les socialistes, une sorte d'humiliation dans la supplication ?

J. Poperen : Je ne me sens pas humilié du tout. À partir du moment où je compte employer – je ne peux que me répéter, mais puisque vous répétez vos questions – les prochaines semaines, avec d'autres, avec les socialistes qui préparent leurs congrès, à élaborer ce que seront les propositions des socialistes. Nous restons, je le répète, l'arme au pied, nous préparons nos propositions, et à partir de là, le contrat devra s'établir avec celui qui sera candidat, quel qui soit.

M. Cotta : Pour le congrès du PS, vous n'aurez pas déposé de contribution. Cela veut-il dire que vous vous rangez derrière la contribution d'H. Emmanuelli, pour une fois ?

J. Poperen : À partir du moment où je me sens, sur l'essentiel, en accord avec les propositions du premier secrétaire, pourquoi voulez-vous que j'écrive à part ? J'ai vu qu'on s'en étonnait. Qu'on se rassure, je ne manquerai pas d'écrire, de parler, j'aurai des choses à dire. Mais sur les principales propositions, en effet, et en particulier sur la façon d'aborder la situation sociale qui est la question centrale, je me sens en accord avec le premier secrétaire. Et je pense qu'un large rassemblement des socialistes pourrait se faire ; je suis un peu agacé, intrigué, parfois écœuré de voir qu'on ne voudrait pas que cette majorité claire, orientée à gauche, autour du nouveau premier secrétaire, se constitue. C'est une exigence, y compris pour l'échéance présidentielle et les échéances municipales qui viennent derrière.

M. Cotta : La gauche est-elle condamnée à se battre pour l'honneur, en 95 ?

J. Poperen : Certainement pas. Les conditions d'un grand rassemblement existeront. Je vois qu'un peu partout, on se ressaisit. Je le vois, y compris avant-hier, avec les écologistes, la possibilité d'un large rassemblement autour d'un candidat qui ne pourra être qu'un candidat de rassemblement. Elle existe. Vous savez, on le dit souvent, on était à 65-35 en faveur de Giscard. Attendez la suite.