Déclarations de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères, en réponse à des questions sur la situation en Algérie, l'aide financière de la CEE, les offensives serbes à Gorazde et l'action diplomatique de la France, à l'Assemblée nationale le 20 avril 1994.

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Algérie

Réponse du ministre des Affaires étrangères, M. Alain Juppé, à une question d'actualité (Assemblée nationale, 20 avril 1994)

Monsieur le Député, comme vous-même, je considère que ce qui se passe en Algérie nous touche tous de près.

D'abord pour des raisons affectives et tout particulièrement pour ceux qui sont nés de l'autre côté de la Méditerranée, mais aussi parce qu'il y va de notre intérêt, de notre intérêt à court terme, de notre intérêt à moyen terme : si l'Algérie basculait dans l'instabilité ou définitivement dans la violence, l'effet de contagion sur l'ensemble du Maghreb et même du Machrek ne tarderait pas. Voilà pourquoi nous essayons, autant que faire se peut, d'aider le peuple algérien à retrouver sécurité et stabilité. Comment ? Ce n'est évidemment pas facile.

Nous nous sommes d'abord préoccupés de nos propres ressortissants, qu'ils soient expatriés ou binationaux. Devant le déchaînement de la violence en Algérie, nous leur avons conseiller de rentrer quand leur présence n'y était pas indispensable ; beaucoup l'on déjà fait. Nous avons mis en place un dispositif pour les accueillir, pour aider à la réinscription des enfants dans les écoles, pour faciliter le logement et même, à l'intention de ceux qui sont démunis de toutes ressources, pour accélérer les procédures d'octroi du RMI. Il y a encore des difficultés ; j'ai tenu, il y a quelques jours, une réunion avec les sénateurs des Français de l'étranger pour les identifier et leur apporter le plus vite possible des solutions en mobilisant tous les ministères.

Et puis il y a l'Algérie elle-même. Depuis plusieurs mois – j'ai déjà eu l'occasion de le dire devant cette assemblée – nous tenons un discours qui s'articule autour de deux directions.

Premièrement, il faut dialoguer pour restaurer un climat de réconciliation nationale qui permette d'évoluer vers la démocratie. Le Gouvernement algérien l'a fait. Ce dialogue a été tenté. Il n'a pas encore abouti parce qu'il est évidemment difficile de dialoguer avec des forces politiques qui préfèrent la kalachnikov au dialogue, mais il faut continuer à aller dans ce sens.

La deuxième direction que nous avons préconisée est celle de la réforme économique, car l'échec du système est une des raisons de déstabilisation de l'Algérie. Sur ce point, le gouvernement algérien a été extraordinairement courageux. Il a conclu un accord avec le Fonds Monétaire international signé le 11 avril dernier ; il a dévalué sa monnaie de 40 % ; il a pris des mesures internes très difficiles, mais qui étaient exigées par les institutions internationales. Notre devoir est de suivre et d'aider l'Algérie, d'abord en rééchelonnant sa dette – cela a été demandé le 17 avril et le Club de Paris va se réunir pour en discuter –, ensuite en mobilisant des crédits supplémentaires.

Vous m'interroger sur le point de savoir si la France est parvenue à mobiliser ses partenaires. La réponse est oui ! Lundi à Luxembourg, j'ai développé cette analyse et j'ai eu le réconfort de constater que nos onze partenaires, sans hésitation, se sont montrés solidaires et décidés à faire quelque chose d'ambitieux. Nous avons donc décidé concrètement de débloquer immédiatement 150 millions d'écu pour aider l'Algérie. Le président de la Commission a été chargé de nous faire des propositions plus ambitieuses et la troïka, c'est-à-dire la présidence et les deux pays qui l'assistent, prendra des contacts politiques avec l'Algérie.

Vous le voyez, nous n'abandonnons pas l'Algérie. La France est en première ligne pour affirmer sa solidarité. C'est difficile, je le répète. J'espère que nous parviendrons à marquer des points et à aider le peuple algérien.

Bosnie

Réponses du ministre des Affaires étrangères, M. Alain Juppé, à trois questions d'actualité (Assemblée nationale, 20 avril 1994)

1. Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Députés, Monsieur le Premier ministre, les événements qui se sont déroulés et se déroulent encore à Gorazde constituent un échec pour la communauté internationale. Les résolutions du Conseil de sécurité ont été bafouées ; c'est un échec pour les Nations unies, pour l'Alliance atlantique ; pour les diplomaties occidentales et pour la diplomatie russe.

Je n'ai pas le temps ici d'analyser les raisons de cet échec ; je me bornerai à signaler l'insuffisance de la réaction militaire lorsque les premières offensives serbes se sont déclenchées contre Gorazde.

Selon quelles lignes l'action diplomatique de la France se déploie-t-elle aujourd'hui, dans la continuité de ce que nous tentons de faire depuis plus d'un an maintenant ?

Première ligne d'action : refuser le fait accompli à Gorazde. Nous avons proposé au Conseil de sécurité des Nations unies une résolution enjoignant les Serbes d'accepter un cessez-le-feu, de retirer leurs troupes pour permettre le déploiement de la force FORPRONU. Un cessez-le-feu a été signé cette nuit. Il n'est toujours pas respecté. Il faut qu'il le soit, que les Serbes, se retirent et, à ce moment-là, la France sera prête à participer au détachement de la FORPRONU qui entrera à Gorazde pour assister les populations et faciliter l'acheminement de l'aide humanitaire.

Deuxième ligne d'action : ce qui s'est passé à Gorazde ne doit pas se reproduire dans les autres zones de sécurité. Il y a environ un an, à Athènes, au sommet de l'Alliance atlantique, j'ai demandé que les zones de sécurité soient protégées de manière extensive par l'Alliance, non seulement les forces, mais aussi les populations. À l'époque, je ne l'ai pas obtenu car, il faut dire les choses comme elles sont, les États-Unis d'Amérique, l'Alliance et les Nations unies y étaient hostiles. Elles sont venues aujourd'hui sur notre position et je m'en réjouis. Nous sommes en train de définir les mesures à prendre pour arrêter une zone d'exclusion autour des zones de sécurité, fixer clairement les règles d'engagement de la force aérienne et les cibles qui seraient frappées en cas de non-respect de ces zones de sécurité.

Troisième ligne d'action : la relance du processus diplomatique, car il n'y aura pas de solution militaire en Bosnie ; il ne peut y avoir qu'une solution diplomatique et politique. Les éléments existent, ce sont ceux qui figurent dans le plan d'action de l'Union européenne, enrichi par l'accord croato-musulman de mars dernier et par le cessez-le-feu dans les Krajinas. Car je voudrais signaler au passage que, sur 95 % du territoire de la Bosnie et dans les Krajinas en Croatie, la situation est aujourd'hui stabilisée. Pour atteindre cet objectif, les Américains, les Russes, les Européens et les Nations unies doivent adopter une position commune. Nous ne cessons de le dire. Nous sommes en passe d'y parvenir puisque des contacts ont lieu en ce moment même à Washington, à Moscou, sur ce que pourrait être cette position commune à imposer ensuite aux parties. Voilà ce que nous tentons de faire.

Je dirais, pour terminer, que depuis longtemps, depuis un an, semaine après semaine, nous recevons beaucoup de leçons de morale. Il y a des leçons de morale des intellectuels, qui préconisent la reconquête militaire de la Bosnie et la levée de l'embargo, ce qui signifie la guerre ; l'irresponsabilité qui est la leur, par nature, leur donne les coudées franches et le verbe haut. Et puis, il y a les leçons de morale des politiques et celles-là me laissent impassible. Pour y répondre, je me bornerai à poser une simple question : qui a fait le plus, depuis deux ans, pour alléger les souffrances des populations de Sarajevo ? Le gouvernement précédent ou le gouvernement d'Édouard Balladur ? Je crois que tous les Français connaissent la réponse à cette question.

2. J'en viens à ma réponse à votre question, Monsieur Lefort. Comme je viens de le dire, du point de vue du gouvernement français, il n'y a pas de solution militaire. Je voudrais d'ailleurs insister sur ce point. Il y a une contradiction flagrante entre le fait de demander un engagement supplémentaire de la FORPRONU sur le terrain, avec une participation ô combien importante des soldats français et celui de préconiser dans le même temps la levée de l'embargo sur la fourniture d'armes. Il est irresponsable de demander les deux en même temps. C'est l'un ou l'autre ! Faire les deux seraient exposer nos soldats. Je souhaite que la sérénité revienne sur ces bancs ; quand on dit des énormités, il faut ensuite les assumer.

Il n'y a pas de solution militaire, je le répète donc ici. S'il advenait, par une sorte d'aberration, que l'on proposât à cette assemblée de déclarer la guerre et d'envoyer un contingent pour la faire en Bosnie qui voterait pour ici ? Il faut donc une solution politique, laquelle doit se fonder sur le plan d'action de l'Union européenne qui a été défini au mois de novembre dernier. Quels sont les principes de ce plan ?

En premier lieu, une Bosnie qui soit un État, membre des Nations unies.

En deuxième lieu, dans cet État, un système institutionnel souple, fédéral ou confédéral, compatible avec l'accord croato-musulman qui a été signé le 18 mars dernier.

En troisième lieu, une répartition des territoires dont le pourcentage ait été accepté par les parties, devant vous, à Genève et dont il faut désormais délimiter les contours. C'est cela que peuvent faire les grandes puissances.

Enfin, si toutes ces conditions préalables sont acceptées, lorsque le cessez-le-feu aura été effectif, lorsque l'accord de paix aura été signé, il faudra bien rouvrir la question des sanctions. Voilà dans quel sens se déploie la diplomatie française. La proposition qui avait été faite par le gouvernement, par le Président de la République, d'un partenariat de négociation à quatre – Américains, Russes, Union européenne et ONU – est en train de progresser. J'espère que nous pourrons la concrétiser au cours des prochains jours.

3. Monsieur le député, j'ai déjà très largement répondu à votre question. Je voudrais cependant apporter quelques compléments.

J'ai été peut-être moi-même sévère tout à l'heure à l'égard des Nations unies en parlant d'échec. C'est vrai qu'il y a eu des erreurs et la façon dont les négociations sur Gorazde se sont déroulées samedi et dimanche illustre ce propos. Je voudrais nuancer ce jugement porté sur les Nations unies.

On demande tous aux Nations unies et on ne leur donne aucun moyen pour accomplir la mission qu'on leur assigne. On ne leur donne pas d'argent : l'Organisation est quasiment en faillite ; les principaux contributeurs ne paient pas, mais je tiens tout de suite à dire que ce n'est pas le cas de la France qui est à jour de ses cotisations ; on ne met pas à la disposition du Secrétaire général les troupes qui sont nécessaires. M. Boutros-Ghali a dit, il y a plusieurs mois, qu'il ne pouvait pas assumer sa mission en Bosnie si on ne lui débloquait pas 7 000 à 8 000 hommes supplémentaires. La France est le seul pays à avoir répondu à cette demande. Aucun autre n'a suivi !

L'exercice qui consiste à tirer systématiquement sur les Nations unies est facile parce que c'est une sorte – j'allais dire – de "machin" comme on l'a dit en d'autres temps, d'instance un peu anonyme, mais nous n'avons, à notre disposition aucune autre arme diplomatique et arme sur le terrain. Il faut donc la conforter plutôt, à mon avis, que de continuer à la dénigrer.

En ce qui concerne, les initiatives diplomatiques, je vous les ai indiquées tout à l'heure. Je crois qu'elles sont plus que symboliques. Elles sont effectives. Il me parait injuste – je ne veux pas poser le problème en ces termes, mais faisons-le quelques instants – de considérer que la diplomatie française ou, en général, la France et le gouvernement français n'ont pas fait le maximum de ce qu'ils pouvaient faire. Nous avons été en permanence à la pointe de l'initiative. Je n'en donnerai encore qu'un seul exemple : lundi, à Luxembourg, c'est sur la base d'une proposition française, soutenue et articulée avec les Britanniques, que les Douze se sont prononcés et c'est la proposition française qui a été adoptée à l'unanimité. Il faut donc maintenant persévérer dans cette voie. Le plan d'action de l'Union européenne, qui est la seule base de référence actuellement disponible, le seul cadre global de règlement de ce conflit, résulte aussi d'une initiative française prise avec les Allemands.