Interview de M. Gérard Longuet, ministre de l'industrie des postes et télécommunications et du commerce extérieur, dans "La Tribune Desfossés" du 27 janvier 1994, sur l'accord-cadre conclu entre l'Etat et l'industrie pharmaceutique à propos de la maîtrise médicalisée des dépenses de santé liées au médicament.

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Média : La Tribune Desfossés

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La Tribune : Comment la dimension de l'entreprise est-elle prise en compte dans cette convention ?

Gérard Longuet : L'accord-cadre introduit pour la première fois la dimension industrielle et la dimension exportatrice de cette activité, pour laquelle ces aspects avaient quelque peu disparu. Cela à une époque où manifestement la réussite de l'industrie pharmaceutique française est ambiguë. C'est une réussite, parce que notre industrie est la quatrième mondiale, parce que sa balance commerciale est excédentaire, parce que ce secteur est rentable et créateur d'emplois, parce qu'il y a des découvertes et des marques prestigieuses. En réalité, quand on rentre dans le détail, la situation est beaucoup plus fragile. En trente ans, nous avons été relégués du deuxième au neuvième rang en ce qui concerne la découverte de nouvelles molécules, et nous ne représentons que 7 % de ces découvertes. Aucun groupe français ne figure parmi les 10 premiers groupes mondiaux. La rentabilité de l'industrie pharmaceutique française est faible – quelque 3 % du chiffre d'affaires –, ce qui est très inférieur au ratio allemand ou anglais, qui avoisine 10 %. Les capitaux disponibles risquent donc de migrer vers les pays où la rentabilité est plus forte. La France pourrait ainsi perdre progressivement une base industrielle de très grande qualité, alors que nous disposons d'atouts fantastiques dans le domaine scientifique et dans les centres hospitalo-universitaires.

La Tribune : Vous évoquez nombre de facteurs positifs, mais les laboratoires se plaignent d'être freinés dans leur développement…

Gérard Longuet : C'est vrai, et il y a une évidence forte, c'est que la France est le pays occidental dont le prix des médicaments est le plus bas. Le blocage des prix a eu deux effets pervers. Les entreprises ont eu tendance à pratiquer des petites améliorations de produits existants pour renégocier leurs prix, au lieu d'intervenir dans la recherche ; d'autre part, les faibles prix pratiqués en France ont incité les autres pays européens à limiter les prix des produits que nous exportons chez eux.

La Tribune : Quels sont les autres effets que vous avez souhaité corriger ?

Gérard Longuet : L'autre élément de la faiblesse française, outre l'effet-prix, qui est pervers, c'est l'instabilité des règles du jeu. Les conditions ne sont pas remplies pour la mondialisation de nos entreprises. Quand les coûts de recherche sont aussi élevés, 300 millions de dollars pour une nouvelle molécule. Cela implique un amortissement sur le marché mondial. L'accord-cadre intervient au bon moment. Il met l'accent sur le caractère contractuel de la démarche. Il offre une visibilité à trois ans pour les entreprises comme pour l'État. Il affirme l'idée d'un réajustement des prix des spécialités anciennes et des produits à vocation internationale, tout en réaffirmant la nécessaire maîtrise des dépenses maladie. Il n'y aura pas de présence internationale s'il n'y a pas d'abord un marché national solide pour nos entrepreneurs.

La Tribune : Quelle est la marque de l'industrie sur cet accord ?

Gérard Longuet : Simone Veil et moi-même avons voulu un important volet économique en insistant sur : la transparence réciproque, le développement des études médico-économiques, notamment celles permettant une meilleure évaluation des conséquences économiques du recours à un médicament. La fixation des prix doit tenir compte davantage des impératifs de gestion des entreprises. Si les médicaments peuvent être une source de dépense pour la Sécurité sociale, ils peuvent être aussi source d'économie pour la collectivité. L'impact économique doit être considéré dans sa globalité, et il y a bien lieu de procéder progressivement au réaménagement des prix des médicaments, surtout quand ils sont commercialisés à l'étranger.

La Tribune : L'accord est-il de nature à participer réellement à la maîtrise des dépenses de santé ?

Gérard Longuet : L'effort collectif de gestion pèse sur les laboratoires, les prescripteurs, les consommateurs, les caisses de Sécurité sociale, il y a vraiment un travail collectif. Nous sommes tous un peu complice : le médecin, le patient, le pharmacien, l'entreprise et même l'administration qui, en voulant faire des économies immédiates, peuvent susciter des comportements pervers. Mais, à long terme, l'important c'est de conserver des interlocuteurs responsables dans notre propre pays, des entreprises dont le centre de décision reste en France. Si nous devenions dépendants, nous n'aurions plus aucune maîtrise des prix. L'accord-cadre créé un climat radicalement différent qui nous permettra de remonter la pente.