Actes de la Convention nationale sur l'emploi à Cergy-Pontoise les 26 et 27 février 1994, réalisés par la Commission des experts du PS, la Commission économique, la Délégation générale à la coordination et le secrétariat national aux entreprises, et intitulés "l'emploi au coeur d'un nouveau contrat social".

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Circonstance : Convention nationale du PS pour l'emploi, les 26 et 27 février 1994 à Cergy-Pontoise

Texte intégral

Ce document a été réalisé par un travail en commun des membres de la Commission des experts, de la Commission économique et de leurs secrétariats, de la Délégation générale à la coordination et du Secrétariat national aux entreprises.


Convention nationale sur l'emploi – Actes

Décidée par le Congrès du Bourget, la Convention Emploi des 26 et 27 février 94 a débuté par l'élaboration d'un texte présenté au Secrétariat National puis au Bureau National.

Ce texte, préparé par un groupe de travail animé par Dominique Strauss-Kahn et Dominique Taddeï*, a été soumis à la réflexion et au débat puis au vote des adhérents. De multiples amendements issus soit des sections, soit des secteurs d'intervention du Parti, soit par des membres du Conseil National l'ont enrichi.

Pendant la Convention, notamment à travers les 4 forums où des personnalités extérieures sont intervenues, le débat s'est poursuivi.

C'est l'ensemble de ces travaux qui composent ce document.

Dans les mois à venir, nous devons élaborer ce qui doit devenir un contrat social avec notre pays. Cette tâche considérable ne peut être que l'aboutissement d'un large débat entre tous les socialistes et au-delà, avec toutes les forces de progrès. Dans ce contrat social, la priorité fondamentale est l'emploi, encore l'emploi, toujours l'emploi.

Être socialiste aujourd'hui, c'est agir sur le présent, combattre les projets du gouvernement et penser l'avenir. C'est surtout donner des perspectives d'espoir pour tous ceux qui vivent des drames, exclus de la société et d'abord exclus du travail.

Agir pour l'emploi nécessite d'être en tant que socialistes proches des acteurs du mouvement social, afin de défendre les droits des salariés, lutter contre tout recul de la législation du travail. Face à la régression sociale actuelle, les socialistes doivent affirmer nettement qu'ils n'acceptent pas que l'on se serve du chômage pour remettre en cause le progrès social.

Nous avons maintenant un projet pour l'emploi, nous devons le populariser au-delà du Parti socialiste.

À nous tous dès maintenant de l'utiliser, d'aller à la rencontre des salariés, des chômeurs, de la population.

Jean Le Garrec, Secrétaire national aux entreprises

* Ce groupe comprenait également : Alain Bergounioux, Michel Coffineau, Jean-Paul Huchon, Jean Le Garrec, Pierre Moscovici, Laurence Rossignol.


Résolution finale

Chacun en convient, le chômage et la précarité d'un nombre croissant de salariés sont les drames les plus graves et les plus profonds que subit la société française. Ils marginalisent les millions d'hommes et de femmes que la statistique officielle recense. Mais plus encore, ils sont à l'origine de la plupart des autres maux comme l'insécurité ou la drogue qui détruisent aujourd'hui notre tissu social. Ce sont les fondements de notre société qui sont en cause lorsque l'insertion sociale par le travail, loin de rester la règle, tend par endroits à devenir l'exception. À terme, la démocratie elle-même peut être atteinte. Il n'y a pas d'exercice serein des libertés démocratiques pour ceux qui se sentent exclus et rejetés.

Face à ce drame, deux grandes réponses se dégagent. Et même si certains glosent sur la fin des idéologies et la convergence des analyses, nous savons bien, nous, Socialistes, que ces deux réponses ne se confondent pas. Les libéraux ne savent raisonner qu'en termes de marché. Ils rêvent de démanteler la protection sociale parce qu'elle coûterait trop cher, ils rêvent de baisser les salaires pour obtenir une meilleure compétitivité internationale. Comme si la protection sociale n'était qu'un coût et non une redistribution, comme si le salaire n'était qu'un coût et non un pouvoir d'achat qui vient lui-même soutenir l'activité. Forte de ses certitudes, la Droite dès le printemps dernier a pris des mesures qui ont aggravé la situation, qu'il s'agisse des dépenses publiques, du SMIC ou des retraites. Le gouvernement n'a pas pris la mesure de la mauvaise conjoncture de l'année 1994 qui pourtant était prévisible pour tout le monde. Pour masquer ses échecs qui déjà transparaissent, Édouard Balladur tout à la fois brade le secteur public et noyaute les grandes entreprises. Mais nous le sentons tous, les Français commencent à percevoir qu'il n'y a rien derrière les mots et que le bricolage n'est pas une politique.

Combien de temps cependant le Premier ministre contiendra-t-il les mouvements sociaux par la peur du chômage ? Combien de temps pourra-t-il en se voilant la face retarder l'explosion de colère des exclus, de ceux que laisse au bord du chemin la négligence de l'État utilisé comme un instrument de conquête au service d'un pouvoir personnel ? Combien de temps pourra-t-il casser tous les thermomètres économiques et sociaux, comme le CERC par exemple, pour nous faire croire que nous ne sommes plus malades et que bientôt la guérison viendra ? Combien de temps pourra-t-il prétendre faire baisser le chômage en incitant les femmes à quitter la vie active et à rentrer à la maison ? Combien de temps pourra-t-il appeler cyniquement à des sacrifices de plus en plus injustes ceux qui, sans logis, sans travail, sans espoir, connaissent la misère et ses souffrances ?

Face à cette conception individualiste et dure, les Socialistes partout en Europe décrètent l'urgence. Ils veulent mettre le problème de l'emploi au cœur de toutes les politiques publiques, de toutes les réflexions gouvernementales. Ils veulent ne pas considérer la lutte contre le chômage comme une résultante d'autres politiques, mais en faire le fondement essentiel, l'obligation première, l'exigence ardente de tout programme de gouvernement. Ils veulent ne négliger aucun instrument, car tous sont nécessaires, en prenant garde de ne pas s'enfermer dans une solution unique, car chacune isolée a démontré son insuffisance. Ils n'acceptent pas que les licenciements soient considérés maintenant par trop d'entreprises comme une simple variable de la gestion. Aujourd'hui, en 1994, il faut s'en rendre compte, malgré l'opulence des sociétés occidentales, la pauvreté s'étend. C'est l'incapacité du libéralisme à organiser la société toute entière qui est clairement en cause.

Pour agir, nous proposons deux directions. D'abord une croissance plus forte. Chacun sait bien que la croissance seule ne peut résoudre le problème du chômage. Mais chacun sait aussi que sans elle, rien n'est possible. Qu'il s'agisse de la relance européenne que nous voulons voir entrer dans les faits ou de l'autonomie que nous avons conquise, nous, Socialistes, en donnant à la France un commerce extérieur excédentaire, nous voulons qu'à l'aide de tous les instruments disponibles nous accélérions notre croissance.

Mais puisque la croissance ne suffit pas, alors il faut que le contrat social que nous proposons aux Français prévoie une croissance plus riche en emplois grâce à de nouvelles répartitions. La première concerne la réduction du temps de travail. Ni panacée, ni pacotille, la réduction du temps de travail pratiquement bloquée en France ces dernières années est pour certaines branches et certains métiers un des moyens historiques de prise en compte des progrès de la technologie. Le projet à long terme que nous devons poursuivre est celui de la semaine de quatre jours. Notre objectif est d'arriver à une durée de 35 heures durant la législature. Une première étape comprendra plusieurs mesures, l'aménagement du temps de travail, la réduction des heures supplémentaires, la retraite progressive, le développement du temps réduit choisi et une durée légale ramenée à 37 heures en moins de deux ans. Ainsi que cela s'est produit depuis plus d'un siècle dans tous les pays développés, cette réduction du temps de travail n'impliquera pas d'atteinte au pouvoir d'achat des salariés, les gains de productivité et une partie de la redistribution des revenus et des richesses étant affectés à son financement. La redistribution devra jouer également pour financer le développement des emplois de service qui correspondent à des besoins sociaux de plus en plus importants. C'est dans notre pays que les revenus financiers augmentent de 22 % en 1993 et qu'Édouard Balladur propose cette mesure inacceptable d'un sous-SMIC pour les jeunes. Qui peut comprendre que la solidarité ne soit pas mise en œuvre en faveur de l'emploi !

Voilà le combat qu'il nous faut mener pour que la collectivité publique, car qui d'autre qu'elle pourrait le faire, propose à la négociation des forces vives de ce pays, et au-delà de ceux-ci à l'ensemble des citoyens, une véritable transformation sociale, une nouvelle politique pour l'emploi.

Mais dès demain, sans attendre, nous devons soutenir les travailleurs partout où ils luttent pour leur emploi contre les licenciements abusifs, et pour dénoncer la « culture du licenciement » qui se met en place dans de nombreuses entreprises. Ne laissons pas l'état d'esprit démissionnaire du gouvernement se répandre comme un poison dans le pays. La lutte contre l'exclusion est fondamentale. D'ores et déjà, il est possible d'agir en mobilisant toutes les parties de la société française, les services publics et les entreprises, les collectivités locales et les associations. Partout, sur le terrain, faisons de l'emploi notre combat. L'emploi est au cœur d'un nouveau contrat social.


Texte de la motion

Le monde entier connaît depuis 20 ans une formidable crise de mutation, mais les économies et les peuples n'ont pas été frappés partout de la même manière. Pour ne prendre que l'exemple des pays développés, aux États-Unis comme au Japon, les difficultés si elles sont certes nombreuses, ne sont cependant en rien comparables à celles que vit l'Europe. C'est en Europe que le chômage ne cesse d'augmenter quand il plafonne à Tokyo et diminue à Washington. C'est en Europe que la création d'emplois est nulle alors qu'elle est sensible au Japon et forte outre atlantique. Mais c'est aussi en Europe que les marges des entreprises sont les plus élevées et que leur endettement est le plus faible. En un mot, c'est en Europe que les entreprises sont les plus saines et les chômeurs les plus nombreux.

Dans toute l'Europe, on trouve aujourd'hui des banlieues déshéritées laissées à elles-mêmes, des cités entières rejetées dans la marginalité et dans lesquelles nul ne possède un emploi, des vieux travailleurs qu'on licencie en quelques minutes, en quelques lignes, renvoyés chez eux en taxi pour ne pas que leurs camarades les voient, des femmes seules en charge d'enfants et sans autre ressource qu'un revenu social, des familles où les parents et les enfants sont privés de travail, des jeunes qui, pour les deux tiers d'entre eux, craignent l'exclusion. La France, au sein des Douze, n'est ni un paradis perdu, ni une exception heureuse dans ce paysage illogique et déprimé. De quel particularisme pourrait se targuer une France qui recense 3,5 millions de sans-emplois c'est-à-dire 12 % de la population active et parmi eux un nombre croissant de chômeurs de longue durée.

Malgré des succès ponctuels, les difficultés rencontrées – et certainement initialement sous-estimées – nous ont conduits à des résultats sur l'emploi décevants.

Nous ne sommes pas parvenus à satisfaire cette exigence économique et morale qui doit s'imposer à tout gouvernement : nous n'avons pas donné à chacun un emploi.

Nous avons combattu vivement contre l'inflation mais si la désinflation était une condition nécessaire de la lutte contre le chômage – sur laquelle il n'est donc pas question de revenir –, elle n'était en rien une condition suffisante. D'abord parce que la désinflation ne peut être durablement compétitive sans que les concurrents finissent par dévaluer, faisant perdre en une nuit les sacrifices imposés aux salariés pendant de trop longues années. Ensuite, parce que les gains de part de marché ne peuvent créer spontanément un grand nombre d'emplois, sans qu'on les inscrive dans une stratégie globale contre le chômage, comme celle que nous présentons aujourd'hui. Il découle de ce regard autocritique que la lutte pour l'emploi ne peut procéder d'un remède miracle, mais découle d'un ensemble cohérent de solutions partielles et complémentaires.

En d'autres termes, il faut que l'État propose à la négociation de l'ensemble des forces de ce pays, aux salariés, aux syndicats, aux entreprises, à l'ensemble des travailleurs et, au-delà de ceux-ci, à l'ensemble des citoyens, un « nouveau contrat social » fondé sur un nouveau partage de la valeur ajoutée. Depuis dix ans, ce partage a régulièrement évolué en faveur des profits, au détriment des salaires, et a permis de reconstituer les marges des entreprises. Cette reconstitution est aujourd'hui terminée. Nous souhaitons qu'à l'avenir, les gains de productivité soient affectés, en priorité, à la lutte pour l'emploi et, notamment, à la réduction du temps de travail. Ce contrat, généreux et solidaire, allié aux nombreuses autres mesures que ce rapport énonce, nous permettra de créer 2,5 millions d'emplois d'ici la fin de la décennie. Il s'agit, face à la dérégulation libérale de promouvoir une nouvelle régulation initiée par les pouvoirs publics nationaux et locaux en France et par une coopération internationale renforcée.

Pour l'immédiat et le futur proche qui, hélas, peuvent obérer l'avenir, le gouvernement issu des élections de mars 1993 ne fait rien, ou bien quand il fait quelque chose il aggrave la situation. Il ne fait rien quand, au printemps, il renvoie à l'automne sa majorité introuvable en lui promettant une loi quinquennale sur l'emploi. Il ne fait rien de bon quand, l'automne venu, cette loi n'apporte rien d'autre que la remise en cause de la situation des salariés. Même la majorité stupéfaite s'est alors offusquée de constater la vacuité de ce texte. Mais ce n'est que demi-mal car quand il fait quelque chose, ce gouvernement aggrave la situation. Ne nous y trompons pas. Les risques de déflation sont réels. Rien ne garantit un redémarrage automatique de l'économie. Ce gouvernement est responsable d'une partie de l'augmentation du chômage quand, enfermé dans une idéologie de l'offre, il ne voit pas que les entreprises souffrent avant tout d'une insuffisance de commandes. Cette invraisemblable confusion lui fait, en ponctionnant les familles, multiplier les cadeaux à un CNPF qui, ému jusqu'aux larmes de cette fidélité de trente ans et incrédule devant l'ampleur de la manne, n'en attendait pas tant. Que dire alors de son appel à plus de consommation des ménages, quand ses premiers actes au pouvoir ont été de commencer par leur prendre plus de soixante milliards dans leur portefeuille (CSG, prix de l'essence…).

Nombre d'habitants ne peuvent plus supporter ces ponctions supplémentaires. L'exclusion sociale est déjà devenue une triste réalité, l'explosion sociale est aujourd'hui un risque que l'on ne peut négliger. Le pays a un besoin urgent de consacrer toutes ses ressources à la lutte pour l'emploi et pour la réinsertion des hommes et des femmes de France dans une société solidaire. Chacun doit y contribuer à commencer par les entreprises qui, hormis quelques exceptions notables mais trop rares, considèrent l'emploi comme le facteur sur lequel se répercutent toutes les difficultés. Nous assistons à une dérive grave et dangereuse pour la société toute entière quand le licenciement est considéré comme un simple instrument de gestion. Nous ne pouvons accepter que la baisse des salaires, qui a les faveurs du gouvernement, et les licenciements deviennent la norme. Tous les socialistes s'opposeront à la brutalité de ces pratiques qui se déchargent sur les familles et la collectivité des responsabilités de la gestion. Au cœur du contrat social doivent se trouver de nouvelles règles pour la sauvegarde des emplois existants.

Au lieu de consacrer toute son énergie à inverser la tendance, étouffant toute velléité d'action sous le mol édredon de son inertie, M. Balladur contredit l'expérience vécue : l'horizon recule plus vite que le Premier ministre n'avance ! Au printemps, il pensait améliorer la situation de l'emploi avant la fin de l'année ; à l'été, il espérait y parvenir « avant la fin de l'année prochaine » ; cet hiver, il ne l'escompte plus que pour dans quelques années. Cette résignation précoce, avec l'ensemble des français et notamment les chômeurs, nous ne pouvons l'accepter.

En fait, c'est le compromis fondamental entre bien-être social et efficacité économique, apanage de la civilisation européenne et produit d'une longue histoire qui est remis en cause, au bénéfice exclusif d'une efficacité économique qui concentre ses bienfaits sur un nombre de plus en plus restreint de personnes au détriment de celles et ceux, toujours plus nombreux, qui s'en trouvent exclus.

1. L'emploi, notre projet et notre combat

La politique de l'emploi n'est certes pas toute la politique économique, mais toute notre politique aura une priorité absolue : la création d'emplois. Il nous faut d'abord situer celle-ci dans notre projet de transformation sociale avant d'aborder la relation entre la croissance et l'emploi.

1.1. L'emploi dans la transformation sociale

La relation de l'homme au travail est au fondement même des idées socialistes, sans doute leur trait le plus distinctif par rapport à d'autres grands courants de pensée. Il nous faut donc dire clairement à nos concitoyens ce que nous voulons à partir de la douloureuse situation actuelle. Cela tient en cinq propositions principales :

– nous voulons lutter contre l'exclusion, en offrant à tous une pleine activité ;
– nous voulons que la redistribution traduise concrètement l'exigence de solidarité ;
– nous voulons un vrai travail pour le plus grand nombre ;
– nous voulons l'égalité des chances et l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes ;
– nous voulons pour chacun le temps de vivre, c'est le sens que nous donnons à la « semaine de quatre jours ».

1.1.1. La lutte contre l'exclusion : une pleine activité pour tous

Il ne faut pas nous leurrer : le chômage est, et restera sans doute pour longtemps, le principal problème de la société française.

Le chômage a changé de nature. D'une situation transitoire de recherche d'un nouveau (ou premier) emploi, il devient un terrible mécanisme d'exclusion, dès lors qu'il s'inscrit dans une durée de plus en plus longue. Qui plus est, ceux qui sont les plus menacés par la perte d'emploi, les travailleurs peu ou pas qualifiés, ne perçoivent que des revenus faibles auxquels ils semblent être voués leur vie durant. Or, le drame n'est pas seulement d'être au SMIC, c'est aussi d'y rester. C'est ainsi que le sous-emploi se double d'un grippage des mécanismes de mobilité sociale. La seconde chance qu'est censée offrir la formation continue profite beaucoup plus aux cadres supérieurs qu'aux smicards.

Par ailleurs, l'utilisation massive depuis quinze ans des pré-retraites par les employeurs leur ont permis de licencier avec  « bonne conscience » de plus en plus de salariés à partir de 55 ans, en majorité des femmes.

Parce qu'il n'y a pas eu de politique de gestion anticipée des emplois, ni de gestion des âges par les entreprises, aujourd'hui entre 55 et 64 ans, un Français sur deux est inactif. Plus grave, cette politique d'exclusion de la vie active de personnes d'un certain âge ne s'est pas accompagnée d'embauches de jeunes et tend à s'accentuer. On constate actuellement de plus en plus de licenciements de salariés à l'approche de la cinquantaine, dont la reconversion est difficile et qui se retrouvent chômeurs de longue durée.

Les mécanismes d'exclusion jouent donc à plein. Les socialistes doivent être avec ceux qui sont à la recherche d'une dignité et d'une considération sociale, ceux qui n'ont pas de domicile, ceux qui sont les rejetés de la société, d'une certaine façon les « damnés de ce monde ». Pour tous ceux-là, la participation à des activités collectives, dans le travail et hors du travail, peut être aussi importante que le chiffre qui s'inscrira en bas de leur feuille de paye.

Il nous faut à partir d'une véritable politique de l'emploi, et concomitamment, favoriser la pleine activité de toutes et tous. Cela signifie la possibilité permanente de se former, de participer à des activités collectives, comme citoyen ou membre d'association, de viser son plein épanouissement intellectuel, artistique, sportif… En fait, cette notion d'activité va bien au-delà de la catégorie statistique correspondante de la « population en âge de travailler » : englobant tous les âges de la vie, elle lutte en même temps contre toutes les ségrégations.

1.1.2. La redistribution, traduction concrète de la solidarité

Le chômage et l'exclusion se développent dans des sociétés déjà très riches, où la richesse produite continue de s'accroître. Ce constat est essentiel parce que, à travers l'image du chômage et de l'exclusion, avec la multiplication des SDF, les Français en général et les salariés en particulier, se laissent convaincre du contraire. C'est l'idée d'un appauvrissement général qui s'installe dans les consciences et qui justifie, par déduction, l'idée de sacrifices inévitables à consentir.

Avec l'exclusion, une frontière est franchie dans l'éventail des inégalités et ce franchissement à terme ne posera pas uniquement un problème de justice: il pèsera aussi lourdement sur les conditions réelles d'exercice de la liberté politique.

On comprendra, au nom de l'histoire, de la sociologie et du système de valeurs qui sont les nôtres que cette question est majeure pour notre réflexion sur le chômage. C'est aux socialistes et aux progressistes en général qu'il appartient de faire porter prioritairement la réflexion sur la nécessaire redistribution de la richesse, qu'il s'agisse de nourrir la croissance ou de financer de nouveaux emplois. Il ne suffit pas d'exhorter les ménages à consommer. Encore faut-il qu'ils en aient les moyens. Ce qui n'est plus le cas de la majorité des salariés dont plus de la moitié vivent avec un salaire inférieur à 8 000 francs par mois. Et prôner, comme le fait la droite, la baisse des salaires au prétexte de partager le chômage n'arrangera pas les choses et ne fera qu'accroître cette rupture d'équilibre entre revenus salariaux et revenus non salariaux. En 1993, malgré une croissance négative, les revenus financiers ont augmenté de 22 % ! À qui fera-t-on croire que ce développement accéléré des inégalités de revenus peut être compatible avec un redressement de la consommation ? Il n'y aura pas de croissance durable sans une nouvelle répartition de la richesse produite.

Ne nous contentons pas de discours : une pleine activité pour tous demandera beaucoup d'effort et beaucoup d'argent. Pour les plus favorisés d'entre nous, il suffirait d'équipements publics supplémentaires, mais l'expérience prouve que les plus défavorisés s'en trouvent exclus. Cette politique résolue visant à permettre à chacun de trouver sa place dans la société mérite qu'on y consacre les marges fiscales que nous devrons dégager : notre engagement politique est que toute augmentation fiscale ne pourra prendre que la forme d'un prélèvement de solidarité pour l'emploi et contre l'exclusion et n'être en aucun cas affecté à une autre destination. D'ores et déjà, comme on le verra au § 3.2.1., nous proposons d'affecter 40 milliards par an aux collectivités locales pour la création d'emplois de service de solidarité, soit en six ans près de 4 % du PIB.

Les cotisations sociales pèsent sur l'emploi et constituent un prélèvement indirect sur la consommation et les impôts locaux, soit anti-sociaux (taxe d'habitation), soit antiéconomiques (taxe professionnelle), doivent progressivement mais amplement être remplacés par une fiscalité prélevée sur l'ensemble des revenus et des richesses.

En outre, la volonté affirmée plus loin de baisser les taux d'intérêts réels permettra de diminuer la rémunération du capital par rapport à celle du travail.

Mais il y a aussi une autre forme de redistribution que celle qui concerne les ressources financières existantes. C'est celle qui touche à l'affectation des gains de productivité qui se dégagent dans l'économie année après année. Ici encore, les propositions faites visent à consacrer ces gains de productivité à la création d'emplois notamment par la réduction du temps de travail.

Pour une économie de proximité : Une politique active en faveur de l'emploi exige que soit davantage reconnue la notion « d'économie de proximité ». Nous insistons sur cet aspect essentiel. Il faut créer les conditions d'un véritable « dialogue social local » à l'échelle des territoires.

Partenaires sociaux et élus peuvent plus facilement, à ce niveau, engager un effort collectif pour le développement économique et l'aide aux chômeurs. Concrètement, nous proposons de reconnaître le bassin d'emploi (ou bassin de vie) comme échelon où seront gérés en commun les crédits de la formation professionnelle et ceux du soutien aux activités économiques et à la réinsertion. Trop souvent les moyens de la formation professionnelle sont détournés de leur objectif. La taxe d'apprentissage par exemple n'est pas réinjectés dans les régions où elle est collectée. Pour rationaliser et pour moraliser la gestion de ces budgets de formation, il faut un circuit court de décision et une procédure de suivi qui impliquent directement les acteurs socio-économiques et les élus concernés. Dans cet esprit, les Comités de bassin d'emploi – on en compte environ 130 – devraient être généralisés et mieux utilisés.

Ils réunissent des élus, des chefs d'entreprises et des représentants des syndicats de salariés, en étroite collaboration avec l'administration. La reconnaissance de l'échelon du bassin d'emploi permettra d'ouvrir un nouveau champ d'action au syndicalisme et, plus précisément, à un syndicalisme de propositions. Dans ce cadre, les collectivités territoriales devraient bénéficier d'emprunts de proximité à taux très faible et à long terme pour la réalisation de projets d'intérêt général à fort contenu d'emplois (habitat, équipements publics…).

La question de l'expression, de la représentation des chômeurs est posée. Les grandes organisations syndicales ont ce souci à travers la lutte pour l'emploi, mais les chômeurs s'organisent de plus en plus entre eux pour l'entraide, pour lutter contre l'isolement, pour chercher à être une force de proposition. Il nous apparaît indispensable aujourd'hui d'examiner la possibilité de donner aux chômeurs les moyens institutionnels de se faire entendre notamment au niveau des bassins d'emplois: cette question devra faire l'objet rapidement d'un débat avec les syndicats représentatifs.

Face aux difficultés sociales et aux dégâts psychologiques que subissent les exclus, on doit lier beaucoup plus qu'aujourd'hui les allocations (chômage, RMI) à une activité d'intérêt général. Nous voulons que puisse être transformée progressivement une partie des dépenses passives d'indemnisation du chômage (environ 300 milliards de francs) en emplois ou en activités d'insertion.

Concernant les activités d'intérêt général et la création d'emplois à proposer aux personnes en difficulté, outre les collectivités locales nous devrons faire davantage confiance au secteur associatif. Celui-ci est déjà un employeur important : 1,2 million d'emplois. Il a montré depuis 15 ans sa force d'innovation. Il a inventé de nouvelles formes d'économie sociale : associations intermédiaires, entreprises d'insertion, boutiques de gestion, régies de quartier, etc… Nous pensons que devrait être proposé pour le « tiers-secteur » un plan pluriannuel de développement des initiatives pour l'emploi, avec pour objectif de doubler le nombre actuel de salariés concernés. Le financement pourrait être assuré par la mise en place d'une « dotation globale de créations d'emplois » versée par l'État aux communes.

Par ces multiples initiatives, nous voulons développer l'économie de proximité et donner un nouveau souffle à l'économie sociale. La mise en place de ces structures locales contribuera à remobiliser les énergies, à rassembler les volontés, à susciter l'imagination et à mettre ensemble sur le terrain ceux qui ont un travail et ceux qui n'en ont pas.

1.1.3. Un vrai travail pour le plus grand nombre

Un vrai travail, c'est l'existence d'un vrai contrat de travail et le paiement d'un vrai salaire. Notre politique n'est donc en rien celle des petits boulots ni celle de la précarité de l'emploi.

De ce point de vue, l'instauration d'un salaire maternel ou d'une allocation parentale fut-elle « de libre choix » doit-être combattue. Le travail ménager n'est pas un « travail » au sens économique, ni au sens légal du terme. Il ne donne droit ni à une rémunération ni à une protection sociale. L'attribution, d'un « salaire maternel » tend à exclure les femmes du travail et de la sphère économique, et à perpétuer l'obligation de travail à temps plein pour les hommes.

Ce qui est en jeu, c'est notre capacité à créer des emplois, beaucoup d'emplois, plus sans doute qu'on n'en a jamais créés dans ce pays ; en création nette (créations totales moins disparitions), on n'a jamais dépassé 300 000 par an, et encore jamais plus de trois années consécutives aussi bien pendant les années 1960 (« les Trente Glorieuses ») que durant le gouvernement de Michel Rocard. Mais la gravité de la situation actuelle doit nous faire viser plus loin encore : ce sont 400 000 emplois qu'il nous faudrait créer en moyenne chaque année d'ici à la fin de la décennie. C'est sans doute proche de la limite de ce que l'on peut raisonnablement espérer. Encore faut-il avoir conscience de ce que cela signifierait en termes de chômage pour l'an 2000, compte tenu de ce que 150 000 personnes supplémentaires arrivent spontanément chaque année sur les marchés du travail : nous aurions ainsi réduit de moitié le taux de chômage actuel (imagine-t-on pouvoir faire mieux ?), mais surtout nous aurions alors supprimé pour l'essentiel le chômage de longue durée, celui-là même qui engendre le plus d'exclusion.

Créer deux millions et demi d'emplois en six ans n'est certainement pas possible par l'usage d'une recette miracle, quelle qu'elle soit : tous les efforts devront être conjugués dès lors qu'ils ne s'avèrent pas contradictoires, des plus petits aux plus grands. Parmi les instruments les plus souvent cités, les deux qui reviennent le plus fréquemment sont la réduction du temps de travail et la croissance. Mais, disons tout de suite qu'ils ne relèvent pas de la même logique : si la croissance est bien un moyen incontournable, elle n'est évidemment pas une fin en soi alors que la réduction du temps de travail, si elle est aussi un moyen indispensable, s'inscrit dans notre projet de société.

Par ailleurs, quel que soit l'indicateur retenu par les sociologues, il est clair que la pénurie d'emploi pèse plus lourdement sur les femmes : celles-ci sont plus concernées que les hommes par le chômage et le sous-emploi.

Les projets d'aménagement, de réduction ou d'annualisation du temps de travail, tout comme le développement des formules de travail ou de chômage partiel sont là pour nous rappeler que le partage du temps de travail, c'est aussi la gestion sexuée de la pénurie. Cette pénurie rend d'autant plus visibles les mutations sociologiques qui se sont opérées depuis le début des années 60 : malgré la crise de l'emploi et en dépit du chômage, la part des femmes sur le marché du travail n'a pas cessé de croître.

Si de plus en plus de femmes accèdent à des postes à responsabilités, il n'en demeure pas moins que la majorité des emplois féminins reste concentrée dans quelques secteurs d'activité et regroupée sur un petit nombre de professions déjà fortement féminisées, que les femmes subissent les inégalités de salaires, les inégalités dans les formations, les inégalités dans le maintien de leur emploi.

Que reste-t-il de l'application de la loi Roudy du 13 juillet 83 sur l'égalité professionnelle et de la mise en place, le 16 juillet 84, d'un Conseil Supérieur de l'Égalité Professionnelle « chargé de mettre en relation les différents acteurs sociaux, les pouvoirs publics et les personnes qualifiées pour la mise en œuvre de politiques permettant de promouvoir l'égalité professionnelle et d'émettre des avis de l'égalité entre les hommes et les femmes dans le monde du travail » ?

Dans le cadre de notre stratégie de réduction du temps de travail, il s'agit ici de tout mettre en œuvre, avec l'aide des pouvoirs publics, des syndicats, des partenaires sociaux, pour un nouveau contrat social et où la division sexuelle du travail se déplacerait, au bénéfice d'une plus grande égalité entre les hommes et les femmes.

Plus que jamais, l'égalité des chances et l'égalité professionnelle représentent un objectif prioritaire pour les socialistes, car elles constituent un des enjeux majeurs pour la transformation de notre société et pour l'Europe en construction. Une réflexion globale sera menée sur la place qu'occupent les rapports sociaux de sexe dans le marché du travail et l'organisation du travail au sein de l'entreprise. Une évaluation précise devra être faite de la loi du 13 juillet 1983 sur l'égalité professionnelle. Cette évaluation permettrait de mesurer son application dans les faits. Cette loi offrait aux entreprises et aux partenaires sociaux la possibilité de négocier et de mettre en œuvre des plans d'égalité professionnelle. Elle constitue un outil de transformation de l'entreprise à condition de l'accompagner d'une gestion prévisionnelle de l'emploi, d'un véritable projet de modernisation et d'une politique de communication interne et externe. Par ailleurs, une information doit être faite afin que cette loi joue pleinement son rôle en permettant aux femmes de s'en saisir pour faire respecter leurs droits.

Conformément aux directives européennes, les hommes et les femmes doivent avoir les mêmes chances d'accès à la formation initiale et continue, au marché du travail, à la qualification, à la carrière, sur la base de critères non discriminatoires. Nous devons, en accord avec les partenaires sociaux, proposer des mesures d'évaluation des qualifications entrant dans les professions « féminines ». Ces qualifications n'ont pas été prises en compte jusqu'à présent ; il s'agit de relever leur niveau et d'ouvrir ainsi de nouvelles perspectives de carrière.

Les femmes doivent être traitées à l'identique des hommes dans le domaine de la protection sociale, qu'elles soient salariées, qu'elles exercent une profession indépendante ou une activité hors marché (soins aux parents âgés par exemple).

La politique d'égalité des chances doit être intégrée dans l'ensemble des politiques menées par la Communauté européenne, dans laquelle les femmes de gauche ont joué un rôle important. Elle doit être au cœur d'un Projet social européen fondé sur la solidarité et la réduction des inégalités. Des synergies doivent être créées entre le niveau communautaire et le niveau national pour construire une Europe économique et sociale où les femmes ont leur juste place, mais aussi pour aboutir à des résultats concrets comme le montre l'exemple de la création d'entreprises par les femmes. Le fonds de garantie à l'initiative des femmes a créé une dynamique novatrice : on estime qu'aujourd'hui les femmes sont en Europe à l'initiative de 25 % des nouvelles créations d'entreprises.

Nous proposons de mettre en place des instances de concertation efficaces pour que les femmes puissent exprimer leurs besoins et leurs propositions au travers du processus de décision. La répartition des tâches domestiques entre hommes et femmes doit leur permettre de concilier vie professionnelle, vie familiale et relations sociales. Cette problématique se pose de manière plus aiguë pour les chefs de familles monoparentales.

1.1.4. Le temps de vivre

La réduction du temps de travail s'inscrit dans une tradition séculaire et universelle de la gauche politique et syndicale, où elle a obtenu quelques-unes de ses plus belles victoires. Les premières grandes luttes qui ont eu pour fondement l'amélioration des conditions de travail, la journée de huit heures, le repos dominical, les 40 heures, les congés payés, l'abaissement de l'âge de la retraite, ont jalonné l'histoire sociale et politique du siècle. Même si les horaires inhumains sont devenus, aujourd'hui, moins nombreux, précisément grâce aux luttes et victoires précédentes, il n'en reste pas moins qu'en dehors même de tout problème d'emplois, il convient de réduire, en priorité, les horaires de travail des infirmières de nuit, des chauffeurs routiers, des ouvriers faisant les 3 x 8, etc.

En fait, pour le plus grand nombre de salariés, l'enjeu de la réduction du temps de travail, comme élément premier du temps de vivre, s'est progressivement déplacé des conditions de travail proprement dites, à leur articulation avec l'ensemble des conditions de vie, hors du travail. C'est que l'objectif final, humaniste, ne doit jamais être perdu de vue : il s'agit de permettre à chacun le libre épanouissement de toutes ses potentialités, la libre quête de toutes ses aspirations et de tous ses désirs. Il s'agit également de permettre à chacun de dégager un temps qui lui permette d'équilibrer ses différentes activités dans le domaine privé et professionnel. Le temps familial répond à cette nécessité. Au partage, temps plein pour l'homme et temps partiel pour la femme, nous devons substituer le partage, 3/4 de temps pour l'homme et la femme. En dégageant ce temps commun aux femmes et aux hommes nous permettrons le partage des tâches ménagères et éducatives.

Dégager du temps nécessaire aux enfants n'est pas de la seule responsabilité maternelle mais de la responsabilité de la société. Le temps familial institutionnalisé serait un début de réponse à cette exigence et permettrait de répondre aux besoins en temps spécifiques aux jeunes enfants. Des mesures garantissant l'égalité des hommes et des femmes en matière de congés parentaux devraient être prises après avoir fait l'objet de négociations avec les partenaires sociaux. Parallèlement, le temps familial ouvrirait la voie à une redistribution des rôles des hommes et des femmes dans la sphère privée (famille) et dans la sphère publique (économique ou politique). La socialisation des enfants qui repose de plus en plus sur les crèches, garderies et écoles demande non seulement un effort accru d'équipements, de création d'emplois, mais également une adaptation aux horaires de travail des parents et un partage équitable des responsabilités.

Or, si la façon de vivre est d'abord l'affaire de chacun, pour que de véritables choix soient concrètement possibles, l'ensemble du programme socialiste proposera des améliorations substantielles dans les domaines de la formation, de la culture, des loisirs, de la vie associative, des nouvelles formes de citoyenneté active…

C'est ainsi que nous inscrivons la question de la durée et de l'organisation du travail dans une perspective plus large de transformation des rapports sociaux dans le travail et hors-travail, grâce à la mise en œuvre d'une politique globale du temps. C'est donc dans cette perspective qu'il convient d'apprécier la plupart des mesures préconisées plus loin, au premier rang desquelles la réduction de la durée du travail elle-même, ou encore l'élaboration contractuelle d'une Charte du Temps Choisi.

La politique du temps réduit choisi est la seule à même de donner des réponses concrètes à la double journée des femmes. Moins de temps passé sur les lieux de travail, c'est plus de disponibilité aussi pour la famille et son organisation. Avec une organisation d'horaire égale pour tous, hommes et femmes pourront plus facilement partager des tâches jusque-là socialement dévolues aux femmes et pénalisantes pour leur vie professionnelle, par l'importance du temps qu'elles y consacrent. Cette mesure est la seule qui permette une meilleure répartition entre vie privée et vie professionnelle sans aggraver la discrimination homme-femme en matière de vie sociale. C'est pourquoi elle peut être à l'origine de nouvelles avancées dans le sens de l'égalité des sexes.

La diminution du temps de travail pour tous est la réponse de Gauche aux tentatives de la charte d'instauration d'un salaire maternel et de renvoi des femmes à leur foyer. On verra qu'il est souhaitable de fixer des modalités de réduction du temps de travail, décentralisées et diversifiées, à la fois pour tenir compte des aspirations variées de nos concitoyens, mais aussi parce que les mesures les plus efficaces en matière économique et notamment d'emplois, sont très inégalement applicables suivant les branches, les qualifications, et sont souvent assez techniques. Il en résulte dès lors une réelle difficulté militante, politique ou syndicale : comment créer un consensus qui permette de se mobiliser derrière un slogan simple comme le furent en leur temps la journée de 8 heures, le repos dominical, les 40 heures, la retraite à 60 ans ou les congés payés jusqu'à la cinquième semaine ? Depuis plusieurs années, la semaine de quatre jours représente ce thème unificateur, recouvrant des modalités très diverses. Mais, il convient bien sûr d'en préciser le sens. La semaine de 4 jours est du domaine du projet de société accessible :

– par des baisses progressives de l'horaire collectif ;
– par l'aménagement du temps de travail (par roulement d'équipes : les 3 x 8 devenant les 4 x 8 ; par 4 journées sur 9 heures pour les travaux les moins pénibles ; équipes volontaires des vendredi-samedi-dimanche…) ;
– ou par le temps réduit choisi.

Notre démarche tourne le dos à une approche sans imagination qui viserait à généraliser le week-end de 3 jours. Au contraire, si la nuit et le dimanche doivent être préservés, l'extension du travail du samedi ou en fin de soirée, par roulement, doit accompagner la reprise de la croissance. In fine, l'allongement de la durée d'utilisation des équipements productifs et l'extension des horaires d'ouverture des services, marchands ou non, constituent une contrepartie économique du progrès social qu'est la semaine de 4 jours.

On l'aura compris, cette approche offensive de la réduction du temps de travail est inséparable de la façon dont on pose la relation entre la croissance et l'emploi.

1.2. Croissance et Emploi

Trois idées trop communément répandues doivent être combattues. Selon la première « la croissance ne crée plus d'emplois », la seconde s'énonce ainsi « de toutes façons, on ne peut rien faire pour jouer sur la croissance », et la troisième assène : « le progrès technique tue l'emploi ».

Certes, en dessous d'un certain seuil, la croissance ne crée pas assez d'emplois pour compenser les disparitions. Mais, en France, au-dessus de 3 %, la croissance crée assez d'emplois pour commencer à faire reculer le chômage.

C'est une vieille idée libérale de croire que les évolutions fondamentales de l'économie sont « naturelles » et que l'on ne peut rien faire qui permette de s'en écarter. Or le rendement privé d'un investissement dépend largement de « l'environnement » économique et politique dans lequel il est réalisé. Ainsi, les pouvoirs publics peuvent améliorer les performances qui découleraient de l'équilibre spontané de l'économie. Parce que la croissance résulte largement des ressources que la collectivité consacre à la formation, à la recherche et aux infrastructures, il y a des politiques actives de la croissance, celles qui améliorent l'environnement des entreprises.

Quant à la vieille peur ancestrale du progrès, et plus précisément du machinisme, elle trouve sa source actuelle dans les nombreux exemples récents d'innovations qui ont effectivement réduit l'emploi dans les entreprises où ils se sont produits. C'est oublier que ces innovations permettent aussi de satisfaire d'autres besoins créant des emplois ailleurs. Ainsi, même si cela semble aller contre l'intuition, force est de reconnaître que depuis vingt ans la forte montée du chômage s'est accompagnée d'un ralentissement de plus de la moitié des gains de productivité (passant en France de plus de 5 % par an à un peu plus de 2 %). Il faut donc cesser d'incriminer abstraitement le progrès technique même si, parallèlement, il faut lutter contre le remplacement des hommes par des machines lorsque cela est évitable.

Il est sans doute indispensable de retrouver cette croissance économique soutenue qui fit naguère la force des « Trente Glorieuses » et dont la faiblesse hier et l'absence aujourd'hui privent la société française de toute force de mouvement, de toute possibilité d'ajustement, de tout espace d'innovation et de liberté. Certes la croissance ne se décrète pas, pas plus qu'elle ne se convoque et si on lui fixe un « rendez-vous », c'est au risque qu'elle se dérobe. Nous en avons fait l'amère expérience par le passé. Cependant son attente, si elle est impatiente – et comment pourrait-il en être autrement – peut être aussi active et ordonnée. Le retour de la croissance peut s'organiser, se préparer et s'accompagner en ne perdant pas de vue qu'il ne résoudra pas tous les problèmes liés au chômage.

Même retrouvée, la croissance intégrera en effet avec difficulté les chômeurs sans qualification, notamment ceux de plus de cinquante ans, qui alimentent la statistique « honteuse » des chômeurs de longue durée. Même retrouvée, la croissance selon qu'elle sera faible (inférieure à 3 %) ou forte (autour de 4 %) continuera de détruire des emplois ou relancera le marché du travail. Même retrouvée, la croissance verra ses effets sur la création de travail limités.

Il faudra donc faire en sorte, le jour où une majorité de gauche et de progrès sera revenue aux responsabilités, qu'au-delà de leurs influences directes sur la croissance, toutes les actions de l'État et des collectivités publiques, toutes les orientations que le Gouvernement pourra tracer, toutes les indications que le Parlement pourra donner, enfin et surtout, la mobilisation de tout un peuple, favorisent le retour à l'emploi. Car la recherche d'une croissance plus forte n'est pas une fin en soi. Il nous faut désormais compter en matière de gestion des ressources humaines de la Nation, comme on commence à le faire pour les richesses naturelles de la planète, sur un développement durable. C'est-à-dire sur une croissance qui ne soit pas un feu de paille dont profitent certains, mais une vraie source d'emplois qui puisse faire de la création et de la répartition du travail l'enjeu central, le cœur actif de toutes les politiques.

Ainsi, récemment, quelques-uns des meilleurs économistes européens ont montré qu'une croissance régulière d'environ 3,5 % par an était tout à fait possible, simplement en mobilisant une partie des moyens que nous proposons dans le présent rapport. Cela serait certes un grand progrès, mais qui resterait en dessous de l'ambition de transformation sociale que nous avons présentée. C'est pourquoi, nous proposerons de mobiliser des instruments complémentaires, qu'ils soient internationaux (grâce à la réforme du Système Monétaire International et au codéveloppement avec le Sud et l'Est) ou nationaux (par les politiques industrielles et le développement local, notamment). C'est un taux de croissance moyen de 4 % (comme en 1988-90) qu'il nous faut obtenir, mais – et telle est la véritable difficulté – sur une période de six ans. On pourrait alors attendre de cette croissance durable une création nette d'emplois d'environ un million durant la période.

Il s'agit donc de mettre en œuvre une stratégie de croissance équilibrée, ce qui suppose de remplir strictement quatre conditions principales.

Cette croissance doit être soutenable d'un point de vue écologique, conformément aux positions constantes des socialistes.

Cette croissance doit être non inflationniste, éviter tout dérapage des comptes extérieurs et nous donner les marges de manœuvre permettant de stabiliser la conjoncture afin de pouvoir être poursuivie durablement.

Cette croissance équilibrée doit aussi assurer de façon harmonieuse le financement de la consommation par le pouvoir d'achat des salariés et le financement des investissements par le profit des entreprises. C'est dire qu'il convient désormais de mettre un frein à la hausse de la part des profits dans le revenu national.

Car, et c'est bien entendu pour les socialistes absolument essentiel, cette croissance doit être aussi équilibrée d'un point de vue social. Depuis dix ans, en effet, l'essentiel des gains de productivité a été affecté à l'assainissement de la situation financière des entreprises. Ces gains doivent être aujourd'hui répartis équitablement avec les salariés. C'est donc un véritable contrat social que nous proposons désormais au monde du travail. Celui-ci verrait le pouvoir d'achat de la masse salariale progresser au rythme de la croissance économique.

Pour ceux qui ont un emploi, nous proposons que ces gains leur soient principalement payés sous forme de réduction du temps de travail, suivant les modalités développées dans la troisième partie de ce rapport. Nous pourrons alors financer une forte création d'emplois supplémentaires indispensable à notre stratégie de réduction massive du chômage.

2. Une croissance plus forte de la production et de l'emploi

Le taux de croissance que la France connaîtra dans les années qui viennent ne dépend pas uniquement d'une décision politique, cela va sans dire. Mais il ne faudrait pas, à l'inverse, que les gouvernements s'exonèrent de toute responsabilité au nom d'une quelconque impossibilité d'agir. Les décisions du gouvernement d'E. Balladur l'ont clairement montré : à vouloir à tout prix diminuer les dépenses publiques, la récession a été aggravée dès le mois d'avril. La très forte montée du chômage depuis la rentrée de septembre est aggravée par cette politique. Le budget qui a été préparé pour 1994 ne corrige pas cette tendance : à vouloir, de façon contradictoire, multiplier dans l'incohérence de pseudo-mesures de relance coûteuses pour les finances publiques et inefficaces pour l'emploi, on désoriente les acteurs économiques qui sont conduits à l'immobilisme. Les hésitations, les atermoiements et les préjugés idéologiques du Gouvernement ont retiré des chances à des dizaines de milliers de chômeurs dans leur recherche d'un emploi.

Pour promouvoir une croissance plus forte, nous devrons utiliser toutes les marges de manœuvre nationales qui sont à notre disposition. Mais, la croissance d'un pays comme la France dépend largement de son environnement international. C'est donc, pour commencer, sur cet environnement qu'il convient d'agir.

2.1. Favoriser la coopération internationale

L'économie française est évidemment influencée par tout ce qui se passe dans le monde. Mais elle est aussi un acteur de cette économie mondiale et la France doit faire des propositions en ce qui concerne le système monétaire international, l'organisation des échanges ou le développement des pays du Tiers Monde. Mais, bien entendu, c'est au sein de l'Europe que son action doit être la plus forte.

2.1.1. Au niveau mondial

a) Le système monétaire international

L'emploi et la croissance en France sont, à l'évidence, très largement tributaires de la croissance mondiale. Or, l'organisation de l'économie mondiale reste très déséquilibrée depuis les décisions unilatérales des États-Unis, cassant au début des années 70 le système monétaire issu des accords monétaires de Bretton Woods. La dérégulation financière que nous avons connue conduit à des mouvements de capitaux dont une infime partie seulement est liée à des échanges. C'est ainsi que les transactions quotidiennes sur les marchés des changes sont du même ordre de grandeur que l'ensemble des réserves de change mondiales.

Il est possible et urgent aujourd'hui de songer à nouveau à bâtir un système stable. Si dans plusieurs pays d'Europe la gauche accède au pouvoir, si les États Unis de Clinton sont moins dérégulateurs que ceux de Reagan ou de Bush, alors l'époque peut se prêter à un nouveau Bretton Woods. Celui-ci devra retrouver les objectifs initiaux du Traité de 1944 : revenir à un système de parités fixes mais ajustables ; fournir de nouvelles liquidités internationales pour favoriser le développement, surtout en direction des pays du Tiers Monde; proposer une régulation nouvelle des mouvements de capitaux afin de combattre les dérèglements actuels. C'est pourquoi nous, Socialistes, indiquons que ce sont là des objectifs auxquels doit s'atteler le monde du travail au plan international, en faisant pression sur les États et sur la Communauté internationale.

Les deux premiers points sont trop connus pour qu'il soit nécessaire d'y revenir. Précisons toutefois la réglementation des mouvements de capitaux que nous souhaitons voir mettre en œuvre, au niveau mondial si possible et, à défaut, au niveau européen. De nombreuses propositions ont été émises pour encadrer un système devenu fou. La plus simple consiste à réintroduire sous une forme ou sous une autre le coût de transaction que la dérégulation a fait disparaître. En effet, le marché de l'argent s'est dématérialisé ; il fonctionne en temps réel et s'est détaché de la réalité de la production et des échanges ; le système financier s'est affranchi de toute force de frottement. Si l'on veut éviter que la moindre différence de taux n'entraîne des déplacements énormes de capitaux, il faut réintroduire des coûts de transaction. Une voie qui peut permettre d'aboutir rapidement pour décourager la spéculation repose sur une réglementation des fonds d'investissements (sous l'égide de la Banque des Règlements Internationaux, par exemple) contraignant les fonds spéculatifs à des dépôts proportionnels à leurs emprunts. Quelle que soit la solution technique retenue, nous soutiendrons toute proposition visant à pénaliser ou réduire les activités de la pure spéculation.

b) L'organisation des échanges

La conclusion des récentes négociations de l'Uruguay Round n'apporte aucun mieux à notre situation puisque dans tous les domaines où la France était demandeuse (services financiers, code des subventions, instruments unilatéraux de rétorsion commerciale, notamment), le Gouvernement a accepté un report sine die.

Il est pourtant un aspect de la négociation du GATT sur lequel il ne peut être concevable de désarmer : c'est celui des mesures de rétorsion unilatérales (section 301 du Trade Act) dont les États-Unis ont refusé de se départir. S'élever contre cette pratique fameuse et, depuis 1988, son renforcement en « super 301 », est légitime mais peu efficace. Il faut que l'Union Européenne se dote d'une véritable politique commerciale extérieure disposant de moyens et d'instruments juridiques équivalents. Pour ce qui est des moyens, créons une agence européenne chargée de lutter contre les pratiques commerciales illicites (contrefaçon, dumping, discrimination de toute nature). Quant aux instruments juridiques, le problème est simple. Dotons-nous d'un texte analogue à la législation américaine et engageons-nous, d'une part, à ne le mettre en œuvre qu'à l'encontre de pays qui disposent d'une législation comparable et, d'autre part, à l'abolir dès que ces derniers en feront autant. Si, comme il est probable, la recherche du multilatéralisme est dépassée et si la fragmentation du monde en trois grandes zones commerciales est à craindre, alors seule la réciprocité peut servir de règle à une Union Européenne qui s'affirme.

Au demeurant, chacun le sait, les fluctuations erratiques des monnaies qui résultent de la dérégulation financière rendent bien dérisoires les récents débats sur les droits de douane. Les fluctuations monétaires sont beaucoup plus dommageables que les barrières mises en place sous la forme de tarifications diverses. Ceci est vrai entre pays développés comme à l'égard des nouveaux pays industrialisés dont la concurrence découle au moins autant de parités sous-évaluées que du coût de la main d'œuvre. Les sacrifices imposés aux salariés pour réduire le coût salarial ont, dans de nombreux pays, été annulés d'un trait de plume par des manipulations monétaires. Aussi n'est-il pas étonnant que les politiques libérales visant à abaisser le coût moyen du travail se soient révélées incapables de réduire le chômage.

c) Le développement du Tiers Monde

Au cours des années 70 et encore au début des années 80, le Tiers Monde constituait pour les socialistes en sujet de réflexion majeur. Depuis 1986, l'incroyable s'est produit : les pays en développement ont versé aux pays riches pour les intérêts qu'ils doivent plus qu'ils n'ont reçu au titre des nouveaux prêts. Face à cette situation, la gauche a peu réagi. Les difficultés rencontrées en France et, notamment, le problème de l'emploi nous ont éloignés de cette préoccupation. Mais si le monde a beaucoup changé au cours des dernières années, il est des changements qui en ont éclipsé d'autres. Et la chute du Mur à l'Est a masqué le décollage au Sud des Nouveaux Pays Industrialisés (NPI). On le voit bien aujourd'hui, la différence entre ceux qui peuvent s'en sortir (notamment en Asie) et les autres, s'accentue. S'agissant de la concurrence nouvelle de ces pays et des risques qu'elle fait peser sur l'emploi en France, la droite n'a qu'une réponse : la baisse du coût du travail. Comme si nous pouvions ou voulions rivaliser sur le terrain des salaires avec les pays les plus pauvres du monde !

Notre réponse est différente. D'abord, il faut que les règles du commerce international intègrent le plus vite possible des contraintes sociales et écologiques qui progressivement se rapprochent des nôtres. Mais, c'est surtout sur nos propres forces qu'il faudra compter : à moyen terme, l'objectif n'est pas d'importer moins en provenance des NPI mais d'exporter plus chez eux. Il faudra aussi imposer le respect des conventions de l'OIT (on parvient bien à le faire pour le GATT) pour protéger les travailleurs du tiers monde.

2.1.2. Au niveau européen

Pour la première fois dans l'Histoire nous tentons de rassembler des peuples, d'unir des destinées autrement que par la guerre et la force des armes. Le sentiment d'une large fraction de la population est que la complexité de la construction européenne la rend aujourd'hui peu efficace.

Face aux incertitudes que peuvent présenter des politiques insuffisamment coopératives au niveau mondial, nous devons montrer l'exemple en développant la coopération européenne. Il y a là un grand espace économique dont les échanges internes sont logiquement dominants et qui se prête bien à l'action collective, tout particulièrement à la mise en œuvre de mesures de soutien de l'activité grâce à un programme public d'investissement au niveau européen.

Le besoin est là. La faiblesse de la demande est patente et l'investissement public a pris beaucoup de retard. Depuis vingt ans, la baisse relative est de l'ordre de 30 %. L'objectif est donc clair : il faut mobiliser les ressources inutilisées pour remplir des besoins insatisfaits tout en contribuant à soutenir la demande globale.

Les conditions sont aujourd'hui propices les taux d'inflation sont dans l'ensemble faibles ; la contrainte financière des entreprises s'est allégée ; les taux d'utilisation des capacités de production sont particulièrement bas. Enfin, l'Union Européenne est le seul emprunteur potentiel de premier rang dont la dette est nulle. De plus, et c'est là que réside l'effet multiplicateur de toute opération de relance à l'échelle européenne, les échanges avec l'extérieur de l'Espace Économique Européen (EEE) ne représentent que 7 % du total ce qui signifie que lorsqu'un européen dépense 100 francs, 93 restent au sein de l'EEE.

Quelles doivent être les modalités d'une telle relance ? L'initiative prise par le sommet de Bruxelles va évidemment dans le bon sens mais l'ampleur de l'investissement prévu est encore très insuffisante. En effet, le Livre Blanc prévoit un investissement total de quelques 120 milliards d'écus étalé sur six ans. Or, il faudrait sans doute le double. Sur ce point, nous avons déjà remporté une première victoire grâce aux propositions successives de Michel Rocard et du Président de la République auxquelles E. Balladur a bien dû sembler se rallier.

Le financement d'un tel programme peut dans une large mesure être obtenu par l'emprunt sans détériorer à terme les comptes publics. En effet, l'expérience montre qu'un investissement public augmenté de l'investissement privé qu'il entraîne génère des ressources fiscales de l'ordre de l'investissement réalisé. Cet investissement additionnel peut s'orienter vers toutes sortes d'infrastructures ; on privilégiera à la fois le logement qui a un fort contenu en emploi (et notamment en emplois non qualifiés), la réhabilitation des zones urbaines défavorisées et les grands réseaux de communication.

L'action communautaire doit viser à la baisse des taux courts jusqu'à atteindre des taux réels nuls, comme l'ont récemment recommandé les meilleurs experts européens. Si les taux d'intérêts longs sont largement déterminés par le marché, les autorités monétaires ont une beaucoup plus grande marge de manœuvre sur les taux courts qui pèsent sur les comptes des Etats et des entreprises, surtout en France pour ces dernières.

Il faut donc mettre en œuvre une baisse concertée des taux à court terme. Il est probable que nos principaux partenaires y sont aujourd'hui plus disposés que par le passé. Cela peut être le cas des allemands qui sont eux aussi frappés très durement par la récession. Mais, même si ces derniers devaient se montrer réticents, il nous faudrait avancer avec ceux des européens qui sont prêts à harmoniser le niveau des taux réels. Il est difficilement admissible que les pays les plus vertueux, c'est-à-dire ceux qui ont fait le plus d'efforts pour réduire leur taux d'inflation, soient aujourd'hui ceux qui sont le plus nettement pénalisés par des taux d'intérêt réels trop élevés. Pour la France, la seule harmonisation des taux réels peut permettre une baisse qui va de 1,5 % à 2 %. Le franc est fort et il peut être sincère. Sans doute, aujourd'hui, n'a-t-il plus besoin du soutien artificiel d'un taux d'intérêt réel supérieur à celui de nos voisins.

Il reste que la récession a aussi été aggravée par l'incertitude qui s'est faite jour sur l'avenir de l'unification monétaire européenne. Jusqu'en 1991, les progrès réalisés étaient générateurs de confiance. Mais les difficultés de la ratification du Traité de Maastricht à partir du « non » danois, ont montré que le processus n'allait pas de soi. Il nous faut maintenant reprendre la marche en avant, ce qui ne peut être obtenu de façon durable qu'en revenant au système de changes fixes dont nous a écarté la crise d'août 93.

On peut regretter que lors de la rédaction du Traité, les contraintes qui ont été définies ne se soient pas limitées à des critères de convergence. En effet, s'il est nécessaire pour former une union monétaire que les économies en cause soient suffisamment proches les unes des autres, rien n'indique que cette proximité doive se si tuer au niveau le plus bas possible. Les taux d'inflation, les déficits budgétaires en pourcentage du PIB, etc. doivent être proches les uns des autres. Du seul point de vue de la nécessaire convergence, ils n'ont pas besoin d'être aussi faibles que possible.

Aujourd'hui, la solution la plus souhaitable pour avancer vers la monnaie unique consiste à réinterpréter les critères de convergence qui ont été définis par le Traité de Maastricht, comme le seuil de 3 % du PIB établi pour le déficit budgétaire. Aussi faut-il au moins faire admettre que ces critères doivent être appréciés sur la moyenne période (environ 5 ans) afin de tenir compte des différentes phases du cycle économique.

Si, malgré tous ces efforts de franche coopération, certains membres de l'Union renonçaient à une application loyale du Traité et au passage à la monnaie unique, il doit être clairement entendu que nous demanderions l'application complète et, si possible, anticipée de celui-ci. Il s'agira alors de faire avancer l'Union en évitant que certains soient tentés de pratiquer des dévaluations compétitives quand d'autres auraient déjà lié leur sort. Dans le même temps, toutes les utilisations de l'Écu, publiques et privées, doivent être encouragées.

Il fallait harmoniser la fiscalité des revenus du capital pour éviter la délocalisation de l'épargne. Mais en réduisant considérablement notre fiscalité de l'épargne, nous avons abouti à une situation choquante où la fiscalité est plus favorable à la détention d'un capital qu'à l'exercice d'une activité.

Pour corriger cette situation, une coopération européenne est à nouveau nécessaire. Plusieurs solutions sont envisageables. On peut préconiser un régime de déclaration obligatoire des revenus du capital afin d'être imposé dans son pays de résidence, ou bien, ce qui est moins satisfaisant mais plus simple à mettre en œuvre, un prélèvement libératoire uniforme. Quoiqu'il en soit, il est urgent de rendre cohérent le marché unique des capitaux qui s'est mis en place en Europe en lui associant une fiscalité commune. Celle-ci devra tendre vers une harmonisation de l'ensemble de la fiscalité du capital : revenus du capital, patrimoine et impôt sur les sociétés.

Ces propositions sont directement liées à la stratégie globale de lutte pour l'emploi que nous préconisons. En effet, il est complètement illusoire de croire que des politiques actives peuvent être menées pour améliorer l'efficacité de l'économie, quand les efforts qui sont consentis par les salariés peuvent être réduits à néant lorsque certains partenaires s'engagent dans des dévaluations compétitives. Mais, il faut pour avancer vers l'Europe monétaire, une volonté politique sans faille, seule garante de la force de conviction que l'on doit pouvoir développer face à des partenaires plus hésitants. C'est pourquoi il est plus que douteux que la majorité en place parvienne à un résultat satisfaisant. Elle est fortement divisée sur la question européenne. On savait la volonté inébranlable du Président Mitterrand et des socialistes d'avancer vers l'union monétaire. Il a suffi qu'un changement de majorité fasse justement douter de cette volonté pour que la France plie le genou.

En tout état de cause, il faut que le Parti socialiste français prenne l'initiative d'États généraux de la Gauche d'Europe, du mouvement social de l'Europe des Douze, qu'il s'adresse à cette fin à tout l'arc en ciel politique et syndical de l'Europe communautaire.

2.2. Utiliser nos marges de manœuvre

L'environnement international joue évidemment un rôle majeur. Mais il serait irresponsable de croire que nous ne disposons d'aucune marge de manœuvre nationale. Elles concernent aussi bien la stimulation de la demande que la compétitivité des entreprises.

2.2.1. Agir sur la croissance

Dans la récession actuelle, on prétend beaucoup trop vite que nous ne possédons plus, à l'échelle nationale, d'instruments de stimulation de la conjoncture.

Lorsque la France a connu des périodes de croissance sensiblement plus rapides que celle de ses voisins, il en est rapidement résulté un insoutenable déficit extérieur. Et la « contrainte extérieure » est longtemps apparue comme l'horizon indépassable de toute action publique sur la croissance. Mais aujourd'hui, pour des raisons diverses (la faiblesse de notre croissance mais aussi les efforts de compétitivité entrepris depuis dix ans), notre pays enregistre un excédent commercial et touristique comme il n'en a jamais connu. Cet excédent place notre pays dans une situation inédite : il dispose d'une « marge extérieure ». Cette marge de croissance est aujourd'hui de l'ordre d'un point. En développant le plus possible nos exportations de biens et de services, il s'agit de permettre la plus forte croissance de la production et de l'emploi avec les importations qu'elle induit, tout en assurant l'équilibre de nos comptes extérieurs.

Un des instruments du soutien à apporter à la croissance réside bien entendu dans le budget de l'État et, dans une moindre mesure, dans celui des autres agents publics. La question est de savoir quel est le bon niveau de la dépense publique et quel doit être son contenu. La comptabilité d'épicier à laquelle on se livre en se contentant de comparer les recettes et les dépenses ne peut permettre de dégager une règle de comportement ayant un quelconque fondement économique. Parce qu'il n'y a pas de compte de capital dans la comptabilité publique, tout l'effort d'investissement auquel l'État se livre est passé par pertes et profits. Bien que la comparaison de l'État avec une entreprise soit toujours un trompe l'œil, force est de constater qu'avec une telle comptabilité, obligées de financer leurs investissements sur les recettes courantes, les entreprises fermeraient les unes après les autres. Plus encore, les ressources publiques consacrées à la recherche et à l'éducation constituent pour le pays un effort d'investissement qu'il faut aussi prendre en compte à ce titre.

Personne ne nie que le taux de croissance dépend de la part des ressources nationales que l'État prélève, mais il peut en dépendre dans les deux sens. Si l'État prélève des ressources pour les affecter à des dépenses non productives, il peut nuire à la croissance. Mais dans le cas inverse, il favorise la croissance. Dès lors, la question de savoir quel est le bon niveau de la dépense publique ne se ramène pas à la simple analyse du niveau des dépenses et des recettes et encore moins à la conviction que moins l'État dépense, mieux l'économie se porte.

À trop vouloir fuir la dépense, on a limité l'activité économique et avec elle la base même sur laquelle les ressources de l'Etat sont calculées. À ce jeu, les libéraux finiraient bien par obtenir un équilibre budgétaire durable : lorsqu'il n'y aurait plus ni dépenses ni recettes publiques. Nul n'ose imaginer quel serait alors l'état de l'économie. Nous ne préconisons pas aujourd'hui d'engager une forte action de relance en creusant le déficit public. Notre endettement n'est pas encore exagéré, toutefois la charge d'intérêt est déjà importante et il est dangereux de se lier les mains en l'accroissant outre mesure, comme le fait Édouard Balladur depuis son arrivée au pouvoir.

Plus important encore que l'utilisation de la dépense publique pour soutenir l'activité, le choix des dépenses à engager n'a pas toujours privilégié l'emploi. Celui-ci a le plus souvent été considéré comme une résultante des mesures prises suivant une autre logique, quitte à demander ensuite à la politique de l'emploi de réparer les dégâts ! À l'avenir, il faudra passer chaque mesure budgétaire, acquise ou nouvelle, à un crible dominant : son effet sur l'emploi. C'est un travail ingrat mais important qui doit être mené jour après jour. Car c'est bien dans la structure de la dépense publique que se trouvent les marges de manœuvre les plus importantes qu'il est impératif de mobiliser.

Les entreprises publiques peuvent elles aussi jouer un rôle par la relance des investissements contribuant à l'équipement du pays et répondant à des demandes sociales. Dans la mesure où la France a une inflation moins forte que celle de ses voisins, les entreprises publiques peuvent financer une relance de leurs investissements par des emprunts gagés sur des augmentations à moyen terme de leurs tarifs, prix ou péages. Ainsi, EDF, la RATP les sociétés de transports urbains, les aéroports, les sociétés d'autoroutes, la SNCF… peuvent sans risque inflationniste accélérer leurs programmes d'équipement ou d'amélioration de l'environnement : enfouissement des lignes EDF, améliorations du confort du métro et des trains de banlieue, etc.

2.2.2. Renforcer notre compétitivité industrielle et notre appareil de production

À long terme, l'essentiel de notre croissance ne peut s'appuyer sur la seule relance de la demande et la compétitivité internationale, principalement industrielle, est décisive. En effet, lorsque le pouvoir d'achat augmente de 100 francs, près de 30 francs viennent gonfler les importations françaises. Il nous faut donc accroître nos exportations, sous peine de voir notre croissance bloquée par la contrainte extérieure.

S'il est normal que de nouveaux pays industrialisés accèdent à leur tour aux marchés mondiaux, la France doit détenir sa juste part de ces marchés, comme c'était encore le cas il y a vingt ans. Nos exportations représentaient alors 10 % du total mondial mais en 1985 notre part était tombée à 7 %. Si la désinflation et une nouvelle politique industrielle nous ont permis de regagner un peu du terrain perdu (notre part vaut 8,5 % aujourd'hui), retrouver notre position relative parmi les grands pays nous permettrait de gagner un peu de croissance tout en gardant des comptes extérieurs durablement équilibrés.

Pour nous, la compétitivité ne s'entend pas entreprise par entreprise ; elle concerne le système productif pris dans son ensemble. Dans le cas contraire, on ne sort pas du cercle vicieux dans lequel les entreprises licencient laissant à la collectivité le coût social du chômage. Les impôts ou les prélèvements sociaux sont alors augmentés et pèsent, soit sur le pouvoir d'achat des ménages, soit sur la compétitivité des entreprises. La compétitivité doit aussi être mesurée globalement, c'est-à-dire en prenant en compte tous les éléments de coût (le travail, le capital, les équipements et services collectifs), mais aussi les éléments hors coût qu'on désigne sous le nom de compétitivité-qualité : la qualité des produits et des services après-vente, l'innovation, l'organisation, l'aptitude au travail collectif, la mobilisation de tous les acteurs (internes et externes) de l'entreprise la capacité des salariés à travailler à l'étranger, etc.

Or, les conditions de réussite d'une telle stratégie de compétitivité dans notre pays sont maintenant bien connues.

Il nous faut promouvoir un véritable changement dans le travail grâce à une meilleure implication des salariés dans son organisation et dans la détermination de la qualité du produit, grâce aussi à une plus grande consultation sur les grands desseins de l'entreprise. Cet objectif, à atteindre dans le cadre de structures appropriées et par l'amélioration des droits économiques et sociaux des comités d'entreprise, nécessite le renforcement des organisations syndicales. Or les organisations syndicales sont actuellement absentes de beaucoup de PME et faibles dans la plupart des grandes entreprises. Même des responsables d'entreprises commencent à s'en inquiéter. La sanction professionnelle et salariale qui s'attache presque partout à l'exercice d'une fonction syndicale décourage l'adhésion des salariés. Nous souhaitons l'émergence d'une unité d'action syndicale qui dépasse les actuelles divisions. Mais il n'appartient pas à la puissance publique de se substituer aux organisations syndicales. Sa fonction par contre est d'intervenir pour que ne soient plus bafouées les lois qui organisent la représentation des salariés dans les entreprises. Or c'est le cas aujourd'hui dans de trop nombreuses PME, qui ne constituent pas d'institutions représentatives du personnel, ou se satisfont volontiers de constater l'absence de candidatures pour les constituer. Notons au passage que la Loi quinquennale sur l'emploi réduit le pouvoir des institutions représentatives du personnel.

Dans l'état actuel des rapports de travail dans le pays, on ne peut plus se contenter de cette passivité ou de ces constats de carence. Le renforcement des organisations syndicales exige l'expression d'une volonté nationale. On remettra en chantier les propositions contenues dans le rapport Bélier sur la représentation sociale dans les PME. Sous des formes à déterminer et sous le contrôle de l'Inspection du travail, la loi sanctionnera les entreprises qui n'auront pas constitué les institutions représentatives du personnel prévues par les textes. Cette sanction pourrait prendre la forme de contributions au financement des Unions syndicales locales et des délégués de site.

Celles et ceux qui assument un mandat devront être garantis contre toute mesure discriminatoire, notamment en matière de formation et de promotion. Leur formation devra être incluse dans le plan de formation de l'entreprise.

Les organisations syndicales régulent le processus et veillent à l'implication réelle de toutes les catégories de salariés. Les renforcer favorisera ainsi la mise en place d'organisations qualifiantes où l'accumulation des savoir-faire s'oppose à la précarisation de la main d'œuvre. Dans le même temps, il nous faut accentuer nos efforts d'éducation, de formation et d'insertion, mieux les articuler avec le monde de la production.

Le bilan social annuel doit être complété et doit intégrer les paramètres suivants : le système prévisionnel des emplois en liaison avec la formation, les réductions de temps de travail, et toutes les évolutions de l'organisation du travail. Le bilan social sera incorporé au bilan de l'entreprise.

La pratique du licenciement est devenue pour nombre d'entreprises synonyme de bonne gestion. Les salariés d'entreprise sont trop souvent soumis à un management incohérent : d'un côté, un discours patronal prône la qualité totale par la mise en valeur de la ressource humaine, et de l'autre, une pratique gestionnaire gaspille les compétences de « salariés-Kleenex », qu'on jette après usage. Solution de facilité, qui transfère les coûts sociaux à la collectivité ; gestion à courte vue, qui dispense les entreprises de gérer prévisionnellement leurs emplois, et d'inventer leur croissance interne et leur diversification.

Cette banalisation du licenciement, économiquement coûteuse, est devenue un fait de société. Elle fait peser sur chacun une menace constante : tous les citoyens sont touchés, eux-mêmes ou leurs proches. Elle paralyse l'esprit d'initiative dans l'activité professionnelle. Elle décourage les familles, et neutralise toute reprise de la consommation.

L'abus de licenciements doit être sanctionné. Des chefs d'entreprises le reconnaissent, la France est un des pays où le licenciement est le plus facile et le moins coûteux. Il faut donc remettre des freins. Des freins administratifs, comme l'était l'autorisation administrative de licenciement ; et progressivement ensuite des obstacles dissuasifs par les coûts. Ainsi pourrons-nous espérer non seulement limiter la casse sociale, réduire les transferts indus vers la collectivité, mais aussi déployer de nouvelles méthodes de gestion, plus imaginatives et plus participatives.

Une telle orientation suppose :

– une meilleure prévention des licenciements ;
– une meilleure protection des salariés licenciés pour un motif économique qui ne serait pas fondé ;
– une réelle articulation du contrôle social et du contrôle administratif.

Il importe donc de donner aux plans sociaux le caractère préventif de leur origine. Mais cette expérience, légitime, suppose que les entreprises, et particulièrement les PME, puissent par le canal de leurs dirigeants ou de leurs salariés trouver sur le plan local les concours externes qui leur sont nécessaires. Il convient donc de créer au plan local de véritables cellules d'intervention pour l'emploi, des établissements publics chargés d'une mission en ce domaine, des collectivités territoriales concernées, des partenaires sociaux, afin d'apporter un appui décisif et coordonné aux entreprises en difficulté (particulièrement aux PME) et à leurs salariés.

Le recours au licenciement économique doit être sanctionné par sa nullité dès lors que le motif ne serait pas fondé, notamment pour les entreprises faisant apparaître des résultats bénéficiaires : la loi doit définir de façon précise et restrictive, les hypothèses de recours au licenciement économique. C'est dans ce cadre qu'un contrôle administratif des licenciements économiques doit être instauré. Adossé à une réglementation précise, portant donc sur une appréciation de la conformité au Droit de l'opération envisagée par l'employeur, il devient, dans ces conditions, le garant du contrôle social.

À cette approche qui privilégie la réalité économique et sociale propre à un secteur d'activité, doit s'ajouter une dimension territoriale, permettant notamment aux représentants des salariés d'être mieux associés aux choix déterminants pour l'économie locale, ainsi qu'à l'affectation du produit de la parafiscalité reposant sur les entreprises et donc sur le travail.

La compétitivité efficace passe par le développement de la coopération à tous les niveaux: au sein de l'entreprise, entre toutes les parties prenantes, avec des hiérarchies allégées et des directions plus collégiales ; entre entreprises industrielles, grandes et petites, sous-traitants et fournisseurs par la mise en œuvre de partenariats solides ; entre le monde de la production et ceux de la formation, de la recherche, de la distribution ou de la finance.

Le partenariat entre les entreprises et l'Éducation nationale doit se développer. Les filières de formation professionnelle initiale de l'Éducation nationale sont engagées dans une rénovation qui comporte une part plus grande des périodes de formation dans les entreprises. Celles-ci doivent donc affecter des moyens à ce partenariat indispensable à l'adéquation formation/emploi : formation des tuteurs, moyens horaires, conventions de partenariat. L'utilisation des compétences dans le cadre des retraites progressives est une des réponses possibles.

La réussite industrielle tourne le dos à des pratiques de court terme, imposées par les seuls critères boursiers et financiers. Elle suppose tout au contraire d'inscrire ses relations avec les institutions financières dans des stratégies de long terme.

La compétitivité industrielle ne passe pas par un effacement croissant de l'État, mais par une redéfinition de son rôle pour assurer une triple mission d'accompagnement, d'impulsion et d'anticipation des marchés du futur, aussi bien au niveau national que communautaire. Plus particulièrement, il faut renoncer aux privatisations balladuriennes qui financent les dépenses courantes en bradant le patrimoine collectif ; le redéploiement nécessaire du capital public doit plutôt s'inscrire dans une logique de partenariat stable où des participations publiques conséquentes doivent tout à la fois garantir une complète autonomie de gestion et une nécessaire stabilité.

La compétition ne peut être conduite sur la base d'un moins-disant social et fiscal. Tout doit être entrepris par la France pour qu'une politique sociale européenne soit mise en place en intégrant les acquis sociaux de chacun des pays. L'attractivité de notre pays, de ses régions et de ses bassins d'emplois repose essentiellement sur de meilleurs services et infrastructures publics, des centres de recherche et de formation plus efficaces.

C'est tout particulièrement vrai de notre tissu de PME-PMI puisque celles-ci fournissent la plus grande part des créations d'emplois. Pour cela, il nous faut d'abord réduire la mortalité infantile des entreprises : 57 % meurent avant l'âge de 5 ans mais ce chiffre chute de moitié lorsque les créateurs ont bénéficié d'un encadrement. C'est pourquoi, le développement local a pour tâche prioritaire de rapprocher tous les partenaires, de simplifier les procédures, de soutenir les services aux PME et le conseil gratuit aux intéressés. Conduit par les structures intercommunales de développement, le développement local a pour vocation d'analyser les ressources d'un territoire et les volontés de ses habitants, de rapprocher les partenaires, et de susciter les maillons manquants dans la chaîne du développement. Ce travail nécessite des animateurs spécialisés, cofinancés par les structures intercommunales, l'État et les Régions. Ces financements figureront dans les contrats de Plan État-Région. Par ailleurs, il faut permettre à un maximum de PME d'accéder au rang d'entreprises moyennes (telle est notre principale faiblesse par rapport à nos voisins) afin qu'elles puissent internationaliser leur activité à l'instar des moyennes entreprises allemandes, prévenir les accidents de parcours et se redresser en cas de difficultés.

Reste la difficile question du financement. Les projets d'entreprise économiquement viables doivent pouvoir trouver les capitaux nécessaires à leur mise en œuvre. Pour cela il faut favoriser la collecte d'une épargne directement affectée aux PME ou aux organismes spécialisés dans leur financement. De même, en matière de transmission d'entreprises plutôt que de ne penser qu'à abaisser les droits de succession Donc aider les héritiers, il faut fournir les financements nécessaires aux repreneurs compétents.

2.2.3 Renforcer le service public de l'emploi

Quelle que soit la priorité qu'il faille accorder aux mesures visant à redonner à la création d'emploi la vigueur qu'elle a perdue, il n'en demeure pas moins indispensable de rénover le service public de l'emploi en clarifiant ses missions prioritaires et en lui fournissant les moyens de son action.

Sa finalité demeure avant tout d'assurer un traitement individualisé de chaque demandeur d'emploi et de l'accompagner de manière cohérente tout au long de son parcours d'insertion. Son problème principal réside dans la faiblesse de ses moyens, insuffisants pour un suivi individuel de qualité et pour la mise en œuvre des coordinations nécessaires. La réponse par la décentralisation du service public de l'emploi n'est pas satisfaisante. Les prestations proposées tant aux demandeurs d'emploi qu'aux entreprises, le soutien public aux initiatives locales ne sauraient refléter des inégalités territoriales génératrices d'injustices. La solidarité publique dans le domaine de l'emploi doit être garantie par la responsabilité de l'État.

C'est pourquoi la rénovation du service public de l'emploi s'appuiera sur un approfondissement de la déconcentration, tournant le dos aux tentatives de démantèlement poursuivies par l'actuel gouvernement sous-prétexte de régionalisation. L'orientation retenue ici correspond aux principes arrêtés de l'OIT (Organisation Internationale du Travail), qui dans une convention dont la France est signataire, souligne la responsabilité de l'État dans la gestion du service public de l'emploi. Seul ce cadre garantira tout à la fois l'homogénéité de la politique poursuivie comme son adaptation aux données et aux initiatives locales.

En clarifiant les missions de chaque institution, en définissant des règles claires de coopération, ainsi que des modalités d'appui aux initiatives extérieures au service public de l'emploi, nous donnerons à celui-ci la place qui doit lui revenir : celle de l'outil d'intervention de la puissance publique dans le domaine qui préoccupe le plus notre société.

Loin d'affaiblir cet outil aujourd'hui menacé par des décisions sans fondement (suppression du CERC, de la mission « nouvelles qualifications » il conviendra de doter le service public de l'emploi des moyens nécessaires à l'exercice de ses fonctions. Dans ce domaine, la conception préalable avec les partenaires sociaux très impliqués dans la gestion des appareils concernés (notamment via les CA, de l'ANPE, l'AFPA, l'UNEDIC) doit être la règle.

Ce service public de l'emploi est constitué par l'ANPE, l'AFPA, l'UNEDIC et les services extérieurs du Ministère du Travail. On n'oubliera pas la mission locale et les PIAO. Facteurs de cohésion sociale, ces différents organismes doivent être confirmés dans leur identité, recevoir un statut national et un financement pluriannuel.

On favorisera la construction de procédures de coopération entre ces institutions afin que les utilisateurs éprouvent la cohérence et l'unité du service public de l'emploi. Ces coopérations devront être réalisées au niveau local, en mettant en œuvre les procédures que les partenaires considéreront comme les plus appropriées. Il sera institué dans le périmètre de chaque agence un comité consultatif ouvert aux unions locales, aux associations de chômeurs, aux associations qui travaillent pour les chômeurs et aux organisations patronales. Ces comités pourront s'appuyer sur des formes institutionnelles diverses existantes : maisons de l'emploi, comités de bassins d'emploi, Bourse du travail, etc.

Au vu des récentes manipulations des chiffres du chômage par le gouvernement Balladur, il nous paraît nécessaire que les missions de comptage et de statistiques soient assurées par un organisme indépendant ; cette comptabilité échappera ainsi aux pressions conjoncturelles qui visent à infléchir artificiellement le nombre des demandeurs d'emploi.

2.2.4. Redéfinir les aides publiques à l'emploi

Puisque nous mettrons en œuvre de fortes incitations à la réduction de la durée du travail, l'ensemble de la palette des aides publiques devra être reconstitué, en cohérence avec les nouvelles incitations à la réduction de la durée du travail. Elles ont été conçues pour répondre à des diversités de situation. Elles ont montré leur efficacité. Elles ont aussi eu des effets pervers et ont parfois cannibalisé l'emploi non aidé.

On reconstituera la palette des aides publiques sans se référer à des critères d'âge et de sexe, mais à la situation des personnes sur le marché de l'emploi : chômeurs de longue durée, salariés particulièrement vulnérables, chômeurs chroniques, personnes sans qualifications etc. L'objectif est de focaliser les aides publiques sur les personnes dont le chômage risque de se transformer rapidement en exclusion. On veut aussi transformer ainsi graduellement des aides passives – aides au reclassement, aides à la formation, etc. – en aides actives. Une des manières d'y parvenir est de passer progressivement du contrôle à priori de la légalité de la dépense publique à l'évaluation a posteriori de l'efficacité de la dépense publique. Pour plus d'efficacité, il faut déconcentrer les responsabilités, à l'image de ce qui a été fait à l'égard des services du Ministère de l'agriculture, et donner une part grandissante de liberté d'appréciation aux opérateurs de terrain du service public de l'emploi pour l'attribution de ces aidés.

Dans tous ces domaines, de réels progrès avaient commencé à se faire sentir durant les derniers gouvernements socialistes, mêmes si le temps a manqué pour les consolider. La gauche est sans doute la mieux placée pour mettre en œuvre cette politique de la compétitivité-qualité, pièce maîtresse d'une nouvelle stratégie de croissance équilibrée.

Encore faut-il bien définir la relation entre cette politique de compétitivité internationale et la création d'emplois. On sait que l'industrie manufacturière ne créera globalement plus d'emplois en son sein. Il s'agit bien d'avantage d'en améliorer la qualité pour en préserver l'importance. On attend de l'industrie plus de valeur ajoutée et plus de devises qui permettront à leur tour de créer plus d'emplois dans les activités du secteur abrité de la concurrence internationale (environ 60 % de l'emploi total en France) par une triple distribution de revenus supplémentaires sous la forme de salaires, de profit et de recettes publiques. Finalement, l'amélioration continue de notre appareil de production se retrouvera dans les activités tertiaires où une croissance plus riche en emplois passe également par une qualité croissante des services qui sont rendus à la population.

3. Une croissance plus riche en emplois

Pour un taux de croissance donné, l'économie peut créer plus ou moins d'emplois. Comme il serait illusoire de tout faire reposer sur la croissance, c'est bien sur le contenu en emplois de l'activité économique qu'il nous faut intervenir, qu'il s'agisse de la réduction du temps de travail ou des emplois dans les services.

3.1. La réduction du temps de travail

Nous avons dit dès le début à quel point la réduction du temps de travail, et notamment l'extension progressive de la semaine de quatre jours constituait une partie intégrante de notre projet de transformation sociale, indépendamment de notre stratégie de création d'emplois. Il n'en reste pas moins que cette dernière ne peut réussir sans la reprise d'un puissant mouvement de réduction du temps de travail. De tous les moyens connus de création d'emplois, c'est sûrement le plus efficace et nous pouvons en attendre au moins un million d'emplois d'ici à l'an 2000. Encore faut-il pour réussir un tel pari, préciser nos principes et nos modalités d'action.

3.1.1. Nos principes d'action

Nous ne prétendons nullement que la réduction du temps de travail est une panacée qui nous dispenserait de toute autre action (tout le reste de ce rapport montre le contraire), mais nous considérons qu'il n'est plus possible de se passer d'un tel remède tout partiel qu'il soit, il peut rapporter plus du tiers de notre objectif global de création d'emplois.

La recherche de la relation la plus efficace entre la réduction du temps de travail et la création d'emplois suppose de tenir compte de tous les enchaînements économiques caractéristiques d'une conjoncture donnée. Ceci signifie que, dans la situation actuelle de notre pays, il faut éviter trois écueils affaiblir l'offre, affaiblir la demande, dégrader les finances publiques. Plus précisément :

– les coûts unitaires globaux (travail direct, indirect et capital) doivent être maintenus pour ne pas dégrader notre compétitivité internationale ;
– la consommation populaire et donc le pouvoir d'achat des intéressés ne doivent pas être atteints ;
– les indispensables incitations financières doivent être gagées par l'amélioration des comptes publics (notamment de l'UNEDIC) qui résulterait de la création d'emplois induite par la réduction du temps de travail.

Tout manquement à l'une de ces trois contraintes ne pourrait que faire reperdre tout ou partie des gains escomptés en emplois. Dès lors, si les modalités d'une réduction du temps de travail sont potentiellement innombrables, celles qui respectent effectivement ces trois contraintes sont évidemment très peu nombreuses. Elles nécessitent notamment de ne pas se laisser enfermer dans le débat statique sur la compensation salariale. D'abord, parce qu'il n'est plus alors logiquement possible de respecter simultanément ces trois contraintes. Ensuite, parce que toute l'histoire a montré que la réduction de moitié du temps de travail depuis un siècle (de 3 200 à 1 600 heures annuelles) s'est effectuée de manière dynamique en affectant une part (minoritaire) des gains de productivité à cette réduction.

Les expériences européennes réussies depuis quelques années (notamment aux Pays Bas et en Allemagne) ont confirmé que telle était bien la bonne méthode. Cette position rompt donc avec la conception – fausse – d'un gâteau fixe qu'il conviendrait de découper en plus petites parts et qui, en fait, consiste à partager une masse salariale donnée, laissant aux seuls salariés la charge de payer les chômeurs. Nous lui opposons la conception dynamique du partage des gains de productivité. Le choix politique est donc clair : ou bien, cette masse salariale croissante est affectée prioritairement à l'augmentation du pouvoir d'achat des salariés ayant un emploi, ou bien, elle est affectée prioritairement à la création de nouveaux emplois par la réduction du temps de travail. C'est ce second choix que nous proposons tant que notre pays connaît un chômage de masse.

3.1.2. Les modalités d'application

Les expériences passées font ressortir les insuffisances en termes d'emplois à la fois de l'approche centralisée mise en œuvre en 1936 et 1982 et de celle, essentiellement décentralisée, privilégiée depuis 1982. L'approche centralisée, parce qu'elle méconnaît la diversité des situations économiques et sociales des secteurs et des entreprises ainsi que la différenciation des aspirations qui traversent le corps social, n'induit pas une réelle dynamique d'adaptation et de changement économique et social en même temps qu'elle recèle un faible potentiel de création d'emplois. L'approche décentralisée, qui globalement s'est traduite dans la France des années 80 par une stabilisation de la durée moyenne du travail, est porteuse d'inégalités face à l'emploi, face au revenu et face au temps.

Il s'agit donc d'articuler ces deux approches en redonnant à l'État sa fonction de catalyseur du changement. Il en sera ainsi s'il énonce un projet de transformation sociale, fondé sur la réduction et la réorganisation du temps de travail, tout en conférant aux partenaires sociaux le soin d'en négocier les modalités et les conditions d'application.

La démarche proposée ici consiste à combiner d'un côté l'action de l'État qui se situe à plusieurs niveaux (penser la transformation sociale, agir dans un sens favorable à l'emploi) et joue sur plusieurs registres (action législative, réglementaire, incitative), de l'autre celle des partenaires sociaux qui, elle également, se situe à plusieurs niveaux. À l'évidence, le rôle des partenaires sociaux ne relève pas de décisions de nature politique et ne fera donc pas ici l'objet de développements autres que ceux qui ont trait à l'action stimulante que peuvent avoir les pouvoirs publics pour initier des négociations tout en respectant leur autonomie. Cette complémentarité inédite entre le rôle de l'État et celui des partenaires sociaux doit être mise en œuvre aussi bien pour la réduction des horaires collectifs que pour réussir une profonde transformation des horaires individuels.

Le projet à long terme que nous devons poursuivre est celui de la semaine de 4 jours. Notre objectif est d'arriver à une durée de 35 heures durant la législature. Une première étape comprendra plusieurs mesures, l'aménagement du temps de travail, la réduction du nombre des heures supplémentaires, la retraite progressive, le développement du temps réduit-choisi et une durée légale ramenée à 37 heures en moins de deux ans. Ainsi que cela s'est produit depuis plus d'un siècle dans tous les pays développés, cette réduction du temps de travail n'impliquera pas d'atteinte au pouvoir d'achat des salariés ; les gains de productivité et une partie de la redistribution des revenus et des richesses étant affectés à son financement.

Par ailleurs, les Conseils Économiques et Sociaux Régionaux recevront un rôle permanent d'observatoire de la démarche de réduction du temps de travail. Ils rendront publics les résultats obtenus, analyseront les difficultés rencontrées. Ils organiseront deux fois par an une table ronde où se rencontreront les représentants des organisations professionnelles, les représentants des organisations syndicales, des représentants d'associations de chômeurs, des élus, pour faire l'évaluation de l'évolution de la durée du travail, déceler les difficultés d'application des mesures législatives, réglementaires ou conventionnelles, et lever les blocages. Un rapport annuel sera rendu public.

a) La réduction de l'horaire collectif de travail

Celle-ci ne peut réussir que par la conjonction d'une impulsion publique forte et de négociations décentralisées. Le niveau confédéral peut fixer une méthode générale, sans que cela puisse générer un processus dilatoire. Il devrait, de surcroît, élaborer une Charte du Temps Choisi et étudier un contrat de travail temps partiel-formation ou la contribution des régimes de retraite à la retraite progressive. Le niveau des branches devrait aboutir à un accord-cadre, dans les différents domaines. Deux d'entre eux sont prioritaires : d'abord l'application de la réduction de la durée légale hebdomadaire. Pour que la négociation soit suffisamment approfondie et efficace, l'application de la mesure doit correspondre à l'évolution salariale de deux années ; ensuite, l'examen de toutes les possibilités d'aménagement et de réduction du temps de travail, en deçà de l'horaire légal, appuyé par un important système d'incitation financière ; dans tous les cas, il s'agit de proposer des modalités concrètes qui permettent de concilier choix de vie (semaine de 4 jours…) et développement des capacités de production. Les négociations d'entreprise auraient pour objet l'application concrète de l'ensemble des dispositifs légaux et conventionnels ci-dessus.

L'impulsion publique consiste tout à la fois à fixer pour tous une norme d'affectation de gains de productivité du travail et à restituer aux entreprises la part des économies réalisées par les caisses publiques grâce à des accords collectifs portant sur la réorganisation et/ou la réduction du temps de travail. Il s'agit enfin de transformer progressivement la majorité des heures supplémentaires en repos compensateurs.

La baisse de la durée légale hebdomadaire

Nous avons montré plus haut qu'en respectant strictement les trois contraintes énoncées, la baisse pouvait être d'une heure par semaine chaque année. Ce serait, cependant, une erreur de l'abaisser ainsi, année après année ou, au contraire, d'attendre quatre ou cinq ans pour la fixer directement à 35 ou 34 heures. Dans le premier cas, des négociations efficaces n'auraient pas le temps de se dérouler, ce qui – faute d'aménagements pertinents – risquerait, au moins transitoirement, de créer une diminution des capacités de production et une pénurie de certaines qualifications de main-d'œuvre : les créations d'emplois espérées seraient réduites. Dans le deuxième cas, on renverrait à un avenir politique et économique incertain, l'espoir suscité par la réduction du temps de travail et les créations d'emplois attendues.

C'est pourquoi, nous proposons que, dès le retour des socialistes aux responsabilités, une loi soit votée qui fixerait à 37 heures dans un délai inférieur à deux ans la durée légale hebdomadaire pour les travailleurs en discontinu et à 36 heures pour les travailleurs en semi-continu.

Il appartiendrait donc à l'ensemble des secteurs de l'économie (y compris le secteur public) d'en négocier les modalités, les conditions ainsi que le rythme de mise en œuvre. Cette norme ne constituerait pas un butoir mais au contraire un plafond au-dessous duquel les secteurs et les entreprises seraient incitées à contracter.

Transférer aux partenaires sociaux le soin d'élaborer les modalités, les conditions ainsi que le rythme de mise en œuvre de cette mesure législative, suppose que s'instaure en France une dynamique contractuelle sur ce sujet. Instruits de l'atonie de la négociation de branche sur les questions de réduction-réorganisation du temps de travail, ainsi que de l'absence d'articulation pratique entre les différents niveaux de négociation, les pouvoirs publics doivent impulser ce mouvement de négociations. De surcroît, il convient d'instaurer un suivi tripartite de l'état d'avancement des négociations. L'État devrait également mettre à la disposition des partenaires sociaux, notamment dans les branches professionnelles les moins équipées, les soutiens logistiques dont il dispose (ANACT, certains services du Commissariat Général du Plan, etc.)

La réduction du temps de travail collectif au-dessous de la durée légale

L'objectif est d'inciter les acteurs sociaux à négocier des accords de réduction-réorganisation du travail amenant la durée du travail collective (affichée) au-dessous de la durée hebdomadaire légale de 37 heures. Si l'on considère qu'un horaire collectif réduit (par rapport à la durée légale) est favorable à l'emploi et diminue en conséquence les dépenses publiques, et notamment celles d'indemnisation du chômage, il est logique d'utiliser ces économies pour favoriser son extension.

Afin d'obtenir la plus grande lisibilité pour les acteurs sociaux, ce qui permet d'obtenir sans doute la meilleure efficacité, la mesure doit être la plus simple possible. Toute entreprise ou établissement dans lequel un accord porte la durée du travail collective (affichée) des salariés à temps plein à un niveau significativement réduit de la durée du travail, bénéficiera d'une incitation financière conditionnée par la durée d'utilisation des équipements.

La transformation des heures supplémentaires en repos compensateurs

La transformation en repos compensateurs des heures supplémentaires sans même parler des autres primes pour horaires pénibles (nuit, week-end…) représente en France, en 1991, l'équivalent de 680 000 emplois à temps plein ! Il ne peut cependant pas être décidé de supprimer ces heures supplémentaires, car elles correspondent à un réel besoin d'ajustement à court terme pour les entreprises. Il faut cependant en revenir à l'esprit initial pour créer plusieurs centaines de milliers d'emplois. Il est en effet inadmissible que les heures supplémentaires deviennent un instrument permanent de gestion du personnel, conduisant à maintenir des salaires au plus bas. En ce sens, l'argument habituel suivant lequel les salariés sont attachés à ces heures supplémentaires pour assurer leurs fins de mois est peu recevable. Toutefois, pour tenir compte de la situation de départ, leur transformation en repos compensateur doit être faite progressivement. Ainsi, chaque entreprise devrait en transformer un tiers la première année, puis les deux tiers la deuxième ; l'argument patronal touchant aux difficultés à trouver les qualifications correspondantes à l'embauche, perd ainsi de sa consistance, puisque les entreprises auront largement le temps de mettre en place un plan de formation.

b) Du temps partiel contraint au temps réduit choisi

Le temps partiel est, aujourd'hui, pour une large part un ghetto, dans lequel on enferme, par peur du chômage, une main-d'œuvre essentiellement féminine. Cette situation n'est pas tolérable. Il existe, par contre, une aspiration véritable à un temps réduit pour une minorité importante (masculine et féminine) de salariés à temps plein et de chômeurs. Quantitativement, ces derniers sont d'ailleurs plus nombreux que les salariés à temps partiel contraint, ce qui fait que la mutation proposée remplit deux objectifs poursuivis par les socialistes : créer plus d'emplois et favoriser le développement d'un temps choisi pour réaliser un épanouissement équilibré de toutes les aspirations personnelles. Il s'agit de permettre une extension négociée du temps réduit choisi (inférieur à l'horaire collectif légal ou conventionnel affiché), dans des conditions assurant la meilleure protection possible des intérêts des salariés concernés.

Ici encore, puisque le développement du temps réduit individuel (et donc la réduction de la durée moyenne de travail) est favorable à l'emploi et diminue en conséquence les dépenses publiques, il est logique de recycler ces économies. Cependant, on ne doit pas fournir une aide de l'État pour des temps réduits contraints, en raison même de notre projet de transformation sociale : donner au plus grand nombre non seulement le temps, mais aussi les moyens de vivre. Il faut donc établir, dans un délai d'un an de façon paritaire, une Charte du temps réduit choisi comprenant notamment :

1) l'engagement que le temps réduit est un choix du salarié concerné et pour cela comportant une clause de réversibilité et donc de passage à l'horaire collectif suivant des modalités négociées,

2) l'assurance que les salariés à temps réduit ne souffriront d'aucune pénalité de carrière ou d'avancement par rapport à leurs collègues à temps complet,

3) les conditions de changement d'horaires, tant quantitatives (nombre d'heures) que qualitatives (matin ou soir, début ou fin de semaine…),

4) l'évolution des emplois en contrepartie de ce choix,

5) la transformation des heures complémentaires (au tarif de base) en repos compensateurs (à un taux majoré).

Le contrat de travail « temps réduit formation » s'adressera à tout élève ou étudiant dans un cycle terminal d'études (2 à 3 ans). Il s'agit donc d'un contrat dont la durée est déterminée par ce temps d'études. Les partenaires sociaux seraient évidement consultés avant la mise en place du cadre juridique. Ses modalités et son contenu feront l'objet d'accords entre les branches professionnelles et l'Éducation nationale ou d'autres centres de formation agréés, pour qu'il y ait bien une double validation. Dépassant le système des stages en entreprise, aujourd'hui saturés, il s'agira d'une « formation en alternance » de type offensif, ou si l'on préfère d'un « apprentissage à la française ». Offrant aux entreprises une procédure efficace de pré-recrutement, ce contrat changera totalement l'image traditionnelle (féminine, défensive, précaire…) du temps réduit.

La retraite progressive devra être immédiatement mise en chantier avec les partenaires sociaux, pour un début d'application dans les 18 mois. Contrairement à notre système actuel de pré-retraite, l'exemple suédois a montré depuis 1977 toute la validité de la retraite progressive : à partir de 55 ans, un salarié peut choisir un temps partiel, éventuellement dégressif, pour lequel il reçoit, outre la fraction de salaire équivalent, la fraction de retraite correspondant à son non-travail. Il peut d'ailleurs prolonger son activité entre 60 et 65 ans, dans les mêmes conditions. Dans ce cas, le système est neutre en longue période, en termes d'emplois et de financement, mais est très favorable à l'emploi pendant les cinq premières années de sa montée en régime.

c) L'Inspection du travail

Finalement, le renforcement des moyens de l'Inspection du travail est, sans doute, le test le plus certain de la volonté politique de réduire le temps de travail. Il en a d'ailleurs toujours été ainsi depuis les origines (1892). Aujourd'hui, la diversification des horaires, associée à la faiblesse syndicale, est devenue telle que les horaires affichés sont de moins en moins respectés. Quel sens prendrait alors la définition de nouveaux horaires sans ce renforcement ? De surcroît, certaines mesures comme le repos compensateur ou le temps réduit choisi sont illusoires sans rôle effectif de l'Inspection du Travail, qui doit trouver là une revalorisation de sa mission.

Cette étape franchie, une évaluation publique et contradictoire de l'ensemble des politiques et des négociations concernant le temps de travail devrait être effectuée avec les partenaires sociaux et sanctionnée par un débat parlementaire. À cette occasion, une nouvelle étape pourrait alors être définie, en tenant compte de l'amélioration de la situation de l'emploi et surtout de l'importance des accords collectifs passés au-dessous de la durée légale.

3.2. La création d'emplois dans les services

La distinction entre les secteurs abrités de la concurrence internationale et les secteurs qui y sont exposés ne recoupe pas exactement celle qui sépare les services de l'industrie. Il reste que le secteur des services aux personnes apparaît comme un des principaux domaines dans lesquels une création significative d'emplois peut être obtenue, en particulier dans les banlieues difficiles comme dans le monde rural en voie de désertification.

Par ailleurs, il faut inscrire le travail des femmes dans la réalité d'autant qu'il constitue un formidable gisement d'emplois lié aux besoins sociaux. Il s'agit donc d'accompagner cette réalité qu'est le travail des femmes en favorisant la création d'emplois créer des services et des structures adaptés, pour l'accueil de la petite enfance, entre 0 et 3 ans, pour la garde des enfants malades à domicile, pour l'accueil périscolaire (cantines scolaires, garde des enfants après l'école et pendant les vacances scolaires), pour le soutien scolaire des enfants et des adolescents, pour la garde à domicile ou les soins aux adultes malades ou handicapés, pour l'aide et les soins aux personnes âgées, et enfin pour toutes les tâches en lien avec les responsabilités familiales.

Ces services doivent être de qualité et effectués par des personnes qualifiées, dont la qualification est reconnue par un salaire et un statut comparables à ceux de la plupart des salariés, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, qu'il s'agisse des assistantes maternelles, des aides ménagères ou des employées de maison. Qualifier, reconnaître la valeur et rémunérer convenablement ces professions est une des conditions pour réaliser l'égalité professionnelle, parce qu'aujourd'hui les compétences sociales nécessaires pour effectuer ces travaux ne sont pas reconnues comme équivalentes aux compétences requises pour effectuer des travaux techniques, parce qu'aussi, tant que ces travaux « féminins » seront sous-évalués, cela pèsera à la baisse sur l'ensemble de l'emploi féminin.

3.2.1. Les services de solidarité

Les besoins en services sont considérables, qu'il s'agisse de l'aide aux personnes âgées ou d'un ensemble de services de proximité. Pour avancer, il faut sortir d'un dilemme simple. Ces emplois sont-ils rentables ? Dans ce cas, le marché devrait les créer spontanément. Ces emplois sont-ils non rentables ? Dans cette hypothèse, on ne peut pas vraiment concevoir qu'ils puissent être financés par la collectivité sans engendrer un coût astronomique. En réalité, ces emplois sont semi-rentables. Ceci signifie que les ménages ne sont pas prêts à payer l'intégralité du prix de ces services mais seulement une partie, elle-même fonction de leur niveau de ressources. La création des chèques-service comme celle de la Dotation Globale de Création d'Emplois ont donc vocation à compléter la rentabilisation de ces activités.

a) Le chèque-service

La mise en œuvre des chèques-service accordés par l'État, les collectivités locales ou les entreprises constituent une modalité d'action particulièrement intéressante qui reprend une vieille idée de l'économie distributive.

Ce système a beaucoup d'avantages : la souplesse en fonction du type de services et du niveau de revenu ce qui en fait un instrument d'action sociale ; le caractère non bureaucratique puisque les services concernés peuvent être assurés aussi bien par une entreprise, une association ou une profession libérale ; la transparence et la lutte contre le travail au noir.

Fonctionnant selon un principe proche de celui des chèques-restaurant et des chèques-vacances, ces chèques peuvent être émis par toutes sortes d'institution publiques ou privées. Pour voir ses prestations réglées à l'aide d'un chèque-service, une entreprise, une association, un travailleur indépendant voire un service public, doit satisfaire à un cahier des charges qui dépend largement du type de service considéré et qui concerne aussi bien la qualité que la pérennité du service. En bout de chaîne, un ou plusieurs organismes centralisateurs assureront la liquidité du système.

Selon une étude de la Banque de France et du BIPE, cette mesure peut permettre de créer plus de 380 000 emplois en cinq ans à la différence du ticket-service défini par le gouvernement Balladur qui se contente de lever les obstacles administratifs sans se donner les moyens financiers d'aboutir. Le coût global a été estimé à 18 milliards qu'il faut répartir entre tous ceux qui y ont un véritable intérêt : État, collectivités locales et entreprises.

b) La Dotation Globale de Création d'Emplois

Un objectif analogue peut être poursuivi par une voie complémentaire. Il s'agit d'aider les collectivités locales à financer, pour partie, la création d'emplois dans des associations qui fournissent des services de proximité (y compris sous la forme de chèques-service). Pour aller au-delà de ce qui a déjà été fait, nous proposons de créer une Dotation Globale de Création d'Emplois (DGCE) versée par l'État aux communes et financée par un point de CSG. Ces moyens nouveaux permettront à ces dernières, sous l'étroit contrôle de l'État, d'abaisser le prix des services fournis par ces associations au niveau des ressources dont disposent les ménages.

3.2.2. Les emplois dans les services marchands

Comme on l'a déjà évoqué, le coût élevé du travail non qualifié, accélérant la substitution du capital au travail, est à l'origine de la disparition de nombreux emplois, notamment dans les services. Toutefois, il y a un certain nombre de cas dans lesquels la puissance publique peut favoriser la création d'emplois en poussant à l'amélioration de la qualité du service. L'exemple des pompistes, profession petit à petit remplacée en France par des distributeurs automatiques, est trop connu pour qu'il soit nécessaire de le développer. Mais on voit bien l'intérêt d'imposer une présence humaine minimale, sous réserve qu'il soit demandé aux consommateurs une contribution supplémentaire correspondant à une amélioration effective des services rendus. On doit aller plus loin en aidant les travailleurs non qualifiés à se réinsérer dans le marché du travail.

a) Un double constat

Un double constat s'impose. Tout d'abord, le chômage frappe beaucoup plus durement les travailleurs non qualifiés que les autres. Ce phénomène qui semble devenir structurel s'aggrave année après année. Un autre phénomène est lui aussi à l'œuvre. En effet, au cours des vingt dernières années, le coût relatif du travail non qualifié a eu tendance à augmenter par rapport au travail qualifié. Cette constatation peut être faite partout en Europe, mais elle est particulièrement vraie en France.

Ceci ne signifie nullement que le chômage puisse être attribué à un niveau moyeu du coût du travail qui serait trop élevé. C'est une chose de s'intéresser à la hiérarchie des coûts du travail dans un pays (travail non qualifié, travail qualifié, etc.), c'en est une autre de comparer, comme le font les libéraux, le coût moyen du travail et le chômage dans différents pays en tentant de trouver l'explication du second dans, l'excès du premier. Cette dernière démarche n'a d'autre objet que de justifier, une fois de plus, la seule mesure de politique économique qui fasse l'unanimité à droite : la baisse des salaires. Il n'est évidemment pas question de cela ici. Les faits n'ont jamais corroboré cette analyse libérale. Ils viennent même parfois sèchement l'infirmer. Ainsi, la situation de l'Allemagne comparée à ses partenaires européens conduit à un résultat « libéralement paradoxal » : malgré des coûts salariaux plus élevés et une productivité du travail plus faible, le niveau du chômage y est en moyenne plus bas.

Il reste que les travailleurs non qualifiés ont été de plus en plus volontiers remplacés par des machines partout où la technique le permettait (et on sait que ce processus a été plus rapide en France qu'ailleurs) ; lorsque cette substitution du capital au travail n'était pas possible, les métiers correspondants ont purement et simplement disparu qu'il s'agisse des gardiens d'immeubles ou de parc, des personnels d'accueil dans les entreprises ou les administrations, etc. ; ailleurs encore, de nouveaux services ne sont pas apparus alors que la demande existe. Il ne s'agit pas là d'une évolution inéluctable du « monde moderne ». La disparition de ces emplois qui se chiffre par centaines de milliers ne s'est produite ni aux États-Unis ni au Japon, où, justement, l'écart entre le coût du travail non qualifié et le coût du travail qualifié ne s'est pas creusé.

b) Favoriser l'emploi des travailleurs non qualifiés

Tout ceci plaide une fois de p us pour d'importants programmes de formation, d'autant plus que la mondialisation des échanges et la concurrence nouvelle des NPI conduisent une économie comme la nôtre à se recentrer sur des activités à haute valeur ajoutée, ce qui risque de constituer une cause supplémentaire de décalage dans les perspectives d'emplois selon le niveau de qualification. Le compromis social qui prévaut depuis l'après-guerre et repose sur une certaine homogénéité de la population, est aujourd'hui mis en cause par un éclatement de la société qui engendre de plus en plus d'exclus. L'économie duale, et, à sa suite, la société duale deviennent dès lors une réalité.

On peut craindre toutefois que les nécessaires efforts de formation soient insuffisants ou, à tout le moins, trop lents pour apporter toute sa solution au problème. Dès lors, il convient de mettre en œuvre une mesure qui diminue les charges pénalisant les travailleurs non qualifiés.

Il ne peut s'agir d'une diminution du salaire net des travailleurs non qualifiés. Ceci serait inacceptable car ces rémunérations sont déjà fort modestes et ne permettent pas toujours aux familles de « joindre les deux bouts ». Dans ces conditions, c'est bien d'une exonération de charges qu'il faut parler. Décourageant le travail au noir, rendant rentable un certain nombre d'activités, cet allègement contribuerait à ralentir la substitution entre le capital et le travail.

La méthode qui a notre préférence consiste à exonérer totalement ou partiellement les salaires au niveau du SMIC et à réduire linéairement cette exonération jusqu'au niveau, par exemple, de deux fois le SMIC. Le coût d'une telle exonération est de l'ordre d'un point de PIB environ si l'exonération du SMIC est totale.

Il reste la question majeure du financement de cette mesure. La solution qui repose sur une hausse de la TVA est à prohiber. Cette méthode cumule tous les inconvénients. D'abord, elle comporte des risques inflationnistes. Ensuite, elle a un effet récessif particulièrement marqué. Enfin, elle a des effets anti-redistributifs bien connus, puisqu'il s'agit d'un prélèvement assis sur la consommation et non sur l'intégralité du revenu.

Si l'on souhaite que le financement de cette mesure n'affecte pas directement l'équilibre des charges entre les entreprises et les ménages, le mieux est de lui affecter la taxe sur le CO2 qui fait partie de nos engagements de la conférence de Rio sur l'environnement. Du reste, cette proposition bénéficie d'un large soutien international, aussi bien chez les économistes que dans le récent Livre Blanc de la Commission de Bruxelles. Cette taxe doit, en effet, être européenne pour ne pas introduire de distorsions de concurrence. Les estimations communautaires évaluent son rapport à 1 % du PIB, ce qui est bien de l'ordre de grandeur de la mesure préconisée en faveur des travailleurs non qualifiés.

Le problème de l'emploi non qualifié se pose aussi en agriculture mais en des termes différents. Aujourd'hui lors de l'installation des agriculteurs, le niveau minimum de qualification requis (diplôme) est le « brevet de technicien », de sorte que dans certains départements de nombreuses installations se font en dehors des aides nationales prévues à cet effet et de tout projet prévisionnel.

Ce constat nous impose de reconsidérer l'approche de l'installation pour soutenir et favoriser l'emploi de non qualifiés en offrant à ce type de personnes l'accès aux différentes aides en contrepartie de la définition d'un projet et d'un suivi technico-économique avec l'aide d'animateurs de terrain.

3.2.3. Les emplois publics de service

Il n'y a pas qu'en matière de services marchands que les besoins sont énormes. Mais la volonté systématique de réduire la dépense publique a empêché de répondre à des besoins nouveaux que nous avons largement ignorés. La question qui est posée est celle de la capacité de l'État et des collectivités publiques à faire des choix de long terme. Le problème en cause repose sur la distinction entre les coûts instantanés et les coûts futurs ; il n'est pas certain que les arbitrages politiques soient systématiquement faits en faveur de l'emploi. C'est là un bon exemple de la nécessité impérieuse de passer toutes les dépenses publiques au crible pour privilégier celles qui ont une influence positive sur l'emploi.

Prenons l'exemple du monde rural où la suppression des services, SNCF, éducation, santé, postes, accélère la désertification, fait basculer des territoires dans la marginalisation et l'exclusion, et est préjudiciable au maintien de l'activité et des emplois. Prenons aussi l'exemple des banlieues ; dont chacun s'accorde à reconnaître qu'il est un des problèmes majeurs de cette fin de siècle. Et limitons-nous à la situation des enfants au sortir de l'école qui disposent de nombreuses heures avant que leurs parents reviennent, tard, de leur travail. L'absence d'encadrement, en milieu scolaire ou périscolaire, est régulièrement dénoncée comme une des principales causes qui conduira une partie d'entre eux au désœuvrement et, pour certains, à la toxicomanie et à la délinquance. Certes, les emplois d'animateurs coûtent cher ! Mais, sans même parler de l'exigence morale qui s'impose à nous, ne voit-on pas que la collectivité aura, dans un avenir qui n'est pas lointain des charges décuplées à assumer parce que rien n'aura été fait aujourd'hui. Nous avons été beaucoup trop timides dans ce domaine. Il y a une foule d'emplois publics ou associatifs dont le financement aujourd'hui, pour difficile qu'il soit, épargnera des charges futures qu'il faudra bien assumer en sus des drames humains que nous n'aurons pas su éviter.

Les grands mécanismes de promotion sociale comme la création d'emplois d'instituteurs ou d'infirmières ne sont pas nés autrement. Là aussi, il s'agissait de constater l'existence de besoins réputés insolvables et de permettre la satisfaction de ces besoins en inventant à la fois l'école et la protection sociale pour tous. Cet effort d'organisation des professions et de solvabilisation de la demande a été entrepris, il y a parfois plus d'un siècle, par une société qui était bien moins riche que la nôtre. Ce faisant, les politiques de l'époque ont su faire entrer notre pays dans le XXème siècle. Accepterons-nous d'être moins audacieux ? Nous cacherons-nous les yeux devant les besoins nouveaux qu'il faut aujourd'hui rendre solvables ? C'est une des grandes tâches de la décennie qui vient que de discerner parmi tous les besoins latents ceux que la collectivité publique est le mieux apte à satisfaire. Il y a là de considérables gisements d'emplois dont le financement n'apparaît lourd que parce qu'on fait semblant d'ignorer le coût social – et à terme financier – de l'immobilisme.

4. Une approche spécifique pour le développement et la dignité de l'emploi dans les DOM-TOM

La situation de l'emploi ne peut pas s'analyser dans les DOM-TOM comme en métropole : le taux de chômage qu'ils connaissent, évalué à partir des critères nationaux, touche de 30 à 45 % de la population active. Une telle proportion d'exclus du statut salarial serait explosive, si elle ne coexistait avec un secteur public et parapublic protégé, et avec une économie souterraine de « jobs » et d'emplois précaires, les uns et les autres assurant une partie de la subsistance des familles.

Plus encore qu'en métropole, la réflexion sur l'emploi outre-mer doit donc s'accompagner d'une prise en compte globale de la notion d'activité économique et sociale.

Au cours de la décennie écoulée, la progression de l'emploi a été forte dans les différents départements d'outre-mer : en moyenne annuelle, + 3 470 emplois à La Réunion, + 3 140 en Guadeloupe, + 2 248 en Martinique et + 1 293 en Guyane. Le taux de croissance du produit intérieur brut de chaque DOM-TOM a été équivalent et parfois supérieur à la moyenne nationale. Mais partout, pourtant, cette forte croissance de l'emploi a été insuffisante pour absorber les générations nouvelles qui se sont présentées sur le marché du travail.

Cette forte croissance, due à l'action conjuguée des gouvernements socialistes en matière d'investissements publics, des élus locaux utilisant les leviers nouveaux que la décentralisation leur avait confiés, s'est davantage appuyée sur les transferts de la métropole et sur la mobilisation de l'épargne nationale attirée par la défiscalisation, que sur l'investissement de l'épargne locale dans l'appareil économique local – qu'il s'agisse de productions ou de services.

En même temps, ces investissements massifs ne se sont pas toujours accompagnés de l'effort nécessaire de prévision et de formation pour bénéficier prioritairement aux habitants des DOM-TOM.

Aujourd'hui, l'avenir apparaît plus lourd de menaces que de promesses :

Sur le plan démographique, les générations nombreuses des années 60 et 70 se présentent sur le marché du travail dans un contexte où le mouvement de migration vers la métropole s'est ralenti, quand il ne s'est pas inversé comme dans les départements antillais.

L'inadaptation des outils de formation initiale et professionnelle, par rapport aux besoins du marché du travail se fait cruellement sentir : les non-diplômés représentent encore de 45 à 60 % d'une classe d'âge, selon les départements ; à Mayotte, l'absence de statistiques officielles ne parvient pas à dissimuler les insuffisances criantes de la formation technique et professionnelle.

La contrainte qui pèse sur les finances publiques, nationales ou locales, rend désormais illusoire la croissance massive des emplois publics, qui ont de surcroît souvent été utilisés à des fins électoralistes.

Les effets pervers de la défiscalisation ont été accentués par les retours en arrière effectués depuis mars 1993 : elle a davantage servi les investissements « plaqués » sur le tissu économique local (bateaux de plaisance, immobilier et hôtellerie de luxe) que le développement du tissu industriel, agro-alimentaire ou des activités de service.

Accompagné du ralentissement de la conjoncture économique qui se fait sentir avec un « effet-retard » par rapport à la métropole, des difficultés issues d'une immigration des pays de l'environnement régional dans un tissu social fragilisé par la crise, ce constat appelle des solutions claires et audacieuses – si l'on ne veut pas assister à la généralisation des explosions de violence comme celles que La Réunion a connues dans les années 90.

Les socialistes affirment donc avec force les neuf priorités suivantes :

La volonté de maintenir les emplois actuels dans les secteurs traditionnels de l'agriculture, de l'artisanat et des petites et moyennes industries, en se battant pour le respect des garanties obtenues sur le plan européen (organisation commune de marché de la banane, reconnaissance de la filière canne-sucre-rhum, régime de l'octroi de mer protégeant les productions locales).

La volonté de créer de nouveaux emplois dans les secteurs qui correspondent à des perspectives de développement durable pour les DOM-TOM : la protection de l'environnement et la valorisation de l'espace, le tourisme intégré aux réalités sociales, humaines et culturelles.

Le développement d'un partenariat entre les entreprises et les collectivités locales, qui devront se traduire par des contreparties effectives à toute aide publique, nationale ou locale, dans le domaine de la formation et de l'emploi local : en particulier, une vraie gestion prévisionnelle des emplois devra s'accompagner de programmes de formation correspondant aux emplois générés par les investissements programmés.

Une action massive dans le domaine de la formation initiale et professionnelle, en privilégiant le caractère qualifiant des formations, l'adaptation des programmes et des méthodes de formation aux réalités et besoins des DOM-TOM et des collectivités territoriales, l'utilisation de l'audio-visuel public.

Une réduction significative du coût du travail non-qualifié, en agissant sur les charges sociales, et une valorisation de la qualification professionnelle par la poursuite de l'alignement du SMIC local sur celui de la métropole.

La création de zones franches, fiscales et sociales, pour les activités de transformation, de maintenance et de services après-vente destinées aux pays de l'environnement régional.

Une orientation de l'épargne, provenant soit de la défiscalisation, soit de la mobilisation de la capacité d'épargne des agents publics, vers les secteurs de développement de l'économie locale, agricole, agro-alimentaire, industrielle et de services.

Un développement des emplois de proximité, pour que l'insertion sociale et professionnelle des jeunes, des familles monoparentales de plus en plus nombreuses, soit traitée convenablement.

L'essentiel du tissu économique des DOM-TOM est constitué de petites et moyennes entreprises : cela signifie que, moins encore qu'ailleurs, en ne peut procéder de façon centralisée, systématique et dirigiste. La négociation devra être la règle, mais pour qu'elle joue pleinement son rôle, la formation des partenaires sociaux à la négociation devra être assurée et l'État devra jouer son rôle d'arbitre, ferme et attentif.

Au-delà du caractère inévitablement technique de l'ensemble des mesures proposées, notre stratégie a un sens fondamentalement politique. Elle nécessite une mobilisation générale de tous les citoyens.

Celle-ci englobera nécessairement les instances spécialisées dans le domaine de l'emploi. Mais elle fera appel à tous, depuis les moindres villages et quartiers (dans le domaine du développement local comme de la réduction du temps de travail) jusqu'à ceux qui doivent défendre notre politique dans les instances internationales en passant, bien entendu, par leur mise en œuvre au niveau de l'État – qui ne doit plus être le seul apanage des hauts fonctionnaires, mais aussi celui d'un maximum de citoyens actifs – et par les partenaires sociaux à tous les niveaux : confédérations, branches, entreprises, établissements…

Face à la régression sociale actuelle, les socialistes doivent être combatifs. Ils doivent être sans ambiguïté aux côtés des salariés durement frappés par une politique nettement marquée à droite qui sacrifie le bien-être social et le pouvoir d'achat du plus grand nombre, au nom d'une prétendue efficacité économique et de la lutte contre le chômage, au seul profit des actionnaires et des catégories sociale favorisées.

Ce n'est qu'à ce prix qu'ils retrouveront l'écoute et la confiance des français.

Cette convention est l'occasion d'affirmer nettement :

– que les socialistes défendent clairement le pouvoir d'achat des salariés et des retraités du salariat ;
– qu'ils n'acceptent pas que l'on se serve du chômage pour remettre en cause le progrès social et le niveau des revenus salariaux ;
– que les socialistes sont aux côtés des organisations syndicales pour défendre les droits des salariés et combattre tout recul de la législation du travail ;
– que les socialistes ont pour mission de veiller à une répartition plus juste, plus équitable des richesses, notamment par la fiscalité et les systèmes de financement des régimes sociaux ;
– que tous les adhérents du Parti doivent s'impliquer dans la lutte syndicale en adhérant à l'organisation de leur choix dans laquelle ils agiront avec les autres salariés pour développer les actions unitaires indispensables pour créer un rapport de forces favorable.

Il faut se battre contre le fatalisme et la résignation ambiante parce que le chômage, s'il a des composantes économiques évidentes, est aussi un problème psychologique et culturel.

Les socialistes doivent s'employer à susciter des Comités de défense et de promotion de l'Emploi, aussi bien au niveau des départements qu'au niveau de la région et les fédérer dans un Comité national de défense de l'Emploi. Ces comités de défense et de promotion de l'emploi auront vocation à rassembler largement dans l'action les militants des structures qui souhaitent œuvrer pour la défense et le maintien de l'emploi : des syndicalistes, des militants d'associations de consommateurs et d'associations diverses travaillant à l'insertion, des associations de chômeurs, des juristes, des universitaires, des élus, des militants politiques de tous les horizons progressistes. Face aux fermetures d'entreprises notamment, souvent conséquence directe ou indirecte des délocalisations d'emplois, les comités mettront tout en œuvre pour s'y opposer ou en limiter les effets.

Notre tâche est immense, difficile, mais possible et nécessaire : elle ne pourra être accomplie si elle reste la tâche d'une petite minorité, même animée des meilleures intentions. Ce grand projet se concrétisera, parce qu'il sera l'œuvre de tous.


Résumé des interventions

Dominique Strauss-Kahn

Ouverture des travaux (26 février)

La reconquête entreprise avec les États Généraux, le Congrès, les Assises, suppose que nous acceptions de nous confronter au problème de l'emploi. En particulier à l'issue du Congrès, une question difficile était restée en suspens sur les modalités de la réduction du temps de travail : la compensation salariale, et c'est pour la résoudre que la tenue de cette Convention nationale a été décidée.

Certains ont trouvé le texte trop difficile. Mais peut-on parler sérieusement de l'emploi dix mois après avoir quitté le pouvoir en se contentant de slogans ?

Notre crédibilité politique dépend en partie de notre crédibilité économique et de notre crédibilité technique, et celle-ci ne se reconstruit pas sans sérieux, sans arguments, sans technicité et sans volonté politique.

Ce texte est technique, parce que créer des emplois par millions, cela ne se fait pas de façon simple. Mais ce texte est avant tout un acte politique qui concrétise notre volonté de mettre l'emploi au cœur de notre politique.

Au bilan, cette Convention est une convention d'équilibre politique.

Nous avons fait le partage entre ceux qui croient trop à l'effet de la réduction du temps de travail et ceux qui n'y croient pas assez. Nous avons distingué entre ce qui relève du court terme et ce qui relève de long terme, entre ce qui est un projet de loi et ce qui doit rester un projet de société. Bref, nous avons essayé de lutter contre le chômage. Mais toutes ces mesures font partie de patrimoine des socialistes, qu'il s'agisse de la coopération internationale plutôt que de l'individualisme et du libre-échange en matière internationale, qu'il s'agisse de la redistribution pour financer les emplois de service, qu'il s'agisse de l'intervention de l'État pour favoriser la croissance, qu'il s'agisse de l'accent mis sur le développement local ou l'action sur le terrain, toutes les mesures proposées sont marquées par l'histoire et les valeurs qu'ont toujours soutenu les socialistes.

Convention de cohérence, c'est aussi une convention de dépassement du débat sur la déflation salariale qui était devenu un débat sans issue. Certains disaient : il ne faut surtout pas toucher au salaire et ils avaient raison. D'autres disaient : il ne faut pas aggraver les coûts des entreprises et ils avaient raison aussi.

Et pourtant ces deux propositions apparaissent dans l'instant inconciliables. Il a fallu les dépasser et montrer que depuis un siècle nous avions su à la fois abaisser le temps de travail sans baisser les salaires, en introduisant des délais et en regardant comment une nouvelle répartition des gains de productivité pouvait nous permettre de sortir de cette contradiction.

Manuel Valls

Résultats des votes

Manuel Valls se félicite de l'importance du débat interne au Parti qui a précédé la Convention nationale. Au total, 34 amendements nationaux, de très nombreux amendements des secteurs Entreprise et Femmes, plus de 200 amendements et vœux fédéraux seront discutés à la Convention puis soumis à la Commission des résolutions.

Quant au texte sur l'emploi lui-même, sur les 80 fédérations ayant organisé un débat dans les sections, on note un taux de participation de 30 %. Sur 29 530 votants, on compte : 7 554 abstentions, 467 contre, 21 519 pour. Deux amendements nationaux, les n° 6 et 30 ont recueilli plus de 16 000 voix, soit un peu plus de la moitié des votants du texte.

Michèle André

Le projet présenté par Simone Veil d'allocation parentale pour le deuxième enfant, qui pourrait s'appeler « salaire parental » et même « salaire maternel » tend à faire croire aux Français qu'avec le retour des femmes à la maison, on résoudra un morceau de crise économique, un problème démographique, une crise éducative et morale.

Les femmes craignent aujourd'hui le chômage et la solitude. Il est capital pour nous, socialistes, de maintenir les femmes dans l'activité professionnelle et de dire qu'être mère, ce n'est pas un métier. Ce dont il s'agit aujourd'hui, c'est de bâtir un projet où on pourra concilier, pour les hommes et les femmes, vie professionnelle et vie familiale, et je crois que la diminution du temps de travail sera une réponse qui permettra mieux cet équilibre pour les femmes d'abord, pour les hommes ensuite.

Jean Auroux

Il ne faudrait pas que la Convention pour l'emploi ne soit qu'une convention sur le partage du travail. La véritable attente que l'on rencontre sur le terrain est la suivante d'abord protéger l'emploi existant, créer des emplois ensuite, partager le travail enfin :

Protéger l'emploi existant. Il faut tout faire pour maintenir au moins le pouvoir d'achat (Cf. SMIC jeunes), surtout en période de crise de la demande, et lutter contre toutes les formules de précarité encouragées par le gouvernement Balladur (Cf. loi Madelin sur l'entreprise individuelle). Il faut également mettre en place de nouvelles procédures de contrôle des licenciements, au moins pour les entreprises qui bénéficient d'aides et de commandes publiques. Il faut enfin renforcer le pouvoir d'information et de contrôle économiques des salariés dans les entreprises.

Créer des emplois nouveaux. Au-delà des initiatives de croissance internationales ou européennes, des programmes de relance du gouvernement ou des régions, il faut que les politiques s'engagent dans le développement d'une véritable économie de proximité définie et mise en œuvre au niveau de territoires de vie et de bassins d'emplois. Cela signifie à la fois des réponses à des besoins économiques et des équipements de collectivités territoriales en même temps que des réponses à des besoins sociaux. Ce qui est proposé, c'est de transformer nos besoins en emplois.

Partager le travail. La position de Jean Auroux a été exprimée dans un amendement.

Quelques propositions pour finir. Outre de nouvelles dotations de l'État aux collectivités locales, il faudrait mettre en place des emprunts de proximité à faible taux pour encourager l'emploi local et les 10 000 chantiers municipaux qui pourraient exister. Il faut ensuite reconnaître, définir et donner un statut négocié dans le cadre de conventions collectives à 10, 20, 30, 50 professions nouvelles. Il s'agit également de développer le tiers secteur, celui-ci devant trouver une juste place entre l'économie administrée et l'économie concurrentielle.

Alain Bergounioux

Alain Bergounioux ne croit pas que la notion de socialisme ait un sens si nous ne sommes pas capables de mettre en œuvre une politique qui donne un emploi à tous. Nos tâches sont très simples : garantir des emplois, créer des emplois, maintenir à la fois l'efficacité et les acquis sociaux. Et dans cette affaire, il n'y en a pas qui sont plus socialiste que d'autres !

Nos moyens ? L'État, et un soutien objectif à toutes les forces qui agissent dans notre société pour sortir de la crise.

Nous savons que le progrès technique détruit des emplois et dans le même temps aide à en créer d'autres. Le premier problème qui nous est posé est de trouver des secteurs d'emplois qui puissent accueillir ces emplois détruits par la technique.

Le deuxième problème porte sur le « comment » de la réduction du temps de travail, en tenant compte naturellement de la contrainte de l'efficacité. Le rôle de l'État est ici décisif. Il doit à la fois tracer les perspectives, légiférer, et surtout permettre la négociation par des incitations adaptées.

Enfin, si l'on relie tous les aspects du problème, apparaît la question du financement, c'est-à-dire de la redistribution des revenus. Les difficultés de l'État-providence se traduisent par la diminution des moyens de lutte contre le chômage. Une profonde réforme du mode de financement de la protection sociale est aujourd'hui nécessaire. Si nous voulons détaxer les bas salaires, il faut bien qu'il y ait un surcoût sur les hauts salaires. La redistribution des revenus, c'est celle de tous les revenus. Si nous voulons répondre au défi de l'emploi, il faut donc savoir que ce sont les termes même du contrat social que nous devrons changer.

Frédérique Bredin

Le plein emploi en Europe est un mirage et nous allons en France vers les 4 millions de chômeurs. Le Parti Socialiste se doit donc de proposer des mesures radicales, fortes et concrètes. Quelques réflexions en marge de ce qui a déjà été dit d'essentiel :

La réduction et l'aménagement du temps de travail : il faut inventer une nouvelle prestation familiale qui serait un droit immédiat et massif à la réduction du temps de travail à 32 heures ou à la semaine de 4 jours pour les parents. Une deuxième idée pourrait être le droit à une retraite à la carte afin d'éviter le couperet de la retraite forcée et aménager le temps de vie.

Le partage du travail : l'État doit se servir avec force de son levier fiscal pour corriger les déséquilibres économiques et sociaux entre régions. La nationalisation de la taxe professionnelle et sa redistribution équitable ainsi que l'exonération d'impôt sur les sociétés pourraient y contribuer fortement.

Au-delà de ces quelques suggestions, le Parti Socialiste se doit de réfléchir sur la valeur du travail dans notre société, de redessiner les contours d'une vision de l'utilité collective.

Joël Carreiras

Pour Joël Carreiras le texte proposé aux militants souffre essentiellement d'une carence : une teinture trop économique et insuffisamment sociale, ce qui ampute notre orientation générale de perspectives plus ambitieuses et plus sociétales.

Or, le chômage, c'est d'abord un problème de société.

Deux constats doivent nous guider :

Tout ce qui a normalisé jusqu'à nos jours notre système économique et social est en train de céder la place à la précarité, la flexibilité, l'individualisation des rapports sociaux, et, plus grave, à l'organisation tout à fait consciente du travail des hommes en fonction d'ajustements conjoncturels. L'armée de réserve dont parlait Karl Marx est tout autant constituée de chômeurs de longue durée que de travailleurs à temps partiel.

Ensuite, ce qui permettait hier de cultiver une identité sociale à travers le travail, notamment productif, et qui donnait une image homogène du rapport salarial s'est profondément modifié. Le progrès technique n'est pas neutre car il déconstruit la structure salariale sur laquelle est basée notre mémoire collective. Pour éviter le désarroi, c'est un contenu social qu'il nous revient donc de donner à l'évolution de notre société.

Si de par sa structure le travail ne renvoie plus l'image communautaire permettant une quelconque identification, si de par son statut l'emploi n'offre pour horizon que la durée déterminée et la contrainte de la mobilité, comment et pourquoi chercher à s'intégrer dans un monde du travail qui, en définitive, ne le souhaite pas lui-même ? Et comment ne pas s'étonner aujourd'hui que les jeunes, confrontés à cette situation, n'aient pas encore transformé leur résignation en de plus grandes révoltes, et leur désocialisation en guerre de sécession ?

Notre rôle est de traiter le thème de la réduction du temps de travail sans exclure la question du travail, de son sens, comme du rapport que peuvent lui entretenir les individus.

Gérard Collomb

Il faut absolument éviter de se résigner à la situation économique actuelle, de croire que la situation économique dans laquelle nous sommes est une situation qui ne peut changer, que nous sommes entrés dans un monde fini, que les progrès technologiques nous condamnent inévitablement au chômage, à la limitation des emplois, et qu'il n'y aurait donc qu'une solution : le partage de richesses et d'emplois finis et non pas le développement de nouvelles richesses et de nouveaux emplois.

Car cette analyse reste beaucoup trop étroitement franco-française, et ignore délibérément la mondialisation de l'économie. Or cette mondialisation s'est faite dans un contexte de domination du libéralisme économique et a deux caractéristiques, une dérégulation continue qui nous mène aujourd'hui à une économie mondiale chaotique et une mondialisation de type déflationniste avec, dans tous les pays industrialisés, l'enchaînement des politiques de rigueur, avec, dans tous les pays en voie de développement, les purges imposées par le FMI.

Alors par rapport à ce premier défi, nous pouvons avoir un débat franco-français pour savoir si c'est 35 heures en quatre ans, 35 heures en trois ans, mais cela ne dépassera pas les murs de cette assemblée.

Ou bien nous essayons d'imposer au niveau international un certain nombre de changements pour introduire de nouvelles régulations, pour introduire une renaissance du système monétaire international qui prenne en compte la nécessité du développement économique des pays du tiers-monde ?

Philippe Dorthe

Face à la réalité des problèmes de notre société, 4 millions de chômeurs, 12 millions de personnes en situation difficile, les choix sont simples :

– soit nous cherchons des solutions techniques ponctuelles (RMI, CES, stages) qui confortent le système capitaliste et conduisent sur le chemin des délocalisations, de la spéculation ;
– soit nous avons le courage de décliner une politique de rupture, fondée non plus seulement sur la rentabilité économique mais aussi sur la rentabilité sociale.

Quand parlerons-nous de réelle redistribution par la fiscalité et de réelle réorganisation du temps de travail sans réduction de salaire ?

Quand demanderons-nous au service public (Poste, Télécoms) de remplir ses missions, de jouer son rôle de régulateur social notamment en milieu rural ?

Aujourd'hui notre Parti propose des rustines pour réparer les durites d'une mécanique irrémédiablement usée. Il faut changer de système. Cela passe, du fait de la mondialisation, par une concertation et une action politique internationales avec toutes les forces de gauche et de progrès. N'ayons pas peur d'être perçus comme des utopistes, car l'histoire a montré que les utopistes d'aujourd'hui sont les bâtisseurs de la société de demain.

Henri Emmanuelli

Le problème de l'emploi n'est pas simplement un dérèglement passager du marché du travail qui pourrait être surmonté par des aménagements techniques. C'est le problème central de l'avenir de notre société, de l'avenir d'une forme d'organisation sociale autour d'un système de valeurs menacé par le dualisme social. Le devenir de la civilisation européenne, caractérisée par le compromis entre le bien-être social et la dignité d'un côté, l'efficacité économique de l'autre, est en jeu.

La très grande majorité des socialistes considèrent que la réduction du temps de travail doit s'inscrire dans le mouvement séculaire qui la lie au progrès technique. À défaut d'être une recette miracle contre le chômage, la réduction du temps de travail est un élément important de redistribution de la richesse produite. À ce titre, elle ne peut en aucun cas être synonyme de réduction ni du salaire, ni du pouvoir d'achat salarial. Sur les modalités, une majorité des socialistes s'est prononcée sur l'objectif des 35 heures. Je suis pour ma part favorable à la négociation des partenaires sociaux, à l'intérieur d'un délai avec une date butoir.

Il y a un lien de plus en plus étroit entre lutte contre le chômage et lutte contre l'exclusion mais aussi lutte contre les inégalités. Dans une économie où la richesse globale s'accroît tout en produisant simultanément davantage de chômeurs, la lutte pour l'emploi passe par une redistribution de cette richesse pour financer l'insertion de tous par le travail. L'action humanitaire, les formes modernes de la charité, ne sauraient se substituer à la nécessité de lutter politiquement contre des inégalités croissantes.

Il reste des domaines sur lesquels il nous reste du chemin à parcourir. Nous sommes par exemple bien timides sur le sujet de la mondialisation de l'économie, qui se traduit pour les salariés par les délocalisations, comme si cette mondialisation était une fatalité technologique et non le résultat d'un processus de dérégulation. Cette frilosité reflète une certaine inhibition des socialistes par rapport au libéralisme économique. Il y a certes dans le texte soumis aux militants une mise en cause de certains aspects du libéralisme économique, mais non une critique globale. Or, il y a une différence de degré entre un socialisme confiné dans le rôle d'amortisseur social du libéralisme économique et un socialisme capable de promouvoir une organisation sociale fondée sur d'autres valeurs.

Face au libéralisme dominant et dominateur, nous n'avons pas le droit aujourd'hui de nous cantonner dans une demi-posture, sous peine de risquer un décalage croissant entre la base et le sommet. Il nous faut clairement nous poser en défenseurs du Code du travail, parce que les excès d'une certaine flexibilité, hier exacerbée au nom de la modernité, doivent être redoutés aujourd'hui parce qu'ayant laissé voir leur vrai visage, celui de la régression sociale et de la revanche contre les salariés. Nous devons choisir clairement, face à une évolution dure et menaçante pour les salariés.

Gérard Fuchs

La croissance, elle seule, ne pourra régler le problème du chômage. Ainsi, nous savons qu'en dessous de 2,5 % de croissance, le chômage augmente, au-delà de 3 % le chômage peut diminuer.

Or ce problème de la croissance a été traité par certains comme mineur, c'est regrettable.

Dans ce sens, la politique de Balladur est critiquable car elle se contente d'aider les seules entreprises ; nous affirmons qu'il faut pratiquer une politique de relance par la consommation, et nous avons raison.

Ainsi certains se réjouissent du chiffre de l'excédent de la balance commerciale, + 87 milliards en 1993. Ce n'est pas une réussite, c'est plutôt le signe d'un échec car il signifie que notre pays dispose d'une marge de croissance supplémentaire et qu'au lieu de faire des cadeaux aux entreprises, il pourrait augmenter le pouvoir d'achat des Français.

La croissance, nous pouvons en faire davantage en Europe. Pour cela il faut une relance collective à 12 qui pourrait apporter un point ou un point et demi de croissance supplémentaire.

C'est au niveau des partis socialistes européens que nous devons arrêter cette stratégie économique d'ensemble.

Notre texte est trop timide en la matière. Michel Rocard avait parlé d'un grand emprunt européen. Il faut être ambitieux et proposer un objectif double en avançant le chiffre de 1 % du PIB communautaire. Et l'affectation de ces ressources nouvelles doit aller à des programmes de TGV, de réseaux de télécommunication, mais aussi aux banlieues, à la relance du logement social, à l'aide à la création d'emplois locaux.

Sur la réduction du temps de travail : la droite propose de négocier dans le cadre de chaque entreprise conduisant presque nécessairement à une baisse des salaires, cela nous n'en voulons pas. La gauche propose une réduction de la durée du temps de travail dans le cadre d'un projet de société comportant une redistribution des revenus et des richesses. Nous devons avoir le courage et l'orgueil de le dire.

Jean Glavany

Jean Glavany a l'impression que ressurgit, sous des formes nouvelles, le débat sur les « deux cultures », la culture de gouvernement, réaliste, et celle d'opposition, démagogique. Or les choses ne sont pas si simples, voire simplistes. Il faut savoir faire une synthèse reposant sur le réalisme et l'audace, et plus nous serons réalistes, plus nous devrons être audacieux.

Réalisme économique d'abord, en demandant plus de règles du jeu internationales, plus d'Europe protectrice, plus de croissance créatrice d'emplois.

L'audace en matière de solidarité passe par la redistribution des revenus. Il faut revenir au titre de la Convention « l'emploi au cœur d'un nouveau contrat social ».

Il faut fixer dans la loi les objectifs et le calendrier, ce qui sera dans la négociation interprofessionnelle puis dans les négociations de branches et ce qui se fera au niveau de l'entreprise. Il faut arrêter une règle simple : plus aucune exonération de charges, plus aucune baisse de l'impôt, plus aucune aide publique, ne doit être accordée à une entreprise sans un engagement contractuel en matière d'emploi.

Nous devons tirer les leçons du passé, du nôtre lorsque nous avons abaissé l'impôt sur les sociétés sans aucune contrepartie en matière d'emploi, tirer les leçons du scandale de Balladur qui a accordé 80 milliards aux entreprises sans aucun effet sur l'emploi.

La conviction de Jean Glavany est claire : il n'y a pas d'aménagement du territoire sans une clause « emploi » pour maintenir les sites industriels ; il n'y a pas de licenciements acceptables sans un engagement de l'entreprise pour le reclassement ou des reconversions ; il n'y aura pas de développement des emplois de service, publics ou privés, sans engagement de la Nation par un effort de solidarité ; il n'y aura pas de réduction du temps de travail créatrice d'emplois si la compétitivité des entreprises n'est pas préservée et si la Nation n'indique pas l'effort de solidarité qu'elle consent dans le cadre de la redistribution de tous les revenus et non des seuls salaires.

Jean Grosset

Une question doit être posée : qui défendons-nous et partant quel est notre objectif ? Parlons-nous de l'emploi en général ou voulons-nous, à l'aube du XXIème siècle, défendre le droit au travail pour tous, la dignité, l'égalité sociale ?

La modernisation que nous souhaitons ne peut, pour nous socialistes, se faire au détriment des salariés.

Nous devons prendre en compte l'attitude du patronat de notre pays qui veut plus de flexibilité, de précarité et qui fait du licenciement un mode de gestion de la main d'œuvre comme un autre. Aujourd'hui le code du travail n'est plus respecté et les militants syndicaux menacés de sanctions.

Aujourd'hui le gouvernement Balladur ne fait que répondre aux souhaits de la frange du patronat la plus rétrograde : SMIC Jeunes, loi quinquennale, etc.

La question pour nous est toujours « comment combattre le capitalisme ? » Nous sommes aux côtés des travailleurs et de leurs syndicats pour préserver l'emploi, défendre le système d'assurance chômage et nous militons sur le partage des richesses et l'égalité sociale.

Nous sommes pour la réduction du temps de travail, pour le partage du travail sans baisse de salaire.

Nous devons militer avec les organisations syndicales pour contribuer à créer un rapport de forces qui conditionne le succès. Ce discours nous devons avoir le courage de le tenir sinon d'autres, le Front National, le tiendront.

Éric Ghebali

Le projet que nous proposons aux Français aura deux conséquences, une meilleure répartition du travail disponible et donc des créations d'emplois supplémentaires et une nouvelle forme de vie sociale avec, à terme, une journée de temps libre en plus par semaine. Il est essentiel de s'interroger sur l'utilisation de ce nouveau temps libre.

Dans ce cadre, le débat sur les autoroutes de la communication est primordial car c'est un sujet lié à la réduction du temps de travail.

Bien sûr il faut espérer que nos concitoyens consacreront une part importante de leur temps libre à la vie associative. Mais il n'est pas certain qu'il en soit ainsi. Aussi devons-nous nous intéresser à ces nouvelles autoroutes électroniques de la communication.

E. Balladur a confié une mission à G. Thiry sur ce thème, que nous ne pouvons abandonner à la droite d'autant plus qu'il conditionne en partie un choix de société, l'accès au savoir, à l'information et donc l'égalité des chances. C'est à la puissance publique qu'il appartient de piloter cette évolution technologique et de la réguler.

De ce fait, E. Ghebali pense qu'il faut nous opposer à la privatisation de France Télécom, qui sera demain un levier pour préserver l'avenir.

Benoît Hamon

Au-delà des chiffres terribles du chômage, comment ne pas deviner le risque majeur qu'il fait peser sur notre cohésion sociale, celui de voir à terme notre société déchirée par une fracture sans précédent, se couper durablement de sa jeunesse.

Ce sont les plus vieux que l'on oppose aux plus jeunes, comme nous le rappelle l'instauration d'un SMIC-jeunes à travers les CIP. Ce sont les femmes que l'on tente d'opposer aux jeunes, en les renvoyant au foyer avec un salaire maternel pour que les jeunes puissent prendre la place. Ce sont les jeunes de 30 ans qui sont sacrifiés au profit de ceux de 20 ans, ne pouvant plus bénéficier de l'exonération de charges sociales pour l'embauche d'un salarié de moins de 25 ans.

La peur du chômage, renforcée par les angoisses du SIDA, de la drogue ou de la solitude, donne aux jeunes l'impression de vivre dans une société impuissante qui les ignore. Ils attendent de notre part un véritable projet réellement alternatif à l'inactivité ou aux petits boulots, et suffisamment mobilisateur.

Aujourd'hui, nos propositions peuvent se confondre avec les attentes profondes de cette génération : travailler moins pour travailler tous et mieux vivre ensemble. Souhaitons-nous oui ou non, que d'une réduction du temps de travail émerge une nouvelle organisation de la vie collective ?

Si la semaine de 4 jours permet davantage que la journée de 7 heures de changer l'organisation de la société, ce qui compte c'est qu'à long terme s'ouvre un formidable surcroît de liberté, permettant à chaque homme et à chaque femme de se réaliser aussi en dehors de son lieu de travail. La semaine de 4 jours devrait notamment permettre d'accorder une place privilégiée aux dispositifs de formation permanente. De cette manière, parce que chacun sera en mesure de mieux maîtriser sa vie et de consacrer plus de temps à sa culture personnelle, à la réflexion ou l'investissement public la semaine de 4 jours peut être un souffle nouveau pour la démocratie. Enfin, elle peut être le levier nécessaire pour forcer l'égalité de situation entre les hommes et les femmes.

Gardons à l'esprit cette phrase de Mark Twain : « des innocents ne savaient pas que la chose était possible ; alors ils l'ont faite ». Disons-le : la société du temps libre a pour nous le parfum des utopies concrètes et du retour à l'ambition politique.

Émile Ysard

Depuis le vote de la loi quinquennale sur l'emploi, chaque jour précise la remise en cause des acquis sociaux par le gouvernement Balladur. Le Parti Socialiste doit être plus fermement engagé dans la lutte contre ce démantèlement méthodique et prendre des positions claires sur les sujets qui préoccupent les salariés :

Après le SMIC, cause de tous les maux et du chômage, c'est le SMIC-jeunes qui est présenté comme la solution. « À quoi bon faire des études ? » se disent les jeunes.

Nous avons déçu les salariés, notamment dans les PME/PMI, en n'inscrivant pas le rétablissement de l'autorisation administrative de licenciement dans le programme du Parti en 1988.

Il faudrait que le Parti définisse clairement sa position sur les privatisations annoncées ou larvées, car sous prétexte de concurrence et de directives européennes, le libéralisme triomphant veut abolir le service public de citoyenneté et faire sauter l'égalité de traitement que les services publics offrent à tous les usagers.

Un dernier combat à mener contre Balladur est celui du Code du Travail, qu'il entend démanteler avec la remise en cause du décret de 1937, dans les banques, les assurances, les services.

André Laignel

Le chômage et l'emploi dominent aujourd'hui le champ politique ; l'inquiétude s'accroît et nous oblige à faire des propositions à la fois audacieuses et réalistes.

La démarche de M. Balladur apparaît maintenant clairement : abaisser le niveau de la protection sociale, augmenter la flexibilité, mettre en place de véritables contrats d'exploitation de la jeunesse par l'instauration d'un SMIC-Jeunes.

Telles sont les réponses apportées à la détresse des exclus et à l'anxiété des travailleurs par ce gouvernement de droite.

Cette Convention est pour nous l'occasion d'affirmer qu'une autre politique est possible, autre que celle du gouvernement actuel, mais aussi autre que celle que nous avons menée. Cette politique doit être axée sur les principes du temps choisi, du travail maîtrisé, d'une réduction généralisée du temps de travail.

Donnons-nous clairement l'objectif de 35 heures dans les cinq ans sans baisse du pouvoir d'achat des salariés, et donc financé en partie sur les gains de productivité, une partie par la collectivité nationale, et ainsi créatrice d'emplois.

Pour cela, il faut agir avec le mouvement social français et européen afin de construire ce projet de République sociale.

Jean-Marie Le Guen

Jean-Marie Le Guen considère tout d'abord que le temps accordé à la préparation de la Convention et à la discussion a été insuffisant. La fédération de Paris a pu cependant mener un débat en profondeur, tout en aidant à l'élection de Daniel Vaillant.

Il est important que notre Parti mette enfin l'emploi au cœur de notre politique. Cette priorité, il faut aussi l'avoir en tête lorsque nous parlerons de l'Europe, de protection sociale ou d'aménagement du territoire.

Nous devons également être plus exigeants en matière de redistribution. C'est pourquoi, tout en restant attentifs à la défense des salariés, nous avons proposé que les prélèvements obligatoires soient utilisés pour favoriser la création d'emplois de service. Les autres axes de notre politique économique passent par la relance économique et par la réduction du temps de travail.

Enfin, dotés d'une politique économique et sociale et d'une volonté politique cohérente, il nous faudra trouver dans les mois qui viennent l'élan politique qui nous permettra de les traduire dans la réalité.

Jean-Pierre Luppi

Jean-Pierre Luppi a insisté sur l'augmentation sensible du nombre des chômeurs de longue durée depuis un an, résultat de la politique du gouvernement Balladur et de ses relais locaux. Les conséquences de cette augmentation sont très graves, car elle entraîne une exclusion massive, dangereuse pour l'avenir de notre société.

Cela doit nous amener à faire de la lutte contre l'exclusion et le chômage de longue durée la priorité de notre projet de contrat social, de notre projet de société.

Il faudra notamment prévoir, pour les emplois que nous serons en mesure de créer, un processus d'insertion au profit des chômeurs de longue durée.

Par ailleurs, comme le montrent les difficultés rencontrées sur le terrain pour faire passer l'idée que les heures supplémentaires pourraient être transformées en emplois, la négociation sera très importante pour permettre la réduction du temps de travail. La loi devra certes accompagner ce mouvement, mais il faudra provoquer la discussion partout où ce sera possible. Il faudra notamment veiller à associer les chômeurs, faute de quoi ils finiront par s'organiser contre les salariés.

Au total, la redistribution du travail devra s'accompagner du partage des richesses créées et de la diminution du temps de travail, sans réduction de revenus.

Jacques-Roger Machart

Jacques-Roger Machart a insisté sur l'idée que pour créer des emplois, la croissance est plus efficace que le partage, même si nous sommes naturellement pour la solidarité et le partage.

Or il existe selon lui des marges de manœuvre nationales et internationales pour soutenir la croissance.

L'investissement des entreprises publiques, dans les secteurs de l'énergie, des transports ou des communications, pourrait être augmenté d'une quarantaine de milliards de francs. Cela aurait un effet conjoncturel immédiat, et un effet structurel à moyen terme, par augmentation de la compétitivité de l'économie.

Grâce à la désinflation, ces investissements pourraient être gagés sans risque sur les hausses de tarifs de ces entreprises. D'autre part, l'épargne, qui n'a jamais été aussi élevée, est orientée vers des placements liquides, financiers ou boursiers, et non vers le financement de l'activité économique. Elle doit être réorientée.

Enfin, il ne faut pas forcément analyser la mondialisation de l'économie en termes défensifs. Nous pouvons satisfaire ainsi la demande sociale qui s'exprime sur la planète. Il faut, en conclusion, avoir une démarche moins malthusienne.

Jean-Luc Mélenchon

Jean-Luc Mélenchon a souligné que les amendements en faveur des 35 heures sans perte de salaire ont rencontré un écho favorable chez les militants.

Être réaliste sur ce thème, ce n'est pas, au nom d'une « culture de gouvernement » mal comprise, promettre les 37 heures pour l'an 2000, mais au contraire, dans un pays qui s'est enrichi de 30 % pendant que le temps de travail socialement nécessaire pour produire ces richesses diminuait de 12 %, de proposer une réduction importante et rapide de la durée du travail. La seule culture de gouvernement acceptable, c'est être capable de soumettre au peuple un grand projet, et faire preuve d'audace.

Pour Jean-Luc Mélenchon, cette question n'est pas une question technique, elle est sociale et politique. Les socialistes doivent donc mobiliser, puis traduire dans la loi le rapport de force qu'ils auront obtenu dans les urnes. Naturellement, la négociation sera aussi utilisée dans cette réduction du temps de travail, car on ne peut appliquer les 35 heures sans réduction de salaires partout de la même façon.

Mais la loi sera un préalable nécessaire, qui seul permettra d'ailleurs d'expliquer pourquoi il faut élire des députés socialistes, et mobiliser en ce sens.

En conclusion, ce que doivent viser les socialistes, c'est une véritable rupture de civilisation, au profit de ceux qui souffrent et qui veulent un avenir.

Louis Mermaz

Louis Mermaz affirme qu'il n'y a pas de crédibilité politique possible pour les socialistes en matière d'emploi, hors d'une remise en cause fondamentale des présupposés de l'économie capitaliste. Face à l'exacerbation de la concurrence, nourrie par la recherche du profit maximum, et qui s'étend à présent à l'échelle mondiale, les socialistes ne peuvent se contenter « de raccommoder, de rapetasser, d'arranger, de rendre les choses plus supportables, ce qu'ils ont fait en dix ans avec des réformes qui n'étaient pourtant pas négligeables ». Il s'agit, bien au-delà, de s'opposer à la baisse des salaires, et notamment à la création du SMIC-Jeunes de M. Balladur, et de prôner un partage des revenus plus favorable aux salariés.

Pour opérer cette nouvelle répartition des richesses, il ne faut négliger aucun instrument. La loi doit fixer un cadre à la négociation collective, elle doit aussi améliorer les droits des salariés, notamment en matière de protection des salariés licenciés abusivement, ou de renforcement des prérogatives des comités d'entreprise, qui doivent pouvoir s'opposer à des licenciements économiques et exercer un droit de regard sur l'utilisation des ressources publiques allouées aux entreprises. Il ne faut pas non plus hésiter à engager un développement vigoureux de l'emploi public, dans les hôpitaux, l'éducation nationale, la justice ou les services publics de l'emploi.

Jean-François Noël

Jean-François Noël souhaite que la Convention nationale ne focalise pas ses débats sur la seule question des modalités de la réduction du temps de travail. Les questions de l'emploi, du chômage et de l'exclusion doivent être posées en des termes plus globaux, en termes de projet de société.

Les socialistes doivent faire leur, l'idée d'économie solidaire, au cœur de laquelle se trouve le développement des activités de services, car estime-t-il, « alors que l'économie sociale est née de la réaction ouvrière à l'exploitation au XIXème siècle, l'économie solidaire peut témoigner à la fin du XXème siècle de la volonté de répondre à de nouvelles demandes en créant de vrais emplois et en revalorisant la vie quotidienne et les réseaux locaux ».

Il s'agit ainsi tout à la fois de trouver les moyens de mieux répondre à des besoins sociaux insatisfaits, notamment en matière d'accueil des jeunes enfants, mais aussi de parier sur la capacité d'initiative de la société. Pour aider au développement de ces nouveaux emplois, pourquoi, à côté du rôle éminent que doivent tenir les collectivités publiques, ne pas s'appuyer sur le mouvement associatif ou sur le bénévolat, important chez nombre de nos concitoyens, notamment chez les retraités ?

Il ne saurait être question, bien entendu, de créer des sous-emplois à sous-statut.

Aussi la proposition de création d'un chèque-service, mentionnée dans le texte transmis par le Bureau national, doit-elle, pour se démarquer clairement de la politique suivie par l'actuel gouvernement, exclure de son champ les travailleurs individuels, sauf à accentuer encore le phénomène de mise en cause des règles sociales par le développement d'emplois prétendument indépendants.

François Rebsamen

François Rebsamen appelle les socialistes à davantage de modestie et d'autocritique. Comment pourraient-ils reconquérir leur crédibilité en faisant l'économie d'une ample réflexion sur les causes de l'échec des gouvernements socialistes en matière d'emploi et du chômage, à l'origine de la lourde défaite qui leur a été infligée en mars 1993 ? Surtout, note-t-il, « quand ce sont nos anciens ministres… qui proposent des solutions dans des domaines d'action qui étaient les leurs il y a à peine un an ».

Il en appelle ainsi à relativiser les effets d'une reprise de la croissance sur la réduction du chômage. Certes, celle-ci est souhaitable, notamment parce qu'elle permet aux pouvoirs publics de disposer de marges de manœuvre budgétaires plus importantes pour s'attaquer aux causes profondes du chômage. Mais la solution aux difficultés du moment ne peut être trouvée dans le volontarisme national l'opinion, qui raisonne à présent à l'échelle européenne, sinon mondiale, n'adhère plus à ce discours.

François Rebsamen propose de placer plutôt l'idée de solidarité au cœur de la réflexion des socialistes. Et parce que la solidarité doit s'exercer aussi entre les chômeurs et ceux qui ont un emploi, il exprime ses doutes quant à la pertinence de la revendication des 35 heures sans perte de salaire.

Bernard Roman

Notre principal échec au pouvoir a été l'emploi. Nous nous sommes trompés parce que nous avons cru que la croissance reviendrait et que cela suffirait à créer les emplois nécessaires pour résorber le chômage. Or la croissance n'est pas revenue et elle aurait en tout état de cause été insuffisante.

Nous nous sommes ralliés au libéralisme qui ne correspond ni à nos engagements ni aux valeurs des socialistes.

Notre projet doit être un ambitieux projet de transformation sociale qui se fixe pour objectif l'organisation d'une société sans exclusion et sans chômage.

Sur les gisements d'emplois nouveaux et les emplois du tertiaire, il faut que ces emplois soient être de vrais emplois statutaires, bénéficiant de la protection sociale de tout salarié. Les collectivités locales doivent avoir un rôle essentiel pour leur développement. Ces nouvelles activités pourront être financées par les sommes aujourd'hui consacrées au traitement social du chômage.

Sur la réduction du temps de travail, nous sommes favorables au passage aux 35 heures en deux ou trois ans, avec la perspective clairement affichée des 32 heures à la fin du siècle.

Cette mesure doit être obligatoire, et faire l'objet d'une loi-cadre dont les modalités seront négociées branche par branche dans un délai court.

Laurence Rossignol

Il y a deux approches de la réduction du temps de travail :

– ajouter la réduction du temps de travail au rang des mesures techniques pour la lutte contre le chômage ;
– faire de la réduction du temps de travail l'axe central de notre projet de transformation de société, l'axe de l'alternative au libéralisme.

Les mesures techniques de lutte contre le chômage (CES, contrats à durée déterminée…) ont fait la preuve de leur inefficacité clans le passé tant sur le plan économique que sur celui de la création d'emploi.

Elles ont par contre induit une forte régression sociale. Aujourd'hui, le socle de nos acquis sociaux est érodé, grignoté à sa base par l'ensemble des dérogations que nous avons nous-mêmes imposées aux salariés, soi-disant pour créer des emplois.

La lutte contre le chômage est aujourd'hui indissociable de la lutte contre la précarité sociale. Or, si nous acceptons ce que la droite propose, c'est-à-dire la réduction du temps de travail comme moyen de faire baisser les salaires, la société du temps libéré ne trouvera jamais sa place, nous aurons la société de la précarité sociale. Si l'on réduit la durée du travail sans réduire les salaires, c'est la distribution entre les revenus du capital et les revenus du travail qui se trouve modifiée. Nous ne pouvons attendre une hypothétique réforme fiscale.

C'est le programme de transformation socialiste de la société que nous devons soutenir. Tout le reste, ce n'est que pansement socialiste au libéralisme contre pansement balladurien au libéralisme.

Alain Vidalies

Notre échec a d'abord été l'emploi et nos concitoyens ont le sentiment qu'il y a une sorte de fatalité qui fait que les emplois disparaissent, que les délocalisations sont inévitables, bref qu'il n'y a rien à faire contre le libéralisme triomphant.

Le texte qui nous est proposé avance un nouveau contrat social. Oui, mais un nouveau contrat social issu d'un rapport de forces que nous saurions créer, ou un nouveau contrat social qui serait une solution technique ?

La solidarité et le partage entre les salariés conduisent à une situation où on ne peut pas se situer dans une perspective de confrontations sociales, et c'est bien là tout le fond du problème !

Dès lors, nous devons répondre clairement, répondre que nous sommes pour une diminution du temps de travail, sans diminution de salaire.

La deuxième question, c'est le problème du rétablissement de l'autorisation administrative de licenciement.

Revenus au pouvoir, nous avons oublié de rétablir cette autorisation administrative qui est une mesure symbolique politiquement.

Henri Weber

Henri Weber a rappelé que la réduction du temps de travail devait être au cœur de notre politique pour l'emploi mais que dans une économie de marché elle devait être accompagnée pour éviter des délocalisations. En plus des conditions rappelées par D. Taddeï dans son rapport, il faut ajouter la nécessité d'une action conjointe de tous les socialistes européens.

Henri Weber a insisté alors sur la nécessaire redistribution des richesses qui doit accompagner la réduction et qui suppose une réforme profonde des systèmes de prélèvements.

Enfin, H. Weber a souligné qu'en matière de réduction du temps de travail et de lutte pour l'emploi notre spécificité est double d'une part nous plaçons cette réduction au cœur de notre politique pour l'emploi.

D'autre part nous devons sans cesse affirmer le rôle de l'échelon local, des initiatives micro-sociales, micro-économiques dans notre approche du problème.


Dominique Strauss-Kahn

Clôture des travaux (27 février)

Dominique Strauss-Kahn fait rapport des travaux de la commission des résolutions sur le texte proposé à la réflexion des militants et sur les 155 amendements directement utilisables déposés par les secteurs du Parti, par les signataires des amendements nationaux et par les fédérations.

Globalement, le texte sort conforté de ces travaux, puisqu'il n'a pas subi de suppression majeure et que les ajouts principaux ne constituent pas des thèmes nouveaux. Le contour du projet social, les ambitions du Parti dans les retombées de la croissance et dans les emplois nouveaux du secteur des services ont été rapidement objet de consensus.

L'essentiel de la discussion a porté sur la réduction du temps de travail comme source d'emplois nouveaux. Aucun aspect du sujet n'a été écarté et la position adoptée par environ 80 % des présents est ambitieuse : le projet des socialistes pour le long terme est la semaine de 4 jours ; l'objectif pour la législature est de 35 heures et une première étape pour y parvenir est constituée de plusieurs mesures en matière d'aménagement du temps de travail, de réduction des heures supplémentaires, de développement des retraites progressives et du temps réduit choisi, enfin d'une réduction de la durée légale à 37 heures appliquée en moins de deux ans. Le pouvoir d'achat des salariés est préservé par ces mesures, les gains de productivité et une partie de la redistribution des revenus et des richesses étant affectés à leur financement.

Deux minorités, conduites par Louis Mermaz et Jean Poperen, ne se sont pas associées à ce texte mais ont participé activement au débat.

Dans les semaines à venir, le texte ainsi amendé sera porté à la connaissance des militants, de même que toutes les propositions seront mises en fiches et en argumentaires directement utilisables sur le terrain.

Dominique Strauss-Kahn termine ensuite son intervention sur des considérations de politique générale, dénonçant tout d'abord l'absence d'une quelconque politique économique du gouvernement, qui le conduit à changer de cap du jour au lendemain, à promettre, puis à retarder des embellies sur le front du chômage et, en fait, à tenter de réduire les droits des salariés et les espoirs de toute la société, de ses jeunes en particulier.

Rappelant la dynamique qui a porté Bill Clinton à la présidence des États-Unis en quelques mois, il conclut en souhaitant que le Parti Socialiste, « Parti du débat », devienne le « Parti de la reconquête » et qu'avec Michel Rocard derrière qui toute la gauche se rassemblera, nous sachions éviter sept ans de conservatisme et de réaction pour mettre en œuvre nos propositions.


Explications de vote

Claude Fleutiaux

Claude Fleutiaux précise d'emblée qu'il a choisi d'approuver la résolution finale en raison de la qualité du travail accompli par la commission et de la prise en compte de l'essentiel des amendements qu'il a signés.

Il regrette toutefois que le message des socialistes sur la réduction du temps de travail ne soit pas suffisamment clair lorsqu'il affiche simultanément quoiqu'à des horizons différents, les objectifs de 35 et 37 heures.

Quant à la proposition de l'amendement n° 23, sur la désignation des responsables par les travailleurs eux-mêmes, il estime que si elle a été rejetée aujourd'hui, elle se reposera un jour.

La Convention aura permis de démontrer que les socialistes placent réellement l'emploi au cœur du nouveau contrat social.

Alain Vidalies

Alain Vidalies a alors justifié le vote négatif de ses amis : le texte, malgré de nombreux aspects positifs et une bonne perspective vers les 35 heures, ne marque pas une rupture assez nette notamment en ce qu'il pose le principe de l'étape des 37 heures et que le rétablissement de l'autorisation administrative de licenciement a été écarté.

Enfin Alain Vidalies a précisé que ce vote négatif était celui des minoritaires au sein d'un grand parti démocratique et qu'il ne devait pas occulter sa volonté de participation aux grands combats à venir.


Commission n° 1

« Marges de manœuvres et internationales »

Michel Destot

« Je prends la parole pour rapporter sur la commission sur les marges de manœuvres nationales et internationales.

Beaucoup de points de vue  forts divers se sont exprimés mais une certitude partagée par tous est clairement ressortie des différentes interventions.

Nous, socialistes, nous refusons la fatalité du chômage, nous refusons l'idée chère à M. Balladur selon laquelle tout ira mieux demain sans qu'il soit besoin de changer quoi que ce soit. Mais, avec M. Balladur, demain se transforme toujours en après-demain et la situation se détériore pour un nombre sans cesse croissant de nos concitoyens.

Pour lutter contre ce fatalisme ambiant, il faut d'abord tordre le cou à quelques idées fausses qui se sont incrustées dans beaucoup de têtes, y compris, reconnaissons-le, dans nos têtes à nous socialistes, et qui ont été autant de causes de démobilisation.

N'avons-nous pas entendu et n'entendons-nous pas toujours : « la crise est mondiale, on n'y peut rien, attendons une reprise mondiale » ?

Or, la situation n'est pas la même aux États-Unis et au Japon qu'en Europe et à plus forte raison dans les nouveaux pays industrialisés dont la croissance est étonnante dans le sud-est asiatique ou en Amérique du sud.

Et puis, autre refrain que nous avons entendu, les grands équilibres économiques, l'inflation, le budget, la monnaie, sont garants de notre bonne santé économique et sociale. Or, avec une désinflation quasi parfaite, un franc fort, une balance commerciale excédentaire, nous avons un chômage considérable.

Notre désaccord d'ailleurs sur ce point avec Monsieur Balladur est total. Pour lutter contre le chômage la solution n'est pas la précarisation et la baisse des salaires ; au contraire une telle politique économique conduit à plus de peur et à une aggravation de la récession. Ce n'est plus de la désinflation, c'est de la déflation et de la démobilisation.

D'ailleurs, fort heureusement, de plus en plus de voix parmi les syndicalistes, parmi les économistes, s'élèvent contre cette stratégie, et cela bien au-delà des rangs habituels de la gauche.

De ce point de vue, l'instauration d'un SMIC-Jeunes est une très grave erreur, pour les jeunes et bien au-delà pour tous les Français.

Enfin, c'est le refrain de la démobilisation sociale : à cause de la crise il n'y a pas de mouvement social possible, les travailleurs adoptent un profil bas ; or, en fait nous le voyons, l'explosion sociale couve partout, dans l'enseignement, chez les agriculteurs, les marins pêcheurs et dans bien d'autres secteurs encore.

Alors, contre ce fatalisme nous affirmons que c'est la volonté politique qui doit s'imposer aux logiques économiques sur deux plans.

D'abord l'emploi doit devenir réellement la priorité absolue pour nous socialistes. Elle doit donc avoir une traduction concrète à tous les niveaux, au plan mondial, au plan européen, au plan national, au plan local ; cela devra se traduire dans nos campagnes politiques et électorales à venir : par les plans de développement locaux, des emplois de services et de proximité, dans le cadre des élections cantonales de cette année et les élections municipales de l'an prochain ; par une initiative européenne de croissance avec les élections européennes de 1994 ; et bien sûr à l'occasion des élections présidentielles de 1995.

Deuxième volonté politique, la résolution du problème passe par la mobilisation populaire, on ne peut réduire la mise en œuvre des dispositifs de lutte au seul plan national et politico-administratif, et par le seul levier de la loi.

Il faut une mise en route du mouvement social par le contrat et la négociation, car on voit bien que de multiples besoins, de multiples aspirations, restent insatisfaits, en matière de logement, de conditions de vie, notamment dans les banlieues, les quartiers difficiles. Sachons donc transformer ces attentes en autant de leviers pour une dynamique favorable à l'emploi.

Et c'est parce que nous avons cette double volonté que nous serons capables de regagner, d'utiliser des marges de manœuvre tant sur le plan international que national. D'abord en ce qui concerne les marges de manœuvre internationales : la mondialisation de l'économie aujourd'hui est un fait que l'on ne peut occulter. Faut-il s'en inquiéter ?

Nos débats de cet après-midi ont montré sur ce point combien les avis pouvaient être divergents : certains ont insisté sur la nécessité de préserver celles de nos industries les plus menacées par la concurrence des pays du sud ; d'autres au contraire – et les plus nombreux – ont souligné l'importance que nous, socialistes, devons accorder au développement des pays les plus pauvres, non seulement par souci de solidarité mais aussi par ce qu'il en va de notre propre développement, car les besoins de ces pays en produits que nous fabriquons sont très élevés et ceci encore pour longtemps.

Ce qu'en revanche nous sommes unanimes à dénoncer, ce sont certaines conditions de cette mondialisation ; elle ne peut passer par une dérégulation systématique sur le plan monétaire et financier, elle doit nécessairement s'accompagner d'une augmentation constante des droits sociaux des salariés dans les pays développés, et nous pourrons d'autant mieux lutter dans ce sens que nous saurons construire rapidement une Europe forte et solidaire avec ceux, bien sûr, qui y sont disposés.

Et nous devons de ce point de vue réavancer résolument dans la perspective d'une monnaie unique qui seule nous permettra de contrer la spéculation internationale, comme de contrer le jeu individuel et inadmissible de telle nation croyant pouvoir durablement se rétablir seule contre toutes les nations.

Au-delà du plan monétaire, la solidarité européenne devrait être renforcée par une initiative forte pour la croissance et au travers d'un grand emprunt qui permettra de financer notamment les infrastructures en matière de logement, de transports, mais aussi dans des domaines comme la communication ou l'environnement, où les besoins sont considérables.

L'emploi sera amélioré en même temps que la compétitivité de l'Europe et la situation sociale de ses habitants, car pour nous socialistes, l'Europe n'a de sens que si elle est d'abord sociale.

J'en viens maintenant aux marges de manœuvre nationales, car, contrairement au dogme libéral, nous restons persuadés que l'Etat conserve la capacité d'agir directement en faveur de la croissance et de l'emploi.

Quatre axes principaux se sont imposés dans nos débats :

D'abord la réaffirmation que l'intervention publique reste non seulement possible, mais même indispensable.

L'État peut intervenir tout d'abord au travers d'une politique industrielle repensée qui devra être définie dans le cadre d'une grande stratégie industrielle, si possible au plan européen, en cherchant à anticiper au maximum sur les futurs marchés ; ensuite, au travers des grands chantiers, ou des programmes d'équipement des entreprises publiques qu'il faut mieux utiliser efficacement que brader à vil prix pour finir les fins de mois et placer le pouvoir économique entre des mains sûres et amies…

La puissance publique peut enfin sur de nombreux points reconvertir des budgets et des politiques en fonction de leurs répercussions sur l'emploi.

Et puis il y a l'immense domaine d'intervention pour le développement des PME/PMI qui représentent comme nous le savons dans notre pays 70 % de l'emploi et la source majeure de la création de ces emplois. Cela passe notamment par une réorientation de l'épargne en leur faveur ; une telle épargne de proximité avait commencé à être développée lorsque la gauche était au pouvoir, Monsieur Balladur s'est empressé de la supprimer, il faut donc relancer la mécanique avec un rééquilibrage dans les aides au profit des PME et des PMI et non exclusivement au profit des grands groupes.

La troisième marge de manœuvre est liée à la réforme de la structure des prélèvements obligatoires pour favoriser l'emploi, notamment des personnes peu qualifiées ou peu expérimentées dans les entreprises ou les collectivités locales, en poussant la logique de la CSG, en réformant la fiscalité locale qui est particulièrement injuste, nous le savons.

Voilà ce qu'il faut faire pour relancer les emplois des jeunes plutôt que d'instaurer un SMIC pour les jeunes !

Enfin, il a semblé à tous qu'il était nécessaire de s'appuyer sur la mobilisation sociale, reconnaissant par là même que nous avions fait trop de place à la technostructure. Et cette mobilisation passe à nos yeux par la promotion d'un nouveau partenariat social, par une autre organisation des entreprises, et notamment par la réduction des niveaux hiérarchiques en leur sein, par un fonctionnement des entreprises en réseau, et non plus en pyramide, et par l'implication des collectivités locales, des organisations professionnelles et syndicales dans les industriels ou dans les reconversions économiques.

En conclusion, il est bon de signaler que les travaux de cette commission sur les marges de manœuvre internationales et nationales n'épuisent pas la totalité du problème de l'emploi, d'autres solutions ont été traitées, nous venons de l'entendre, par les autres commissions, mais retenons que pour le plus grand nombre des intervenants notre Commission a montré clairement la volonté des socialistes de mobiliser les forces sociales pour l'emploi, au travers d'une politique de croissance, sans remettre en cause la solidarité ni la protection sociale. »


Commission n° 2

« Temps de travail et formation »

Michel Coffineau

La commission sur le temps de travail et la formation, avait comme matériau les amendements des Fédérations sur le sujet, les amendements nationaux et puis les interventions des délégués.

C'est en tenant compte de tous ces éléments que je me propose de faire ce rapport qui comportera trois grands chapitres :

– l'importance de la réduction du temps de travail avec le problème de la compensation salariale ;
– les aspects plus spécifiques de cette réduction du temps de travail ;
– et la formation.

Je vais prendre ces points dans l'ordre inverse, pour terminer par le plus difficile.

Développer la formation aujourd'hui car le travail non qualifié est la source la plus importante du chômage, est à l'évidence, une priorité. C'est d'abord, d'après certains intervenants, une formation initiale, permettant une entrée progressive des jeunes dans la vie active. Cela figure d'ailleurs dans le rapport de Dominique Taddeï.

Ensuite il y a nécessité d'une formation continue pour l'épanouissement des individus, il est vrai, mais aussi pour la qualification rendue nécessaire aujourd'hui par la modification des postes de travail.

Un lien, également doit être établi entre la réduction du temps de travail, et la formation, le temps libéré pouvant se transformer en temps de formation.

Enfin certains intervenants ont mis le doigt sur la nécessité de regarder de plus près les moyens de cette formation, notamment par une gestion décentralisée des fonds de la formation professionnelle.

Concernant le deuxième point la réflexion sur la réduction du temps de travail a été lié à la perspective d'une société où le temps libéré deviendra le plus important. Celui-ci peut créer indirectement des emplois, dans les activités culturelles et de loisirs, qui ne manqueront pas de se développer.

Des aspects plus spécifiques de la réduction du temps de travail ont été évoqués. Le temps partiel : l'objectif à atteindre est celui du temps choisi par les salariés avec des garanties de retour au temps complet sur demande et non pas, le temps partiel imposé aujourd'hui par les entreprises. Je pense notamment au commerce, qui organise en fait la précarité et donc l'affaiblissement des possibilités de lutte des travailleurs.

Concernant les heures supplémentaires, la commission a repris la préoccupation exprimée par Dominique Taddeï. Il faut les réduire massivement, ou les remplacer par du temps qui serait rendu. Je crois que là, il n'y a pas de difficultés entre nous. À titre d'exemple, un de nos intervenants a évoqué les horaires énormes des chauffeurs routiers.

En complément de cette réflexion, plusieurs camarades ont dénoncé le cumul des emplois, le cumul emploi retraite, notamment. C'est un sujet difficile, surtout si l'on rajoute le problème du travail clandestin. Savez-vous que récemment la majorité parlementaire de droite vient de supprimer l'obligation de déclaration préalable à toute embauche de salarié ? C'est une mesure que nous avions votée et qui s'est avérée très efficace contre le travail au noir. C'est donc, on le sait, hélas, un scandale de plus.

Enfin il convient de ne pas limiter, ont dit certains intervenants, la réduction du temps de travail aux seules entreprises privées, il ne faut pas en effet oublier les services publics et notamment l'ouverture plus large ou plus longue des services aux usagers.

J'en viens donc maintenant au débat sur l'importance de la réduction du temps de travail et la compensation salariale.

Quelques-uns, dont un syndicaliste, ont évoqué les négociations d'aujourd'hui pour constater qu'elles ne permettaient pas de créer des emplois, même lorsque les salaires étaient provisoirement diminués par cette négociation. Bien sûr, il s'agit de ce que j'appellerai un peu la négociation, le dos au mur, pour sauver des emplois dans l'entreprise, en face d'un patronat qui n'a plus que la culture de licenciement, et la baisse du coût du travail et d'un gouvernement qui pousse aussi dans ce sens. Ce n'est pas notre orientation ; Celle-ci nécessite un rapport de forces politiques. La gauche au pouvoir, est une articulation intelligente, entre l'État qui impulse et unifie, et les partenaires sociaux qui négocient.

Dans le débat ont été évoquées d'ailleurs les tendances historiques dans ce sens.

Alors maintenant, quelle réduction ?

Le rapport initial, le débat, les amendements ont fait apparaître pour l'essentiel trois approches que la Commission n'avait pas vocation à trancher, d'ailleurs elle n'en avait pas non plus les moyens.

La première approche est celle du rapport que Dominique Taddeï a résumé ce matin: il est nécessaire de réduire le travail sans toucher aux salaires en utilisant pour cela les gains de productivité. Les économistes ont fait un travail sérieux en calculant que la réduction possible dans ce sens était de l'ordre d'une heure par an, et propose donc de venir à 37 heures en deux ans.

La deuxième approche exposée par les amendements, les intervenants et la commission propose d'aller plus loin et atteindre rapidement les 35 heures sans diminution de salaire. Un intervenant a souligné que les entreprises ont beaucoup augmenté leurs profits et qu'il ne s'agit pas de s'engluer dans les contraintes économiques, mais que l'essentiel aujourd'hui est de « coller » au mouvement social.

Enfin la troisième approche reprend d'une certaine manière une partie de chacune des préoccupations exprimées. Pour créer réellement des emplois, il faut une réduction massive et rapide : c'est le niveau des 35 heures.

Mais il faut dire en même temps, car nous sommes un parti responsable, qu'il ne faut pas mettre en difficulté nos entreprises. Pour atteindre les 35 heures nécessaires, et au-delà de la possibilité que donnent les gains de productivité, il faut faire appel à la redistribution des revenus et des richesses en aidant les entreprises grâce à une fiscalité accrue des revenus du capital et des hauts revenus.

Chacune de ces trois approches annonce que cette réduction peut s'exprimer sous des formes diverses : horaire hebdomadaire, mais aussi année sabbatique, modulation annuelle, retraite progressive, etc. C'est la négociation finalement qui devra le déterminer.

Sur ces sujets, nous sommes attendus aujourd'hui, dans cette convention à Cergy-Pontoise.

Que proposent réellement, effectivement, les Socialistes sur la réduction du temps de travail ? Je pense, et c'est ressorti un peu des débats, qu'il faut que la Convention tranche clairement. Voulons-nous une réduction du temps de travail limitée que permettent les gains de productivité, une réduction du temps de travail beaucoup plus forte, mais sans s'occuper de la compétitivité des entreprises, en collant seulement au mouvement social, ou une réduction du temps de travail massive et rapide garantissant la compétitivité des entreprises, et financée par la redistribution des revenus et des richesses ?

Il faut trancher.

Si la convention, sur proposition de la Commission des Résolutions adopte un texte court, clair, crédible et compréhensible, alors nous aurons fait un bon travail pour retrouver la confiance de nos concitoyens. Reconnaissons tous que nous en avons bien besoin !


Commission n° 3

« La mobilisation pour l'emploi : les acteurs, les outils »

Jean Le Garrec

Je vais essayer de rendre compte des travaux de cette commission où sont intervenus de nombreux camarades et des syndicalistes, associatifs, militants d'entreprise.

Je voudrais rappeler que comme le disait Brunes, bien connu pour son activité sur le terrain, nous vivons une accélération de la destruction, ou comme le disait Maurice Paillard, nous sommes au bord de l'explosion sociale. Ou comme le disait le Bureau Exécutif à partir d'une proposition que j'avais faite, nous passons de l'asthénie sociale au refus.

C'est cela la réalité que nous vivons, et sur cette réalité je voudrais faire quelques remarques liminaires.

La première, c'est que pour l'essentiel, les outils et les modes d'intervention des acteurs sociaux ont été construits dans les années 50-60, c'est-à-dire à une période de grande croissance, où les problèmes se posaient d'une manière tout à fait différente. Ensuite nous sommes passés à une période où l'inflation masquait les difficultés, et où nous agissions dans une situation où pour l'essentiel c'est dans les grandes structures publiques ou privées que ces outils avaient été construits et avaient été adaptés.

Aujourd'hui, et c'est une banalité de le dire, nous vivons un bouleversement total du modèle de production, du rapport au travail, mais avec des outils et des acteurs institutionnels qui continuent à travailler dans un cadre tel qu'il avait été fixé il y a vingt ou trente ans.

Beaucoup de mots, et ce sera ma deuxième remarque institutionnelle, ont été employés ; « Bousculer », le mot est revenu fréquemment : et à ce titre les associations de chômeurs qui se sont créées nous bousculent et bousculent nos conformismes qu'ils soient politiques, syndicaux ou étatiques.

Dans le cadre de cette remarque, et Martine Aubry l'a dit tout à l'heure, il faut redonner toute sa place à l'innovation sociale. Nous avons eu une intervention dans cette Commission tout à fait importante de Claude Alphandéry qui suit de près tous ces travaux. À partir des entreprises intermédiaires, des régies de quartiers et de toutes formes d'invention collective, est en train de se créer une nouvelle pratique du rapport au travail, et j'oserai presque dire, le mot a été employé, une utopie de l'autogestion du réel, dont nous devons tenir compte.

Troisième remarque liminaire, des amendements ont été déposés, peu sur le plan national, beaucoup sur le plan du secteur entreprises, pour améliorer le texte sur toute cette dimension des acteurs et des outils d'une politique.

Mais le débat ne doit pas s'arrêter aux problèmes de la croissance, de la réduction du temps de travail et aux emplois de solidarité.

Nous avons la volonté d'affirmer un projet social, politique, à partir de la pratique : des femmes et d'hommes tous les jours, sur le terrain, dans les entreprises intermédiaires, dans les collectivités, dans les PAIO, dans les comités de bassin d'emploi, inventent cette nouvelle pratique sociale.

Est-ce que nous sommes capables d'écouter, de retenir, d'apprendre et de traduire dans un projet politique ce qui se fait depuis des années et ce que nous avons contribué à créer sur le terrain de la réalité sociale ?

Après ces remarques préliminaires, nous rendrons compte des travaux de la commission sur trois axes.

Concernant tout d'abord la dimension juridique : beaucoup de problèmes ont été posés : il ne faut pas se contenter de déclarer abusif un licenciement, mais être capable, et ce n'est pas possible aujourd'hui, de l'annuler en recréant les droits du travail.

Personne n'a demandé le rétablissement de l'autorisation administrative de licenciement telle qu'elle existait avant 1981. Mais tous les intervenants ont considéré qu'un réel contrôle des licenciements économiques était indispensable, et que pour ce faire, plusieurs pistes étaient possibles : le renforcement de l'action de l'Inspection du Travail, le renforcement des moyens préalables de contrôle des commissions d'entreprise.

D'ailleurs une proposition de loi a été déposée par le Groupe socialiste à ce sujet et un amendement du secteur Entreprises formule quelques propositions pratiques.

Pourquoi ne pas aller aussi à une définition juridique plus précise du licenciement économique ? Il y a une interprétation floue à l'heure actuelle, qui est livrée à la seule analyse du patronat dont on sait très bien, d'ailleurs, qu'elle est utilisée y compris dans des situations de profitabilité de l'entreprise.

Une autre idée a été formulée : l'obligation d'annexer au bilan financier des entreprises le bilan social, et non pas le considérer comme quelque chose en plus.

Bien d'autres problèmes ont été évoqués : le rôle du délégué syndical par rapport au délégué d'entreprise ; l'utilisation des 0,2 du comité d'entreprise à des fins d'expertise économique, et pourquoi pas, la mutualisation du 0,2 du comité d'entreprise pour élargir la capacité d'action ; le renforcement des syndicaux et de la représentation des salariés.

À ce sujet je prendrai un seul exemple. Avec Coffineau, Vidalis et bien d'autres, nous avons imposé la création contre l'avis du patronat des organisations syndicales, contre la prudence du gouvernement, des conseils de salariés.

Aujourd'hui, chacun reconnaît leur utilité. Encore faut-il passer à une autre étape et leur donner les moyens de faire véritablement leur action sur le terrain. Un syndicaliste a proposé l'assurance conseil des salariés : 10 F par salarié par mois en moyenne permettant de développer ses moyens.

Ce ne sont que des pistes mais on ne peut pas se contenter de vivre les situations telles qu'elles sont aujourd'hui.

Deuxième niveau d'intervention : l'évolution des structures administratives et le problème du service public de l'emploi. C'est une remarque générale. Tous les intervenants, ont reconnu que ces structures étaient inadaptées, que leur fonctionnement n'était pas à la hauteur des missions. Il ne s'agit pas ici de critiquer les femmes et les hommes qui, dans ces structures, font leur travail et le font souvent très bien, mais de nous poser la réalité des problèmes, avec des éléments très précis. Par exemple (et cela a été dit), il n'y a pas d'évaluation des politiques publiques de l'emploi. Il existe à l'heure actuelle 39 systèmes différents d'accompagnement à l'emploi, dont personne aujourd'hui n'est capable de dire comment ils fonctionnent. Quelle est leur réalité ? Quelle est leur utilité ? Passer comme on le dît de dépenses passives à dépenses actives pour l'emploi, c'est avoir le courage de mettre à plat tous les systèmes.

Il n'y a pas d'action coordonnée en matière de formation, et vous le savez très bien. Qui osera poser le problème des relations coordonnées en matière de formation d'accompagnement entre l'AFPA et les GRETA ?

Sommes-nous trop timides ? Attaquons-nous des citadelles taboues ? Enfin la délégation de contrôle au préfet n'a aucun sens et ne correspond pas à la situation actuelle. Le crédit formation a été souvent détourné de ses objectifs.

Face à ces critiques la commission a fait quelques propositions.

Il faut renforcer les moyens et, en particulier ceux de l'inspection du travail dont on sait qu'elle passe pour l'essentiel son temps à courir après des difficultés de non application de code du travail et à s'assurer simplement d'un contrôle de conformité sans avoir ni les moyens ni les possibilités d'une prévention efficace en matière économique.

Il faut déconcentrer les politiques de manière à permettre une adaptation plus facile et plus efficace sur le terrain des bassins d'emploi.

Il n'est probablement pas possible d'aller vers un guichet unique comme nous l'avons dit dans les années 80 pour des raisons complexes, difficiles, juridiques, mais au moins créer un label unique pour l'action entre les différents acteurs qui agissent sur le terrain au nom du service public de l'emploi.

Recréer des lieux pertinents où se retrouvent aussi bien les unions locales, les associations, les associations représentatives de chômeurs, le patronat bien évidemment.

Enfin, introduire dans cette donnée du service public de l'emploi des moyens de la COTOREP, cela a été souligné par plusieurs des intervenants.

Voilà les points qu'il nous faut explorer.

Troisième et dernière dimension il faut agir sur la réduction du temps de travail avec les acteurs du mouvement social. Comment négocier ? Il ne suffit pas de dire « il faut négocier ». Où ? Comment ? Dans quel cadre ? Il existe aujourd'hui un millier de conventions collectives ; 40 représentent 50 % des salariés. Et les autres 50 % qui restent sont dans 960 conventions collectives. Comment s'intégrer dans ce système ? On pourrait créer des commissions paritaires syndicalistes/patronat permettant de regrouper d'une manière pertinente des conventions d'entreprise se rapprochant. Si nous ne voulons pas aborder ces problèmes-là, tout notre discours sur la réduction du temps de travail se heurtera à des difficultés d'application réelles particulièrement sur tout le terrain des petites et moyennes entreprises et des petites activités.

Donc, nous devons avoir le courage d'aborder ce problème-là et je dois reconnaître d'ailleurs que beaucoup des intervenants qui étaient des syndicalistes, et parfois de haut niveau, responsables nationaux de syndicat, ont eu le courage d'aborder le problème en considérant que les structures uniquement verticales des syndicats étaient inadaptées, qu'il fallait s'interroger sur les problèmes de financement, et sur le rôle des délégués syndicaux. Et un homme comme Brunes a lancé un véritable appel en disant : il appartiendra au parti socialiste de créer les conditions d'un véritable débat avec les organisations syndicales, de dépasser la sempiternelle charte d'Amiens.

Il n'est pas question de s'ingérer dans le mouvement syndical mais nous avons le devoir d'écoute et de dialogue avec eux, y compris pour leur donner toute la dimension dont ils ont besoin.

C'est possible dans le cadre d'une unité syndicale. Beaucoup d'intervenants et syndicalistes ont dit : « de plus, pour négocier, il faut être deux ». Or, le CNPF est aux abonnés absents, il ne négocie plus et l'on risque d'aller vers une situation où le libéralisme économique s'accompagnera d'un dirigisme social.

Nous le mesurons aujourd'hui par la manière dont le gouvernement gère aussi bien des décrets concernant le temps de travail dans les services, les banques et les assurances que ce qui a été fait pour le scandaleux SMIC jeunes.

Il faut aussi prendre en compte l'expression des demandeurs d'emploi en évitant d'institutionnaliser ce qui doit être une situation provisoire et en évitant de les opposer aux organisations syndicales ce qui serait bien évidemment une erreur mortelle mais en instaurant comme l'a dit d'ailleurs un syndicaliste, un partenariat d'écoute et d'action.

Voilà les trois problèmes qui ont été abordés.

Bien d'autres problèmes demeurent : la maîtrise de la productivité dans les services publics de proximité, la citoyenneté dans les services publics qui sont le plus proches de la vie du citoyen, le transfert des expériences, la prise en compte de la dimension rurale. Je ne peux pas les évoquer, ce serait trop long. Je considère simplement qu'il y a là un chantier énorme et que nous ne retrouverons crédibilité que si à côté de nos positions très claires sur le temps de travail, la croissance des emplois de service, nous avons le courage de poursuivre le débat sur ce chantier.

En conclusion, un seul exemple. Le bureau exécutif, sur proposition du secrétariat entreprise édite toutes les semaines un baromètre social. Nous suivons au jour le jour ce qui se passe sur le terrain et l'action que mènent les organisations syndicales, et les élus et responsables socialistes.

Nous voyons la situation évoluer et nous sentons très bien que nous passons aujourd'hui d'un licenciement d'adaptation à une situation où un licenciement de prévention est en train de se développer. Je voudrais prendre un seul exemple. On n'a pas assez parlé des réalités telles qu'elles sont vécues.

Les Établissements Chantelle qui emploient du personnel essentiellement féminin, près de Saint-Herblain, ont fait 23 % de bénéfice en 1992 ; en 1980/82 ils ont bénéficié du plan textile ; en 1986 du plan d'aide à la recherche ; en 1988 du deuxième plan textile, du FNE, des réductions du temps de travail. Aujourd'hui, on annonce 200 licenciements de femmes dans une situation de gravité d'emploi que vous connaissez, des femmes qui sont souvent chefs de foyer, qui se sont usées sur le terrain comme le disait un syndicaliste, qui, pendant 30 ans, n'ont écouté que leur machine. Et l'on parle de reconversion nécessaire. On sait que ces licenciements entraîneront probablement des grands risques d'exclusion.

Voilà ce que j'appelle les outils et les acteurs du mouvement social. Nous devons combattre aujourd'hui. Mais si nous n'intégrons pas dans notre projet d'une manière plus pertinente, en poursuivant le débat les acteurs de ce mouvement et les leviers dont ils ont besoin, nous passerons à côté de la réalité de notre projet.


Commission n° 4

« Nouveaux emplois de service et collectivités locales »

Martine Aubry

« Je me dois donc de rapporter sur la commission n° 4, « nouveaux emplois, nouveaux services ».

Je voudrais tout d'abord dire que le développement des emplois de services, tout comme d'ailleurs la réduction de la durée du travail, m'apparaissent être des sujets centraux dans un projet de société où chacun pourrait vivre mieux et aurait sa place.

Que chacun puisse vivre mieux grâce à la réduction et une meilleure répartition du temps de travail sur l'ensemble de la vie active, au développement des services et à la protection de l'environnement.

Que chacun ait sa place, c'est l'enjeu à la fois du développement des emplois de services et de la réduction de la durée du travail : cela veut dire ne pas laisser quiconque sur le bord de la route, même avec des indemnités, redonner à chacun une dignité par le travail ou par une activité et donc ne pas accepter l'exclusion telle qu'elle se développe aujourd'hui. La lutte contre l'exclusion, notamment des jeunes, passe par l'emploi.

Nous sommes donc au cœur du débat politique qui doit être le nôtre pour construire un nouveau projet de société.

Concernant les emplois de services je dirai deux préalables sur lesquels beaucoup d'intervenants se sont inscrits

Le premier préalable, c'est que je crois que nous ne devons pas, à la sortie de cette convention, donner l'impression que nous sommes pour une construction d'une société essentiellement fondée sur les services. Une société équilibrée, voilà ce que nous voulons, avec une agriculture et un espace rural qui continuent à exister et qui même se développent, une industrie forte et compétitive qui nous amène à réfléchir sur notre place dans le commerce international dans le commerce mondial, et bien sûr un secteur des services que nous espérons développer.

Le deuxième préalable, c'est que nous ne devons pas avoir l'impression de découvrir des nouveaux besoins. Beaucoup l'ont dit ces besoins existent. Ce que nous voulons aujourd'hui, c'est mettre en place face à ces besoins, des vraies activités, des vrais emplois. Nous ne redécouvrons pas la vie, mais nous rendons possibles des choses qui jusqu'à présent ne l'étaient pas.

Nous avons distingué deux types de besoins :

– les besoins proches des personnes, qui appellent les services dits de proximité ;
– et les besoins autour des activités traditionnelles : notre économie a réduit très souvent la production des biens aux seuls biens, il serait nécessaire de les accompagner des services pour les usagers ou pour les clients.

Je ne vais pas insister longuement sur ces différents besoins, beaucoup d'élus, membres associatifs sont venus avec des exemples concrets pour nous montrer ce que pourraient être ces emplois de services aux personnes :

– aux personnes âgées ou aux personnes handicapées, qui pourraient être aidées au lieu, parfois, comme c'est le cas aujourd'hui, d'être hospitalisées ;
– aux enfants, qui pourraient être gardés après l'école, soutenus scolairement, et être encadrés pour des loisirs ou le sport, en dehors des périodes scolaires.

Beaucoup d'intervenants ont insisté sur ce sujet notamment le maire de Blanc-Mesnil nous a donné des expériences très intéressantes.

Ces emplois apporteraient un élément de sécurité dans les quartiers, immeubles, logements, mais également dans les transports, grâce à la présence humaine.

L'environnement mériterait d'être mieux entretenu : des forêts, des espaces verts, de loisirs, des rivières, etc.

Il s'agit là d'un premier « paquet » de services qu'il convient de développer.

D'autres part, beaucoup ont proposé avec juste raison des services rendus par le service public et par le service parapublic, en rappelant que, pendant nos dix années au gouvernement, nous avons nous aussi réduit les services d'accueil, d'information, dans les hôpitaux, dans les postes et surtout à l'éducation nationale.

En développant ces deux types de services, services dans le public et services aux personnes, les Contrats Emploi-Solidarité nous ont permis de vérifier que ces besoins étaient immenses et qu'ils devaient être comblés, par des vrais emplois, avec un vrai statut.

En second lieu, ces emplois de services devraient également se développer autour des activités traditionnelles. Nous avons tous remarqué que notre pays était un des rares où, dans les grands secteurs de services, a été opéré un mouvement de réduction des effectifs et d'augmentation de la productivité du travail sans précédent. Sachez que la France a réduit les effectifs deux fois plus dans les banques et les assurances que dans la moyenne de la Communauté européenne pendant ces dix dernières années et c'est vrai que nous sommes les champions du monde du distributeur automatique de billets, d'essence, des caméras électroniques dans les transports qui remplacent non seulement des hommes et des emplois, mais aussi des services de qualité apportés aux usagers et aux clients.

Voilà un premier bilan sur les besoins, qui pourrait être encore approfondi.

À partir de là, nous réfléchissons sur les obstacles et les solutions concrètes à apporter.

Les obstacles, sont d'abord culturels et sociologiques. Nous avons rappelé que pour la plupart des chefs d'entreprise dans notre pays, l'équipement, l'investissement représente quelque chose de positif, car ils ont l'impression d'investir pour l'avenir, alors que l'embauche d'un salarié est d'abord perçu comme un coût. Harlem Désir nous a dit qu'effectivement les chefs d'entreprise continuent à avoir peur des salariés qui risquent de se mettre en grève, d'être absents, et que c'est sans doute une des explications de ce « tout-investissement », « tout-automatisation » que nous avons développé non seulement dans l'industrie, pour suivre nos concurrents, mais aussi dans des services qui ne sont pas ouverts à la compétitivité internationale.

Les consommateurs aussi ont une vision des services qui devrait sans doute bouger. Nous sommes un pays où nous préférons les biens durables à la consommation de services. Là aussi, un chiffre parle de lui-même : en France le Français moyen, consomme 15 % de ses revenus en services, l'Américain moyen 35 %, le Japonais moyen 55 %. Et les services, ce sont des emplois. Je ne vise pas là ceux de nos concitoyens qui manquent du nécessaire et qui ont besoin de dépenser pour l'agro-alimentaire, pour l'habillement, pour le logement, etc., mais je pense à tous ceux qui, aujourd'hui, préfèrent s'acheter un magnétoscope ou une deuxième voiture plutôt que de financer des services, notamment de proximité.

Ensuite, la pratique même de l'administration, du fonctionnement de l'État dans notre pays, va à l'encontre du développement de l'emploi et du développement des services; Paul Quilès a parlé du rôle nocif du ministère du Budget auquel nous n'avons pas mis un terme lorsque nous étions au pouvoir.

Enfin, beaucoup de ces emplois sont considérés aujourd'hui comme des « petits boulots ».

Sur ce sujet il faut que nous arrivions à sortir de cette Convention avec un discours clair. Je continue à penser qu'on est dans un pays où la technique prime : sur les chiffres des entreprises, et aussi dans notre façon de regarder les emplois et les métiers. On est un pays où, quand on n'a pas les mains dans le cambouis, derrière une machine, on considère qu'on n'a pas un bon métier. Pourtant quand on cherche quelqu'un pour garder ses enfants ou pour garder une personne âgée, on porte au contraire, une attention particulière à la qualité de cette personne. Donc, nous devons contribuer à valoriser ces emplois qui nécessitent de la responsabilité, de l'autonomie, et à en faire des vrais métiers que nous devons professionnaliser. La qualification y est possible : pour la garde des personnes âgées, entre les personnes qui portent les livraisons de courses à domicile et celles qui font les soins à domicile, il existe toute une gamme de qualifications ; de même pour la garde des enfants après l'école, entre la simple garde et le soutien scolaire pour les enfants en difficulté.

D'après les rapports des fédérations du Puy-de-Dôme, de Seine-Maritime, beaucoup d'éléments poussent à cette professionnalisation.

Il faut aussi, et la Fédération du Val-d'Oise et la section de Nanterre y ont largement insisté dans leur rapport, organiser l'offre de services en nous appuyant sur le milieu associatif ou mutualiste qui a déjà une large expérience et que nous devons aider.

Nous arrivons maintenant à l'obstacle essentiel, celui de la solvabilité et du financement. Qu'il s'agisse des services aux personnes, comme d'ailleurs des services autour des activités traditionnelles, il y a à l'évidence un problème de coût du travail. Il ne s'agit pas de remettre en cause le salaire net qui n'est pas en lui-même un obstacle à l'emploi ; et nous réprouvons le projet du gouvernement Balladur du Smic net au rabais réservé aux jeunes.

En revanche, nous avons un problème de financement des charges sociales dans ce pays, qui pèsent beaucoup trop sur les salaires et notamment sur les bas salaires.

Donc, nous ne pourrons pas repartir de cette Convention sans annoncer la mise en chantier, car nous n'avons pas encore les solutions, d'une véritable réforme fiscale composés deux volets : premier volet : comment asseoir le financement de la protection sociale, de l'indemnisation du chômage, des transports, du logement, et la réforme de la taxe professionnelle, autrement que sur les salaires ? Et deuxième axe, pour trouver des marges de manœuvre comment rééquilibrer une fiscalité qui est aujourd'hui d'abord favorable au capital et défavorable aux porteurs de salaires ?

L'amendement n° 11 présenté par la Fédération du Nord, est essentiel dans le débat que nous allons avoir à la sortie de cette Convention dans le domaine du développement des emplois de service.

Au-delà de cette réforme, beaucoup d'autres pistes peuvent être développées pour réduire le coût des emplois de services : certains ont parlé des exonérations de charges sociales partielles ou totales, pour ce type d'emploi, et notamment pour les emplois de proximité. D'autres ont parlé des aides financières qui pourraient être apportés aux élus, aux maires, par le budget de l'État et qui effectivement serviraient de levier à la création de ces emplois de services ; par exemple le rapport introductif proposait qu'un prélèvement de 1 % de la CSG puisse être réparti entre les élus. Il faut savoir qu'un point de CSG, c'est 1 000 F par habitant, et par an. C'est beaucoup pour relancer l'emploi.

D'autres enfin ont proposé de moduler la dotation globale de fonctionnement des communes, en fonction des créations d'emplois. René Souchon nous en a parlé longuement ce matin en commission de même que la fédération des Pyrénées Atlantiques.

Enfin, une autre idée me paraît tout à fait intéressante. Elle a été proposée par Paul Quilès, au niveau national, et par Jean Auroux, au niveau local et départemental c'est l'idée d'un emprunt pour l'emploi, soit au niveau national, soit au niveau de proximité et qui serait remboursé au fur et à mesure de la réduction du chômage. C'est un bon moyen de faire passer des dépenses passives vers les dépenses actives.

Enfin, il ne faut pas se couper d'autres logiques de financement sur ces emplois de services.

Je suis aujourd'hui bien placée dans le cadre de la Fondation que j'anime, pour voir, sur le terrain, et en travaillant avec des maires, comment on peut trouver d'autres sources de financement, dès lors qu'on sort de la logique habituelle.

Les Mutuelles payent l'hospitalisation des personnes âgées. Cela représente 1 300 F par jour à la collectivité ; elles sont donc intéressées au financement des emplois de services, pour que les personnes âgées puissent rester à domicile.

Les Comités d'entreprises, qui très souvent organisent des voyages Outre-Atlantique, ou dans l'Océan Indien pourraient, me semble-t-il, utiliser avec plus d'intérêt, ces sommes pour pouvoir financer des services de proximité, du soutien scolaire, pour les enfants !

Nous travaillons déjà avec certains syndicats et je n'ai pas encore totalement abandonné l'idée que tous s'intéresseront un jour à cette question.

Il faut donc repenser ces différents points. Nous pouvons les proposer.

En conclusion, je souhaite simplement redire que comme la réduction de la durée du travail, le développement des emplois de services, est vraiment au cœur de la société que nous devons construire.

Nous devons agir dans trois directions :

– combattre tout ce qui va à son encontre ;
– proposer un projet qui soit crédible en dehors des slogans, et avec des moyens appropriés ;
– faire et réaliser pour accroître notre crédibilité.

Tout d'abord, combattre tout ce qui va à l'encontre de projets, c'est d'abord combattre une société qui accepterait de laisser sur le bord de la route, un certain nombre des siens.

C'est le projet de la droite aujourd'hui qui se satisfait très bien du versement d'indemnités d'assistance, alors que nous, nous souhaitons que chacun reprenne sa place dans la société. Harlem l'a dit ce matin.

Nous sommes contre une société de la compassion.

Nous devons organiser une société de la responsabilité où chacun retrouve autonomie, et dignité.

Nous devons de même attaquer sans relâche toutes les fausses réponses. Le Smic-Jeunes ; l'allocation maternelle, qui viserait à ce que les femmes remplissent les mêmes services chez elles. (Je ne cite pas l'ensemble des secteurs : évidemment le secteur « femmes » mais aussi l'ensemble des Fédérations qui évidemment ont proposé que nous prenions parti au cours de cette Convention contre l'allocation Maternelle).

Nous devons aussi combattre toutes les formes de flexibilité avancées aujourd'hui par la droite, notamment dans la loi quinquennale pour améliorer l'emploi.

Avancer un projet clair et réaliste, c'est la seconde obligation.

En ce qui concerne les emplois de services, nous devons mettre en chantier une réforme fiscale qui pénalisera moins les salaires, et qui équilibrera les revenus et le capital.

Nous devons nous appuyer sur la mobilisation des associations et sur l'ensemble des militants du développement local, de la Mutualité, de la Coopération, qui nous ont souvent quittés, parce que nous les avons oubliés pendant 12 ans. Ils sont irremplaçables par leur expérience en matière d'emploi de services et par leur capacité d'adaptation aux besoins du terrain.

Être crédible, c'est annoncer les objectifs, et les moyens, mais c'est aussi réaliser : c'est notre troisième objection.

Aujourd'hui, et c'est d'ailleurs un de mes points d'accord avec la motion centrale du Congrès, un Parti ne doit pas seulement proposer un projet. Il doit montrer qu'il est possible: il doit expérimenter.

Tous les jours, des élus et des maires socialistes expérimentent, dans leur coin, des emplois de services, et de proximité.

Notre Parti doit les aider à avoir les moyens effectivement, avant 1995, d'expérimenter ces domaines, comme d'autres, afin d'accroître encore la crédibilité de nos projets, au moment des Présidentielles, mais aussi des Municipales.

En tout cas, moi je vois tous les jours, dans la Fondation, des Maires, sur le terrain, qui sont déjà en train de mettre en pratique ces différents moyens.

Les emplois de services, comme la réduction de la durée du travail doivent nous permettre de ramener à nous tous ces militants qui nous ont quittés et se sont éloignés.

Nous devons faire en sorte que ces valeurs de gauche que sont la responsabilité et la solidarité soient présentes au cœur de notre projet mais aussi au cœur de notre pratique, y compris dans notre Parti. Et ainsi nous gagnerons ! »


Intervention de Michel Rocard, Premier secrétaire du Parti Socialiste

L'emploi, c'est la priorité. Affirmer cette priorité, chers amis, chers camarades, c'est banal, mais c'est la respecter vraiment qui sera original. Or c'est mon intention. C'est votre intention. Ces deux jours l'ont démontré. Il reste à le prouver.

Il n'y a aujourd'hui pas un jeune Français qui se sente réellement assuré de son avenir professionnel et social, pas une famille qui se sente à l'abri, pas une entreprise qui ne vive dans la crainte d'un lendemain imprévisible et immaîtrisable.

Le partage du travail n'est que par trop pratiqué dans notre société ! Il est même d'une cruelle brutalité : les uns ont un travail et le voient parfois dévorer leur vie entière ; d'autres n'en ont pas du tout et l'inactivité peut détruire leur vie ; d'autres maintenant se voient rémunérés durablement en dessous du SMIC.

Les Français voudraient être sûrs que les responsables politiques partagent leur émotion. Comment leur dire que nous aussi nous avons des proches qui vivent cette angoisse ? Comment leur dire que pour être membres d'un grand Parti, nous n'ignorons pas pour autant les inquiétudes, les souffrances, les attentes ?

Je sais bien qu'autour de vous, en nous même, dans le Parti, il y a un certain scepticisme. Comment promettre encore ? Pourquoi n'avoir pas déjà fait ce que nous proposons ? Autant de questions qui reviennent.

Alors oui, face à tout cela, il ne suffira pas d'affirmer la priorité à l'emploi. Il faudra la pratiquer.

Nous avons certes commis des erreurs dans les années passées. Nous avons trop cru, j'ai trop cru, qu'en 1988 la baisse régulière du taux de chômage jusqu'à 1990, permise à la fois par une meilleure croissance et toute une série de mesures concrètes, montrait la voie.

Nous n'avons pas été alors assez audacieux. La récession a montré la fragilité des politiques suivies.

Aujourd'hui, pour être à la hauteur des défis, il faut commencer par inverser notre méthode de réflexion.

Parce que les difficultés sont graves et immédiates, on cherche généralement des réponses au jour le jour, qui non seulement n'apportent pas de vraies solutions, mais qui dessinent, sans qu'on l'ait voulu, un avenir que nul ne maîtrise.

Je crois, moi, qu'il faut au contraire définir la société vers laquelle nous voulons aller, dans les vingt ou trente ans qui viennent, et déduire de ce but les étapes intermédiaires qu'il nous faudra franchir, et les mesures immédiates qui vont les préparer.

Définir la société vers laquelle nous voulons aller, ce n'est pas inventer un modèle à partir de rien. C'est au contraire se fonder sur les réalités, toutes les réalités, mais aussi les inquiétudes et les attentes de Français. Puis c'est, ensuite, leur proposer un avenir, en même temps que les moyens de le jalonner et de le façonner ensemble.

Un certain nombre de facteurs font évoluer la société, la science, la technologie, les mentalités, l'économie… Or il existe un lien, que nous devons voir et rendre visible, entre évolution de la société et projet de société.

Commençons par l'évolution. Nous assistons à une double crise, celle du travail et celle de la protection sociale.

L'État-providence, cela a été la grande conquête du socialisme démocratique. Il est parvenu, non sans conflits, à imposer ce modèle dans tous les pays d'Europe. Aujourd'hui, ce modèle garde sa valeur, garde son actualité, garde notre attachement. Pour lui donner un avenir, nous devons répondre au double défi du chômage et du financement de la protection sociale.

La droite, elle, a un projet, et ce projet est clair : réduire le coût du travail et démanteler la protection sociale. C'est son ambition permanente. Avant-hier, elle a franchi encore une étape, en attaquant le principe du SMIC. C'est ce que la droite a fait depuis toujours, depuis deux siècles au moins, et c'est contre cette tendance constante à sous-payer le travail que se sont construits le socialisme lui-même et l'État-providence.

À cet égard, la droite d'aujourd'hui, c'est la droite de toujours.

Nous avons su évoluer. Pas eux. Ils restent attachés à l'idée que les gagnants gagnent toujours plus, à charge pour eux de verser des subsides sur le bord de la route, pour que les perdants puissent survivre et, surtout, se tenir à peu près tranquilles.

Ils restent attachés à invoquer les exigences de la concurrence internationale. Jadis, c'étaient les manufactures anglaises. Aujourd'hui ce sont les usines taïwanaises. Et la droite mise sur la compréhension qu'ont les Français de la mondialisation des échanges. Elle pense, grâce à cela, les amener peu à peu à se résigner à des abandons successifs, dont l'emploi et la protection sociale sont les premières victimes.

Ce projet est évidemment inacceptable. Il l'est dans son principe. Il l'est dans ses effets.

Inacceptable dans son principe car si la protection sociale à un coût, si ce coût est élevé, la solution consiste évidemment à le maîtriser et à le répartir équitablement. La solution ne consiste pas à supprimer la protection. La solution ne peut pas consister à saper ce qui est un fondement de notre société.

Ce projet est aussi inacceptable dans ses effets, car il nous engage dans une spirale sans fin. La réduction du coût du travail, au nom de la concurrence internationale, n'a qu'un aboutissement logique : que peu à peu toutes les nations, même les plus développées, tendent à s'aligner sur celles où le travail est le moins cher.

Nous le disons tout net : l'Europe ne prendra pas modèle sur la Malaisie.

Déjà, il est insupportable de voir que non seulement on licencie mais qu'en plus on le fait de plus en plus dans des conditions écœurantes. Une lettre lâchement posée sur un bureau ou un poste de travail, un départ exigé immédiat, des vies brisées tout d'un coup, sans préavis, sans ménagement, sans soutien, sans respect. Oui, elles sont écœurantes les conditions dans lesquelles toute dignité humaine se trouve foulée aux pieds.

Ce projet de société n'est pas le nôtre. Nous le combattrons sans relâche.

Or nous ne le ferons avec efficacité qu'en lui opposant un autre projet. Ce projet, je l'appelle « La Société Solidaire ». Non pas une société solidaire, non pas davantage de solidarité. Mais bien « La Société Solidaire », la société qui se définit par son caractère solidaire avec tout ce que cela implique.

Dans le monde et dans la France d'aujourd'hui, construire la société solidaire veut dire créer plus de solidarité dans le partage de la richesse produite, dans l'accès au travail et à l'emploi, dans les équilibres territoriaux, dans les rapports entre les nations, et dans les rapports entre les générations, la nôtre devant laisser aux suivantes une planète aussi intacte que possible.

Ici, aujourd'hui, je me bornerai à traiter du travail, dans la société solidaire.

Nous ne sommes qu'au début des évolutions qu'apporte la nouvelle révolution des techniques. Il faut avoir le courage de voir, et de dire, que ce qui s'est produit pour l'emploi agricole va se produire pour l'emploi industriel et tertiaire. Depuis que les machines ont appris à recevoir des informations, puis à les traiter, puis à les véhiculer, demain à les interpréter, les machines ne remplacent plus seulement les muscles des hommes, comme dans les révolutions industrielles précédentes. Elles remplacent de plus en plus leur intelligence elle-même, et cela ira en s'accélérant encore.

Ce sont donc toutes nos habitudes, et beaucoup de nos certitudes, que nous allons devoir reconsidérer.

Ce qui fait aujourd'hui du chômage un drame pour ceux qui le vivent, c'est que toute la société est organisée autour du travail. C'est que Je travail est l'instrument exclusif de socialisation. C'est que ne pas avoir de travail c'est perdre sa place dans la société.

Avec un travail, on sait qui on est. On sait où on est. Et on sait que les autres le savent. Sans travail, tout cela disparaît : le chômeur a l'impression de n'avoir plus de place dans la société, donc plus d'existence sociale, et la porte s'ouvre devant lui à toutes les exclusions, toutes les dérives, toutes les désespérances.

Or, compte tenu des évolutions qui s'annoncent, si nous étions assez aveugles pour continuer à l'identique, cette fracture irait en s'aggravant. Et ce sont des drames qui se multiplieraient, des drames qui ne sont pas des fatalités. Non, l'avenir n'est pas un nouveau synonyme du malheur. Il doit devenir le synonyme d'une nouvelle espérance, et c'est un des sens premiers du combat socialiste.

C'est possible car, dans le même temps où le travail diminue, la richesse collective s'accroît, et s'accroît aussi le besoin de tâches qui, aujourd'hui, ne sont pas assumées. C'est grâce à cela que nous pouvons avoir l'audace d'imaginer la Société Solidaire, dans laquelle chacun aura sa place et chacun vivra mieux.

Dans vingt ans, dans trente ans, si les Français le choisissent, si nous en avons la volonté, il n'y aura plus d'un côté ceux qui ont un travail et de l'autre ceux qui n'en ont pas. Il y aura, partout, des femmes et des hommes actifs, exerçant tous un emploi, mais un emploi répondant à une définition nouvelle.

Il existera au moins trois types d'emploi. Les emplois privés, bien sûr, les emplois publics, naturellement, mais aussi les emplois que j'appellerai sociaux. Attention ! Qu'on ne s'y trompe pas : ces emplois sociaux ne seront pas des petits boulots. Beaucoup d'entre eux exigeront une vraie qualification, voire une haute qualification. Mais ce qui les caractérisera, ce sera d'une part qu'ils relèveront de services rendus à la collectivité, d'autre part qu'ils seront financés par des sources variées et non par une source unique.

Tous ces emplois, privés, publics et sociaux, auront des rythmes différents de ceux d'aujourd'hui. C'est tout au long de la semaine, ou tout au long du mois, de l'année, ou même tout au long de la vie, que chacun fera alterner ses activités. Tantôt insérés dans le système productif, ou administratif, tantôt insérés dans un dispositif de formation, de qualification, tantôt occupés à des travaux sociaux, ou simplement à des loisirs, les Français auront des modes de vie variés, non seulement d'un individu à l'autre, mais même pour chaque individu. Pour beaucoup, il s'agira d'une double activité. Et surtout, ceci étant la règle pour tous, nul ne sera exclu, nul ne pourra se sentir exclu.

Il ne s'agit pas d'un rêve. Il s'agit d'une ambition.

« Nul bon vent à qui n'a point de port destiné » écrivait Montaigne. Eh bien, le port destiné, pour moi, c'est celui-là, celui de la Société Solidaire dans laquelle, je le répète, chacun aura sa place et chacun vivra mieux.

Pour nous engager dans cette voie, des pistes se dessinent clairement, et nous avons commencé à les creuser. J'ai la conviction qu'elles permettront de créer plusieurs centaines de milliers d'emploi. Mais il est plus important de faire partager cette conviction que de prétendre chiffrer le résultat car il dépendra de l'intensité et de la constance de nos efforts. Ces pistes, j'en citerai trois.

D'abord, retrouver le chemin d'une croissance équilibrée. La croissance, parce qu'elle est porteuse d'emplois. L'équilibre parce que toutes les formes de croissance ne se valent pas. L'objectif n'est pas que chacun puisse avoir deux voitures, trois magnétoscopes, quatre chaînes hi-fi, etc. L'objectif n'est pas de produire et consommer n'importe quoi dans la plus grande quantité possible, au risque de développer encore la civilisation de l'avoir au détriment de celle de l'être, au risque de préférer le consommateur au citoyen, et la pollution à son remède.

Croissance équilibrée, donc, dont l'Europe a les moyens. Lorsque j'ai lancé l'idée d'un New Deal européen, je savais bien qu'elle se heurterait aux réticences de nos partenaires actuellement gouvernés par la droite. Mais cette situation n'est pas fatale et elle ne sera pas durable. C'est bien une autre Europe, avec d'autres priorités, que celle qui verra les gouvernements espagnol, danois et grec, déjà à gauche, recevoir, comme on est en droit de l'espérer, le renfort d'un gouvernement de gauche en Italie, peut-être le mois prochain, d'un gouvernement de gauche en Allemagne, peut-être dès octobre, et peut-être dès l'année prochaine d'un gouvernement de gauche en France, puis en Grande Bretagne.

Alors, oui, à court terme, l'Europe dominée par la gauche relayera nos efforts, au lieu de les ralentir ou de les contrarier. Et cette Europe dominée par la gauche partagera l'espoir de La Société Solidaire, comme en attestent les réflexions de tous nos amis du Parti des socialistes européens.

Si j'emploie le terme de New-Deal, ce n'est pas pour une image. Je crois que nous ne pourrons sortir de la crise actuelle que par le même effort de volonté de nos devanciers démocrates des années trente. Il s'agit de financer des grandes infrastructures ferroviaires, des grands travaux pour les banlieues, des technologies nouvelles, des réalisations pour l'environnement. Je crois que par là nous pourrons créer des emplois de toute nature, de modestes qualifications comme de haute valeur ajoutée.

N'oublions jamais que pour redistribuer des richesses, il faut en créer. Et, c'est parce que j'ai une haute ambition· pour mon pays et que je le crois capable de grandes choses dans l'industrie, dans l'agriculture, dans la technologie, dans la création scientifique et culturelle, que je prône cette politique d'investissements. L'Europe demain peut et doit être une aide.

Aujourd'hui, la deuxième voie qui s'offre à nous, est évidemment celle de la réorganisation du travail. Nous en avons débattu. C'est par elle que passe l'espérance de la réduction massive du temps de travail pour créer des emplois. L'objectif que nous devons poursuivre est bien celui de la semaine de quatre jours.

Cette réorganisation du travail telle que je la conçois est beaucoup plus qu'un simple remède technique que l'on administre au chômage. Considérons-la plutôt comme un moyen de réaliser un projet de société plus vaste.

Il nous faut imaginer une organisation de la société dans laquelle la joie de vivre, l'épanouissement de chacune et de chacun, la reconnaissance sociale de la qualité de nos destins personnels passent autant par l'activité sportive, la pratique artistique et culturelle, la découverte, la participation associative et l'exercice de responsabilités civiques que par le seul travail productif rémunéré. Il n'est à cela que deux conditions, mais majeures : l'une est que la richesse collective, aujourd'hui produite de plus en plus automatiquement, soit distribuée dans des conditions qui le permettent. Et l'autre, qu'un tel projet de société soit effectivement souhaité, demandé, progressivement mis en œuvre par les hommes et les femmes d'aujourd'hui.

Pour l'atteindre, il faudra à la fois des efforts et des étapes. 37 heures d'abord, 35 heures le plus tôt possible, puis 32 heures avec la semaine de quatre jours. C'est vers cela que nous devons aller. Et il s'agit bien maintenant de diminuer de manière importante le temps de travail pour créer réellement des emplois. Travailler moins pour travailler tous et vivre mieux, la formule est juste. Mais il faut avoir le courage d'en tirer les conséquences.

Nous ne ferons croire à personne, pour l'excellente raison que c'est faux, qu'on pourrait tout ensemble diminuer le temps de travail, créer des emplois, et accroître tous les salaires.

Cette question est difficile. Il faut donc l'aborder de front. On peut diminuer le temps de travail et créer des emplois. Il suffit d'y affecter les gains de productivité. Mais si les gains de productivité sont affectés à cela, alors ils ne peuvent pas l'être à l'accroissement régulier de tous les salaires.

Certains ne pourront évidemment pas contribuer, même en partie, à l'amélioration de leur propre qualité de vie. Ce sont les bas salaires. Il faudra donc que cela soit pris en charge en partie par les gains de productivité, en partie par l'État. Et je suis convaincu qu'il est légitime, et possible, pour le financer, de mettre davantage à contribution les revenus du capital. Pour les autres salariés, ce sera le fruit des négociations que l'Etat devra encourager et faciliter, sinon imposer.

Je suis favorable, moi, à ce que tout cela soit dit clairement. Les Français ne nous croiront que si nous leur parlons vrai. Et ils sont prêts à entendre ce langage de vérité, car ils sont prêts à échanger des efforts en termes d'évolution des salaires, qui pourront être limités et passagers, contre la perspective qui, à ce prix, s'offre à eux en échange : celle qui solidifie les emplois existants et permet d'en créer de nouveaux.

La troisième piste consiste à prendre en charge tous les besoins qui existent et pourtant, aujourd'hui, ne sont pas satisfaits.

Une commission a disséqué le sujet, et Martine Aubry a rendu compte de ses travaux de manière convaincante.

Nous savons que l'accroissement de la durée de vie, qui est en soi heureuse, créera aussi bien des difficultés pour les personnes très âgées et des charges insupportables pour la sécurité sociale, si la société n'est pas en mesure d'apporter au quatrième âge l'entourage dont il a besoin.

Nous savons que la prise en charge améliorée de la petite enfance sera le moyen le plus efficace de combattre les offensives périodiques de ceux qui songent que le rôle des femmes est de retourner s'enfermer à la maison.

Nous savons que la sécurité, la convivialité gagneront pour tous à ce que se développent toutes sortes de services de proximité qui manquent aujourd'hui.

Nous savons enfin qu'il ne suffit pas de ne plus dégrader notre environnement, ce qui déjà ne serait pas mal, mais qu'il faut aussi le réhabiliter.

À tous ces titres, sur tous ces sujets et sur d'autres, ce sont des dizaines de milliers d'emplois nouveaux qui ne demandent qu'à être créés.

Leur coût sera supportable. Plusieurs sources de financement sont mobilisables, venant évidemment des consommateurs eux-mêmes, des collectivités locales avec l'aide de l'État, des régimes sociaux qui y trouveront leur intérêt. Il nous restera à préciser comment la création du « chèque service » ou même du chèque travail pourront faciliter l'émergence de ces emplois.

Et j'ajoute que l'on découvrira bien vite qu'une grande partie de ces emplois dits de service, ou de proximité, demandent une réelle qualification. Il faudra les préparer, il faudra les former, il faudra les qualifier, ceux qui exerceront tous ces métiers sociaux.

Ce qui manque, donc, ce ne sont pas les métiers utiles, c'est l'audace d'en stimuler l'émergence et, parfois, de contribuer à en financer les débuts.

Je crois que nous devons, pour réussir, donner un rôle nouveau à l'État. Ses services doivent être tournés vers une priorité, l'emploi. Jean Le Garrec a donné dans son rapport des propositions qui doivent être prises en considération. Mais, il faut penser plus large : un service public coordonné localement doit travailler avec des entreprises intermédiaires aidées par ce que notre texte appelle la Dotation Globale de création des emplois. Il y a là une bonne dose de volontarisme, dira-t-on ? C'est vrai. Mais l'effort ne sera pas plus difficile que celui qu'a déjà fourni l'administration française dans les années de la reconstruction, après la guerre.

Des pistes existent donc, et elles sont prometteuses. Elles nous permettent de renouer avec un authentique projet socialiste. Un projet qui pense la redistribution des revenus et du travail. Un projet qui dissocie sécurité matérielle et emploi salarié classique. Un projet qui change nos conceptions économiques et culturelles du temps libre.

Mais il y a aussi tout ce qu'il est possible de faire dès maintenant, et qui va dans ce sens.

D'abord encourager la croissance en France. Elle sera naturellement moins forte que si l'encouragement est européen. Mais elle sera, et tout est bon à prendre. Ce gouvernement en tient toujours pour la diminution des charges des entreprises, sans mesurer que ce qui nourrit le chômage, ce n'est pas l'excès de travailleurs, c'est l'insuffisance de clients. Ce Gouvernement, quoi qu'il dise, fait du déficit public. Mais, il commet une erreur grossière quand il affecte une part importante de ces dépenses au remboursement anticipé de la TVA qui ne créé aucun emploi, au lieu de lui préférer les logements sociaux et les transports qui répondent à un besoin urgent et sont créateurs d'emplois plus nombreux.

Pour recommencer à consommer, les Français ont besoin de confiance et de moyens. La confiance, seule une perspective claire peut la leur redonner. Les moyens, ce n'est pas l'accroissement continu des cotisations sociales et de la fiscalité locale qui peut les leur laisser. C'est donc sur ces leviers qu'il est possible d'agir sans tarder. C'est sur ces leviers, en tous cas, que nous nous proposons d'agir.

C'est dès maintenant aussi qu'il faut mettre en chantier une refonte de la fiscalité. Celle-ci a été conçue à l'époque du plein emploi. Et nul ne fera l'économie de cette remise à plat. On ne peut pas à la fois constater que le travail diminue et continuer à en faire le seul support de l'impôt. À temps nouveaux, fiscalité nouvelle. Il s'agit d'un travail de fond pour que le financement de la protection sociale pèse de moins en moins par le seul travail. Mais ce travail de fond, prenons-en tous conscience, conditionne nos propositions. Réguler des dépenses sociales, modifier l'assiette du financement, reprofiler les cotisations, ce sont trois réformes nécessaires.

C'est dès maintenant encore qu'il faut reconsidérer le RMI. Ensemble nous l'avons conçu, et je suis fier d'être le Premier ministre qui a eu l'honneur de le créer. Mais il a montré ses limites. Il apporte un revenu. Il n'apporte pas toujours une dignité. La prise en charge sociale de l'insertion doit être revue. Je crois le temps venu de faire en sorte que les titulaires du RMI  accomplissent des tâches d'intérêt social. Celles-ci peuvent n'être que de quelques heures par semaine. Mais elles doivent ramener les RMIstes à travailler, et qui plus est, leur faire faire quelque chose d'utile à la collectivité ce n'est pas leur imposer une obligation indue, c'est leur offrir une chance réelle de garder, ou de retrouver le contact avec la source, le contact avec les autres, et avec la vie, la vraie vie.

Or les activités utiles ne manquent pas, on l'a vu. Et je crois qu'un jour viendra où ce RMI réorienté laissera la place à un véritable salaire, pour un véritable emploi, salaire social pour un emploi social.

Enfin, et toujours dans ce qu'il est possible de faire dès maintenant, je reste convaincu que nous devons nous créer l'obligation d'offrir à chaque jeune, sans exception, un emploi ou une activité dès la sortie du système scolaire. Je le répète : qu'on ne me dise pas que c'est impossible. Qu'on cherche plutôt les moyens de le rendre possible. Ils existent. Certains sont déjà en œuvre. Il n'est que de les développer et de les diversifier.

Aujourd'hui, les jeunes entrent totalement dans la vie active, ou ils n'y entrent pas du tout. C'est tout l'un ou tout l'autre, et trop souvent tout l'autre. Alors nous devons mettre au point des formules d'entrée progressive dans la vie active, comme il existe déjà des formules de sorties progressives de la vie active. Il y a des préretraites ou des retraites progressives à la sortie. Il faut des équivalents à l'entrée, par l'apprentissage, par la formation en alternance, par tout ce que nous imaginerons de nouveau. La formation permanente doit être un droit effectif. Que nous puissions offrir un emploi ou une activité à tous les jeunes, à chaque jeune sans exception, c'est la proposition que j'ai faite aux Assises. C'est l'obligation de résultat que nous devons nous créer.

Voilà, mes chers amis, ce que je retiens de nos travaux. Voilà en quoi, sans nous borner à affirmer la priorité à l'emploi, nous entendons bien la mettre en œuvre. C'est d'une mobilisation générale qu'il s'agit. Mobilisation des socialistes, cela va de soi, mais mobilisation des Français, de tous les Français, de leurs idées, de leur énergie, de leur imagination.

Nous leur proposons un but : La Société Solidaire.

Nous leur proposons un cap : la croissance équilibrée et la réorganisation du travail.

Nous leur proposons un parcours : travailler moins pour travailler tous et vivre mieux.

Nous leur proposons une première étape que chaque jeune ait, à la sortie du système scolaire, un emploi, qu'il soit privé, public, ou social, qu'il soit à temps partiel ou à temps complet.

Voilà les termes d'un premier contrat pour La Société Solidaire que nous pouvons proposer aux Français.

Il n'est de batailles perdues d'avance que celles qu'on ne livre pas. Nous voilà en mesure de nourrir le débat public. Faisons-le ! Confrontons les idées, écoutons, dialoguons, et nous améliorerons encore nos textes et nos programmes.

Mais dès ce jour nous pouvons recommencer à avancer, à avancer sur des bases solides, à avancer conscients de nos responsabilités, pour préparer, avec les Français, les mutations qui sont devant nous, et que, tous ensemble, nous saurons rendre fécondes.