Déclaration de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères, sur les objectifs et les moyens de la politique culturelle, scientifique et technique de la France à l'étranger, Paris le 28 juillet 1994.

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Circonstance : Réunion des conseillers culturels, scientifiques et techniques à Paris le 28 juillet 1994

Texte intégral

Mesdames et messieurs les conseillers culturels, 
Mesdames et messieurs les conseillers scientifiques, 
Mesdames et messieurs les conseillers régionaux, 

Pardonnez-moi d'abord de vous avoir fait attendre un petit quart d'heure mais, tout ce que l'on m'a montré sous la conduite du directeur général étaient tellement passionnant que j'ai un peu tardé entre les stands. Lorsque je me suis adressé le 18 février dernier à tous les agents et aux principaux partenaires de la direction générale, j'avais souligné qu'il s'agissait là sans doute d'une première dans l'histoire du ministère. Notre réunion aujourd'hui est une autre première : la première rencontre des principaux responsables du réseau culturel et scientifique de la France répandus à travers le monde. 

Ensemble, vous incarnez une dimension essentielle de la politique étrangère de notre pays et, d'une certaine manière, la marque de sa singularité. Je dis singularité car peu nombreux sont les États qui conduisent une véritable diplomatie culturelle et qui se sont dotés des moyens de la faire. Parmi ces États, je citerai bien sûr les États-Unis, la Grande-Bretagne, l'Allemagne et la France. Notre pays se situe sans doute au premier rang, tant par l'ancienneté que par la densité et la qualité de son réseau. Je suis venu vous dire ici aujourd'hui que j'attache une très grande importance, non seulement au maintien, mais aussi à la modernisation et au développement de ce réseau, qui est l'instrument par excellence du rayonnement de notre langue, de notre culture, de notre science – je viens de m'en rendre compte – et des valeurs qui les sous-tendent. 

La France est une puissance mondiale et veut le rester. Quatrième sur le plan économique, deuxième dans certains secteurs, comme l'exportation de services ou de produits agro-alimentaires, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, membre du groupe des 7 pays les plus industrialisés, elle veut conduire une politique étrangère active, indépendante, originale. Elle présidera, à partir du 1er janvier prochain, vous le savez, le Conseil des ministres de l'Union européenne dont elle constitue avec l'Allemagne le moteur. Elle est au cœur de la communauté francophone – on l'a vu à Maurice récemment, on le reverra bientôt à nouveau. L'une des marques les plus fortes de cette singularité française, dont je viens de rappeler quelques éléments, réside sans sa diplomatie culturelle – je l'indiquais en commençant – diplomatie culturelle qui doit être, et dont je veux faire une partie intégrante de notre politique étrangère. 

La France est, sans doute le seul pays au monde à avoir regroupé, sous l'autorité du ministère des Affaires étrangères et dans le cadre de la direction générale qu'anime Jean-David Levitte, tous les instruments d'une politique cohérente : les lycées et les écoles avec l'agence pour l'enseignement français à l'étranger ; les centres, les instituts, les alliances françaises ; les échanges artistiques, avec l'Association française d'action artistique; la diffusion du livre avec l'association pour la diffusion de la pensée française ; les échanges scientifiques et la coopération technique ; l'aide au développement en dehors du champ, comme l'on dit ; l'audiovisuel extérieur enfin. Encore faut-il assurer la cohérence entre ces différents instruments et veiller à chaque instant à l'efficacité de notre action. Tel a été l'objectif que j'ai assigné à la réforme de la direction générale que conduit M. Levitte. Tel a été également l'objectif des cent mesures qui m'ont été soumises au début de cette année, et que j'ai approuvées, qui sont toutes je crois désormais engagées. 

La première partie de cette rencontre, au cours de la matinée, a été consacrée, m'a dit votre directeur général, à l'examen de ces mesures. Je n'y reviens donc pas, sinon pour souligner toute l'importance que j'attache au rapprochement des réseaux qui doivent désormais constituer un seul et même réseau. Je sais bien qu'il est toujours difficile de faire travailler ensemble des hommes et des femmes qui ont pris parfois l'habitude de suivre chacun leur propre voie, mais la synergie est la condition du succès en ce domaine. 

Les agents qui animent ce réseau devront pouvoir passer d'une filière à l'autre. Leur formation et leur carrière à l'étranger, mais aussi en France, seront organisés afin d'en faire, plus encore qu'aujourd'hui, de véritables professionnels d'un métier que je sais difficile et exigeant, mais qui récompense en général des exigences qu'il impose. 

Cet aspect de la réforme est pour moi essentiel. Je souhaite aujourd'hui vous entretenir d'un deuxième aspect de cette réforme, puisque vous avez déjà abordé les problèmes de structures et d'organisation. Je veux parler des objectifs à moyen terme que nous pouvons fixer à notre action culturelle. Les instruments et les hommes ne valent que par la qualité des programmes, la pertinence et la clairvoyance des choix. En ces temps de rigueur budgétaire – et les choses ne vont pas s'améliorer je vous dis tout de suite – nous n'avons pas le droit à l'erreur. Nous devons en permanence nous poser cette question : comment faire mieux avec des moyens inchangés et, parfois hélas, avec des moyens en réduction ? C'est dans cette perspective que nous avons interrogé les différents postes pour élaborer cette stratégie à moyen terme, et je voudrai vous remercier de la qualité des propositions qui nous ont été transmises sous l'autorité de vos ambassadeurs. La plupart de ces propositions témoignent de votre capacité à sortir d'une logique trop étroitement fonctionnelle ou répétitive et à adopter cette logique d'objectifs à laquelle tiennent votre directeur général et moi-même. Vous avez su répondre, chacun dans votre pays, à ces questions simples qui doivent rester au cœur de notre démarche : où est l'intérêt de la France ? Quels doivent être, dès lors que cet intérêt est identifié, les objectifs de notre action et, partant, les moyens mobilisés pour les atteindre ? Vos propositions sont désormais approuvées avec, pour certains postes, un certain nombre de remarques ou d'inflexions qui leur ont déjà été transmises. Il vous reste à les mettre en œuvre, année après année, en vous interrogeant à l'occasion de chaque programmation annuelle sur les adaptations souhaitables. À partir de vos contributions, des orientations par région ont été définies. Vous en avez eu connaissance et vous en parlerez demain au cours des ateliers qui seront précisément consacrés à la programmation régionale. À vous de voir comment valoriser au mieux la dimension régionale, chaque fois que cela apparaît possible. Mon propos pour l'instant sera d'essayer de tracer devant vous, en prenant appui sur vos propositions et vos observations, les orientations générales que nous avons retenues. 

L'exercice n'est évidemment pas simple, car la même approche ne peut être adoptée à l'égard du Maroc et du Japon, de la Pologne et de la Bolivie. Je viens d'insister tout à l'heure sur la nécessaire dimension régionale de notre action. Pourtant chacun ressent bien le besoin d'une vision d'ensemble, une véritable politique constituant pour tous une référence claire et lisible ; si l'on reprend les questions essentielles que j'évoquais à l'instant (où est l'intérêt de la France ? Quels doivent être nos objectifs à moyen terme et les moyens à mobiliser pour les atteindre ?) les réponses, m'a-t-il semblé, peuvent s'articuler autour de quatre thèmes principaux qui devraient former un tout cohérent et indissociable. Je les énumère d'emblée : 

– premier objectif, promouvoir la langue française ; 
– deuxième objectif, développer, parfois organiser la coopération universitaire ; 
– troisième objectif, améliorer l'offre de coopération dans les domaines d'excellence de la France ; 
– enfin, quatrième objectif, renforcer notre présence audiovisuelle. 

C'est autour de ces quatre grands axes que j'aimerai maintenant développer mon propos. 

En premier lieu, la promotion de la langue française. C'est à l'évidence une priorité et je n'ai pas besoin de vous expliquer, à vous, pourquoi. Certes, la francophonie s'est organisée au fil du temps et, d'une certaine manière, jamais notre langue n'a été autant parlée. Mais en même temps – et vous le constatez chaque jour, comme je le constate moi-même dans mes déplacements et dans les rencontres internationales – jamais elle n'a été autant menacée par ce qui apparaît comme l'irrésistible ascension de l'anglais, ou plutôt de cet anglo-américain appauvri qui tend à devenir la langue de communication internationale. Ne nous trompons pas d'objectif : il ne s'agit pas de livrer bataille contre l'Anglais, ce qui serait stupide et déjà, d'une certaine manière, un aveu d'échec. Il s'agit de se battre pour le maintien du pluralisme linguistique et culturel, qui nous paraît nécessaire non seulement pour nous-mêmes mais pour beaucoup de nos partenaires. La bataille de l'exception culturelle, que nous avons menée dans le cadre de la négociation de l'Uruguay, s'est inscrite dans cette logique, celle du refus de l'uniformisation. Le combat pour notre langue revêt cependant une dimension supplémentaire : le statut international du français représente un élément constitutif de notre statut de puissance mondiale et nous avons donc aussi un intérêt politique et plus égoïste, si je puis dire. Pour la promotion de notre langue, le facteur temps est essentiel. Dans certaines régions, l'Europe centrale, la péninsule indochinoise, une fenêtre d'opportunités, comme on dit, s'est ouverte il y a quelques années, aux alentours de 1989. Si nous ne sommes pas en mesure de répondre rapidement et fortement aux demandes qui s'expriment dans ces deux zones, et dont j'ai moi-même fait l'expérience au cours de mes déplacements, demain notre langue risque de ne plus avoir sa place. Ailleurs, en Amérique latine ou sur le pourtour Méditerranée, c'est une francophonie ancienne qui hélas s'étiole et qui disparaîtra si nous ne sommes pas en mesure de répondre, là encore, aux appels qui sont pressants. Ce sentiment d'urgence m'a conduit à demander, dans le budget de 1995, d'importantes mesures nouvelles pour la promotion de la langue française. Toute la procédure n'est pas encore achevée, les arbitrages ne sont pas définitivement rendus. Je pense néanmoins pouvoir raisonnablement espérer une amélioration non négligeable dans un contexte de très grande rigueur budgétaire des moyens qui seront mis à la disposition de la direction générale, pour la promotion de notre langue, le facteur temps est essentiel. Dans certaines régions, l'Europe centrale, la péninsule indochinoise, une fenêtre d'opportunités, comme on dit, s'est ouverte il y a quelques années, aux alentours de 1989. Si nous ne sommes pas en mesure de répondre rapidement et fortement aux demandes qui s'expriment dans ces deux zones, et dont j'ai moi-même fait l'expérience au cours de mes déplacements, demain notre langue risque de ne plus avoir sa place.

Ne nous y trompons pas toutefois, c'est dans l'Union européenne que se jouera l'avenir du français. Si demain, à la faveur des élargissements successifs, l'anglais s'imposait comme la seule langue de travail, comment pourrions-nous ailleurs défendre le statut international du français ? Je dois dire qu'il y a péril en la demeure. J'ai été très frappé lors d'une récente réunion informelle des ministres des Affaires étrangères, de voir que tant que nous sommes restés à 12 il y avait cinq ou six ministres qui s'exprimaient en français, dont le vôtre et quelques voisins, et puis quatre candidats à l'adhésion sont entrés dans la salle. Nous sommes passés de 12 à 16 et je suis resté le seul parce qu'une espèce de conformisme ou d'entraînement a fait que tout le monde s'est mis à parler anglais. Pour parler dans l'immédiat à cette menace, la direction générale a pris l'initiative d'un programme de formation accélérée des fonctionnaires des quatre pays qui devraient rejoindre l'Union le 1er janvier. C'est une action aux conditions limitées mais qui me paraît absolument indispensable. Dans les pays européens cependant le français ne sera sauvé que si nous parvenons à convaincre tous nos partenaires de se rallier à un objectif très simple, que nous avons déjà formulé depuis longtemps, qui implique pour être mis en œuvre ténacité et continuité tout jeune européen devrait apprendre deux langues étrangères, obligatoirement, jusqu'à la fin de ses études secondaires. Nous avons fort à faire pour en convaincre tous nos partenaires. Ailleurs, des démarches nouvelles doivent être mises en œuvre. Trois méritent d'être mentionnées, qui peuvent cumuler leurs effets.

Les filières bilingues dans les établissements locaux : elles existent, elles se développent et le bilan que nous en avons fait montre qu'elles constituent sans doute la réponse la mieux adaptée, la plus efficace, la moins coûteuse, aux demandes de partenaires partiellement francophone. 

Deuxième démarche : la coopération entre nos lycées et les systèmes éducatifs nationaux. Elle doit être aussi encouragée lorsque les circonstances s'y prêtent. 

Enfin l'audiovisuel, qui est à l'évidence un outil irremplaçable, souvent décisif, du maintien ou du développement de la langue française. Les exemples de la Tunisie, de Maurice, aujourd'hui de la Chine, en offrent des témoignages tout à fait éloquents. Je souhaiterai là encore encourager toutes les formules imaginatives. J'en cite une : l'autorisation d'émettre sur Sofia a conduit RFI à installer dans notre institut culturel une équipe technique, qui sera financée par la publicité locale et s'engagera, en concertation avec l'école de Lille, dans la formation de journalistes bulgares en langue française. Voilà une initiative exemplaire. Certaines de ces émissions seront d'ailleurs bientôt produites localement. 

À vous de trouver, dans votre pays, les meilleures formules pour rapprocher nos outils, les amener à se valoriser mutuellement, qu'il s'agisse de l'audiovisuel, du livre, ou des importants projets culturels pilotés par la France. 

Deuxième priorité, après la langue : la coopération universitaire. La France consent d'ores et déjà un effort considérable pour la scolarisation de près de 100 000 jeunes étrangers à travers le monde, jusqu'au niveau du baccalauréat dans les établissements de l'AEFE. Cet effort représente chaque année un coût de près d'un milliard et demi de francs. Or, ces jeunes, nous ne les gardons pas, lorsqu'ils ont atteint le niveau du bac. La plupart d'entre eux, comme ceux qui quittent les filières bilingues ou les écoles privées francophones locales, se dirigent soit vers les universités de leur pays ou, bien souvent, vers celles des États-Unis. Former une partie des élites du monde dans des filières francophones jusqu'au niveau post-universitaire, voilà un enjeu majeur qui est à la fois politique, économique et culturel. Les moyens qu'y consacre la direction générale sont d'ores et déjà loin d'être négligeables : 500 millions de francs en 1994. Mais faute d'une véritable politique, le saupoudrage de quelques 17 000 bourses et stages a abouti à dix propositions dont vous connaissez sans doute le détail et que j'approuve pleinement. Vous aurez à en discuter sur la base du document qui vous est proposé pour la suite de vos travaux. Je me contenterai de souligner ce qui, pour moi, est essentiel : il faut encourager nos 80 universités à développer des partenariats véritables avec les grandes universités du monde. Beaucoup s'y intéressent, mais on peut faire beaucoup plus. Vous avez un rôle de premier plan à jouer dans ce domaine pour faciliter l'émergence de ces partenariats. L'accord de reconnaissance réciproque des mastères qui vient d'être signé entre 15 universités françaises et 15 universités brésiliennes témoignent de ce qui peut être accompli dans ce domaine. Nos moyens financiers iront en priorité, à l'avenir, aux universités qui acceptent ce type de démarches. Quant aux modalités pratiques à mettre en œuvre, là encore, l'imagination, le pragmatisme doivent conjuguer leurs effets. De l'établissement intégré tel que celui de Galatasaray à Istanbul auxquels viennent de s'associer 7 universités françaises, jusqu'aux thèses en cotutelle, comme au Liban, en passant par des filières francophones, là encore à l'intérieur des universités nationales, par exemple celles qui ont été créées dans le domaine du droit et de la gestion à l'université du Caire, toutes les voies méritent d'être retenues, dès lors qu'elles permettent de multiplier le nombre des étudiants francophones qui garderont des attaches durables avec notre pays. Encore faut-il entretenir ces liens d'amitié en organisant le suivi des boursiers après leur retour dans leur pays. Si je souris en prononçant cette phrase, c'est que je l'imagine extraite du rapport que j'avais fait en 1974, il y a 20 ans, sur la direction générale des Relations culturelles, scientifiques et techniques. 

Je m'étais ému de voir que ce gigantesque vivier que constitue souvent les boursiers n'était pas exploité faute ensuite de liens entretenus avec eux lorsqu'ils sont rentrés dans leur pays. Je suis heureux que, 20 ans après, un logiciel ait été mis au point avec le CNOUS dans ce but. Je compte sur vous pour maintenir ce contact avec ces amis de la France que constituent les boursiers, qui ont eu la chance – parce qu'il la vive très souvent telle – de passer un an ou plus dans nos universités. 

Troisième axe : l'amélioration de l'offre de coopération dans les domaines d'excellence de la France. 

Conduire une partie des élites mondiales du baccalauréat jusqu'au niveau post- universitaire accentuera, du moins je l'espère, la demande de coopération qui s'exprime en direction de notre pays. Notre intérêt, comme celui de nos partenaires, doit nous conduire à concentrer, puisque nous ne pouvons pas tout faire, notre offre de coopération dans certains domaines où chacun s'accorde à reconnaître l'excellence de la France. Au premier rang, la formation des hommes ; nous avons une sorte de savoir-faire que personne ne nous conteste, notamment dans des secteurs comme la coopération administrative, entendue au sens le plus large du terme, la création d'état de droit, la formation de cadres juridiques et administratifs. Voilà des domaines très porteurs où, je le répète, notre savoir-faire est reconnu, et par l'intermédiaire duquel notre influence politique peut se développer. Sur proposition du ministre de la Fonction publique, le directeur général préside depuis le mois d'avril un groupe permanent qui rassemble les directeurs de toutes les administrations françaises concernées afin de mieux répondre aux demandes de nos partenaires et aux appels d'offres multilatéraux, là encore, domaine où des progrès sont nécessaires. Nous avons fait, hélas, l'expérience dans un passé récent de notre incapacité souvent à répondre à une demande qui s'exprime pourtant avec beaucoup d'insistance dans ce domaine. 

Dans le domaine de la santé, la même démarche a conduit une centaine de responsables et de praticiens à réfléchir ensemble au Quai d'Orsay, à l'amélioration de notre offre par grandes régions, un document de synthèse vous a été transmis à ce sujet et, là encore, j'en approuve tout à fait les orientations. D'autres excellences de la France appellent la même approche : l'urbanisme, l'environnement, l'agriculture – je dirai de façon plus générale la filière agro-alimentaire —, la gestion du patrimoine. Je pourrais en citer d'autres... 

Tous ces chantiers, ouverts depuis le printemps, amènent le ministère des Affaires étrangères à jouer pleinement son rôle naturel d'impulsion et de coordination. Il en va de même avec l'intégration réussi de la MICECO qui a été remplacé depuis l'automne par le Comité d'orientation et de projets que préside mon collègue, Alain Lamassoure et qui tient tous les deux mois une réunion technique sous la conduite du directeur général. Cette démarche serait rapidement coupée des réalités du terrain si elle ne s'accompagnait d'un dialogue permanent avec le réseau, c'est-à-dire avec vous. Prenant appui sur les orientations définies lors de ces deux journées, il vous appartiendra de les traduire en projets, d'identifier les meilleurs partenaires locaux, y compris en termes de cofinancement chaque fois que cela est possible. J'y reviendrai tout à l'heure. 

Quatrième priorité : le renforcement de notre présence audiovisuelle. 

Toutes vos propositions l'ont souligné, cette orientation est essentielle pour assurer aujourd'hui, demain plus encore, la promotion de notre langue, mais aussi, de façon plus générale, le rayonnement de notre pays. 

Les révolutions technologiques qui sont en cours, notamment la compression numérique, m'ont conduit à proposer au Premier ministre la définition d'un plan à cinq ans de développement de notre outil audiovisuel extérieur afin que la France puisse figurer au premier rang des quelques États, là encore ils sont peu nombreux, trois ou quatre, qui disposeront à l'avenir ou qui disposent déjà d'une capacité de diffusion mondiale. 

Anticipant le débat que vous aurez cet après-midi avec les présidents de nos principaux opérateurs audiovisuels, dont certains sont là dès ce matin, je rappellerai brièvement les grandes lignes du plan que le gouvernement a approuvé le 22 avril dernier et qui devra faire l'objet d'une nouvelle réunion interministérielle dès le mois de septembre. D'abord, dans le domaine de la télévision, nous avons essayé de définir une vision aussi claire que possible du rôle des deux principales chaînes qui ne sont pas concurrentes mais qui doivent de plus en plus devenir complémentaires. TV5, la chaîne multilatérale francophone, doit demeurer l'instrument privilégié de promotion de la langue française. Sa grille de programmes français sera progressivement enrichie. CFI, qui était à l'origine une banque de programmes français à destination des télévisions du monde entier, devra, sans abandonner cette fonction importante, devenir la chaîne de promotion de l'image de la France. Destinée aussi à des publics non francophones, elle devra avoir recours aux techniques du sous-titrage ou du doublage et créer, en coopération avec TV5, un journal d'informations et des magazines spécifiques. 

Deuxième orientation prise concernant l'audiovisuel extérieur : essayer d'adapter l'offre de programmes à la demande des différents publics région par région, qu'il s'agisse de la télévision ou, dans le domaine de la radio, de RFI. Il conviendra autour d'un tronc commun de bâtir des éléments de programmation adaptés au public d'Amérique latine, d'Asie, du Moyen-Orient ou d'Europe.

Troisième orientation : utiliser les possibilités offertes par la numérisation des signaux satellitaires pour constituer des bouquets de programmes radiophoniques et télévisuels, sur les principaux satellites régionaux. Des chaînes thématiques francophones publiques ou privées devront compléter l'offre des grandes chaînes généralistes, notamment dans le domaine de la musique, du sport ou de l'information. Je sens pointer la question : aurons-nous les moyens de faire tout cela ? Il est évident que cela coûtera cher ; nous avons chiffré ce programme à 500 millions de francs pour les quatre prochaines années ce qui est à la fois considérable et raisonnable, compte tenu des enjeux. Je pense que dès 1994 et 1995, dans le cadre des arbitrages budgétaires que j'évoquais tout à l'heure, nous pourrons franchir une première étape dans cette direction. Si le message de la France ne peut être reçu dans des conditions attrayantes à travers le monde entier, nos efforts pour promouvoir notre langue et tisser des liens durables avec une partie des élites mondiales seront voués à l'échec. 

Voilà donc les quatre grands objectifs que, sur proposition de votre directeur général, nous avons retenus pour l'action à moyen terme dans le domaine culturel, scientifique et technique : la promotion de la langue, la coopération inter-universitaire, les domaines d'excellence, l'audiovisuel extérieur. Pour progresser dans ces quatre directions, il conviendra de mettre en place de nouveaux outils, mais aussi de nouveaux partenariats. 

Nouveaux outils : l'utilisation des progrès technologiques ne doit pas se limiter au domaine de l'audiovisuel. Plusieurs groupes de travail de la direction générale ont progressé ces derniers mois sur des dossiers difficiles, tels que le recours nécessaire au réseau de télécommunications du type Internet. Je voudrais évoquer plus particulièrement deux chantiers en raison de leur importance : l'information scientifique et les centres de ressources sur la France. 

L'information scientifique tout d'abord. La France souffre dans de nombreux pays de ce point de vue d'un déficit d'images. Ses progrès scientifiques, ses réalisations technologiques sont souvent mal connues. On en reste, hélas trop souvent, à l'image classique que l'on connaît. En sens inverse, nos efforts de veille technologique doivent être accrus. La diffusion de l'information dans ce domaine revêt une importance considérable notamment pour nos entreprises. Cette responsabilité revient au premier chef au Département et à son réseau. La création de la sous-direction de l'Appui scientifique et technique au sein de la direction générale, celle de l'Agence pour la diffusion de l'information technologique, dont la direction générale finance la nouvelle revue « technologie France » témoignent de notre volonté d'assumer pleinement cette responsabilité. Je dois dire que le rapide tour des stands que je viens de faire m'a montré qu'il y avait d'ores et déjà une masse d'informations disponibles de grande qualité. 

Deuxième outil : les Centres de ressources. Voilà aussi, sinon une innovation, du moins un développement important. De quoi s'agit-il ? De prendre en compte la diversité des demandes d'informations sur notre pays et d'y répondre en utilisant toute la gamme des outils d'hier et d'aujourd'hui. Les bibliothèques de nos Instituts ou de nos Alliances doivent s'enrichir de véritables banques de données informatisées et être capables de répondre aussi bien au lecteur à la recherche du dernier Goncourt qu'au jeune étudiant soucieux de connaître l'offre universitaire française, voire au touriste en quête d'informations sur notre pays. Le guide pour un centre de ressources sur la France qui a été réalisé à votre intention vous aidera à définir, au cas par cas et en fonction des priorités de votre pays, votre projet en soulignant toute l'importance que j'attache à cette initiative qui va fortement contribuer à la modernisation progressive de notre réseau, j'ajoute une recommandation générale et de bon sens soyez pragmatiques, prenez comme point de départ de vos réflexions la demande de vos différents publics plutôt qu'un schéma tout préparé qui viendrait du haut, de la direction générale. 

Nouveaux outils mais aussi nouveaux partenariats. La contrainte budgétaire à laquelle j'ai fait référence de manière répétitive dans cet exposé doit nous conduire à rechercher systématiquement des cofinancements. Il n'y a d'ailleurs pas à cela une motivation exclusivement financière. La raison essentielle de cette ouverture vers de nouveaux partenariats est ailleurs ; le nombre des acteurs de la coopération internationale ne cesse d'augmenter, en France même et dans le domaine multilatéral, et nous avons tout intérêt à travailler avec eux. Il en résulte une évolution profonde du rôle de la direction générale et du réseau. Les agents doivent chaque jour davantage des architectes de projets capables de monter des ensembles de plus en plus complexes, réunissant des opérateurs locaux, des entreprises, des ONG, des financements nationaux, multinationaux, multilatéraux. Pour mieux répondre à cette évolution profonde, qui est je le répète à la fois une contrainte et un objectif, deux outils nouveaux ont été créés au sein de la direction générale, et j'en félicite M. Levitte. Tout d'abord, la sous- direction de la coopération décentralisée et non-gouvernementale, qui développe les procédures de coopération avec les ONG et avec les collectivités locales en mettant à leur disposition à travers les régions quelques 35 millions de francs. La direction générale a pu, en concertation avec les représentants de toutes les régions, identifier plus de 170 projets cofinancés avec les communes ou des Conseils généraux. Cette formule nouvelle permet au Quai d'Orsay d'organiser une partie de l'offre de coopération des collectivités locales. Nous y gagnons donc sur les deux plans. Autre innovation : une banque de données regroupant tous les projets en cours, l'Observatoire de la coopération française, qui a été créée au printemps. Elle sera dans quelques jours disponibles sur minitel et sur le réseau interlocuteur internet. 

Deuxième création après la sous-direction de la Coopération décentralisée et non- gouvernementale : la mission multilatérale. Sa création résulte d'un double constat : les budgets de coopération de la Banque mondiale ou de l'Union européenne, pour ne pas prendre que ces deux exemples, dépassent de très loin ceux de la France, en dehors de l'Afrique. Or, nous ne sommes pas bien outillés pour répondre aux appels d'offres de ces institutions et nous ne sommes pas non plus bien outillés pour mettre en valeur le fait que nous sommes co-acteurs si je puis dire, à part entière. 20 % de tout ce qui est dépensé par l'Union européenne vient de crédits français. En a-t-on suffisamment conscience ? Je n'en suis pas sûr. Il faut identifier le plus en avant possible les projets nouveaux. A cet effet, un agent de la direction générale va être affecté dans quelques semaines à Bruxelles auprès de notre représentation permanente. Il faut que vous soyez vous-mêmes au contact très suivi dans votre pays avec les représentants de la Commission, de la Banque mondiale ou du PNUD, pour être en mesure d'informer le Département des projets nouveaux, afin que nous puissions proposer notre savoir-faire en concertation avec les autorités locales. 

Voilà, Mesdames et Messieurs, les orientations prioritaires que je vous propose pour le moyen terme. Voilà les outils nouveaux que nous allons nous efforcer de développer pour rénover et adapter notre réseau. Voilà les nouveaux partenariats, en France et au plan multilatéral, qu'il nous faut encourager pour accompagner nos actions au total, une politique de présence et de rayonnement pour la France. 

Vous percevez chaque jour sur le terrain le capital de sympathie, la réputation de savoir-faire et d'indépendance intellectuelle dont bénéficie notre pays. Vous mesurez l'attente qui existe à son égard. A vous, à nous, de savoir y répondre. Il y faut une constante mobilisation des hommes et des femmes qui, à Paris, et dans l'ensemble de notre réseau porteront ce projet. Je sais pouvoir compter sur votre mobilisation, car j'ai pu constater lors de chacun de mes voyages la passion qui anime souvent ceux qui ont la chance d'exercer un beau métier : la promotion de la langue, de la culture, de la science françaises à travers le monde. 


Q. : Vous avez évoqué l'aspect essentiel que représentait la gestion des personnels et des carrières, vous avez parlé de ce métier que nous exerçons, nous avons entendu notre directeur général évoquer ce matin, dans le cadre des cent mesures, le point sur la réforme. Cet aspect est repris à savoir la gestion des carrières des personnels culturels ; vous savez que ceux-ci ont des horizons très divers, que nous sommes des patrons d'entreprises au personnel de formation pluraliste. Nous souhaiterions connaître votre approche sur la manière de gérer ces personnels très particuliers des Affaires étrangères ? 

R. : Il y a deux choses qui me plaisent dans votre question, deux mots, deux expressions ; il y a le mot métier et le mot personnel des Affaires étrangères. Le mot métier d'abord, parce que je crois que la fonction que vous exercez est un métier ; ce n'est pas simplement un passage dans une carrière où l'expression de telle ou telle curiosité personnelle. C'est un métier. Il faut donc l'organiser comme tel. Nous avons besoin, vous avez besoin, de conditions qui développent le professionnalisme dans l'exercice des fonctions qui sont les vôtres. Ce professionnalisme, nous devons l'avoir en tête au moment du recrutement, plus encore au moment de la formation des personnels qui assument ce type de responsabilités. Je pense tout particulièrement à la connaissance des langues lorsque l'on propose parfois – vous savez que ce n'est pas le privilège des conseillers culturels, cela peut aussi se poser pour les personnels diplomatiques – d'envoyer au hasard à Rome quelqu'un qui ne parle pas italien ; dans le domaine culturel cela pose problème. 

Personnels des affaires étrangères avez-vous dit. Il faut essayer à la fois de rapprocher les réseaux et comme on l'a dit tout à l'heure, en même temps, de faire en sorte que ce réseau unifié ne fonctionne pas tout à fait en dehors de l'ambassade et je dois dire que, trop souvent, – c'est un reproche que je n'adresse à personne ou que j'adresse à tout le monde –, au cours de mes déplacements, j'ai le sentiment que, pour l'ambassade, le service culturel est une planète étrangère et réciproquement. Ce n'est pas satisfaisant, parce que comme je l'ai dit, notre diplomatie culturelle est partie intégrante de notre diplomatie tout court et qu'il doit y avoir une synergie entre ce que vous faites et l'action que l'ambassadeur est chargé de coordonner sur le terrain. S'il on pousse à l'extrême ces deux considérations, le professionnalisme et le rapprochement à l'intérieur d'une administration qui doit constituer un tout, celle des Affaires étrangères, on peut, par esprit de système, – c'est souvent le défaut qui nous caractère à nous Français –, se dire qu'il faut changer complètement la façon dont les choses fonctionnent et créer un corps des conseillers culturels ou des conseillers scientifiques. Je me suis posé la question, en arrivant, j'ai écarté cette hypothèse. Je crois qu'il faut préserver le caractère diversifié du recrutement. C'est assez unique dans le fonctionnement de l'administration française, ce que l'on constate dans la direction générale et dans ses postes ; il y a des universitaires, des enseignements, des experts scientifiques, des artistes, des hommes de culture – des culturels comme on dit –, je crois qu'il faut préserver cette diversité et tout notre problème, le problème du directeur général, c'est de savoir comment assurer la compatibilité entre cette diversification du recrutement qui est une richesse et qui doit être maintenue et d'autre part, la nécessité d'un professionnalisme et d'une intégration, sans donner à ce mot un caractère juridique ou systématique, dans une action qui doit avoir sa cohérence. J'ajouterai que nous le faisons, c'est l'orientation générale qui a été dessinée, le directeur général pourra vous en dire plus. J'ajouterai deux autres considérations rapides, tout d'abord la nécessaire mobilité des agents ; c'est d'ailleurs une préoccupation générale qui ne s'applique pas aux seuls services culturels, on ne peut pas, si on veut véritablement avoir la liberté d'esprit et la faculté d'imagination nécessaires, s'enkyster quinze ans au même endroit et dans le même métier. Et d'autre part, corollaire de cette mobilité, le problème des conditions de retour en France. Il faut que nous soyons là très vigilants, j'ai demandé au directeur général de créer une cellule à cet effet qui est chargée d'aider les agents, non pas simplement à se récupérer lorsqu'ils rentrent en France, mais à préparer, avant qu'ils ne soient rentrés, ce retour et de les appuyer dans la recherche d'une affectation ou d'un métier. C'est vraiment une préoccupation tout à fait essentielle. 

Au-delà de ce qui peut vous apparaître critique dans mon propos, quand je parle d'une insuffisante synergie avec l'ambassade, ou parfois d'une trop grande pérennité dans les fonctions, je voudrais qu'il n'y ait pas d'ambiguïtés ; je vous dis les choses librement comme je les pense, on n'est pas là pour se passer réciproquement de la pommade, mais au total le Quai d'Orsay est fier de ses conseillers culturels de ces conseillers scientifiques, de ses conseillers régionaux. Tout le monde s'accorde à reconnaître, quel que soit ici ou là bien sûr dans une organisation aussi vaste, tel ou tel déficit d'organisation ou de fonctionnement, que nous avons un réseau d'une exceptionnelle qualité, non pas seulement parce qu'il est vaste, mais parce qu'il fonctionne bien et qu'on le doit en très grande partie à des hommes et des femmes dont j'ai pu juger moi-même dans mes déplacements à quel point ils sont habités par la passion de ce qu'ils font, avec parfois des moyens insuffisants mais avec beaucoup de conviction. Au total, quelles que soient les réformes de structure que nous ferons, c'est cela qui compte, c'est la conviction la passion et la motivation que vous mettez dans votre métier. 

Q. : (Sur les domaines jugés prioritaires et liés à la coopération européenne).

R. : C'est vrai que la Présidence qui va revenir maintenant une fois tous les huit ans est une étape importante dans l'action extérieure de la France. Nous la préparons, vous le savez, en étroite coopération avec la Présidence qui nous précède, c'est-à-dire l'Allemagne, celle qui nous suit l'Espagne, celle qui suivra encore, l'Italie. Nous avons fait là un groupe de travail à quatre pour, sinon faire une Présidence unique, du moins essayer de faire une sorte de Présidence continue sur deux ans. Nous nous sommes mis assez facilement d'accord sur les grandes priorités de ces Présidences successives. La première qui tombe sous le sens est bien sûr la croissance, l'emploi, la lutte contre le chômage et les initiatives que l'Union européenne peut prendre en ce sens. La deuxième – et la France y tient tout particulièrement – c'est la paix, la sécurité, la stabilité sur notre continent. Nous allons achever sous Présidence française, dans le courant du premier semestre de l'année prochaine, la Conférence sur la Stabilité qui s'est ouverte à la fin du mois de mai à Paris, et qui répond aux besoins que vous savez : régler les problèmes de voisinage entre des États qui ont l'ambition, et souvent la vocation, d'entrer dans l'Union européenne. 

Troisième objectif – et ça c'est peut-être une spécificité ou, là encore, une singularité de la Présidence française, nos partenaires semblent y attacher peut-être moins d'importance que nous – c'est précisément les questions d'éducation et de culture et nous souhaitons là aussi prendre des initiatives importantes. Alors, je n'entre pas dans le détail, je n'en citerai que deux. La première que j'ai déjà évoquée assez longuement dans mon propos introductif, la langue française. J'espère que notre passage à la Présidence nous permettra de faire avancer un certain nombre de dossiers que j'ai évoqués, notamment celui du bilinguisme ou, plus exactement, du trilinguisme, c'est-à-dire la langue maternelle plus les deux langues étrangères obligatoires. Il y a là tout un jeu d'influences, ça ne peut pas être un certain nombre de décisions contraignantes prises au niveau communautaire, mais c'est un ensemble de démarches vis-à-vis des pays membres à faire. Il y a également la défense du Français à l'intérieur des instances communautaires par les actions de formation de fonctionnaires qui ont été mises en place dans la perspective de l'adhésion, ou tout simplement par la vigilance quotidienne dans le fonctionnement des institutions communautaires. 

Le deuxième grand chapitre à côté de la langue, ce sera l'audiovisuel. Il faut que nous arrivions à convaincre nos partenaires – ça n'est pas acquis d'avance – c'est un domaine où là encore, nous sommes un peu en flèche parfois même isolés, qu'il faut une véritable politique européenne de l'audiovisuel. Pour l'instant, on a abordé le problème sous l'aspect peut-être un peu négatif et défensif qui était celui de l'exception culturelle à l'intérieur du cycle de l'Uruguay. Je crois qu'il faut aller plus loin. La directive « Télévision sans frontières » d'octobre 1989 est un acquis, mais il va falloir l'adapter aux évolutions technologiques qui se sont produites et qui continuent à se produire. Donc, il faudra remettre en chantier, ce sera un des objectifs de notre Présidence. De même, le soutien à l'industrie des programmes audiovisuels en Europe qui a donné lieu à un projet ou à un programme qui s'appelle Média, qui n'a pas très bien fonctionné, mérite d'être reprise et nous essaierons aussi, au cours de notre Présidence, de voir si on ne peut pas faire succéder à Média 1, un Média 2 qui serait plus opérationnel et plus efficace. Voilà quelques idées sans préjudice de ce qui concerne plus spécialement le secteur éducatif. 

Q. : Monsieur le ministre, vous avez évoqué à maintes reprises les contraintes budgétaires. Vous avez signalé combien celles-ci étaient utiles pour nous inciter à rechercher de nouveaux partenariats. Pour un même temps, le caractère franchement bilatéral de certains projets ambitieux, tels que celui que vous avez évoqué de Galatasaray, portait sur le moyen terme et implique une certaine sécurité budgétaire à la direction générale, pour la direction générale. Au risque d'être indiscret, pourriez-vous nous préciser comment vous envisagez l'avenir budgétaire de la direction générale, notamment en 1995 ?

R. : Avec la plus grande détermination ! Là aussi, peut-être ai-je tort pour – cela sera-t-il retenu contre moi ? – mais peu importe, je voudrais être assez franc. Nous n'avons pas les moyens de nos ambitions. C'est ma conviction profonde. Je regrette, je l'ai dit à qui de droit, que, parmi les ministères régaliens, depuis longtemps, y compris depuis 1993, l'action extérieure de la France n'ait pas été prioritaire à la différence de ce qui est fait pour la sécurité intérieure ou la justice. Évidemment, on voit moins le résultat immédiat, mais je pense que sur le long terme, c'est aussi important pour la place, le rayonnement et donc au total la prospérité et la stabilité de notre pays que d'autres actions plus fructueuses à court terme. Donc, je crois qu'il faudra, au fil des années, être très combatif pour essayer de bien faire passer ce message et que lorsque les temps meilleurs seront revenus sur le plan économique, l'action extérieure puisse être considérée comme une priorité, ce qu'elle n'a pas été suffisamment. 

Cela dit pour 1995, sans trahir aucun secret – vous êtes effectivement un petit peu indiscret puisque le projet de budget sera définitivement arrêté lorsqu'il passera au Conseil des ministres au mois de septembre – je crois pouvoir dire qu'après une rentrée difficile et en partant d'une situation qui était absolument inacceptable et catastrophique, on arrivera pour la direction générale à une amélioration de ses moyens en francs constants. Donc, dans un paysage général qui est un paysage de très grande rigueur, où beaucoup de budgets diminueront ou stagneront en francs courants, je crois qu'il y a là un effort qui nous permettra à la fois d'engager, comme je l'ai dit, une première étape du plan à 5 ans de développement de l'audiovisuel extérieur et, en même temps, de lancer non pas toutes les actions mais un certain nombre d'actions de promotion de la langue française que le directeur général m'avait proposées. Bref, il ne sera pas le plus malheureux des directeurs de la maison en 1995. 

Vous avez par ailleurs prononcé le mot de sécurité dans les financements ou dans la programmation. Ça, c'est une autre bataille que nous avons essayé de mener, qui n'est pas encore gagnée. Je vais essayer de convaincre l'autorité budgétaire de ce pays que ce n'est pas prendre un grand risque, ou un risque excessif que de doter le ministère des Affaires étrangères de ce dont dispose le ministère de la Coopération, c'est-à-dire d'un fond de coopération technique qui nous permettrait d'avoir une vision pluriannuelle de nos engagements. Je ne demande pas plus d'argent, je demande une réaffectation des crédits du titre 5, je crois que le fond ça doit passer au titre 6 – c'est toujours très compliqué, c'est pour cela qu'il faut tous les feux verts de la création –, mais il me semble que c'est une demande légitime, je ne vais pas renoncer à obtenir satisfaction sur ce point. Ça ne dégagera pas, je le répète, de moyens nets supplémentaires mais ça permettra de donner une visibilité à notre action plus grande que ce n'est le cas aujourd'hui. Voilà ce que je pouvais vous dire sur le budget. 

Q. : Monsieur le ministre, lors de vos nombreux déplacements à l'étranger, vous avez l'occasion de voir sur le terrain et concrètement les actions culturelles, scientifiques et de coopération extérieure de la France, les actions dont nous essayons d'être les artisans. Pourrait-on connaître vos impressions – je dirais presque vos impressions personnelles –, les bonnes et les mauvaises, sur ces actions ? 

R. : Les bonnes et les mauvaises ? Je croyais que vous m'invitiez à dire du bien de vous ! C'est déjà fait. C'est vrai que j'essaie dans mes déplacements – ça n'est pas toujours le cas compte tenu de leur brièveté – d'avoir un contact avec les conseillers culturels, les Centres culturels, les Instituts. Je l'ai fait à Moscou, à St-Pétersbourg, dans d'autres endroits encore tout récemment. Alors, pour être bref, l'impression est à peu près toujours très favorable. Nous avons des outils de qualité et nous avons des gens en général motivés qui se consacrent à cette tâche avec beaucoup de patience – c'est le mot que j'ai utilisé à plusieurs reprises. Et ce qui est plus intéressant, c'est de voir aussi la réaction des autorités du pays. Jamais, je n'ai entendu de critiques de la part des autorités que je rencontrais. Au contraire, c'est toujours un peu la même chanson. Il faut en faire plus. Il n'y a pas assez de Centres, il faut développer, il faut multiplier etc. Donc, cette action est bien reçue et c'est ça l'objectif bien entendu. Il ne faut pas seulement être content entre soi lorsqu'on se retrouve pour le pot avec la communauté française à l'Ambassade ; c'est de savoir comment ça passe auprès du pays concerné et, je vous le répète, jusqu'à présent, je n'ai jamais eu de contre-preuve. 

Alors, puisque vous m'invitez à parler des bonnes et des mauvaises choses, j'ai quand même une question parfois qui me trotte dans la tête et je la soumets au directeur général. Je lui aie déjà soumise et je lui re-soumets devant vous. Avons-nous toujours les bons instruments d'évaluation des actions que nous menons ? Ça, ce n'est pas tout à fait certain. C'est vrai que c'est très très bien, très positif de savoir que telle salle de cinéma dans tel centre culturel est régulièrement fréquentée par 200, 300, 400 personnes, qui viennent là garder le contact avec la culture française. Qu'est-ce que ça représente par rapport au potentiel ou à la demande potentielle existant dans la ville en question ? J'aimerais qu'on ait en permanence le souci de l'évaluation. Est-ce qu'on ne faisait pas parfois un petit peu plaisir en disant entre soi : « est-ce qu'on a suffisamment l'approche de la demande, du motif de l'existence du client ? » Je crois que ça aussi, c'est quelque chose qu'il faut intégrer davantage dans nos têtes. 

Q. : Monsieur le ministre, je voudrais parler de coopération scientifique plus particulièrement. Il est vrai que la direction en général ressent dans les postes une action pour des actions de coopération scientifique, de veille ou autre qui est bonne. Mais de Tokyo, comme d'autres postes où le volet technologique et scientifique est important, on a le sentiment que la coordination entre votre ministère et d'autres ministères comme celui de l'Industrie et de la Recherche est parfois difficile et nous en souffrons sur place pour essayer de prôner des actions plus fortes. Est-ce qu'il n'y a pas au niveau du Département, un effort à faire pour qu'il y ait une visibilité plus coordonnée, meilleure que les autres programmations scientifiques en France de la direction scientifique à l'égard de pays où nous servons. On sent trop souvent que c'est fragmenté et que le Département fait ce qu'il faut faire, mais que d'autres ministères traînent. 

R. : Je vais laisser le soin à M. Levitte de répondre plus précisément à cette question mais deux remarques de caractère général : c'est vrai que le drame de l'action extérieure, c'est que ça intéresse tout le monde. Il y a des portefeuilles ministériels qui n'intéressent que leurs titulaires. L'action extérieure intéresse tout le monde et donc on a un très gros problème de coordination. C'est vrai. Je voudrais vous signaler, c'étaient les deux remarques générales que je voulais faire, deux initiatives que nous avons prises et menées à bien dans le cadre de la réforme générale du Quai d'Orsay. D'abord, réaffirmer par circulaire du Premier ministre le rôle de coordination de l'ambassadeur dans le pays auprès duquel il est accrédité. La circulaire a été diffusée. Ça se passe bien dans les trois quarts des postes. Ça ne se passe pas bien dans les quatre quarts des postes. J'ai même découvert avec stupéfaction récemment – et je l'épinglerai à la noix d'honneur de la Conférence des Ambassadeurs, une circulaire émanant d'un directeur général d'une administration extérieure au Quai d'Orsay enjoignant à ses responsables locaux de ne pas répondre aux demandes de renseignements de l'Ambassade et de ne le faire que par le canal de son administration centrale, ce qui nous montre que les « Bastilles » ne sont pas encore toutes tombées. Donc, on a essayé de réaffirmer ce rôle de coordination et il faut que les ambassadeurs y soient très vigilants, y compris d'ailleurs auprès des services internes au Quai d'Orsay. 

Deuxièmement, nous avons demandé au Premier ministre de mettre en place un comité interministériel des moyens extérieurs de la France, ce qu'on appelle le CIMEE. Il a été installé il y a quelques mois. Il commence à travailler. On se rend compte que l'idée que le Quai d'Orsay, dont le secrétaire général est rapporteur général ou secrétaire général de ce dit comité, puisse continuer à mettre son œil pour essayer de voir s'il y a vraiment la meilleure synergie possible entre toutes les implantations des services extérieurs de la France dans un pays donné, c'est une révolution. Ça sème la panique. Il va falloir quand même essayer de continuer. Donc, vous voyez qu'il y a là un très, très gros effort à faire. Alors, pour en venir plus spécifiquement à votre question dans le domaine scientifique, moi, j'avais le sentiment, mais je souhaite que M. Levitte corrige éventuellement, ce sentiment qu'on avait fait quelques progrès qu'en particulier avec le ministère de l'Enseignement supérieur, avec les Universités, on avait mis en place maintenant un système permettant de mieux rapprocher les initiatives et les points de vue. Mais, c'est peut-être une vision idyllique. 

M. Levitte : Je ne crois pas monsieur le ministre. La réforme de la direction générale a été une formidable occasion pour proposer à tous les ministères techniques avec lesquels nous devons travailler de nous retrouver pour traiter thème par thème les sujets qui nous rapprochent. Et ces ministères sont représentés dans la salle en particulier avec Albert Prévost, le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Je dirais avec beaucoup de plaisir que sur l'information scientifique, nous avons bâti des projets très concrets que vous avez pu voir dans les stands, mais nous avons aussi le souci d'organiser la coopération universitaire et nous avons tenu plusieurs tables rondes avec les représentants des universités et le bilan provisoire que je dresserai est simple : chaque fois que nous proposons à nos partenaires des ministères techniques ou les autres intervenants extérieurs, une table ronde, ils accourent. Ils sont heureux de nous voir prendre l'initiative. Le Quai d'Orsay ne se trouve pas confronté à un refus. C'était peut-être une absence d'initiative et la réforme de la direction générale, celle du ministère des Affaires étrangères, a été l'occasion de prendre ces initiatives et nous progresserons chantier par chantier. 

Le ministre – Bien alors, bien que l'heure soit déjà dépassée, moi je souhaiterais une dernière question que je vais poser moi-même. Si vous aviez à formuler une critique, une seule parce qu'on n'a pas le temps d'en faire deux ni trois, à la façon dont les choses fonctionnent aujourd'hui, à vos relations soit avec les postes diplomatiques auxquels vous êtes rattaché, soit avec l'Administration centrale, quelle serait cette critique ? Est-ce qu'il y a quelqu'un d'assez courageux à 13 h 24 pour la formuler ? 

Q. : Merci monsieur le ministre de nous donner l'occasion de répondre à cette question. Pour aller très vite, la délégation des crédits, l'autonomie et la responsabilité des Postes, elle doit s'appuyer sur des moyens. On a posé la question en matière budgétaire, d'ores et déjà. Je pense que l'essentiel en la matière est de permettre aux postes d'avoir véritablement les moyens de leur autonomie. Le fait d'aller vers la structure inspirée du FAC qui permettra certainement, donc le message que j'aurai, c'est celui-là : donnez la responsabilité aux postes et là on aura des évaluations tout à fait positives. 

R. : Bien, mais je prends bonne note de cette réflexion que j'imagine largement partagée. Nous avons essayé, si vous permettez, de personnaliser. J'ai essayé, lorsqu'il y avait quelques résistances, de pousser un peu la réforme dans le sens d'une plus grande déconcentration. Je ne parle pas spécifiquement des services culturels, mais d'une façon générale, une globalisation des crédits et M. Lequertier pourra peut-être me dire combien d'Ambassades l'année prochaine bénéficieront de ce système de délégation globale. Il y a plusieurs dizaines je crois. 

M. Lequertier : Si vous en êtes d'accord, tout. 

Le ministre : Je pense que dans le cadre de la réforme de la direction générale, il faut également aller dans ce sens. Ce qui ne veut pas dire, je réponds à votre question qu'on va augmenter les moyens, parce que la question est ambiguë, je ne sais pas si on va gagner plus d'argent ou plus de compétence, mais en général c'est les deux. Donc plus d'argent, je ne suis pas sûr, plus d'autonomie – autonomie signifiant évaluation et contrôle – naturellement, dans ce sens-là, oui c'est une direction que nous sommes décidés à emprunter. Je vous remercie de votre participation.