Déclaration de M. Jean Puech, ministre de l'agriculture et de la pêche, le 7 juillet à Paris et interview dans "Le Figaro" du 2 août 1994, sur le projet d'organisation en pôles de spécialisation thématiques des établissements d'enseignement supérieur agricole, avec notamment une fédération des établissements de la région parisienne.

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Circonstance : Forum "une grande ambition pour l'enseignement supérieur et la recherche" au Sénat le 7 juillet 1994

Média : Le Figaro

Texte intégral

Discours de clôture de Jean Puech, ministre de l'Agriculture et de la Pêche, au Forum, « une grande ambition pour l'enseignement supérieur et la recherche » – Sénat – Jeudi 7 juillet 1994

Je tiens d'abord à remercier tous ceux qui ont participé à ce Forum que le Sénateur Pierre Laffitte et moi-même avions voulu organisé. Je ne peux que me féliciter de cette mobilisation des élus, des scientifiques, des professionnels, des responsables administratifs, des présidents et directeurs des établissements de recherche et d'enseignement supérieur qu'ils soient placés sous la tutelle de l'un ou l'autre de nos ministères ou sous leur cotutelle, ainsi que des responsables de formations et des enseignants. Cette mobilisation est à la mesure de l'enjeu : notre agriculture et nos industries agro-alimentaires doivent être les plus compétitives d'Europe; nous devons conforter et accroître notre position dans les échanges internationaux tout en poursuivant notre tradition d'aide au développement ; nous devons enfin nous donner les moyens de notre ambition de reconquête du territoire.

Pour réaliser de tels objectifs nous ne pouvons-nous contenter d'une gestion des questions agricoles à court terme. Mais nous devons être capables de construire une politique à long terme à travers l'investissement dans la formation, l'innovation et la recherche pour ce faire, nous devons définir et mettre en œuvre les stratégies d'enseignement supérieur et de recherche les plus aptes à dégager les voies de l'avenir et à former les cadres de demain capables de le construire. Par votre présence et votre participation active à ce forum, vous avez manifesté de manière éclatante votre volonté commune de relever ensemble ce défi.

Le rapport que vous m'avez remis, Monsieur le Sénateur, est la dernière étape de cette réflexion et le forum auquel vous venez de participer peut être considéré comme le point d'orgue d'un processus déjà largement engagé.

Si les débats que vous venez d'avoir devront continuer d'alimenter notre réflexion dans les prochains mois, il m'apparaît cependant urgent de concrétiser les orientations qui doivent nous permettre de mobiliser le potentiel d'enseignement supérieur et de recherche. Les incertitudes n'ont que trop duré ! Comme je vous l'ai déjà dit, j'ai pris connaissance de vos premières réactions et il me paraît nécessaire de confirmer mes orientations et de vous faire part aujourd'hui des décisions que je souhaite arrêter. Bien entendu, elles feront l'objet des consultations et concertations nécessaires.

1. Une première priorité : les axes stratégiques

Dès que vous m'avez remis votre rapport, j'ai donné mon accord aux quatre axes stratégiques que vous avez identifiés et qui doivent être impérativement développés :

– qualité, hygiène et sécurité alimentaires ;
– technologies agro-alimentaires ;
– valorisation non alimentaire des produits agricoles ;
– aménagement des paysages et gestion de l'espace rural.

Développer impérativement ces axes : telle est ma première priorité. Telle doit être, je le souhaite vivement, notre priorité commune. Certes, nous devons conserver notre qualité dans le secteur de la production et même l'améliorer mais nous nous sommes sans doute trop concentrés sur l'amont sans développer encore suffisamment les formations et la recherche en direction de l'aval et de l'environnement.

Les quatre secteurs que le Sénateur Laffitte a privilégiés et que j'ai retenus répondent aux demandes fortes des industriels, des consommateurs et des collectivités locales.

Je sais que ces quatre axes recueillent largement l'accord de nos établissements et de nos partenaires. Cependant, à l'occasion des nombreuses discussions qui ont précédé ce forum et dans le cadre des débats que vous avez eus aujourd'hui, vous avez souhaité rappeler l'importance de la performance de l'agriculture et la nécessité de produire des matières premières mieux spécifiées. Vous avez également souligné l'enjeu que représentent les problèmes environnementaux tant pour l'agriculture que pour l'industrie en y intégrant la gestion de l'eau et des autres intrants. J'approuve tout à fait la nécessité de développer ces axes dans le cadre des orientations de la nouvelle politique agricole commune. Vous me permettrez toutefois de vous demander d'être particulièrement vigilants sur l'existence de débouchés réels dans les métiers de l'environnement en matière d'emploi.

Une fois définis les axes stratégiques, l'émergence de thématiques fortes s'impose d'autant plus qu'il serait illusoire de penser qu'il est possible de faire tout partout.

Elles sont avec les pôles le fondement du schéma directeur d'enseignement supérieur et de recherche que j'ai appelé de mes vœux à Montpellier. À titre d'illustrations, il me semble, par exemple, que la filière forêt et bois devrait trouver à Nancy son site principal et la filière lait à Rennes, que Montpellier s'est, entre autres, imposé comme le centre des formations et des recherches en agricultures méditerranéenne et tropicale.

Je n'ai pas l'intention de décliner aujourd'hui les thématiques de chaque pôle je sais que les premières identifications proposées par le Sénateur Pierre Laffitte ont fait l'objet de discussions parfois passionnées. Je souhaite cependant que vous vous atteliez très rapidement à cette tâche afin d'établir dès le début de 1995 une carte des thématiques.

Il est évident que les têtes de réseau thématiques ne rassembleront pas toutes les activités qui s'y attachent sur leurs sites mais qu'elles auront pour mission de les structurer à travers les différentes localisations sur le territoire et qu'elles seront amenées à développer en leur sein d'autres activités que celles qui relèvent strictement du thème qui leur est confié. Cette politique, nous l'avons déjà résolument engagée.

Je vous confirme à cet égard la décision prise par le Gouvernement, à l'occasion du CIAT de Mende, de créer à Angers un pôle national horticole qui sera constitué, dans le cadre d'Agrena et avec le concours de l'INRA et de l'Université, de l'École nationale d'ingénieurs des travaux de l'horticulture et du paysage d'Angers et de l'École nationale supérieure d'horticulture actuellement implantée à Versailles.

L'organisation de ce pôle sera conjointement confiée à Monsieur Pierre Thivend, directeur notamment de l'École nationale supérieure agronomique de Rennes et nouveau responsable d'Agrena, et à Monsieur André Nil, ingénieur en chef d'agronomie et actuel directeur de l'École de Clermont-Ferrand, à qui reviendra plus particulièrement la responsabilité de sa mise en œuvre.

Le départ de l'ENSH à Angers a rendu possible l'installation à Versailles d'un pôle national du paysage autour de l'École nationale supérieure du paysage. Les promotions de l'ENSP seront progressivement doublées : ainsi les effectifs de paysagistes DPLG seront à terme comparables à ceux de la Grande-Bretagne et de l'Allemagne. L'ENSP aura, en outre, la charge de la conservation, de la gestion et de la valorisation du Potager du Roi et développera un partenariat dynamique avec l'École nationale d'architecture de Versailles et le futur établissement public du Domaine du Château de Versailles.

J'ai chargé de la mise en place de ce pôle Monsieur Jean-Baptiste Cuisinier, ingénieur du GREF, qui s'était récemment vu confier une mission sur l'avenir de l'ENSP et qui est actuellement associé à la création de l'établissement public du Domaine du Château de Versailles.

Le développement des axes stratégiques et l'émergence des réseaux thématiques sont deux priorités qui doivent se traduire concrètement dans chaque établissement et impliquent la construction d'une identité forte pour chacun d'eux. Bien entendu, je commencerai par m'adresser aux établissements qui dépendent de notre ministère, car ceux-ci doivent montrer l'exemple en faisant l'effort décisif de définir leurs axes stratégiques aussi bien en matière d'enseignement, de recherche, d'innovation et de valorisation, d'appui technique et d'aide au développement, de formation continue ou de relations internationales.

Je demande à chaque établissement de définir explicitement ses objectifs dans ses différents domaines d'activités pour les quatre prochaines années en indiquant les filières qu'il souhaite développer ou supprimer, les flux d'étudiants et de diplômés qui lui paraissent les mieux adaptés à la situation des débouchés ainsi que les partenariats et les services qu'il désire conforter ou mettre en œuvre avec les autres établissements d'enseignement supérieur et de recherche, avec les entreprises et les organismes professionnels, avec les collectivités territoriales… La définition de ces objectifs doit s'accompagner d'indicateurs de résultats, d'indicateurs de performance sur la base desquels l'action pourra être évaluée.

Je vous demande de me soumettre vos projets avant la fin de l'année 1994. Ceux-ci seront validés après expertise et concertation dans le courant du premier trimestre 1995 et les nouvelles activités entreprises ou développées dans le cadre des orientations stratégiques feront l'objet d'une contractualisation avec le ministère.

2. Une confirmation : la politique des pôles régionaux

Les projets des établissements ne trouveront leur pleine efficacité qu'en s'articulant sur les projets des pôles existants ou en cours de constitution. En effet, la mise en œuvre de pôles régionaux puissants demeure un de mes objectifs prioritaires, objectif que mon collègue François Fillon partage pleinement. Je confirme ainsi sans aucune ambiguïté la politique que nous avons engagée ensemble.

2.1. L'urgence d'une meilleure cohérence de notre enseignement supérieur

J'avais expliqué à Montpellier les raisons qui m'avaient amené à poursuivre et amplifier cette politique : taille souvent trop restreinte de nos établissements, reconnaissance souvent insuffisante sur le plan national et international, manque de lisibilité de notre système. J'avais donc souhaité que les potentiels à la fois de formation et de recherche soient progressivement fédérés.

Les pôles régionaux ne peuvent prétendre être puissants que s'ils concernent l'ensemble du potentiel d'enseignement supérieur et de recherche. La démarche fédérative entreprise par certains établissements dépendant de l'agriculture ne constitue qu'une étape de structuration à laquelle d'autres pourront s'associer. Les portes sont largement ouvertes dans les deux sens.

Toutes les formes de rapprochement, de coopération ou de structuration peuvent être envisagées sans a priori ni exclusive. Elles concernent également les établissements privés dont chacun connaît le dynamisme.

À titre d'exemples, je citerai la création de nouveaux établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel relevant de notre ministère, la mise en œuvre de conventions entre nos différents établissements, l'intégration de telle ou telle composante sous tutelle de l'un ou l'autre ministère dans une structure placée sous l'autre tutelle, la création de GIP, et pourquoi pas, dans certains cas, la création d'établissements sous double tutelle… Là non plus, je ne prétends pas être exhaustif et je souhaite seulement encourager et libérer les initiatives du terrain. Chaque pôle régional a sa personnalité et aura à trouver sa formule.

En invitant les établissements qui relèvent de mon ministère à se fédérer au sein de pôles régionaux, je ne vise en rien à refermer notre système sur lui-même ou à le cantonner dans je ne sais quel ghetto. Nous ne sommes pas les seuls à développer des recherches dans le domaine des sciences du vivant ; nous ne sommes pas les seuls à former des ingénieurs agronomes, des cadres de l'agro-alimentaire, des professionnels de la santé ou de la gestion de l'espace rural.

Depuis 20 ans, le paysage s'est profondément modifié : en particulier, les universités ont su se professionnaliser et interviennent sur des créneaux qui nous intéressent au premier chef.

Par ailleurs, nos écoles ont continué à diversifier leurs débouchés. Elles couvrent désormais tout le domaine des sciences et des technologies du vivant.

Elles se sont lancées avec succès dans le développement de la recherche et dans les études doctorales. Elles font pleinement partie du système français d'enseignement supérieur et de recherche.

Je me félicite de ce foisonnement mais force est de constater qu'il accroît encore le peu de lisibilité de nos secteurs par rapport à nos partenaires européens.

Comme Monsieur Yves Demarne le disait récemment sur le même sujet devant l'Académie d'Agriculture, je dirai moi aussi que « je suis de ceux qui pensent que la compétition peut être stimulante et doit être favorisée, mais que je suis également de ceux qui pensent que la dispersion coûte cher et nuit à l'efficacité » et j'ajouterai pour ma part notamment en terme d'emplois pour les étudiants.

2.2. Une coopération interministérielle indispensable

C'est pourquoi, François Fillon et moi-même avons décidé de renforcer notre coopération. Bien sûr, nous travaillons déjà ensemble. Qu'il s'agisse de la cotutelle de l'INRA, du CEMAGREF et de l'IFREMER ou qu'il s'agisse de l'animation conjointe du réseau des ENSA – pour ne citer que ces deux exemples – les liens qui nous unissent sont déjà nombreux.

Cependant, il s'agit désormais d'aller plus loin et de passer à une autre échelle. Nous sommes convenus d'établir très rapidement ce que j'appellerai un cadre de référence d'objectifs ou encore un protocole de coopération et d'action. Cette référence commune sera prête à la rentrée prochaine mais nous avons d'ores et déjà commencé à y travailler et ces premières réflexions montrent à quel point la convergence est profonde sur les grands enjeux.

Je ne vous donnerai aujourd'hui que quelques exemples pour illustrer notre démarche.

Bien sûr, vous l'aurez compris, notre première conviction est la nécessité de constituer des pôles régionaux puissants. Dans notre esprit, l'organisation des pôles n'exclut pas les relations de réseaux qui existent déjà entre les différentes familles de nos écoles et entre les établissements d'enseignement supérieur et de recherche de nos deux ministères qui dispensent des formations comparables ou développent des recherches d'intérêt commun. Ces réseaux doivent demeurer vivants et être complémentaires des pôles. L'exemple de la commission consultative permanente des ENSA ou le succès de certains GIS nous montrent le chemin.

En deuxième lieu, il nous semble que, dans le secteur qui est le nôtre, des avancées – peut-être plus importantes qu'ailleurs – peuvent être effectuées pour renforcer la collaboration entre organismes de recherche et établissements d'enseignement supérieur : création de laboratoires associés, participation accrue des chercheurs à l'enseignement, coordination de la politique de l'emploi scientifique et plus généralement de la politique d'allocation des moyens, encouragement à la mobilité, etc. Des actions nombreuses sont possibles ; les esprits, je le crois, sont mûrs, alors… Il faut le faire. C'est une nécessité vitale.

Dans le domaine de l'enseignement supérieur, formations professionnalisées ou formations doctorales et en particulier les DEA, la coopération entre les établissements relevant des deux ministères doit être intensifiée afin de développer les actions communes en formation initiale comme en formation continue et tout particulièrement au-delà du niveau Bac + 2.

Dans ce cadre, la formule de la cohabitation des diplômes doit être élargie afin d'associer dans des projets communs les écoles du ministère de l'agriculture et de la pêche et les établissements du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Mais cette action commune perdrait son sens si elle n'avait pour but de répondre réellement aux besoins de qualification ou de recherche du pays. Or, je ne peux ici cacher quelques inquiétudes. L'emploi des étudiants doit être notre souci majeur. C'est pourquoi, il faut que nous coordonnions davantage la régulation des flux de formation. C'est difficile, je le sais bien, mais cela doit être fait.

Au-delà du champ des formations, une action comparable de coopération doit être menée en matière de recherche pour stimuler l'innovation et la recherche, notamment la recherche finalisée.

C'est l'une des conclusions importantes de la récente consultation nationale sur la recherche française et elle s'applique pleinement à notre secteur.

En particulier, il est indispensable que les problématiques des sciences de l'ingénieur et des sciences de la décision viennent davantage renforcer celles des sciences de la vie stricto sensu et que le nombre des thèses, en particulier dans ces domaines, soit nettement accru à l'instar de ce qui existe dans les autres grands pays.

Enfin, dans le domaine de l'action administrative une nouvelle coopération devra s'instaurer entre les deux ministères, en tant que de besoin, afin d'accélérer la modernisation du système d'enseignement supérieur et de recherche dépendant du ministère de l'agriculture et de la pêche et d'éviter des délais inutiles.

Ce ne sont là que quelques pistes pour éclairer mon propos. Dans les prochaines semaines, tout cela sera finalisé. L'objectif est que nous disposions au courant du mois de septembre d'un texte que nous soumettrons à vos remarques avant de l'arrêter définitivement.

L'initiative que François Fillon et moi-même avons prise vous montre à quel point le ministère de l'agriculture et de la pêche souhaite s'ouvrir à ses partenaires naturels. Cela est de nature, je le pense, à apaiser les quelques inquiétudes qui, je le sais, se sont manifestées depuis quelques semaines.

Les deux ministères souhaitent pleinement intégrer les centres de recherche à la dynamique des pôles : nous sommes convaincus que, quels que soient les efforts déjà accomplis, de nouveaux progrès doivent être réalisés pour affermir les liens entre l'enseignement supérieur et la recherche. En particulier, il apparaît indispensable que l'INRA accorde davantage d'initiative à ses centres régionaux tout en renforçant les missions stratégiques de prospective scientifique, de programmation et d'évaluation assumées par sec départements.

C'est d'ailleurs, si j'ai bien compris, l'un des objectifs du projet d'établissement de l'Institut. Je ne désire donc rien d'autre que son application.

Au moment où je prône davantage d'autonomie pour les établissements et pour les pôles, il me semble que l'INRA, dont l'effort de localisation sur le territoire est salué unanimement, ne peut rester à l'écart de ce mouvement comme d'ailleurs le CEMAGREF et le CNEVA.

Je souhaite vivement que les autres établissements de recherche puissent trouver également au sein de ces pôles toute la place souhaitable.

3. Le pôle du grand bassin parisien : une fédération à créer

Personne ne comprendrait qu'après l'accent mis sur les pôles, je n'aborde pas celui de la région parisienne.

C'était d'ailleurs l'objet premier de la mission que je vous avais confiée, Monsieur le Sénateur, et je vous ferai d'autant moins le reproche d'en avoir excédé les limites que vous n'avez pas pris ce prétexte pour escamoter la question.

Je ne vous avais pas caché, lorsque vous m'avez remis votre rapport le 28 avril dernier, que j'étais particulièrement séduit par votre analyse que vous aviez synthétisée dans cette métaphore qui fait aujourd'hui votre notoriété dans l'enseignement supérieur agronomique et vétérinaire : il faut « préférer le marcottage à l'arrachage suivi d'une transplantation ». Peut-être pourrai-je partager un peu de votre succès en faisant mienne cette expression. L'exemple de l'implantation de l'INRA à Reims montre ce qu'il est possible de réaliser en matière de marcottage.

À l'évidence, je suis d'accord avec votre constat : la « force de frappe » constituée par nos établissements d'enseignement et de recherche en Île-de-France n'est pas encore à la dimension des autres secteurs de l'enseignement supérieur et de la recherche. Or nous sommes au cœur du grand bassin parisien, dans l'une des régions dont le poids de l'économie agricole et agro-alimentaire est considérable tant au niveau national qu'international.

La France, grâce notamment à cette région, est le deuxième pays exportateur mondial et le premier en Europe.

Il faut donc impérativement insuffler à nos établissements d'enseignement supérieur et de recherche dans cette Région, un nouvel élan, une nouvelle dynamique à la hauteur du prestige et de la notoriété nationale et internationale qui ont été les leurs.

Certes il faut saluer les initiatives prises par les responsables politiques, économiques et scientifiques des huit régions hors Île-de-France du grand bassin parisien pour développer à partir de leurs universités des centres d'enseignement supérieur et de recherche de haut niveau orientés vers les activités agricoles, agro-industrielles et environnementales.

Mais, de l'avis même de leurs promoteurs, ces initiatives ne peuvent se développer qu'avec l'appui de l'INRA et des établissements d'enseignement supérieur du ministère qui restent au cœur de ces problématiques.

Par ailleurs, il faut pouvoir répondre aux besoins diversifiés du grand bassin parisien. Pour cela, il faut remédier à la dispersion actuelle des nouvelles équipes de scientifiques et d'universitaires. Il faut donc constituer un pôle unique devant et pouvant d'une part assurer les synergies nécessaires entre équipements, enseignants et chercheurs présents en région parisienne et d'autre part continuer cette visibilité internationale qui est indispensable au rayonnement de notre pays.

Voilà pourquoi, je demande, en concertation avec le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, aux établissements parisiens placés sous ma tutelle ou ma cotutelle, de constituer une fédération. Elle devra notamment, accompagner le développement, dans un environnement international de plus en plus concurrentiel, de ce qui constitue toujours la force de frappe agro-industrielle de notre pays.

Elle devra soutenir toutes les initiatives que je viens de saluer au sein de réseaux d'enseignement et de recherche, constitutifs du pôle du grand bassin parisien.

De nombreux signes me montrent que c'est aujourd'hui possible : il s'agit d'achever la structuration déjà à l'œuvre dans les régions. Quant aux institutions parisiennes, avec le succès de l'école doctorale, elles ont compris que seule l'union leur permettrait de valoriser leurs atouts aux plans national et international.

C'est pourquoi j'ai décidé d'entreprendre la rénovation de nos écoles parisiennes dans le cadre d'une convention dont la discussion est en cours et dont je m'entretiendrai tout à l'heure avec les autorités d'Île-de-France. Notre objectif est d'engager à parité avec la Région Île-de-France un programme sérieux de modernisation.

Ce plan de rénovation doit s'accompagner d'une série d'initiatives.

L'AGRO en premier lieu doit jouer, fort de son histoire, un rôle tout particulier, celui de l'excellence. Pour cela, n'hésitons pas à le dire, l'AGRO doit encore développer et affirmer son identité propre. Je souhaite qu'une partie des cadres dirigeants de ce pays soit issue de ce vivier spécifique d'étudiants que la biologie, le vivant passionnent. Il y va de l'intérêt de notre pays, tant sur le plan national qu'international.

Au moment où l'opinion reproche à ces cadres dirigeants d'être façonnés selon le même moule, augmenter le nombre de décideurs formés à la maîtrise de ces systèmes complexes que sont les organismes vivants est un enjeu majeur. C'est la mission que j'assigne à l'INA-PG et bien entendu à l'ENGREF dont la vocation d'école d'application au plus haut niveau doit être réaffirmée.

Afin de renforcer le pôle thématique « santé animale, hygiène et sécurité alimentaires », je suis en mesure de vous indiquer que les laboratoires parisiens du CNEVA seront installés à Alfort et les liens entre l'ENSIA et Alfort dans ce secteur seront renforcés. Comme le Sénateur Pierre Laffitte l'a montré, notre pays a besoin d'un ensemble de dimension européenne dans le secteur agro-alimentaire. Cette ambition passe par le renforcement du rôle qu'a su jouer dans notre pays et sur la scène internationale depuis quelques années l'ENSIA à Massy. Le rapprochement de cette grande école avec l'ENITIAA de Nantes ne peut en outre que servir cette ambition.

Enfin, j'ai déjà évoqué l'installation du pôle national du paysage à Versailles.

Ainsi, je demande au directeur général de l'enseignement et de la recherche, en concertation étroite avec le ministère de l'enseignement et de la recherche, d'établir, avec l'ensemble des acteurs concernés, un programme opérationnel conduisant à la création de cette Fédération avant la fin du mois de décembre 1994.

Cette fédération devra contribuer pleinement à la politique d'aménagement voulue par le Gouvernement pour le Grand Bassin parisien.


Conclusion

Ce projet que nous allons bâtir ensemble doit-il être encore plus ambitieux, plus vaste ?

Monsieur le Sénateur, vous l'avez clairement souhaité, puisque vous appelez de vos vœux dans votre rapport, la création d'une confédération. Je distinguerai deux aspects dans cette question, celui des fonctions que devrait remplir la confédération et celui de son éventuelle structure.

Le rôle fonctionnel me paraît clair : il s'agit d'identifier des fonctions d'intérêt commun qui intéressent tout le monde mais que personne ne peut réellement assumer seul, de s'occuper de ce que ni les établissements, ni les pôles régionaux ne peuvent faire tout seul.

Tous ceux qui ont fait connaître leurs réactions dans le cadre des consultations nombreuses qui ont précédé ce forum paraissent être tombés d'accord sur l'importance des cinq fonctions identifiées par le rapport.

En premier, la fonction prospective constitue une priorité face aux enjeux de la nouvelle politique agricole commune et des accords du GATT. Monsieur l'ingénieur général Guellec, dans le rapport qu'il m'a remis sur l'organisation de l'administration centrale, recommande vivement la création en son sein d'un pôle de prospective.

Je vous confirme donc la mise en place à la rentrée, en concertation avec le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, d'un comité scientifique, réunissant des experts publics et professionnels, enseignants, chercheurs et ingénieurs, et chargé notamment d'établir un meilleur dialogue entre l'élaboration des politiques du ministère de l'agriculture et de la pêche et les politiques d'enseignement et de recherche.

J'ai demandé à Monsieur le Professeur Alain Coleno, directeur de recherches à l'INRA, de bien vouloir présider ce comité scientifique.

En ce qui concerne les fonctions d'information et communication, de valorisation économique et de relations internationales, j'ai confié à Monsieur Yves Demarne, directeur de recherches à l'INRA, une mission d'études sur les meilleures conditions de leur mise en œuvre : je lui demande de me remettre son rapport avant la fin de l'année.

J'insiste tout particulièrement sur l'importance que j'accorde à la dimension Internationale. Le potentiel de notre dispositif, avec ses forces vives de 12 000 agents et 5 000 cadres, doit s'investir, au-delà des traditionnelles missions et expertises à l'étranger, dans des actions ciblées sur le long terme et dans la durée, porteuses de nos savoirs et savoir-faire.

En ce qui concerne la mission d'évaluation, je souhaite étudier avec les deux grands comités d'évaluation existants pour l'enseignement supérieur et la recherche les moyens d'organiser des procédures régulières d'évaluation établissements.

Quant à la possibilité de structurer la confédération, j'ai entendu les observations, voire certaines réserves que vous avez exprimées les uns et les autres. Avec l'élaboration des projets et la constitution des pôles régionaux et des fédérations et avec la mise en place de la nouvelle coopération interministérielle, nous ouvrons des chantiers qui vont mobiliser les énergies dans l'immédiat. Si nous voulons les mener à bien, nous devons travailler dès maintenant dans un esprit confédéral ouvert, celui qui a animé votre réflexion.

Enfin, parmi vos propositions, il en est une, Monsieur le Sénateur, qui a retenu toute mon attention, celle de la création d'un Institut de la qualité alimentaire. Les premiers échos recueillis auprès des professionnels montrent que cette proposition suscite de l'intérêt et mérite donc un examen attentif.

Cependant, vous comprendrez qu'une initiative d'une telle envergure implique une concertation approfondie avec les autres ministères et nos différents partenaires. Un temps de réflexion s'impose.

C'est d'ailleurs, dans le cadre des réactions au rapport de M. Laffitte, la recommandation que m'a faite le Commissaire général au Plan.

À l'issue de cette journée, je tiens à remercier une nouvelle fois le Sénateur Pierre Laffitte pour son rapport d'autant plus excellent qu'il a permis d'ouvrir un débat particulièrement riche et constructif. Je remercie tous les participants à ce forum, notamment les professionnels et nos amis du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Avec la définition des axes stratégiques et des thématiques, avec l'élaboration des projets d'établissement, avec la constitution d'un pôle du grand bassin parisien puissant venant compléter l'édifice, avec la dynamique forte des autres pôles régionaux, encouragée, soutenue par une coopération ouverte et efficace entre nos deux ministères, nous conférons à notre système d'enseignement supérieur et de recherche une nouvelle cohésion et nous lui apportons les moyens d'une ambition à la mesure de nos responsabilités face à l'avenir.


Le Figaro : 2 août 1994

Le Figaro : La réforme de l'enseignement supérieur agricole est à l'ordre du jour depuis une dizaine d'années. Quels en sont les enjeux ?

Jean Puech : Les enjeux doivent être évidents pour tous. Ils concernent l'enseignement supérieur agricole, mais aussi la recherche que vous me permettrez d'associer d'emblée car tous deux sont étroitement liés : nous devons à la fois avoir l'agriculture et les industries agro-alimentaires les plus compétitives d'Europe, conforter et accroître notre position dans les échanges internationaux et nous donner les moyens de tenir le territoire. Or toutes les activités qui permettent de relever ces défis sont désormais, chaque jour davantage, des activités à base de matière grise, Si, depuis dix ans, les tentatives de réforme se sont succédé, c'est que chacun pouvait faire le même constat : quel qu'ait été le prestige de nos établissements, leur taille était souvent trop restreinte pour permettre une reconnaissance suffisante sur le plan national et international. De plus, le paysage s'est profondément modifié : les universités interviennent maintenant sur des créneaux très proches des nôtres, ce dont je me félicite, mais cela n'accroît pas la lisibilité notre système. Les incertitudes n'avaient que trop duré et François Fillon, ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, a considéré comme moi que des décisions urgentes s'imposaient.

Le Figaro : Quelles mesures allez-vous mettre en œuvre ? Avec quels moyens ?

Jean Puech : Dès mon arrivée, j'ai engagé un plan de modernisation de l'enseignement supérieur agricole. J'ai pu m'inspirer, pour le compléter, des conclusions du rapport que j'avais demandé au sénateur Pierre Laffitte. En premier lieu, il m'est apparu nécessaire de définir les axes stratégiques qui doivent impérativement être développés : en dehors du secteur de la production, où nous devons conserver notre qualité et même l'améliorer, il convient désormais de mettre davantage l'accent sur les formations et la recherche en matière de qualité, d'hygiène et de sécurité alimentaires, de technologies agro-alimentaires, de valorisation non alimentaire des produits agricoles,  d'aménagement des paysages et de gestion de l'espace rural et de l'environnement.

Ensuite, il faut que les spécificités de nos établissements puissent être bien identifiées : c'est pourquoi j'ai demandé à chacun d'entre eux de définir d'ici à la fin de l'année ses domaines d'activités prioritaires. Certains seront amenés à jouer un rôle de tête de réseau thématique : c'est ainsi, par exemple, que le pôle national horticole sera situé à Angers, et que le pôle national du paysage aura son centre de gravité à Versailles. De plus, je souhaite que nos écoles puissent se fédérer au sein pôles régionaux puissants réunissant non seulement les établissements d'enseignements sur le territoire et de recherche dépendant de mon ministère mais aussi ceux qui relèvent de l'enseignement supérieur et de la recherche. Pour renforcer ces collaborations, François Fillon et moi-même avons décidé de conclure prochainement un protocole de coopération entre nos deux ministères.

Ce plan doit bénéficier d'un effort financier significatif qui se traduit, dans le cadre des contrats de plan, par le doublement des moyens d'investissement des établissements d'enseignement supérieur. Parallèlement, un programme sérieux de rénovation, engagé avec la région Île-de-France, permettra de doter nos écoles de la région parisienne de moyens et d'équipements de recherche à la hauteur de la dimension nationale et internationale qui a été et doit rester la leur.

Le Figaro : Vous demandez à ces établissements d'enseignement supérieur et de recherche agricoles et vétérinaires de la région parisienne de se fédérer : ne s'agit-il pas d'une résurgence du projet avorté d'institut national des sciences du vivant conçu par vos prédécesseurs ?

Jean Puech : Ce projet, qui avait pour objectif de regrouper sur un seul site tout notre potentiel d'enseignement supérieur, n'était pas en soi une mauvaise idée. Mais il comportait, à mon sens, deux inconvénients majeurs : il n'intégrait pas le potentiel de recherche et ne concernait que les établissements parisiens, sans dire ce qu'il fallait faire ailleurs. La démarche que j'ai adoptée consiste au contraire à structurer la totalité de nos établissements sur le territoire. Il s'agit en ce qui concerne le Bassin parisien, de regrouper non seulement les établissements d'enseignement supérieur d'Île-de-France mais aussi les établissements de recherche en une fédération. N'oubliez pas le poids considérable du grand Bassin parisien dans l'économie agricole et agro-alimentaire.

Notre ministère a déjà fait des efforts très importants en faveur des localisations hors de la région parisienne. Aujourd'hui, le poids de nos établissements est nettement plus faible que dans les autres domaines de l'enseignement supérieur et de la recherche, et nous avons atteint un seuil en dessous duquel il serait dangereux de descendre. Avec la fédération de la région parisienne, il s'agit simplement de compléter ce qui est déjà mis en œuvre dans les régions et de constituer ainsi un pôle dont l'excellence et la visibilité internationales sont indispensables au rayonnement de notre pays.

Le Figaro : Les formations agronomiques et agro-alimentaires semblent moins souffrir de la crise du recrutement que les grandes écoles de commerce et d'ingénieurs. Pourquoi ?

Jean Puech : Peut-être nos champs d'activité, tout en ayant connu une formidable diversification ces dernières années, sont-ils mieux identifiés que dans d'autres secteurs. Je reste modeste et prudent. Cependant, au moment où l'opinion reproche, parfois avec raison, à ses cadres dirigeants d'être façonnés sur le même modèle, je crois que former des décideurs à la maîtrise des systèmes complexes que sont les organismes vivants est un enjeu majeur. La biologie intéresse de plus en plus les jeunes, et je m'en félicite. Nous devons encore approfondir notre réflexion sur les nouveaux profils d'ingénieurs afin de mieux for- mer des cadres capables de construire l'avenir.