Texte intégral
Richard Arzt : Il y a eu, hier, pendant deux heures, à Matignon, autour de L. Jospin, à propos de la Corse une réunion de dix ministres, dont vous-même en tant que ministre de la fonction publique et de la réforme de l’Etat. Quel était l’objectif de cette réunion ? C’était de donner de nouvelles orientations à l’action du Gouvernement là-bas ?
Emile Zuccarelli : Non, c'est une réunion pour faire le point et pour regarder comment se déroule le programme, le plan du Gouvernement en Corse avec le double volet : d'une part rétablir, en Corse, l'Etat de droit, l'ordre républicain – et le Gouvernement y est absolument déterminé –, et puis engager l'autre volet, c'est-à-dire le développement de la Corse.
Richard Arzt : La carotte et le bâton ?
Emile Zuccarelli : Non, je crois simplement que le rétablissement de l'Etat de droit est une condition nécessaire et incontournable de tout effort et de tout projet de développement de la Corse. Alors, il fallait créer cette condition nécessaire. Mais elle n'est pas suffisante, il faut aussi mettre en route les ingrédients pour que la Corse se développe sur le plan économique, social, et culturel.
Richard Arzt : Quels sont les secteurs où l'Etat a déjà marqué des points en matière d'Etat de droit ? On a l'impression que c'est dans le domaine financier, en s'attaquant au secteur bancaire, aux prêts.
Emile Zuccarelli : Je crois que l'Etat a marqué des points parce que, aujourd'hui, personne ne doute de sa détermination absolue à rétablir cet Etat de droit. Par rapport à ce qui a pu se faire par le passé par d'autres gouvernements, c'est une chose tout à fait nouvelle. Croyez-moi, la population de Corse le ressent parfaitement.
Richard Arzt : Est-ce que c'est à cause de cette détermination que le FLNC-Canal historique hausse le ton ? Il y a eu un communiqué, hier.
Emile Zuccarelli : Il est rituel que, périodiquement, le FLNC hausse le ton comme vous dites. Mais ce qui est nouveau, effectivement, c'est que cet haussement de ton n'aura aucun effet, je pense, ni sur le moral de la population ni sur la détermination du Gouvernement.
Richard Arzt : Qu’est-ce qui vous fait penser à cela ? Sur la population en tout cas ?
Emile Zuccarelli : Parce que la population qui est descendue dans les rues à 40 000 au lendemain de l'abominable assassinat du préfet Erignac on l'écoute, on l'entend. Et c'est vrai qu'elle a une certaine attente. Nous sommes dans une situation où, en effet, il y a des éléments nouveaux, rien n'est comme avant. Elle regarde : c'est vrai qu'il y a une médiatisation très forte de ces choses-là.
Richard Arzt : Vous ne trouvez pas que cela va un petit peu loin ?
Emile Zuccarelli : Non, c'est vrai qu'il y a une médiatisation très forte. Il faut que les médias sachent faire un peu la distinction entre un contrôle, une vérification, une suspicion et une condamnation.
Richard Arzt : Je voulais dire que l'assassinat du préfet Erignac avait créé une cohésion visible mais peut-être que cela s'est un peu estompé et qu'on trouve en Corse que les enquêtes vont loin ?
Emile Zuccarelli : Non, les enquêtes se déroulent. Il y a, à certains égards, – il y a même je dirais pour la population la prise de conscience nécessaire qu'il y a aussi un temps judiciaire, que la justice a son temps, ses délais, ses rythmes si elle veut être sereine et efficace.
Richard Arzt : Quand L. Jospin a dit – c'est ce que l’on a su, hier, après cette réunion – que les situations révélées par les enquêtes ne doivent pas se renouveler, c'est qu'il y a un risque qu'elles se renouvellent ?
Emile Zuccarelli : Vous avez divers problèmes. Vous avez les problèmes de la criminalité et puis vous avez les problèmes de certains dysfonctionnements sur le plan financier. Je pense au Crédit Agricole, à la mutualité sociale agricole. Il y a évidemment une présomption très forte, ça ou là, de mauvaise utilisation de l'argent public. Il y a cette commission d'enquête parlementaire que j'ai réclamée depuis des années qui est enfin en place et qui va donner son rapport au mois de septembre. Ce sont évidemment des situations qui ne doivent pas se reproduire. Il faut effectivement faire les investigations, éventuellement sanctionner les coupables mais prendre également les dispositions nécessaires pour que cela ne se reproduise pas. Et je pense, parce que je suis un optimiste et raisonnablement optimiste, que cette remise en route dans la normalité du fonctionnement des diverses institutions et des divers agents économiques ou sociaux va se faire. L'essentiel est qu'il y ait une visibilité pour la population. Et je crois que, maintenant, elle sait où l’on veut aller.
Richard Arzt : C'est en tant que ministre de la réforme de l'Etat que vous êtes le plus concerné par le dossier Corse ou bien la décentralisation, ou bien la fonction publique ?
Emile Zuccarelli : Oui, sans doute à ces divers titres mais également parce que je suis un élu de Corse et que depuis maintenant 20 ans j'ai été quand même parmi les principaux porte-parole de cette orientation et je l'ai voulue, je l'ai réclamée, je me suis battu pour cela. Et aujourd'hui, même si c'est une période un peu critique – c'est une période toujours un peu difficile –, je suis quand même content de voir les choses se faire comme cela parce que c'est là qu'est l'avenir de la Corse.
Richard Arzt : Parlons plus largement de votre secteur ministériel : on a l'impression que cette majorité plurielle au Gouvernement a évolué en ce qui concerne le secteur public dans le domaine économique – Aérospatiale en est le dernier exemple. Mais dans le domaine administratif de la fonction publique notamment on a l'impression que les choses restent beaucoup plus protégées du monde extérieur ?
Emile Zuccarelli : Non, ce n'est pas une question de protection. Je crois que ce Gouvernement est à la fois sans fanatisme dogmatique et il peut y avoir des ouvertures de capital de sociétés, voire ce qu'on peut appeler privatisation dans les secteurs qui n'ont pas, par définition, vocation à être à majorité publique. En revanche, ce Gouvernement est tout à fait déterminé à maintenir le cadre du service public. Et lorsque l’on parle de la fonction publique on est précisément dans ce cadre à la fois de l'exercice par l'État de ces grandes fonctions mais également du service public.
Richard Arzt : L'ouverture vers l'Europe ne va pas compliquer un petit peu ce maintien du service public à la française ?
Emile Zuccarelli : Nous allons être confrontés à des pays qui, par leurs traditions, n'ont pas tout à fait les mêmes conceptions que les nôtres. Cela ne veut pas dire que nos conceptions ne soient pas les bonnes, en tout cas qu'elles ne soient pas les mieux adaptées à notre pays. Et pour ce qui nous concerne nous allons continuer à maintenir cet espace du service public qui est un élément essentiel de la cohésion sociale. Nous sommes dans un pays qui est confronté à des problèmes sociaux, à la mondialisation. Plus que jamais le service public est au cœur du pacte républicain.
Richard Arzt : Le débat peut encore porter sur le nombre de fonctionnaires ? C'est-à-dire est-ce qu’il y a trop de fonctionnaires à votre avis ou il serait nécessaire d'en embaucher encore ?
Emile Zuccarelli : C'est un débat qui est très mal posé. J’ai entendu dire : il faut absolument réduire le nombre des fonctionnaires, c’est un objectif louable ! Cela reviendrait à dire qu'il y a des fonctionnaires qui ne servent à rien. Ce n'est pas du tout l'approche que je fais et moi je dis que les fonctionnaires sont des gens qui travaillent et qui jouent un rôle essentiel dans la Nation. Les gens qui disent : il y a 500 000 fonctionnaires de trop, se gardent bien de dire dans quel domaine il y a des fonctionnaires en trop. Ils passent leur temps à dire : il manque des policiers, il manque des professeurs. Je crois que dans ce domaine il faut être pragmatique. Le Gouvernement dit : on regarde ce que l'on peut faire en matière de service public et on le repartit le mieux possible en fonction des contraintes générales et des déséquilibres généraux du moment. C'est pour cela qu'on a dit : en 1998 et en 1999 on va stabiliser le nombre de fonctionnaires, on va faire avec et après on verra.
Richard Arzt : On a parlé des 35 heures à propos de la métallurgie parce que c'était l'actualité d'hier. Les 35 heures dans la fonction publique cela peut signifier quelque chose ?
Emile Zuccarelli : Pas dans, je dirais, la mécanique du secteur privé ou il y a des réductions de travail, des modérations salariales, des aides de l'Etat. Vous voyez ce que cela peut vouloir dire : des aides de l'Etat a lui-même dans la fonction publique, tout ceci en vue de créer des emplois. Cela dit, s'il y a une évolution vers les 35 heures en général comme durée légale du travail, les fonctionnaires sont, bien sûr, concernés par cette évolution. Mais nous sommes dans une situation très complexe. On ne peut pas mettre en équivalence l'heure de cours des professeurs, l'heure d'astreinte du pompier, l'heure de bureau de l'administrateur.
Richard Arzt : Alors c'est faisable ou pas ?
Emile Zuccarelli : On fait un grand état des lieux en 1998 – nous en avons parlé avec les organisations syndicales – et en 1999 on en discutera.