Déclaration de M. Jean Puech, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur les perspectives d'évolution de la recherche publique dans les domaines de l'agriculture et des sciences du vivant, Toulouse le 22 avril 1994.

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Intervenant(s) : 
  • Jean Puech - ministre de l'agriculture et de la pêche

Circonstance : Déplacement en Midi Pyrénées notamment pour la visite du centre INRA de Toulouse Auzeville le 22 avril 1994

Texte intégral

Monsieur le Président du Conseil Régional, 
Mesdames et messieurs les Parlementaires et Élus des collectivités territoriales, 
Monsieur le Préfet, 
Monsieur le Président de l'INRA, 
Monsieur le Président du Centre INRA de Toulouse, 
Mesdames et messieurs les Présidents et les Directeurs, 
Mesdames, Messieurs, 
Mes chers amis, 

Je tiens d'abord à vous remercier de la présentation remarquable que vous venez de faire des activités du centre INRA de Toulouse. Je ne peux que me féliciter du dynamisme dont vous faites preuve et vous me permettrez de saluer l'enthousiasme passionné du Président Guy Paillotin et du Président Jean-Claude Flamant. L'activité du centre INRA de Toulouse me paraît exemplaire à plusieurs titres.

Elle l'est tout d'abord par la diversité des compétences qu'il réunit et des objectifs qu'il poursuit dans ses différents domaines de recherche. À travers ses recherches dans les domaines de la génétique et des biotechnologies, de la sécurité des aliments et de la toxicologie, de la production et de l'économie, des produits animaux de qualité, de la transformation et de la gestion de l'espace rural, de l'économie marchande ainsi que dans les domaines des mathématiques, statistiques et informatiques, il a su mettre en évidence des thématiques fortes.

Elle est également exemplaire parce qu'elle s'inscrit dans un pôle régional de recherche, formation et développement qui correspond aux orientations que j'avais définies à Montpellier le 4 juin 1993. Agromip doit jouer un rôle fédérateur en favorisant la communication entre les différents partenaires internes et externes. Je m'entretiendrai tout à l'heure avec les responsables du pôle et notamment avec son président, mon ami le Sénateur Seillier, de ses perspectives d'avenir et de développement. Il est clair que nous sommes loin d'avoir exploité toutes les synergies des équipes présentes à Toulouse. Savez-vous par exemple qu'il y a au moins six écoles d'ingénieurs qui forment des cadres pour l'agriculture, l'agro-alimentaire et le monde rural. Cet extraordinaire potentiel n'est pas suffisamment lisible !

Le centre INRA de Toulouse est bien sûr aussi exemplaire – et l'un des plus beaux fleurons – de la politique de décentralisation conduite par l'INRA dont plus de 70 % des agents sont basés hors Ile-de-France.

Votre centre, par ses différentes localisations, irrigue les départements de la région. Vous comprendrez que le Président du Conseil Général de l'Aveyron soit particulièrement sensible à ces implantations.

Je souhaite que cette politique multi-site, qui conjugue pôle et réseau, soit encore développée et j'attends dans les prochains mois, avec un intérêt tout particulier, vos propositions que nous évoquerons dans le cadre de la discussion que nous allons avoir sur Agromip.

De plus, votre activité est exemplaire par les partenariats nombreux que vous avez su encourager aussi bien avec les autres établissements de recherche et d'enseignement supérieur qu'avec les collectivités territoriales et les milieux socio-professionnels.

J'ai été particulièrement impressionné par la réalisation de cet agrobiopole de Toulouse-Auzeville que je viens de visiter et qui constitue en effet un projet structurant de grande envergure qui permettra de mettre en synergie de façon encore plus efficace la recherche scientifique, l'enseignement, la formation et les entreprises.

Enfin, votre activité est exemplaire par le rôle économique qu'elle joue pour la région de Midi-Pyrénées. Vous avez su hisser l'agrobiologie et le génie génétique au rang de filière majeure pour l'avenir et le développement de cette région.

Ces activités, auxquelles je rends hommage, mais dont vous comprendrez que je ne puisse faire un tableau exhaustif, me paraissent parfaitement correspondre aux orientations de la politique que je souhaite mener en matière de recherche.

J'ai déjà dit à maintes reprises que la formation et l'innovation sont des enjeux majeurs pour notre ministère. Nous ne pouvons nous contenter d'une politique à court terme et nous avons le devoir de développer une véritable politique de prospective. Qui mieux que les chercheurs et les enseignants-chercheurs peuvent nous aider à remplir cette fonction ?

Les conclusions des accords du GATT et la mise en place de la nouvelle politique agricole commune conduisent à s'interroger sur le rôle de l'agriculture et plus largement du milieu rural dans la France de demain. Le rôle du ministère aujourd'hui est de favoriser l'émergence d'un projet fondé sur les atouts de l'agriculture française et d'en faciliter l'accomplissement.

À l'occasion du prochain débat d'orientation au Parlement, je compte fixer les objectifs à atteindre dans les dix ans à venir et engager la politique nécessaire pour que le monde agricole, agro-industriel et rural remplisse sa double mission d'être à la fois le plus performant d'Europe secteur par secteur et de rester le pivot, le fondement de la politique national de gestion de l'espace.

Rendre plus compétitives les exploitations et les entreprises, améliorer la qualité des produits et des paysages, diversifier l'usage des productions et les espaces nécessitent d'engager un effort exceptionnel pour renforcer qualitativement et quantitativement les actions en faveur de la formation et l'innovation.

Dès mon arrivée à la tête de ce ministère, j'ai engagé une politique de rénovation de toute la filière du progrès qui va de l'enseignement supérieur et de la recherche jusqu'au partenariat du monde associatif en passant par l'enseignement secondaire agricole, l'apprentissage et la formation professionnelle continue, la recherche appliquée et le développement. 

J'ai déjà indiqué à Montpellier, en juin dernier, les orientations qui devaient être prises par notre enseignement supérieur et les conclusions du rapport que j'avais sollicité du sénateur Laffitte seront rendues publiques jeudi prochain.

Dans cette perspective, je me réjouis de l'initiative prise par mon collègue François Fillon d'engager une consultation nationale sur les grands objectifs de la recherche. J'ai tenu à ce que le ministère de l'Agriculture et de la Pêche apporte sa contribution originale à cette consultation.

Si le rôle du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche est incontestable en matière de coordination, d'orientation, de garanties qualitatives et d'évaluation de la recherche au plan national et international, le ministère de l'Agriculture et de la Pêche se doit, quant à lui, de définir une cohérence d'ensemble pour les secteurs d'activités qui le concernent et d'en fixer les orientations. Bien entendu, la cotutelle d'organismes publics de recherche se manifeste aussi par l'attention vigilante que notre ministère porte à la préparation du BCRD. Elle sera encore renforcée par la politique de contractualisation de la recherche que nos deux ministères ont souhaité engager.

L'évolution rapide du monde agricole et rural a imposé une inflexion profonde des thématiques de recherche. Celle-ci ne remet pas en cause la qualité largement reconnue de notre recherche fondamentale et ne doit pas se faire au détriment de la qualité scientifique de vos travaux. Nos organismes de recherche ont d'ores et déjà pris en compte ces évolutions dans la définition de leurs priorités et de leurs choix scientifiques.

J'ai déjà eu l'occasion de féliciter l'INRA, dont le rôle est très largement prépondérant dans la filière du progrès, pour les efforts qu'il a engagés sous la conduite de son président et de son directeur général afin de rénover dans cette perspective ses problématiques et qui se sont concrétisés dans le projet INRA 2000. C'est dans la même perspective que le CEMAGREF a adopté à la fin de l'année 1993 un plan d'orientation stratégique et technique qui servira de fil conducteur aux chercheurs et ingénieurs du centre au cours des cinq prochaines années.

Ces projets correspondent à une meilleure prise en compte par la recherche des problèmes de la société à travers des objets de recherche qui rendent mieux compte de la réalité des acteurs économiques et sociaux aussi bien producteurs qu'utilisateurs et consommateurs. A cet égard, je souhaite que les organismes de recherche, notamment l'INRA mais aussi le CEMAGREF, I'IFREMER et le CNEVA, s'engagent plus énergiquement dans des démarches pluridisciplinaires qui permettent de connaître et de maîtriser les systèmes complexes qui caractérisent les sciences du vivant, les sciences de l'ingénieur et les sciences du milieu. Cette notion de système complexe implique qu'un effort soit fait pour assurer au mieux la liaison entre les organismes publics de recherche, les entreprises, les instituts et les centres techniques professionnels.

Ces derniers constituent aujourd'hui, de l'avis de tous, le maillon faible de la filière du progrès. C'est pourquoi j'ai proposé aux organisations professionnelles agricoles et agro-alimentaires, en partenariat avec elles et avec le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, de réfléchir à l'avenir des instituts et centres techniques.

Il s'agit d'engager ensemble une évaluation stratégique des activités de recherche, d'expérimentation et de transferts des résultats conduites par les ICTA et de faire des propositions qui permettent d'améliorer leur efficacité en regard des nouveaux enjeux de la PAC et des évolutions de la recherche publique. La réforme du financement de l'ANDA, qui doit très prochainement aboutir, devrait ouvrir de nouvelles perspectives à la recherche appliquée. Notre ministère est prêt à s'engager en faveur d'une relance de la recherche appliquée et j'attends des professionnels qu'ils me confirment leur propre engagement.

Nous pourrons alors d'autant mieux plaider ce dossier budgétaire auprès du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche avec lequel des négociations ont d'ores et déjà été engagées.

L'enjeu de ce rapprochement entre ce que l'on a coutume d'appeler la recherche fondamentale et la recherche appliquée est indispensable pour notre ministère qui doit être capable de répondre aux sollicitations de plus en plus fortes des entreprises et des milieux professionnels. Ceux-ci devraient mieux intégrer la préoccupation de la recherche et de l'innovation dans leur stratégie économique. 

Le développement de ce partenariat est essentiel, et vous avez su, ici, au centre INRA de Toulouse, montrer ce qu'une telle démarche pouvait apporter à la vie économique d'une région.

II suppose de la part des pouvoirs publics de préparer les entreprises au dialogue avec la recherche publique par toute une série de mesures incitatives dont je ne citerai que les principales :

– les programmes nationaux tels que « aliment demain » et « agriculture demain »,
– les programmes communautaires sur lesquels je reviendrai,
– le crédit d'impôt recherche,
– les aides de l'ANVAR,
– les diverses modalités de collaboration entre organismes publics et entreprises.

Il va de soi, qu'il ne peut être question pour moi de cantonner la recherche dans une stricte perspective de développement économique. Je l'ai déjà dit, la recherche doit prendre en compte les problèmes de la société et renouveler le dialogue avec l'ensemble du corps social. Certains travaux de recherche, en effet, peuvent être porteurs d'inquiétudes mais aussi de progrès considérables : c'est le cas par exemple de la recherche en génie génétique. Le rôle de pédagogues des chercheurs est ici indispensable.

Il est également nécessaire de développer des travaux de recherche sur des domaines socialement sensibles et auxquels la société accorde une attention croissante je citerai par exemple les forêts, les zones côtières, le respect de l'environnement, etc. C'est aussi le rôle de la recherche de favoriser de nouveaux débouchés qui peuvent paraître non immédiatement « rentables » en regard des fonctions qu'ils ont l'ambition de concurrencer : c'est le cas notamment de la valorisation non alimentaire des produits agricoles. C'est largement le rôle des programmes de recherches communautaires de favorise cette émergence. L'accroissement des crédits qui leur sont consacrés doit s'accompagner d'un effort soutenu de nos chercheurs pour obtenir à l'avenir de meilleurs résultats à l'occasion des appels d'offres. 

De tels travaux doivent déboucher sur un appui renouvelé de la recherche aux politiques publiques articulant les missions de prospective, d'expertise et d'évaluation. 

À cet égard, vous savez que j'ai décidé de mettre en place un comité scientifique chargé de favoriser les synergies entre les politiques scientifiques et les politiques sectorielles qui lui incombent.

J'avais dit à Montpellier combien il me paraissait indispensable que les liens entre l'enseignement et la recherche soient systématiquement renforcés. La constitution de pôles régionaux d'excellence doit favoriser l'intensification des relations entre les établissements d'enseignement supérieur et les établissements de recherche. Parmi ces objectifs, l'un d'entre eux nous occupe aujourd'hui : développer la recherche dans les grandes écoles et donner une place de plus en plus importante à la formation à et par la recherche.

Sans refaire le discours de Montpellier, permettez-moi de souligner l'effort déjà entrepris à travers le doublement des moyens d'investissements des établissements d'enseignement supérieur. Cet effort va s'inscrire dans le cadre d'un plan pluriannuel d'investissements mis en œuvre à partir de 1994 et jusqu'en 1998. L'État s'est engagé à investir hors Ile-de-France 150 MF pour la durée des contrats de Plan et je tiens à remercier les collectivités territoriales de nous avoir suivies à parité dans cet engagement.

J'ai souhaité que cette politique favorise tout particulièrement la constitution des pôles qui bénéficieront de 70 % de ces moyens nouveaux. Comme vous le savez déjà, les établissements relevant de notre ministère dans la région Midi-Pyrénées, aussi bien dans le secteur public que privé, bénéficieront d'une dotation de l'État de 21,5 MF pendant la durée du Plan.

La politique de la recherche ne peut ignorer le problème des ressources humaines, notamment de l'emploi scientifique. C'est pourquoi j'ai décidé, dès 1994, de piloter les créations d'emplois dans l'enseignement supérieur en liaison avec ses principaux partenaires scientifiques.

À l'avenir et compte tenu de l'évolution récente des statuts, il conviendra d'amplifier cette politique de coordination de l'emploi scientifique aussi bien dans les écoles que dans les établissements de recherche.

J'estime indispensable que la mobilité entre établissements d'enseignement supérieur et organismes de recherche soit accrue par des flux d'échanges équilibrés dans les deux sens.

La politique de recherche que notre ministère conduit ne doit pas seulement s'exprimer par des outils de pilotage des hommes et des moyens, elle doit aussi très concrètement définir des orientations. Parmi celles-ci et afin de renforcer les liens entre les organismes de recherche, au premier rang desquels l'INRA, et les directions sectorielles du ministère et de les faire encore mieux travailler ensemble, j'ai décidé d'ouvrir en priorité trois chantiers, dont les deux premiers sont largement transdisciplinaires : d'abord, il conviendra d'analyser les incidences que les réformes du GATT et de la PAC vont avoir sur l'évolution du monde agricole et rural ; ensuite, dans le cadre de la politique d'aménagement du territoire engagée par le gouvernement, il nous faut développer les recherches sur l'aménagement rural; enfin, je souhaite que les filières de l'élevage, thématique forte de la recherche dans la région Midi-Pyrénées, soient dans un premier temps privilégiées dans le cadre de ce travail commun.

J'ai voulu vous exposer ce matin les principales orientations de la politique que je souhaite poursuivre en matière de recherche en liaison avec mon collègue François Fillon. Pour les résumer, je dirai qu'il faut que nos organismes de recherche et nos programmes mobilisateurs appréhendent plus finement les besoins croissants de notre société et tout particulièrement de notre secteur économique. Dans ces conditions, les pouvoirs publics ne doivent pas, à mon sens, relâcher l'effort budgétaire qui leur est consacré. Je compte préciser ces différents points à l'occasion du débat d'orientation devant le Parlement. Soyez persuadés que la politique de rénovation de la filière du progrès est pour moi un enjeu essentiel. Je vous le répète une nouvelle fois, ce que je viens de voir au centre INRA de Toulouse-Auzeville me paraît être une remarquable illustration de cette politique.