Texte intégral
France 2 – mercredi 9 mars 1994
France 2 : Vous êtes le président de l'UDF. On a l'impression que le soupçon est toujours là, ce soupçon qui pèse sur la politique et l'argent.
V. Giscard d'Estaing : Je vous donne mon sentiment là-dessus : le Var est un beau département, et il est connu dans le monde ! La côte varoise, tout le monde connaît ça. Il faut débarrasser le Var de ces pratiques : ces pratiques, c'est-à-dire la collusion – dans la mesure où elle existe – entre la politique et l'argent, entre la politique et le milieu. Il faut débarrasser le Var de tout cela. Il faut s'appuyer sur la justice, sur la police et sur l'opinion publique. Je suis allé aux obsèques de Y. Piat : c'était la première femme député assassinée de l'histoire de France. Les gens que j'ai vus au cours de ces obsèques m'ont tous dit qu'il faut mettre fin à cette situation. Je demande donc au gouvernement, je suis sûr qu'il fera le nécessaire : il faut débarrasser le Var de ces pratiques. Je le demande au gouvernement et j'appuierai tout ce qui sera fait en ce sens.
France 2 : C'est votre Europe que l'on peut lire dans le programme commun ?
V. Giscard d'Estaing : C'est la nôtre. Pour les Français, ce qui important, c'est le chômage, et pour eux des élections européennes qu'est-ce que c'est ? Tout de même c'est important, car c'est une élection pour cinq ans où l'on va élire 87 députés français qui, s'ils sont influents, auront leur mot à dire sur plusieurs sujets : la concurrence, l'environnement, etc. Nous voulions un projet commun. Nous avons abouti à un projet européen de l'UDF et du RPR.
France 2 : Est-ce l'esprit de Maastricht dans ce projet commun ?
V. Giscard d'Estaing : Ça va plus loin, c'est un projet pour les cinq ans à venir. Il faut trois choses : aller siéger dans le même groupe. Nos partenaires du RPR ont accepté cela. C'est ce que l'on appelle le PPE, le Parti populaire européen, qui représente le centre-droit européen, comme par exemple la CDU en Allemagne, la Démocratie chrétienne en Italie ou le Parti populaire en Espagne. Deuxième chose, nous voulions la monnaie européenne avant la fin du siècle. C'est l'affaire de Maastricht, mais nous confirmons que l'on respectera les engagements et le calendrier de l'Union économique et monétaire.
France 2 : Vous ne craignez pas un repliement des Français à cause de la crise, et un vote d'indifférence ?
V. Giscard d'Estaing : Concernant l'état d'esprit des Français sur l'Europe, ils savent que l'Europe est nécessaire. Ils savent qu'il n'y pas de chance de s'en sortir sans l'Europe. Il faut leur dire que l'on ne peut pas s'en sortir sans l'Europe. Regardons ce qu'il va se passer dans le monde avec la Russie, la Chine, l'union qui se fait en Amérique du Nord. Par contre, ils n'aiment pas la manière dont on fait l'Europe, car ils la trouvent trop centralisé, trop bureaucratique, trop loin d'eux. Dans notre projet, nous tentons de répondre à ces critiques.
France 2 : Vous parlez comme une future tête de liste ?
V. Giscard d'Estaing : J'ai été tête de liste la dernière fois. De plus, j'ai été élu au mois de mars dernier, on ne va pas se présenter successivement aux élections nationales et européennes, cela n'a pas de sens !
France 2 : Ce sera une liste unique ?
V. Giscard d'Estaing : Une liste unique, commune de l'UDF et du RPR, moitié-moitié. Il faut qu'il y ait beaucoup de femmes. Pas de système-gadget, on a tout connu : le tourniquet… c'est un peu injurieux pour les femmes. On ne traite pas le problème féminin avec des quotas ! On leur donne leur place.
France 2 : La première place ?
V. Giscard d'Estaing : Nous demanderons que cela soit quelqu'un de l'UDF pour deux raisons. D'abord, tout le monde connaît l'attachement de l'UDF à la cause de l'Europe. Ensuite, nous avons de bons candidats.
France 2 : Le principe de l'alternance voudrait que cela soit un RPR ?
V. Giscard d'Estaing : Il n'y a de principe absolu pour les différentes fonctions de l'État. Il y a une culture européenne de l'UDF. Nous avons mis comme condition que la tête de liste aille siéger. Nous avons deux candidats déclarés : J.-F. Deniau et D. Baudis. Ils représentent deux personnalités fortes de talents. L'UDF va faire son choix en votant au sein du bureau politique de l'UDF.
France 2 : Le RPR accepte l'idée, le principe d'une tête de liste UDF ?
V. Giscard d'Estaing : Ils n'ont pas répondu de manière formelle. Je ne veux pas brusquer les choses, mais nous leur avons dit que nous avions l'intention de demander cette tête de liste. Nos partenaires sont très ouverts sur ce sujet.
France 2 : Ne craignez-vous pas un détournement d'enjeu. C'est-à-dire que les Français votent davantage sur la situation économique et sociale du pays plutôt que sur l'Europe ?
V. Giscard d'Estaing : Cela se produit toujours. Pour Maastricht ils avaient voté en partie contre le pouvoir socialiste de l'époque et contre la crise. Mais, c'est important de dire aux Français ceci : le parlement européen, que l'on va élire, va siéger de 94 à 99. C'est donc le parlement européen qui va faire entrer l'Europe dans le prochain siècle, le prochain millénaire. Mais quelle Europe ? Une Europe en miettes, une Europe où les gens se battront, une Europe qui sera prête pour le progrès économique et social ? Nous allons leur expliquer pourquoi il faut mieux organiser l'Europe, et comment il faut défendre les intérêts de la France.
France 2 : La logique unitaire sur l'Europe veut aussi dire candidat commun à l'élection présidentielle de 95 ?
V. Giscard d'Estaing : Nous avons des élections départementales dans moins de 15 jours. Laissez les gens voter. Nous avons les élections pour l'Europe au mois de juin. Et puis, nous aurons les élections pour la France, 1995 est dans plus d'un an. Nous aurons le temps d'en parler. Ce ne sont pas les mêmes élections. Là, on vote avec un seul tour et c'est une liste nationale qui envoie les gens siéger ensemble, au même endroit. Il est donc naturel qu'ils se présentent ensemble. Il y a d'autres élections qui sont des élections à deux tours dans lesquelles on offre un choix. Ce n'est pas la même logique.
France 2 : Donc deux candidats ! Merci, monsieur le Président !
RTL : mardi 22 mars 1994
P. Caloni : Tout le monde est content, tout le monde a gagné ?
V. Giscard d'Estaing : C'est un bon résultat pour la majorité, un beau résultat. La participation est un signe positif parce qu'on pensait que les Français s'intéresseraient peu à cette consultation or ils s'y sont intéressés plus qu'à la dernière. Je lisais les journaux avant les élections, et on disait : on va voir si la majorité est encore capable de dépasser les 40 %. Elle fait 44,7. Alors c'est un bon résultat. D'autre part, cette campagne s'est déroulée dans une bonne entente entre l'UDF et le RPR. Tout le monde a été solidaire, il n'y a pas eu d'accrocs. Les optimistes disent : on a moins perdu que d'habitude. Mais quand on voit la carte politique française, on voit quand même qu'il y a d'un côté une majorité très forte et d'autre part, comme alternative, une force qui est toujours dans la zone des 27 %. Ça veut dire que la majorité a vocation à gouverner et qu'elle a été confirmée.
P. Caloni : La gauche s'est un peu requinquée quand même ?
V. Giscard d'Estaing : Non, elle a cessé de perdre. Mais quand vous prenez des critères objectifs, en réalité elle n'a pas remonté. La deuxième chose, c'est qu'il va y avoir un deuxième tour et que j'appelle bien sûr tous les électeurs de l'UDF à voter au deuxième tour sans hésitation pour le candidat de la majorité qui reste en liste qu'il soit UDF ou RPR. Il y a un certain nombre de départements qui sont sur la corde raide, qui peuvent verser d'un côté ou de l'autre, cela dépendra de quelques centaines ou milliers de voix, je fais donc appel à tous les électeurs pour que dans un esprit d'union, ils votent massivement.
P. Caloni : Vous les estimez à combien ces départements ?
V. Giscard d'Estaing : C'est très difficile à dire mais c'est quand même de l'ordre de six à huit.
P. Caloni : Vous avez dit cela s'est bien passé entre le RPR et l'UDF, c'est le moins qu'on puisse en attendre d'une majorité.
V. Giscard d'Estaing : Mais de temps en temps, c'est un exercice qu'on entend souvent, les désaccords au sein de la majorité. Regardez une situation concrète, les choses se sont bien passées et je demande qu'elles se passent très bien le week-end prochain.
P. Caloni : Quant à vouloir en faire un test pour la popularité d'E. Balladur, c'était une erreur ou pas ?
V. Giscard d'Estaing : Je ne crois pas que ce soit tout à fait le cas. J'ai vécu cela sur le plan local. Ce sont des élections qui ont été tout de même largement dominées par des facteurs locaux et notamment par les personnalités locales. D'ailleurs, il y a un côté de récompense au travail bien fait. Ceux qui ont bien travaillé pussent facilement. Chez nous, par exemple, très facilement, avec de très bons scores. Ceux qui ont moins travaillé ou qui ont été moins bien perçus, ont des difficultés relatives, personnelles. Donc, je crois que c'est principalement un scrutin local mais qui confirme le choix des Français pour la majorité actuelle.
P. Caloni : Quelle est votre position sur le CIP qui se vide de plus en plus de son contenu originel ?
V. Giscard d'Estaing : Il faut faire très attention. Il y a deux choses. Il y a le désespoir de la jeunesse et il y a d'autre part, des mesures techniques prises pour les jeunes au chômage. Les critiques à l'endroit du projet du gouvernement sont à l'heure actuelle injustes et excessives. Elles sont d'ailleurs souvent le fait de gens qui n'ont pas pris la peine de regarder la situation réelle et qui ne savent pas ce qui se passe pour les jeunes à l'heure actuelle. Si vous prenez un jeune en chômage qu'est-ce qu'il gagne ? Le RMI, 2 300 francs par mois. Si vous prenez un jeune qui a un petit emploi qu'on appelle les CES, que gagne-t-il ? 2 950 francs par mois. Si vous prenez tous les jeunes qui sont en formation par alternance, l'apprentissage, les contrats de qualification, ils gagnent tous moins de 80 % du SMIC. Un apprenti commence à 25 % du SMIC et il termine à 78 %, et il fait trois ans. Si vous prenez le contrat de qualification, c'est la même chose. Donc, voilà la situation réelle. Alors le CIP, pour les jeunes jusqu'au Bac, il ne change rien à la situation actuelle. Et il faut savoir que cette situation actuelle a été faite par le gouvernement socialiste. C'est-à-dire qu'ils ont un contrat de travail, ils reçoivent une formation et ils touchent 80 % du SMIC. La seule nouveauté qui a été introduite par ce CIP et qui à mon avis était en effet une maladresse de présentation, c'est la situation des jeunes qui ont des diplômes à Bac +2. Ceux-là, on leur a dit, vous travaillez beaucoup, vous avez un diplôme qui vous qualifie pour le travail, on vous recrute et on ne va pas vous payer le salaire minimum. Ce serait en effet le seul cas de SMIC-jeunes. Tous les autres, c'est ce que j'appelle un SMIC-formation. Si en effet on l'appliquait à des diplômés, ça aurait un effet décourageant pour eux puisqu'ils ont fait Bac+2. L'idée du gouvernement n'était pas mauvaise puisqu'elle s'adressait à ceux qui ne trouvaient pas d'emploi et leur dire, peut-être qu'un entreprise va vous prendre à condition qu'il y ait une formation supplémentaire. Mais c'était confus et d'autre part, pourquoi une formation supplémentaire pour des gens formés.
P. Caloni : Il y a eu un problème de communication ?
V. Giscard d'Estaing : Donc sur ce point, on a eu raison de corriger le texte, pour le reste, ce texte reprend des dispositions existantes, les simplifie et ne crée pas plus de SMIC-jeunes qu'il n'y en a à l'heure actuelle. Si on refuse de rien changer, le chômage des jeunes restera le même. On vous a parlé des manifestations en région parisienne, il faut quand même savoir qu'en Ile-de-France, il y a 93 000 demandeurs d'emploi de moins de 25 ans. Et naturellement, ce chiffre est bien plus fort dans l'ensemble de la France. La dernière chose, c'est l'angoisse des jeunes, il n'y aurait pas ces réactions s'il n'y avait pas une angoisse profonde des jeunes devant le chômage. Et si on ne répond pas à cette situation, si on ne s'attaque pas au chômage des jeunes, le chômage détruira une génération de jeunes français. Voilà le risque que nous avons devant nous. Ça veut dire que pour moi, c'est la priorité des priorités.