Texte intégral
Q. : La Conférence sur la stabilité en Europe prend fin ce soir à Paris. Les pays représentés doivent en principe se retrouver tout au long de l'année en tables rondes régionales et conclure, selon les besoins, des pactes bilatéraux qui seront entérinés lors d'une grande conférence de clôture dans un an. C'est alors que naîtra le pacte de stabilité, une idée chère à M. Balladur et qui a été adoptée par l'Union européenne.
La raison d'être de ce pacte – on le sait – est de prévenir les conflits entre minorités. Un certain scepticisme s'est fait jour lors de cette conférence de la part des pays participants, une certaine tiédeur. Est-ce parce que cette conférence ou ce pacte semble faire doublon avec le partenariat pour la paix, ou avec la CSCE ?
R. : Il n'y a pas de double emploi ; nous l'avons expliqué à plusieurs reprises; la conférence sur la stabilité est un processus temporaire, je veux dire par là que cela va fonctionner pendant un an. La CSCE a toute la vie devant elle, l'Alliance atlantique aussi. Nous n'aborderons pas dans cette conférence les questions de sécurité : elles seront traitées par le partenariat pour la paix. Il y a donc une vocation spécifique de la conférence sur la stabilité en Europe. Cette vocation est double. Il s'agit, comme vous l'avez dit, d'abord de prévenir l'apparition en Europe de conflits du type de ceux qui existent déjà dans les Balkans, hélas. Et pour cela, nous voulons affirmer de manière très claire qu'on ne touchera pas aux frontières existantes et, par ailleurs, qu'il faut donner aux minorités nationales dans nos différents pays européens la possibilité de s'exprimer librement dans le respect des principes qui ont été fixés par la CSCE, par le Conseil de l'Europe, etc. Le deuxième objectif, c'est d'accompagner les pays auxquels cette initiative s'adresse principalement – il y en a neuf, ce sont les États baltes et les Pays d'Europe centrale et orientale – de les accompagner dans leur marche vers l'Union européenne. Voilà pourquoi c'est original et voilà pourquoi cela correspond à un besoin. Je n'ai pas senti pour ma part le scepticisme auquel vous faisiez allusion. D'abord, tout le monde était là, c'est en soi un succès, et la déclaration qui sera adoptée en fin de matinée est tout à fait conforme aux objectifs que nous nous étions fixés.
Le plus difficile reste à faire : il faut passer de la conférence inaugurale aux négociations, à ce que l'on appelle les tables rondes, les tables régionales, les tables bilatérales. Cela va exiger, de la part de l'Union européenne, de la part de la France, beaucoup d'efforts, beaucoup de continuité, beaucoup de persévérance.
Q. : Quel sera le rôle de la Russie dans ce pacte sachant que, justement, elle ne fait pas partie de ces pays concernés et qu'elle est en marge et aux marches de cette nouvelle Europe ?
R. : Il s'agit de la stabilité en Europe; c'est la raison pour laquelle nous avons invité tous les pays intéressés par la stabilité en Europe dont la Russie, mais aussi les États-Unis et le Canada, qui sont parties prenantes à toutes les initiatives concernant notre continent. Je crois que la Russie est intéressée à double titre d'abord, parce que c'est une grande puissance, et tout ce qui se passe sur notre continent la touche de près ou de loin et, ensuite, parce qu'elle peut être impliquée plus directement dans certaines discussions bilatérales je pense en particulier aux pays baltes et aux problèmes qui peuvent subsister entre eux et la Russie. De ce point de vue, la conférence peut aider. Je prends un seul exemple, dans ses relations avec l'Estonie, la Russie va avoir à récupérer des retraités militaires, qui doivent quitter l'Estonie pour revenir en Russie. Il faut les accueillir, il faut construire des logements; peut-être l'Union européenne a-t-elle quelque chose à faire dans ce domaine ? Peut-être peut-elle apporter un plus ? Elle peut concevoir un projet d'intérêt commun qui aidera à la solution diplomatique.
Q. : De votre voyage à Moscou, de l'attitude de la Russie dans le processus de paix en Bosnie et aussi de la future adhésion de la Russie au partenariat pour la paix, que déduisez- vous de la politique russe en Europe, est-elle fiable, crédible ?
R. : Sûrement. Je dirais qu'elle est parfois un peu crispée; la Russie considère que cela ne va pas assez vite. J'ai rencontré le Président Eltsine qui est un homme franc, direct, avec qui j'ai eu un très bon échange; il était d'ailleurs de très bonne humeur le jour où je l'ai vu, mais on a l'impression qu'il voudrait que tout se fasse en un jour : l'adhésion de la Russie au Conseil de l'Europe, l'adhésion au partenariat pour la paix, l'adhésion au GATT et ainsi de suite. Il y a un certain nombre de procédures, de règles, de conditions à remplir. Mais la France considère que l'on ne doit pas pousser la Russie dans son coin. Il faut l'associer. Nous sommes favorables à ce qu'elle entre au Conseil de l'Europe, nous considérons qu'elle doit adhérer au Partenariat pour la paix qui a été proposé par l'Alliance atlantique et sans doute avec un programme de coopération spécifique. C'est vrai que la coopération avec la Russie en matière de sécurité est une nécessité. Voilà, je crois, comment il faut raisonner avec la Russie : être ouvert et, en même temps, rappeler un certain nombre de principes, rappeler qu'il faut satisfaire aux règles générales concernant la démocratie, rappeler qu'il faut continuer à progresser, dans la voie des réformes économiques. En ce qui concerne la CEI, la Russie, qui a un rôle particulier à jouer, ne peut pas tout faire, toute seule? sans rien demander à personne.
C'est la raison pour laquelle nous insistons beaucoup sur le fait que les opérations de maintien de la paix dans cette zone doivent être placées sous l'égide des Nations unies ou sous l'égide de la CSCE.
Q. : Vous n'incluez pas le Caucase ?
R. : Si. Le Caucase aujourd'hui en fait partie. Certains pays qui étaient sortis de la CEI y sont revenus, et notamment la Géorgie. S'agissant de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan, il faut également que la Russie travaille avec la CSCE, et je l'ai dit au général Gratchev, il faut un cadre international.
Q. : Où en sont les négociations de paix sur le groupe de Talloires, qui s'est réuni hier. On suppose qu'il se retrouvera la semaine prochaine, y a-t-il une date qui a été choisie pour une Conférence ministérielle ?
R. : On est à un moment très important. Je crois que les quelques semaines qui viennent, d'ici le mois de juillet seront décisives : ou bien on arrive à débloquer la situation dans le cadre général de ce que les grandes puissances ont proposé à Genève, cela veut dire un cessez-le-feu immédiat, la cessation des hostilités, cela veut dire ensuite un arrangement institutionnel et un arrangement territorial au sein d'un État de Bosnie-Herzégovine avec ses frontières bien entendu reconnues et pérennisées; cela veut dire aussi un processus de reconstruction de la Bosnie-Herzégovine. Je crois que c'est à notre portée et j'ai noté avec beaucoup de satisfaction les déclarations qui ont été faites avant-hier par le Président Clinton qui a dit : les États-Unis sont prêts à participer à la mise en œuvre de l'accord, il faut une solution politique, la levée de l'embargo sur les armes est une solution simpliste.
Q. : Alors de qui cela dépend-il ?
R. : Il faut continuer à maintenir la pression, ça dépend également des parties. Il faut faire comprendre aux uns et aux autres qu'il faut continuer à discuter et déboucher le plus vite possible sur un accord.
Cela peut être un accord en plusieurs étapes. La première étape est claire, il faut la cessation générale des hostilités parce que, même si la situation s'est beaucoup améliorée sur le terrain, depuis quelques mois, depuis l'ultimatum de Sarajevo, même si, aujourd'hui, on ne pourrait pas revoir certaines images vues l'année dernière ou il y a deux ans, tout reste fragile. À tout moment, cela peut déraper. Donc, il faut la cessation générale des hostilités ; à partir de là, on peut commencer à construire un accord de paix solide.
Q. : Alors un ultimatum avant la fin de l'année puisque vous avez parlé d'un éventuel retrait des casques bleus si aucun progrès significatif n'arrivait ?
R. : Non, ce n'est pas à la fin de l'année, c'est bien avant, j'ai parlé des semaines qui viennent, avant l'été. Il faut qu'avant l'été on sache si l'on progresse ou si l'on fait du sur place ; si l'on fait du sur place intégral, si l'on s'obstine à refuser toute espèce de percée diplomatique, si tout le monde s'obstine en particulier à refuser le cessez-le-feu, alors il faudra procéder à une révision de fond en comble de notre politique. Il faut simplement en mesurer les conséquences. Il ne faudra pas dire que l'on n'aura pas prévenu des risques d'escalade militaire et des risques de contagion que cela comporte, mais on ne peut indéfiniment en rester là où l'on en est depuis plusieurs années.
Q. : Le FPR refuse l'envoi que vous aviez proposé de soldats français dans le cadre des Nations unies ?
R. : Nous ne l'avons pas proposé, le Secrétariat général des Nations unies ne nous l'a pas demandé. Je constate que si l'une des parties en présence ne veut pas que nous y participions, très bien, nous en prenons acte.
Ce que fait la France – et de ce point de vue, elle a été exemplaire, peu de pays l'ont fait aussi vite et aussi fort qu'elle pour mettre en place un dispositif humanitaire – Philippe Douste-Blazy est allé au Burundi et en Tanzanie, nous nous sommes rendus dans les pays voisins pour mettre en place des systèmes d'épuration de l'eau, c'est du concret là aussi.
Q. : Et sur le plan politique, si le FPR prend le pouvoir, qu'entendez-vous faire pour que les relations s'améliorent ?
R. : Si le FPR prend le pouvoir, il faudra un accord, une réconciliation entre les parties. C'est ce que la France a essayé de faire avec succès l'année dernière lorsque les accords d'Arusha ont été conclus et ces accords reposaient sur l'idée d'un partage du pouvoir entre les différentes parties qui représentent la population rwandaise. On ne s'en sortira pas autrement. Après un cessez-le-feu, il faudra à nouveau discuter d'un accord politique. Je suis persuadé qu'on se rendra compte du rôle que la France peut jouer.